DE TEHERAN À KIEV, RÉSISTER, DISENT-ELLES
LIRE LOLITA A TEHERAN
« Bienvenue en Iran ». La voix du commandant annonce que l’atterrissage à l’aéroport de Téhéran est proche. Après des années à l’étranger, Azar Nafisi et Bijan, son mari, sont heureux de rentrer au pays en cet été 1979. Bien sûr, le policier qui scrute longuement le passeport d’Azar est loin d’être commode. Mais que dire de l’attitude méprisante du douanier qui fouille ses valises. Le tenant du bout des doigts, il regarde, d’un air dégoûté, un tube de rouge à lèvres. Et c’est pire lorsqu’il empoigne les livres. Azar a beau dire qu’elle est docteure en littérature anglaise, qu’elle vient prendre un poste de professeure à l’université, les livres volent. « Attention ! » lance Mme Nafisi. Le type en vert-de-gris la foudroie du regard. Bienvenue en Iran. En adaptant le roman autobiographique et éponyme d’Azar Nafisi, le cinéaste israélien Eran Riklis invite à une plongée dans l’épopée intime d’une femme et d’une intellectuelle qui n’entend tout bonnement pas se faire dicter sa conduite dans un pays placé sous la coupe des pires intégristes. Mais, en 1980, la prof va rapidement déchanter, elle qui pensait pouvoir aider à la révolution qui avait détrôné le Shah. Mais, avec Khomeini, la république islamique et la charia, l’enthousiasme initial disparaît vite. A l’université, si les étudiantes sont très à l’écoute, les étudiants parlent d’auteurs « inappropriés » pour appeler la morale à la rescousse. Et estimer qu’il y a pas une seule femme vertueuse dans les pages proposées par la prof. La faute au Grand satan, probablement. Pourtant, Madame Nafisi refuse de voir se pétrifier l’espérance qu’elle porte, tant pour son pays aimé que pour la littérature qu’elle défend. Pourtant, il faudra en passer par bien des humiliations ! Le port du voile est rendu obligatoire. Les violences se multiplient. En 1995, Azar et son mari ont désormais deux enfants. Ils vivent toujours à Téhéran. Pour la prof, l’université, c’est du passé. Mais pas l’amour de la littérature. Alors Azar Nafisi reçoit, en secret, dans son appartement, une petite dizaine de femmes pour partager le plaisir des livres, résister par la beauté des mots, croire, dur comme fer, qu’il n’y a pas de crime de pensée mais aussi dire leurs angoisses, ce qui les ronge de l’intérieur ou encore formuler leurs désirs. Construit en chapitres (The Great Gatsby, Lolita, Daisy Miller et Orgueil et préjugés), Lire Lolita à Téhéran s’appuie, sans en respecter la structure, sur le récit autobiographique d’Azar Nafisi, paru il y a vingt ans mais toujours d’une effarante actualité. Forcément, à travers cette aventure de femmes courageuses, on songe au drame de Mahsa Amini… Cette ode à la liberté pointe bien, à travers la manière dont la littérature occidentale peut offrir une forme de résistance subtile mais significative, la terrible réalité de la condition de la femme, de la censure et de la répression politique, toujours l’oeuvre en Iran. Ce qui, enfin, emporte l’adhésion, c’est la magnifique troupe de comédiennes qui portent cette aventure, à commencer par la belle Golshifteh Farahani, omniprésente à l’écran, entourée de Zar Amir Ebrahimi, Raha Rahbari, Isabella Nefar, Bahar Beihaghi, Mina Kavani, Lara Wolf et Catayoune Ahmadi. (Metropolitan)
OXANA
A Paris, le 23 juillet 2018, au petit jour, une frêle jeune femme quitte son modeste appartement pour rejoindre un atelier d’artiste où elle peint de magnifiques icônes relevées d’une touche d’érotisme. Dans l’Ukraine du début des années 2000, Oxana Chatchko peint déjà des icônes qu’un pope lui achète à bas prix pour les revendre dans des mariages et des baptêmes. Mais Ksioucha n’en a cure. « Je veux être libre et choisir mon amour ! » Car, avec ses amies Lana et Anna, elle se révolte, au nom du féminisme et de la lutte des classes, contre une société complètement corrompue. « Moi, je changerai le monde ! » dit-elle. Bientôt le trio, rejoint par Inna, va imaginer les Femen. Couronnes de fleurs sur la tête et seins nus, elles interpellent un député qu’elle accuse de posséder la moitié des bordels du pays et de s’engraisser avec des sex-safaris… Désormais, les Femen scandent « Nos seins, nos armes » et précisent : « On ne se déshabille pas. On met nos uniformes ! » Si le mouvement connaît une influence grandissante, notamment à l’international, la répression se durcit contre ces féministes de combat. Le KGB les menace de mort et les maltraite très