Un maître de la musique et un héros du quotidien

"Boléro": Misia Sert (Doria Tillier) et Maurice Ravel (Raphaël Personnaz). DR

« Boléro »: Misia Sert (Doria Tillier)
et Maurice Ravel (Raphaël Personnaz). DR

SUCCES.- « Que faisons-nous dans cette décharge ? » Les bottines de la danseuse Ida Rubinstein sautent dans des flaques d’eau tandis que Maurice Ravel l’entraîne dans une usine pour y entendre « les sons d’une symphonie mécanique », ceux de la marche du temps qui avance. L’exubérante et baroque Ida a lancé au compositeur, « Je veux que vous écriviez la musique de mon prochain ballet ». Avec une exigence : qu’il soit à la fois « charnel, envoûtant et érotique ». Sans vraiment se faire tirer l’oreille, Ravel repousse le projet de loin en loin car il ne trouve pas le point de départ de cette pièce. Il n’arrive pas, dit-il, « à faire surgir l’idée tapie dans un coin… » Mais, en 1928, harcelé par Ida Rubinstein qui veut son ballet dans les deux mois, Maurice Ravel va écrire ce Boléro qui sera l’instrument de sa consécration internationale même s’il ne le considère que comme une expérimentation d’orchestration. Si, dans sa carrière, Ravel (1875-1937) a signé nombre d’oeuvres majeures comme le Concerto pour la main gauche ou l’éclatant Concerto en sol, son nom demeure, pour toujours accolé à cette transe répétitive et hypnotique dont il dit : « Cette rengaine va avaler toutes mes œuvres ! »
Après la séquence « industrielle » en prégénérique, c’est une belle compilation d’extraits, dans tous les genres et sur tous les tons (y compris le désopilant Parti d’en rire du duo Dac/Blanche), du plus fameux morceau de Ravel qui compose cette fois le générique du Boléro (France – 2h. Dans les salles le 6 mars), le 19e long-métrage d’Anne Fontaine. Cette cinéaste éclectique s’il en est, propose, ici, une belle variation autour du biopic. Souvent pesant, parfois compassé ou carrément à côté de la plaque, le genre est, ici, abordé sous l’angle -franchement romantique- de Ravel et les femmes. Après avoir orchestré, en 2021 dans Présidents, un biopic… humoristique sur la rencontre de deux anciens présidents prénommés Nicolas et François, Anne Fontaine emporte, ici, le spectateur dans les pas d’un homme à la frêle stature, compositeur aussi exigeant que talentueux et personnage cerné par les femmes.

"Boléro": Maurice Ravel avec les filles d'une maison close. DR

« Boléro »: Maurice Ravel
avec les filles d’une maison close. DR

La première n’est autre que sa mère persuadée que le monde reconnaîtra son excellence alors même que son Maurice est retoqué au Prix de Rome… Il y a bien sûr Ida Rubinstein mais aussi Marguerite Long, la célèbre pianiste, qui sera toujours proche de Ravel et convaincue qu’un jour, il apprendra « à aimer sa musique », Madame Revelot, la fidèle gouvernante, qu’il accompagne au piano en chantant Valencia ou encore l’une des filles de la maison close où Ravel a ses habitudes. Quêteur de sons, il lui fait très lentement enfiler des gants pour entendre chanter le satin sur sa peau avant de se mettre au piano pour une joyeuse interprétation, en bonne compagnie, de La Madelon. Et puis, il y a la séduisante Misia Sert, surnommée « la reine de Paris », amie et muse amoureuse, toujours présente et qui lui glisse : « Ce que vous demandez à la musique, je le demande à l’amour… »
Entouré d’Anne Alvaro, Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos, Sophie Guillemin, Mélodie Adda et Doria Tillier, Raphaël Personnaz (qui a perdu dix kilos pour le rôle) incarne cet artiste taraudé par les doutes. Malgré son allure d’éternel et fringant jeune homme, Ravel ne se départit jamais d’une certaine sécheresse masquant une discrète bonté. Parlant de son Boléro, il glisse : « Je lui en veux un peu d’avoir mieux réussi que moi ».
Déjà directeur de la photo d’Anne Fontaine pour Coco avant Chanel (2009), Perfect Mothers (2013) et Gemma Bovery (2014), Christophe Beaucarne signe enfin une image aux teintes chaudes et aux couleurs vivantes qui écartent agréablement Boléro de l’ambiance des films dits d’époque.
Comme le rappelle le générique de fin, il ne se passe pas un quart d’heure sans qu’une interprétation du Boléro ne se fasse quelque part dans le monde !

