Des femmes emportées dans le drame et la folie

"Stella": Stella (Paula Beer) rêve de jazz. DR

« Stella »: Stella (Paula Beer) rêve de jazz. DR

TRAHISON.- Dans le Berlin d’août 1940, malgré les mesures répressives imposées par le régime nazi, Stella Goldschlag continue de rêver à une carrière de chanteuse de jazz. Avec ses amis musiciens, ils se retrouvent régulièrement pour jouer et répéter en s’imaginant sur la scène new-yorkaise du Cotton Club. Mais le coeur y est de moins en moins même s’ils se disent qu’ailleurs, en Amérique évidemment, l’herbe est plus verte. L’Allemagne de ces années-là n’est pas une terre hospitalière pour les Juifs et tous ces jeunes gens tremblent devant un sombre avenir. En février 1943, Stella, qui a épousé Manfred Kübler, travaille, avec le statut de travailleur forcé juif, dans une usine d’armement berlinoise… Elle et ses amis ont beau se dire « On survivra aux nazis », la menace se fait toujours plus précise pour les Juifs…
Avec Stella, une vie allemande (Allemagne – 2h. Dans les salles le 17 janvier), le réalisateur Kilian Riedhof raconte l’aventure d’une charmante jeune femme qui rêve des planches de Broadway mais qui se trouve vivre à la mauvaise époque et au mauvais endroit. « J’ai été fasciné par Stella, dit le cinéaste, dès l’instant où j’ai découvert son histoire. Bien sûr, je m’interroge sur l’origine de cette fascination. Peut-être parce qu’elle semble être un personnage très moderne, qui aspire non seulement à survivre, mais aussi à s’épanouir et à prospérer. Elle est à la fois coupable et victime. Il n’est pas facile de la juger… »
Le film s’inspire de la vraie histoire de Stella Goldschlag, née en 1922 à Berlin. Arrêtée en 1945 par les Russes, celle qui fut qualifiée de « poison blond » passa dix années dans les camps soviétiques. Sa peine purgée, de retour à Berlin-Ouest, elle est de nouveau condamnée à dix ans d’emprisonnement, peine qui n’est pas appliquée au titre des années de détention déjà effectuées. En 1994, à Fribourg, Stella Goldschlag se suicide à l’âge de 72 ans. D’après les documents réunis lors de ses procès, elle aurait provoqué, par ses dénonciations, la mort d’entre 600 et 3 000 Juifs.

"Stella": "Le poison blond" en action. DR

« Stella »: « Le poison blond » en action. DR

Dans une mise en scène pas forcément innovante et avec une caméra qui bouge beaucoup, le film parvient cependant à captiver parce qu’il met en scène une terrible descente aux enfers. Pour empêcher Toni et Gerd, ses parents, d’être arrêtés par les nazis et déportés à Auschwitz, Stella va tout bonnement trahir son peuple. Interpellée par la Gestapo, interrogée sans ménagement et violemment battue, la jeune femme accepte de collaborer. Ses principes mouvants et son absence de moralité vont la faire basculer dans l’ignominie. La ravissante blonde aux yeux bleus (cette apparence d’aryanité lui avait régulièrement permis d’échapper aux rafles de Juifs) se mue, à partir de 1943, en terrifiante chasseuse de Juifs.
Découverte en 2016 par le public francophone dans Frantz de François Ozon, la comédienne allemande Paula Beer se glisse, avec aisance, dans la peau de cette impressionnante victime-coupable-survivante…

"Captives": Fanni (Mélanie Thierry) en plongée dans la folie. DR

« Captives »: Fanni (Mélanie Thierry)
en plongée dans la folie. DR

FOLIE.- Une femme joue avec ses fins gants en résille dans une voiture à chevaux. On entend le bruit des sabots sur les pavés parisiens. Lorsque le véhicule s’arrête, ce sont des menottes qui se referment sur les poignets de cette bourgeoise. Tenue en laisse, elle franchit plusieurs lourdes grilles. Nous sommes en 1894 à l’hôpital de la Salpêtrière où Fanni s’est volontairement laissée enfermer, prête à passer pour folle. Car cette femme n’a trouvé que cette solution pour retrouver la trace de sa mère, elle aussi enfermée ici, une bonne vingtaine d’années plus tôt. Entre la glaciale Bobotte, surveillante générale du quartier des démentes, et la redoutable La Douane, infirmière spécialement perverse et haineuse, Fanni entre dans un univers auquel elle semble n’avoir que très peu de chances d’échapper…
C’est en se plongeant dans l’histoire du dernier « bal des folles » de la Salpêtrière (avant même la parution du Bal des folles, le livre de Victoria Mas qui contribua en 2019 à le faire connaître) que le cinéaste Arnaud des Pallières décida de se lancer dans l’aventure de Captives (France – 1h50. Dans les salles le 24 janvier). Dans le Paris de la fin du 19e siècle, le « bal des folles » de la Salpêtrière est un évènement mondain où, le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des valses et des polkas en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves. Mais ces instants joyeux cachent une réalité sordide. Voulu et encouragé par Charcot, le fameux neurologue, le bal permet une rencontre entre « malades » et « gens de la haute ».

"Captives": Bobotte (Josiane Balasko), surveillante générale de l'asile. DR

« Captives »: Bobotte (Josiane Balasko), surveillante générale de l’asile. DR

« Nous voulions raconter, dit le cinéaste, le quotidien de ces femmes pauvres enfermées à la Salpêtrière, selon des critères qui relèveraient aujourd’hui de l’arbitraire le plus pur… » Captives retient l’attention pour deux raisons : l’intéressante représentation de ce quotidien glauque et mortifère et le magnifique quintette formé par des actrices brillantes. Connu pour Parc (2009), Michael Kohlhaas (2013) et Orpheline (2016), Des Pallières dirige ainsi Josiane Balasko, Yolande Moreau, Carole Bouquet, Marina Foïs et, dans le rôle principal, Mélanie Thierry qui campe une Fanni infiltrée et lancée, parmi une multitude d’autres convaincues de « folie », dans une aventure périlleuse qui culminera à l’heure du bal. Voici donc une suite de portraits de femmes dont celui, fort intriguant de Madame Chevalier (de son vrai nom Hersilie Rouÿ), une bourgeoise internée très longtemps au nom de l’idée répandue à l’époque qu’une femme saine ne pouvait qu’être mariée et s’occuper d’enfants. Cependant le film surprend par la mise en scène de visages luisants et halés, dans des images contrastées et colorées qui s’appliquent à prendre le contrepied de l’imaginaire d’un film carcéral au 19e siècle.

 

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