brutalement… Réfugiée politique, artiste, activiste, « sextremiste », Oxana n’entend pas cesser de se battre. Jusqu’à risquer sa vie. C’est sur des images de feu et de fête que s’ouvre et s’achève Oxana, le second long-métrage de Charlène Favier. Des images de la Nuit de Kupala, une célébration traditionnelle slave qui se déroule autour du solstice d’été et s’ancre dans des thèmes de fertilité, de purification, de connexion avec la nature et plus globalement de l’amour et de la continuité des traditions culturelles. La cinéaste s’attache, ici, librement, au parcours d’Oksana Chatchko, une artiste convaincue que le véritable art était la révolution. Elle invente ainsi, en détournant l’imagerie orthodoxe, une grammaire esthétique de l’activisme avec la femme aux seins nus, le poing levé, le visage en colère. A cause de l’énergie rebelle de son héroïne à la fois mystique et activiste, Oxana est un film qui captive. En filmant au plus près le fin visage et la beauté singulière d’Albina Korzh, une jeune actrice ukrainienne découverte lors d’un casting, la cinéaste capte à la fois un parcours intime et intérieur et une révolte, au nom des femmes, contre la précarité, l’exil, le consumérisme, la superficialité, la corruption, la prostitution… Fragile, probablement épuisée par ses combats, Oksana Chatchko, née en 1987 à Khmelnytskyï en Ukraine mit fin à ses jours le 23 juillet 2018 à Montrouge. La fondatrice des Femen a laissé un ultime message sur Instagram : « You are fake ». Charlène Favier qui met en scène ces paroles dans Oxana, dit que c’est « un message adressé au monde qui ne réagit pas face aux dictateurs qui bafouent les droits humains mais aussi à tous ceux qui se mettent en avant au détriment du combat collectif. » (Diaphana)
RIVIERE DE NUIT
Jeune femme indépendante et moderne, Kiwa Funaki travaille dans la teinturerie familiale de Kyoto. Elle y conçoit des accessoires de mode et des tissus pour kimono qu’elle commercialise elle-même jusqu’à Tokyo. À bientôt trente ans, son entourage rêve de la voir se marier mais Kiwa trouve son épanouissement dans son art.. Alors qu’elle repousse à la fois l’admiration du jeune peintre Gora Okamoto et les avances intrusives de son partenaire commercial Omiya, elle finit par tomber amoureuse de M. Takemura, rencontré lors d’une visite à Nara, un scientifique qui mène des recherches sur la mouche Shojobae à l’université d’Osaka. Ce client singulier et érudit, au demeurant marié et père de famille, trouble la jeune femme… Après avoir entamé une liaison avec lui, Kiwa apprend que la femme de Takemura est atteinte de tuberculose en phase terminale. Lorsque celle-ci meurt, Takemura lui propose de l’épouser, mais Kiwa, lui reprochant son égoïsme, choisit son indépendance plutôt que la perspective de devenir sa femme. Tourné en 1956, Rivière de nuit est un mélodrame audacieux qui appartient à l’oeuvre imposante du cinéaste japonais Kôzaburô Yoshimura (1911-2000). La carrière de ce réalisateur qui débuta comme assistant du grand Yasujiro Ozu, s’étend en effet sur cinq décennies, des années 30 aux années 70 avec un pic de production dans les années 50. Yoshimura est connu aussi pour ses qualités de directeur d’acteurs, révélant des comédiennes comme Setsuko Hara (vue chez Ozu), Machiko Kyo (vue chez Mizoguchi), Ayako Wakao (vue chez Ozu et Mizoguchi) et bien entendu Fujiko Yamamoto, l’interprète de la sensible Kiwa qui se distingue par son esprit moderne et sa détermination à suivre sa passion, en opposition avec les attentes traditionnelles de la société japonaise de l’époque, notamment le mariage. La relation amoureuse qu’elle noue avec Takemura, homme marié, point central du récit, illustre la tension entre tradition et modernité, pragmatisme et romantisme. Présenté pour la première fois en France et disponible pour la première fois en Blu-ray, le film est remarquable par sa splendeur esthétique, ses couleurs somptueuses (mises en valeur par une restauration 4K réalisée en 2022) et sa mise en scène sobre mais précise. Rivière de nuit explore de manière saisissante le choc de l’après-guerre, entre tradition et modernité. Pour son premier long-métrage en couleurs, filmé par le célèbre directeur de la photographie Kazuo Miyagawa (Rashômon), Kozaburo Yoshimura exploite tout le potentiel de ce nouveau support, usant d’un jeu de correspondances et de symboliques particulièrement innovant. Le film se distingue par sa capacité à dépeindre une femme forte et avant-gardiste, tout en explorant la condition féminine dans le Japon des années 1950. La mode, notamment les tissus et motifs de kimono, joue un rôle symbolique important, reflétant à la fois l’identité culturelle et le changement social. Dans les suppléments, on trouve Femmes en couleurs (16 mn), un entretien inédit avec Pascal-Alex Vincent, cinéaste et enseignant à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, qui note : « Le directeur de la photographie Kazuo Miyagawa était un des grands inventeurs du cinéma japonais. Rivière de nuit permet de comprendre son travail. Avec ce film, il fait des miracles, il ose des choses. » (Carlotta)
DEUX SOEURS
C’est un quartier paisible d’une proprette banlieue anglaise. Dans l’une des maisons blanches bien alignées, une femme se réveille d’un cauchemar. Par la fenêtre, elle observe le manège de quelques pigeons avant d’aller se faire un café. Puis elle nettoie son canapé en cuir tandis que passe son fils Moses. Ce grand gaillard mutique et obèse s’apprête à sortir. « Tu vas te faire arrêter pour vagabondage ! » et sa mère de s’emporter : « C’est quoi, tes ambitions ! » Curtley, le mari de Pansy, n’est pas mieux loti. Pourquoi donc va-t-il bricoler dans son gourbi minable au milieu des déjections d’écureuils et des fientes de pigeons… Pansy en a contre le monde entier. Les bénévoles au sourire béat qui vous arnaquent, les voisins avec leur chien ou leur bébé obèse. Dans son salon de coiffure, Chantelle, la jeune sœur de Pansy, écoute avec bienveillance les clientes qui se confient volontiers. Elle est aussi la confidente complice de ses deux grandes filles Kayla et Aleisha, toutes deux bien impliquées dans la vie sociale et professionnelle. D’ailleurs Pansy qu’elle tente de coiffer, lui dit bien : « Tu prends tout à la rigolade ! » Il est vrai que Pansy, elle, ne rigole pas du tout. Deux sœurs est le quatorzième long-métrage du vétéran britannique Mike Leigh (82 ans) qui invite, ici, à un portrait quasiment entomologique d’une femme de la bonne cinquantaine extrêmement mal dans sa peau. A qui veut l’entendre (ou pas), Pansy le dit : « Je suis malade », « Je suis si fatiguée », « J’ai si peur », « Tout le monde me hait ». De fait, Pansy n’est pas aimable. Mais c’est une personne souffrante que Leigh observe au plus près, au point de même mettre le spectateur mal à l’aise. Est-ce pour cela que plusieurs festivals ont refusé le film d’un cinéaste pourtant souvent primé ? Avec Mike Leigh, l’existence est comique et tragique à la fois : « Le film est une comédie au sens où Tchékhov en écrivait. Les gens continuent de se demander si La Cerisaie est une comédie ou une tragédie. En réalité, c’est l’un et l’autre. D’ailleurs je n’ai jamais réalisé un film qui ne soit pas comique en un certain sens, et pourtant tous mes films traitent de la difficulté de vivre. » Marianne Jean-Baptiste, déjà présente dans Secrets et mensonges du même Leigh, incarne à la perfection cette Pansy au bout du rouleau. En contre-point, Michele Austin est une Chantelle pétillante. Et il restera in fine au spectateur à imaginer la résolution de cette aventure humaine et intime… Crispant et touchant. (Diaphana)
KES
Gamin de quinze ans, Billy Casper habite à Barnsley, ville minière du Yorkshire dans le nord de l’Angleterre, où la vie ne lui réserve pas de grands espoirs. Sa mère ne s’occupe guère de lui et son frère aîné Jud, en a fait son souffre-douleur. Quelques petits travaux avant l’heure d’ouverture de l’école et de menus larcins lui procurent un peu d’argent de poche. À l’école, Billy est distrait et indiscipliné, entouré de camarades et de professeurs plus hostiles qu’amicaux. Un jour, Billy déniche un jeune faucon crécerelle. Il vole alors dans une librairie un traité de fauconnerie et entreprend de dresser l’oiseau. Il se donne tout entier à cette tâche et lorsqu’un professeur, plus attentif que ses collègues, lui demande d’exposer à la classe l’art de dresser un faucon, Billy réussit à intéresser tous ses camarades. Son frère Jud demande à sa mère de miser sur les chevaux en son nom. Comme elle n’a pas assez de temps à cause de son travail, elle demande à Billy de le faire. Au bar, ce dernier se voit dire que les chevaux sélectionnés par Jud n’ont aucune chance de gagner, alors Billy préfère s’acheter des frites et du poisson ainsi que de la viande pour le faucon. Mais les chevaux finissent par gagner. Jud est furieux de l’apprendre et décide de se venger en tuant le faucon de son frère… En 1969, Ken Loach tourne Kes et marque d’emblée les esprits avec ce second long-métrage qui vient, deux ans après Pas de larmes pour Joy, s’inscrire comme un fleuron du cinéma social britannique. Avec son gamin solitaire et mal dans sa peau, le futur titulaire de deux Palmes d’or cannoises, dépeint avec authenticité la dureté de la vie ouvrière, la brutalité du système scolaire et la difficulté pour un enfant de trouver sa place dans une société oppressante. Avec Kes, titre qui fait référence au faucon crécerelle (en anglais Kestrel) élevé par Billy, Loach capte avec réalisme, simplicité et justesse, la détresse sociale et psychologique d’un gamin qui va trouver avec son oiseau, le symbole de sa quête de liberté et d’émancipation face à un environnement hostile. Comme il le prouvera à maintes reprises, le cinéaste anglais se repose sur une mise en scène aussi sobre que puissante, dépourvue de tout sentimentalisme, pour soutenir son propos. Selon la liste établie en 2005 par le British Film Institute, Kes figure en troisième position parmi les 50 films à voir avant d’avoir 14 ans ! Un grand film bouleversant sur l’enfance ! (Potemkine)
LE MELANGE DES GENRES
Mené par la coriace Marianne, le collectif féministe Les hardies, installé à Dijon, est toujours en quête d’actions spectaculaires. A cause d’un fait-divers dramatique qui a vu une femme battue abattre son mari violent d’un coup de fusil, une policière va s’infiltrer dans ce groupe qu’elle suspecte de complicité de meurtre. Flic aux idées conservatrices, Simone, au contact de ces femmes, s’ouvre progressivement à leurs idées. Aperçue sortant du commissariat et mise en cause par ses « amies », Simone se sert du premier venu pour se couvrir en l’accusant, ni plus ni moins, de viol. Cette victime, ce sera Paul, un homme doux, inoffensif et respectueux des femmes qui vit dans l’ombre de sa moitié, faisant de lui, malgré elle, un coupable innocent. Catastrophée de ce qu’elle a fait, Simone va tenter de réparer sa faute… Comment Paul va-t-il réagir ? Que croyez-vous qu’il puisse arriver quand des féministes pures et dures vont être amenées à se confronter à des masculinistes bas du front ? C’est ce que Le mélange des genres s’applique à évoquer sur le ton de la comédie. Michel Leclerc avoue qu’il ne sait faire que de la comédie. Noble tâche, de fait, car on sait qu’il est bien plus difficile de faire rire que de faire pleurer. On sait d’ailleurs gré à Michel Leclerc de nous avoir beaucoup faire rire avec Le nom des gens (2010), épatant portrait d’une passionaria des temps modernes et activiste aussi cool que de gauche. Le cinéaste, « vieillissant, mâle, hétéro et blanc » (sic) note que son travail, dans tous ses films, a consisté à lutter contre l’assignation identitaire : « Or, il m’arrive ces derniers temps d’avoir l’impression d’être assigné à mon identité, c’est-à-dire qu’on ne me définisse pas par ce que je pense ou dit mais par ce que j’ai l’air d’être, et d’incarner le patriarcat à l’insu de mon plein gré. » Foutraque et joyeux, le film n’occulte pourtant pas la gravité des sujets abordés comme la violence faite aux femmes ou le maricide. Ce que l’on retient surtout, c’est que Leclerc (et sa co-scénariste et compagne Baya Kasmi) ont réussi, au-delà de séquences burlesques, à dessiner deux beaux portraits de personnages qui portent ce film sur l’importance de la parole libérée. Les auteurs font dire à Simone qu’il n’est «pas non plus facile d’être une femme aujourd’hui, et qu’il va falloir apprendre aux femmes à aimer les doux » lorsque Paul lui avoue qu’il « n’est pas facile d’être un homme aujourd’hui quand on n’a plus comme but d’être un mâle dominant». Si le film connaît parfois des chutes de rythme, on apprécie beaucoup la prestation de Léa Drucker (Simone), Judith Chemla, marrante en cheffe des Hardies, Mehla Bedia en jeune femme fragile qui veut tout faire bien et le fait mal et évidemment Benjamin Lavernhe, déjà excellent dans En fanfare, qui campe, ici, un Paul déconfit, désolé, déconstruit ! (Le Pacte)
THE HIT
Willie Parker, un truand anglais, dénonce ses complices en échange de sa liberté. Il s’installe en Espagne où il vit incognito. Dix ans plus tard, ses ex-complices sortent de prison. Ils engagent deux « professionnels », Braddock, le vétéran, et Myron, dont c’est la première mission, pour faire un mauvais sort à Parker. Ils l’enlèvent et traversent le pays en direction de Paris, poursuivis par la police. Parker, qui s’est préparé depuis dix ans à ce dénouement, reste d’un calme olympien et s’amuse à pousser ses ravisseurs à l’erreur. Lorsqu’en 1984, Stephen Frears tourne The Hit, il est encore au début de sa carrière même s’il a déjà signé trois films restés plutôt confidentiels. Le succès viendra en 1985 avec The Beautiful Laundrette, histoire d’amour entre un jeune paumé et un Pakistanais. Le film qui rend compte de la rudesse sociale dans l’Angleterre de l’ère Thatcher, le rend célèbre sur le plan international. Même s’il n’a pas été véritablement remarqué à sa sortie, The Hit est pourtant un thriller atypique et profondément réfléchi. De fait, on pourrait même parler de polar philosophique sur le face-à-face entre l’être humain et la mort. En se reposant sur la forme du film noir et du road movie et en racontant un kidnapping, le scénario de Peter Prince pose des questions existentielles. Peut-on vraiment se préparer à mourir ? Comment vivre ses derniers instants ? Ce n’est évidemment pas par hasard que The Hit s’ouvre sur un plan montrant Parker près d’une tombe, indiquant d’entrée la réflexion sur la mortalité. En jouant sur les plans serrés sur les visages pour montrer la complexité émotionnelle des personnages et sur des plans larges pour indiquer la modestie de l’être humain face à la nature, Frears réussit son coup. D’un côté la fragilité des personnages, de l’autre la nature, éternelle et immuable. Le film bénéficie d’une belle bande son avec des musiques d’Eric Clapton, Roger Waters ou Paco de Lucia et évidemment d’une distribution remarquable avec un Terence Stamp en Parker hiératique tandis que John Hurt et Tim Roth, tous deux remarquables, incarnent Braddock et Myron. Et on n’oublie pas la solaire Laura del Sol qui débuta dans le Carmen de Carlos Saura. Une œuvre subtile, élégante et introspective. A (re)découvrir sans délai. (Metropolitan)
IL FERROVIERE
Le soir de Noël, le petit Sandro, gamin rondouillard, accourt fièrement retrouver son père, Andrea Marcocci, un conducteur de locomotive. Mais sur le chemin du retour, ce dernier s’arrête au café et s’y attarde alors que sa femme et ses enfants l’attendent à la maison. L’année qui suit voit la famille se désagréger. Conducteur de train chevronné, Andrea voit sa vie basculer lorsqu’un désespéré se jette sur les rails devant sa locomotive. Tandis que les voyageurs descendent et viennent voir, le cheminot entend son chef de train dire qu’il ne s’est rien passé. Bouleversé, il reprend le trajet mais ne voit pas le disque rouge indiquant l’arrêt immédiat plus loin sur la voie. Il évite, de justesse, la catastrophe. Un médecin lui recommande de cesser de boire. Marcocci est alors muté au transport des marchandises et voit ainsi son salaire diminuer. Distribué en français sous le titre Le disque rouge, Il ferroviere est une bouleversante chronique sociale, portrait d’une famille en détresse gravitant autour d’un père tutélaire et imparfait. Racontant son histoire du point de vue de son jeune héros, le cinéaste développe avec nostalgie le thème de l’enfance et imprime au film une sincérité forte et captivante, en interprétant lui-même le rôle central qu’il voulait à l’origine confier à Spencer Tracy. Il ferroviere est non seulement l’un des plus beaux films de Pietro Germi, c’est aussi l’égal des grands drames sociaux de Luchino Visconti ou des chefs-d’œuvre néoréalistes de Vittorio De Sica. Après avoir débuté comme acteur, Pietro Germi (1914-1974) passe à la réalisation en 1945 et va se concentrer sur des films dramatiques à forte teneur sociale et politique. Dans la seconde partie de sa carrière, il se fera remarquer avec des comédies de mœurs mariant satire et humour, à l’instar de Divorce à l’italienne (1961) avec Marcello Mastroianni et Stefania Sandrelli. Tourné en 1956, après deux années pendant lesquelles le cinéaste était resté sans travailler, Il ferroviere, souvent rattaché à l’esthétique et aux thématiques du célèbre néoréalisme italien, dépeint, autour de la figure d’un père souvent violent et buveur, la désintégration de la famille, le manque de communication, et les disparités sociales, tout en utilisant la symbolique du train, symbole fort de la vie et du destin. Avec ce train qui fonce en travelling avant, on songe parfois à Jean Gabin en cheminot, lui aussi, dans La bête humaine (1938) de Jean Renoir. Par ailleurs, le cinéaste, sympathisant du Parti social-démocrate italien, fut souvent étrillé