"Comme un fils": Victor (Stefan Virgil Stoica) et Jacques (Vincent Lindon). DR

« Comme un fils »: Victor (Stefan Virgil Stoica)
et Jacques (Vincent Lindon). DR

EDUCATION.- Dans une vaste salle des profs déserte, Jacques Romand récupère un carton, le remplit de dossiers, de copies, de quelques livres, de matériel de bureau. Il quitte les lieux sans croiser personne. Pour lui, l’enseignement, c’est terminé. On apprendra plus tard que le prof a eu droit à des milliers de vues sur les réseaux sociaux pour s’être retrouvé au coeur d’une bagarre entre deux lycéens qu’il tentait de séparer. De retour dans la vaste maison dans laquelle il vit seul et qu’il s’apprête, à contre-coeur, à mettre en vente, le prof s’occupe de remettre en état la reliure d’un vieil ouvrage rare…
Un soi alors qu’il fait ses courses dans une petite supérette de quartier, Jacques est témoin d’un vol commis par trois individus. Deux réussissent à s’enfuir mais Jacques ceinture le troisième, un adolescent de 14 ans. Il est sans papiers, sans adresse, sans doute Rom et la police botte en touche lorsque le prof demande ce qu’il va advenir du gamin. Une nuit au poste, le passage devant un juge, un placement dans un centre d’où il n’aura aucun mal à filer…
Un jour ou deux plus tard, Jacques constate qu’il a été victime d’un cambriolage. Dans une chambre, il trouve son jeune voleur endormi. Un médecin constate qu’il porte des traces de coups et de multiples hématomes… Jacques va alors complètement s’investir dans le « sauvetage » de Victor.
En exergue de Comme un fils (France – 1h42. Dans les salles le 6 mars), Nicolas Boukhrief a placé le propos d’un nommé Borocco, probablement l’un de ses profs, qui disait : « Les professeurs ouvrent des portes mais vous devez entrer vous-mêmes ! » C’est bien, ici, le parcours d’un enseignant qui a perdu sa vocation que brosse le réalisateur du Convoyeur (2003), Made in France (2015) ou Trois jours et une vie (2019).
« Comme un fils est né de deux idées, dit le cinéaste. Après l’assassinat de Samuel Paty, je voulais tout d’abord écrire un film sur l’importance de la figure du professeur. Et rendre hommage à ceux qui m’ont aidé à me constituer. Nous avons tous en mémoire des professeurs, des maîtres, qui ont très fortement influé sur notre destin. Mais beaucoup de longs-métrages ayant déjà été faits sur le sujet, et des très bons, je cherchais dans mon histoire à sortir de la structure professionnelle dans laquelle ce personnage évolue la plupart du temps pour parler de la figure d’un professeur en soi, hors de son contexte… » Le film s’attache donc à l’un de ces « piliers de la République » dans sa vie quotidienne. Une existence évidemment bouleversée par Victor, jeune Rom sauvage et soupçonneux qui va, petit à petit, passer de la survie dans la rue à une approche, d’abord timide puis prometteuse, de cette éducation qui permet d’être dans la société et non pas à côté.

"Comme un fils": Harmel Kirschner (Karole Rocher). DR

« Comme un fils »: Harmel Kirschner
(Karole Rocher). DR

Dans un rôle écrit pour lui, le monstre sacré Vincent Lindon se glisse, avec son habituelle aisance, dans la peau d’un héros du quotidien confronté aux silences et aux non-dits d’un Victor qui explique qu’il vole pour éviter de se faire battre par son oncle. On songe souvent à son personnage de maître-nageur dans Welcome (2010) aux prises avec un jeune Kurde qui veut passer à la nage de Calais en Angleterre. Ici, c’est donc Victor (Stefan Virgil Stoica, recruté dans une école d’art dramatique de Roumanie) représentatif d’un peuple nomade rejeté et pauvre, qui devient la première préoccupation de l’ancien prof. Cependant, alors que Victor et les siens disparaissent de leur campement, l’histoire se met un peu à tourner à vide. Recruté par Harmel Kirschner, sa responsable (Karole Rocher), Jacques devient bénévole dans une association d’aide à l’enfance en danger. Et on voit sans peine se pointer une romance entre Jacques et la responsable de l’association… Mais l’hommage à l’éducation reste évidemment bienvenu.

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