Des femmes en quête d’harmonie

"Black Tea": Cai (Han Chang) et Aya (Nina Mélo) dans les plantations de thé. DR

« Black Tea »: Cai (Han Chang) et Aya (Nina Mélo) dans les plantations de thé. DR

GESTES.- Une fourmi se déplace vers un tissu crème… On découvre qu’il s’agit d’une robe de mariée. Nous sommes dans une mairie en Côte d’Ivoire où un certain nombre de couples attendent de convoler devant le premier magistrat local. Les époux s’aèrent avec de petits ventilateurs. L’ambiance est à la joie autant chez les futurs mariés que dans les familles. La seule qui ne sourit pas sous son voile blanc, c’est Aya. Alors que son costaud de promis vient d’écraser la fourmi et de s’exprimer : « Oui, je consens ! », la belle jeune femme tarde, elle, à consentir. A une parente, elle a glissé : « Je ne veux pas vivre mon futur dans le mensonge. » Alors, dignement, Aya se lève et, devant l’assistance médusée, s’éloigne… On la retrouve dans les rues de Canton où elle a trouvé un travail dans la boutique de thé du taiseux Cai, un Chinois de la quarantaine…
Largement célébré au festival de Cannes 2014 pour l’impressionnant Timbuktu, son cinquième film, qui mettait en lumière les sinistres exactions des islamistes dans la ville malienne, le cinéaste Abderrahmane Sissako signe, cette fois, avec Black Tea (France/Taïwan – 1h49. Dans les salles le 28 février), une déambulation grave et poétique, entre la Côte d’Ivoire, la Chine et le Cap-Vert, au coeur de laquelle Aya va tenter de trouver ses marques. Certes, pratiquant bien le mandarin, elle est aussi à l’aise dans la boutique de thé où elle s’imprègne constamment des parfums que parmi la communauté d’expatriés africains qui tiennent, ici, le salon de coiffure Chez Trésor, là, le petit boui-boui Chez Ambroise… Pourtant, tout en savourant les attentions de Cai, Aya s’interroge sur leur liaison et se demande si elle pourra survivre autant aux préjugés qu’aux tumultes de leurs passés. En tout cas, les deux personnages centraux de Black Tea incarnent la rencontre sociale, politique et économique entre l’Afrique et la Chine mais le cinéaste qui souhaitait surtout nourrir son cinéma d’un imaginaire inattendu, observe :  « J’aurais très bien pu raconter cette histoire dans un autre contexte géographique. […] Pour ce qui est de l’identité culturelle, je ne réfléchis jamais à des personnages définis par leur appartenance à un peuple particulier. » De fait, Aya et Cai se retrouvent surtout dans l’envie d’une vie harmonieuse à travers une entente et une compréhension des autres.

"Black Tea": les gestes de la cérémonie du thé. DR

« Black Tea »: les gestes
de la cérémonie du thé. DR

En refusant le folklore, façon carte postale, Sissako met en scène une œuvre fortement contemplative traversée par des émotions, des sentiments, des sensations mais aussi par une douceur charnelle, ainsi les séquences dans les vertes collines des plantations de thé ou dans l’arrière-boutique où Cai initie Aya aux gestes immuables et précis de la cérémonie du thé. Et ces gestes semblent appartenir aussi à un rituel amoureux.
A cause des lumières chaudes de la photographie (signées Aymerick Pilarski), des nombreux surcadrages, du rythme souvent languide, on pense parfois au In the Mood for Love de Wong Kar-wai. Impression renforcée par la musique. On songe aux accents très saudade de la morna cap-verdienne ou encore à la reprise du Feeling Good de Nina Simone par Fatoumata Diawara. « Autant par la force de cette chanson, dit le metteur en scène, que par la personnalité de Fatoumata, qui est une femme extraordinaire, qui mène un combat pour les femmes. Qu’elle chante Nina Simone en bambara rejoint mon moteur sur ce film : l’envie de raconter la possibilité d’un monde en mouvement vers une harmonie. » Une harmonie qui doit beaucoup à Nina Mélo qui incarne superbement Aya. Sa gravité et sa grâce font énormément pour l’attrait de cette œuvre singulière et belle.

"Madame de...": Madame de Sévigné (Karin Viard) et Françoise (Ana Girardot).

« Madame de… »: Madame de Sévigné
(Karin Viard) et Françoise (Ana Girardot).

LETTRES.- « Où est la marquise de Sévigné qui m’enchantait ? » Françoise de Grignan se désole. Elles sont loin, les heures indolentes et ensoleillées où, sur les bords d’un fleuve, la mère promettait : « Je vous veux heureuse, indépendante et maîtresse de votre destinée. » Une destinée qui passe par la fréquentation de la Cour et la perspective d’un beau parti. Las, par une nuit de fête et sous les éclats des feux d’artifice, le roi croise la jeune Françoise et la bouscule dans un fourré. Marie de Sévigné, en réussissant à arracher sa fille aux ardeurs royales, signe aussi une forme de disgrâce. La ravissante Françoise devient difficile à marier. En 1669, Françoise épouse le comte de Grignan, déjà veuf deux fois et nettement plus âgé qu’elle. Dans ce mariage, elle apporte l’argent, lui le nom… Très rapidement le comte est nommé Lieutenant général de Provence par le roi et il doit aller occuper cette charge prestigieuse mais très lourde. Il veut évidemment que sa femme l’accompagne et c’est le début d’une série de longues séparations entre la mère et la fille qui donneront lieu à une correspondance fameuse, riche de plus de mille lettres…
Avec Madame de Sévigné (France – 1h32. Dans les salles le 28 février), Isabelle Brocard donne son second long-métrage de fiction après Ma compagne de nuit (2011) qui déjà mettait aux prises deux femmes (Emmanuelle Béart et Hafsia Herzi) dans un drame de la fin de vie. Ici, dans une mise en scène fluide qui privilégie l’intime, la cinéaste orchestre le duo mère-fille le plus célèbre de la littérature française mais montre surtout les tourments d’une relation fusionnelle et finalement dévastatrice. Car, en ce milieu du 17e siècle, plus la marquise veut faire de sa fille une femme brillante et libre, à son image. Plus elle tente d’avoir une emprise sur le destin de la jeune femme, plus celle-ci se rebelle… « Les contraintes, dit la cinéaste, qui pèsent sur le corps, le destin, la liberté des femmes, sont en partie à l’origine de cette relation ravageante, et c’est encore le cas aujourd’hui évidemment. J’ai eu le désir de parler du présent à travers l’acuité de ce siècle passionnant qu’est le 17e siècle sur la question des femmes. »

"Madame de...": Françoise et sa mère à la Cour. Photos Julien Panié

« Madame de… »: Françoise et sa mère à la Cour.
Photos Julien Panié

En s’appuyant sur deux comédiennes qui se glissent avec aisance dans leurs personnages, Isabelle Brocard décrit une relation emplie de déception, de provocations entre les deux femmes. Madame de Grignan (Ana Girardot tout en grâce fragile) n’hésite pas à provoquer Madame de Sévigné (Karin Viard, flamboyante et énergique): elle fait circuler ses lettres, court les routes de Provence avec son mari, multiplie les grossesses…
Françoise pourrait tout à fait se séparer de sa mère : elle préfère adopter une posture de victime permanente, accuser, culpabiliser, demander de l’aide parfois…. Madame de Sévigné pourrait écouter son amie Madame de La Fayette qui lui fait remarquer qu’elle est littéralement obsédée et la conjure de prendre ses distances et de cesser d’empiéter sur la vie de sa fille… Mais l’une et l’autre en sont incapables.

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