par les critiques liés au Parti communiste. Mais, à l’heure d’Il ferroviere, un groupe d’intellectuels communistes écrivirent une lettre au secrétaire général du PCI de l’époque, Togliatti, dans laquelle ils lui demandaient de rencontrer Germi afin de ne pas s’aliéner un homme et les « mille comme lui » si importants pour le mouvement antifasciste : « Nous venons ces jours-ci de voir un très beau et émouvant film italien, certainement populaire, Le disque rouge, de Pietro Germi. C’est l’œuvre d’un social-démocrate militant, et pourtant c’est un film imprégné en profondeur d’un esprit socialiste sincère ». Dans les suppléments de ce film à découvrir pour la première fois en Blu-ray dans une très belle restauration 4K, Jean A. Gili, grand spécialiste du cinéma transalpin, présente ce Ferroviere qui était le film préféré de son auteur. (Carlotta)
TARDES DE SOLEDAD
À travers le portrait du jeune Andrés Roca Rey, star incontournable de la corrida contemporaine, Albert Serra dépeint la détermination et la solitude qui distinguent la vie d’un torero. Par cette expérience intime, le réalisateur de Pacifiction (2022) livre une exploration spirituelle de la tauromachie. Il en révèle autant la beauté éphémère et anachronique que la brutalité primitive. Quelle forme d’idéal peut amener un homme à poursuivre ce choc dangereux et inutile, plaçant cette lutte au-dessus de tout autre désir de possession ? Le nouveau film d’Albert Serra est une immersion hypnotique dans l’univers de la tauromachie, centrée sur le portrait du matador péruvien Andrés Roca Rey. Ce premier documentaire du réalisateur espagnol conserve la même approche formelle que ses œuvres de fiction, avec une mise en scène minimaliste et une attention particulière à la beauté, à la violence et à la solitude inhérentes à cette tradition séculaire. « Ce qui m’intéresse, dit le cinéaste, c’est ce qui est le plus invisible, ce que personne n’a vu ou entendu, ce que ne peut saisir que l’œil de la caméra, ou un micro sans fil qu’on oublie, au bout de quelques heures… tout simplement parce que c’est plus original, voire, par moments, totalement inédit. » Serra capte avec précision et intensité le déroulement d’une corrida, en privilégiant des plans serrés et un rythme lent qui créent une atmosphère d’hypnose. La caméra, omniprésente, offre une proximité saisissante avec le torero et les taureaux, tout en restant mystérieuse quant à la vie personnelle de Roca Rey. La mise en scène évite tout commentaire ou contextualisation, laissant place à une observation pure et à une expérience sensorielle où le beau côtoie le terrible. Le film explore la solitude du torero, isolé dans l’arène et dans sa vie quotidienne, ainsi que la brutalité de la corrida, sans en faire la critique ou la défense. Serra privilégie une approche esthétique et contemplative, soulignant la dimension ritualiste et la tension dramatique de chaque affrontement. La puissance du film réside dans sa capacité à cristalliser la fascination et la violence de cette pratique, tout en laissant le spectateur ressentir l’émotion brute de l’instant. Film véritablement extraordinaire et audacieux sur le monde de la tauromachie à travers le portrait d’un torero et sa quadrille, Tardes de soledad (Après-midis de solitude) est une œuvre d’art cinématographique qui transcende le simple documentaire pour devenir une méditation sur la tradition, la solitude et la mort. Même pour ceux qui réprouvent la corrida, le film est un voyage, une expérience cinématographique et une immersion envoûtante sur la ligne ténue qui sépare la vie de la mort. (Blaq Out)
NATACHA (PRESQUE) HOTESSE DE L’AIR
Ah, elle en rêve d’être hôtesse de l’air, la blonde Natacha ! Depuis sa plus tendre enfance, elle voulait, comme le chantait Dutronc, voir le bas d’en haut. Mais, au début des années soixante, les femmes sont à la cuisine et les hommes dans le salon à siroter une Suze. Quid alors des désirs de voyage et d’aventures d’une gamine… trop grande de deux centimètres pour les standards de l’hôtesse de l’air. Par un concours de circonstances, elle va se retrouver sur le tarmac d’un aéroport, prête enfin à embarquer. Dans l’avion, doit aussi monter une hôte de marque, en la personne de la célébrissime Joconde ! André Molat, ministre de la Culture et homme politique prêt à tout pour se faire mousser, est aussi de la partie. Las, des malfrats dérobent la caisse contenant le portrait de Mona Lisa. Le sang de Natacha ne fait qu’un tour. Suivie par Walter, un steward bien couard, Natacha se lance dans une sacrée poursuite… C’est aux accents de Fly me to the Moon que s’ouvre le sixième long-métrage de Noémie Saglio qui s’empare donc d’une star de la bande dessinée des seventies, née dans l’esprit des Belges Gos et Walthery dont elle fait une héroïne féministe de ce temps, en la débarrassant de son image de fille agréablement sexy. « Pour moi, dit la cinéaste, il était hors de question de proposer une figure féminine qui ne soit pas intelligente et intrépide. C’est donc Natacha qui me lie à la BD et la principale source d’inspiration du film, parce qu’elle n’a peur de rien dans un monde d’hommes. Sans pour autant être donneuse de leçons. Si Natacha peut parler à toutes les générations, c’est parce qu’elle incarne ce qu’est d’avoir un rêve, mais aussi l’impression d’évoluer dans un monde où il semble impossible de le réaliser. » Pur divertissement en forme de simple petite bulle de savon, le film qui se promène de la plage d’Omaha Beach à une splendide villa italienne en passant par Saint-Paul de Vence, vaut pour sa dimension joyeusement et résolument féministe (Natacha mène totalement le bal et révèle même sa propre bobonne de mère à sa féminitude) mais aussi pour des trouvailles comme la voix off (celle de Fabrice Luchini) qui commente les faits et gestes de Natacha, les délires complotistes d’un pur maboul qui annonce la pilule contraceptive, le covid et la voiture électrique), enfin la naissance cinématographique d’un certain Jacques Chirac ! Quant au casting, il tient la route avec Camille Lou (Natacha) Vincent Dedienne (Walter), Didier Bourdon (Molat), Elsa Zylberstein (Colette) et Isabelle Adjani, délirante en descendante de Mona Lisa. Vous savez quoi ? Natacha finira bien par voler. (Pathé)
WHEN THE LIGHT BREAKS
Le jour se lève sur une longue journée d’été en Islande. Jeune étudiante en art, Una doit faire face à la mort soudaine de Diddi, avec qui elle menait une liaison cachée, et au retour de Klara, la compagne officielle de Diddi. D’un coucher de soleil à l’autre, Una va rencontrer l’amour, l’amitié, le chagrin et la beauté… Même si, par exemple, le travail d’un réalisateur comme Baltasar Kormakur est connu à l’international grâce à des films comme 101 Reykjavík (2000), notamment à cause de la participation de Victoria Abril, il n’en demeure pas moins que le cinéma islandais n’a pas une exposition majeure hors du pays d’autant que sa production relève plus de l’artisanat que de l’industrie. On prête donc d’autant plus d’attention quand un film comme When the Light… est retenu pour faire l’ouverture, à Cannes 2024, de la section Un certain regard. Né à Reykjavik, diplômé de l’Ecole nationale du cinéma du Danemark, Runar Runarsson s’est fait remarquer en étant nominé, pour The Last Farm, pour l’Oscar 2005 du meilleur court-métrage en prises de vues réelles ainsi que, en 2008, pour la Palme d’or du court-métrage à Cannes, cette fois pour Two Birds. Ici, le cinéaste de 48 ans distille, sans beaucoup de mots, des images pour raconter le drame de deux êtes frappés par le deuil. Son film s’ouvre au bord de la mer alors que le soleil se couche à l’horizon. On découvre Una, cheveux rasés, façon garçon manqué, en compagnie de Diddi, son petit ami caché. De fait, Diddi est en couple avec Klara avec laquelle il songe à rompre pour rester avec Una. Mais on ne saura jamais s’il aurait fait. Car il est tué, le lendemain, lors d’un accident dans un tunnel qui fera plusieurs victimes… En une journée, la vie des personnages va être totalement bouleversée. Pire, Una ne peut réellement exprimer sa détresse car c’est bien Klara qui occupe le rôle de la compagne éplorée. Mais les deux femmes vont pourtant se rapprocher l’une de l’autre. Et le cinéaste s’offre même un pur plan bergmanien en confondant, comme dans Persona, les deux visages de ses héroïnes. Une œuvre tout en retenue, forte et sensible ! (jour2fête)
THE MASTER
Propriétaire chinois d’une boutique d’herbes médicinales traditionnelles à Los Angeles, le vieux maître Tak est attaqué, dans son magasin, par Johnny, un pratiquant de kung-fu. A la tête d’un petit groupe d’élèves, ce combattant cherche à vaincre tous les meilleurs pratiquants de kung-fu. Tak est sauvé de la mort par Anna, une jeune fille qui passait par là. Elle l’accueille dans son mobile-home pendant sa convalescence. Jet, le meilleur élève de Tak, débarque de Hong Kong pour rendre visite à son maître. Arrivé à la boutique dévastée de son maître, il découvre que le magasin est fermé par la banque qui réclame deux mois de loyers. Là, il croise May, une employée de la banque… Tandis que Johnny et ses élèves passent d’école en école pour vaincre tous les maîtres et se faire un nom, Jet va, grâce à Anna, retrouver Tak. Toujours convalescent, celui-ci affirme avoir renoncé au kung-fu et à la médecine traditionnelle. Pire, il refuse de voir Jet. Celui-ci fait le choix de rentrer à Hong-Kong mais il lui faudra, auparavant, mettre Johnny au tapis. A ses côtés, Tak va revenir aussi aux arts martiaux… Figure prédominante de la Nouvelle vague hongkongaise, Tsui Hark va marquer en 1983, avec Zu, les guerriers de la montagne magique, le renouveau du film de combat dans le cinéma de Hong-Kong. C’est en 1989 qu’il tourne The Master qui ne sortira qu’en 1992 après le succès du film Il était une fois en Chine qui a rendu très populaire Jet Li, le héros de The Master. Il est vrai que l’acteur fait merveille dans le film. Artiste martial surdoué, doté d’une maîtrise technique impressionnante, perfectionniste et travailleur, Jet Li est souvent comparé, à tort ou à raison, à Bruce Lee. Même si Jet Li ne se considère « que » comme un pratiquant alors que Bruce Lee a inventé son propre style… Grâce à Tsui Hark, Jet Li va aussi devenir célèbre sur le marché international. Avec ses scènes de combat très bien chorégraphiées mais aussi réalistes et impressionnantes (la scène finale est souvent considérée comme l’une des meilleures de la carrière de Jet Li), The Master privilégie l’action et l’authenticité martiale. De quoi assurément régaler les amateurs d’arts martiaux au cinéma ! (Metropolitan)
LA LÉGENDE DE L’AIGLE CHASSEUR DE HÉROS
Il était une fois une reine d’Orient, aussi belle que machiavélique, qui, avec l’aide de son amant (et cousin incestueux), usurpa le trône censé revenir à la jeune et fougueuse « Troisième Princesse ». Afin de se venger de ce coup d’État et de reconquérir son royaume, celle-ci va devoir partir en quête du mythique livre du Yin, seul capable de lui enseigner un kung-fu ésotérique d’une puissance inégalée. Cet ouvrage étant caché dans une grotte gardée par trois monstres, la princesse recevra l’aide de Huang Yaoshi, jeune combattant romantique et facétieux qui lui servira de guide… Au départ du film de Jeff Lau, tourné en 1993, on trouve le roman The Legend of the Condor Heroes de Jin Yong paru en 1957. Ce roman met en scène cinq combattants fictionnels qui sont les plus importants du monde des arts martiaux sous la dynastie Song. Le film, lui, est un véritable « mo lei tau », en l’occurrence un genre de comédie burlesque où le non-sens, l’absurde et l’autodérision prédominent. Surtout il bouscule les conventions du cinéma hongkongais avec une liberté totale, proposant un spectacle loufoque et déjanté dans un mélange détonant de comédie, de fantastique et d’action. Tourné en parallèle aux Cendres du temps de Wong Kar Wai (qui troque ici sa casquette de réalisateur pour celle de producteur), La Légende de l’aigle chasseur de héros rassemble la crème du cinéma hongkongais dans une parodie burlesque et excessive, rythmée et colorée et à l’humour ravageur. Entre les mains de Jeff Lau, l’épopée héroïque devient pur prétexte à une surenchère comique dans un esprit surréaliste évoquant à la fois Jackie Chan et les Monty Python, le cinéma d’action typique de Hong Kong et l’humour farfelu des films de Blake Edwards ou Richard Lester. Dans une suite de combats spectaculaires, le film réunit en effet un casting de rêve avec des stars telles que Leslie Cheung, Brigitte Lin, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu-Wai, Tony Leung Ka Fai, Jacky Cheung, Carina Lau, Joey Wang, Veronica Yip ou Kenny Bee. Tous semblent joyeusement s’amuser, n’hésitant pas à user du ridicule pour le plaisir du spectateur. Ce film qui sort pour la première fois en Blu-ray dans une nouvelle restauration 2K comprend dans ses suppléments, un présentation (13 mn) de Clarence Tsui, critique, professeur et programmateur de festival basé à Hong Kong, qui retrace la carrière de Jeff Lau, dont les films dénotent une fascination pour l’anachronisme et l’humour absurde typiquement hongkongais. Un hommage délirant au film d’arts martiaux ! (Carlotta)
BERLIN, ÉTÉ 42
Au début de 1942, à Berlin, la jeune Hilde, frêle assistante médicale, va rejoindre un groupe d’opposants communistes (liés au réseau de l’« