Ariane du beau côté du rêve

« Le rêve a purement et simplement disparu de notre horizon. Et je le regrette. » Parole de tortue. Qui parle, avec la voix de Judith Magre, dans Au fil d’Ariane, le nouveau Guediguian. Et si une tortue parle, c’est probablement qu’on ne doit pas être dans la vraie vie. Le cinéaste de Marius et Jeannette qualifie précisément son nouvel opus de fantaisie. Alors, si vous n’aimez pas vous laisser emporter par un cinéma qui prend ses aises avec la réalité, il faudra aller voir ailleurs.

Tous les autres partiront, eux, sur les traces d’Ariane… Le jour de son anniversaire, Ariane est chez elle. Elle a fabriqué un gros gâteau avec des bougies. Elle a reçu des bouquets de fleurs et des messages de félicitations sur son téléphone. Mais Ariane est seule. Personne de sa famille n’est venu. Alors Ariane s’en va. Elle sort de son appartement et entre dans la ville. Au bord de la mer, un pont-levis se dresse pour laisser passer des tankers. Une petite musique sort des voitures arrêtées et voilà un boulevard qui devient le théâtre de danses orientales.

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Ariane Ascaride. DR

Robert Guediguian, qui restait sur la tonalité sociale des Neiges du Kilimandjaro (2011) s’offre, ici, une échappée libre, un film pour le plaisir de tisser un petit morceau de poésie. Après la danse orientale et après avoir passé le pont, Ariane entre dans un autre monde. Pas spécialement fantastique -Marseille ressemble toujours à la cité chère à Guediguian- mais où tous les possibles sont ouverts et où tous les personnages « extravaguent » un brin. Ainsi Ariane va croiser un taxi râleur mais amateur de belles voix d’opéra, un bistrotier bourru qui aime plus que tout les chansons de Jean Ferrat, un philosophe de comptoir « américain » qui cite Pasolini et la nécessité des mythes et des rites, une jeune rousse généreuse sans culotte qui rend son petit ami très jaloux, un couple de cuisiniers asiatiques et Martial, ancien gardien de musée qui crie dans la nuit parce que ses amis, conservés dans des bocaux de formol, lui manquent… C’est avec eux qu’Ariane va passer du statut de catastrophe ambulante à ange tombé du ciel.

Avec cet impromptu jubilatoire, le cinéaste célèbre bien sûr sa muse. A l’affiche de seize films de Guediguian, Ariane Ascaride se voit offrir, ici, un beau cadeau. Au fil d’Ariane est conçu par son auteur comme une « machine à jouer », un objet filmique (plus écrit qu’il n’y paraît) qui permet à ses interprètes et à Ariane Ascaride, omniprésente à l’écran, de donner avant tout libre cours à leur plaisir du jeu. Certes, la comédienne est parfois dans l’excès mais elle offre aussi de savoureux moments de cinéma comme lorsqu’elle craque devant la fourrière. Il est vrai qu’on vient de lui enlever sa voiture alors que des marlous à scooter lui ont arraché son sac… Autour d’elle, ils sont tous au diapason: Gérard Meylan, le fidèle des fidèles, Boudet faussement barré, Darroussin plus marseillais que jamais (il est… normand dans La ritournelle) ou encore les nouveaux venus dans le petit monde de Guediguian…

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Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin. DR

Bref, on se laisse volontiers prendre par ce rendez-vous avec Ariane où l’on pratique une expédition nocturne au Musée d’histoire naturelle de Marseille, où l’on subit une tempête, et où l’on entend pas moins d’une demi-douzaine de chansons fameuses de Jean Ferrat. Car Au fil d’Ariane est bourré de coups de coeur (Guediguian affirme qu’il signe là des « reconnaissances de dettes ») à Ferrat, évident compagnon de route mais aussi au cinéma de Pasolini, au théâtre de Tchekov, au Fellini de La dolce vita et à Kurt Weill avec le fameux « Comme on fait son lit, on se couche« , extrait du Mahagonny de Brecht qui permet à Ariane, opulente en guépière, de satisfaire son rêve de chanteuse fantaisiste.

Après l’avoir fait dans le cadre de l’Estaque, Guediguian chante toujours le ciel, la mer, les bateaux et les…usines en plantant cette fois sa caméra au Ponteau, près de Martigues. Par la grâce de quelques néons manquants, le Café Olympique y devient une annexe chaleureuse de l’Olympe. Quant à la séquence brechtienne, elle a pour cadre l’île du Frioul avec ses colonnes antiques…

Le philosophe célèbre « la beauté du monde d’avant la fureur dévastatrice du libéralisme », Ferrat affirme que « le poète a toujours raison, qui voit plus haut que l’horizon » et Guediguian chante les vertus de la fraternité. Pour tout cela, on est heureux d’aller sur le chemin tracé par Ariane.

AU FIL D’ARIANE Comédie dramatique (France – 1h32) de Robert Guediguian avec Ariane Ascaride, Jacques Boudet, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaïs Demoustier, Youssouf Djaoro, Adrien Jolivet, Lola Naymarck. En salles le 18 juin.

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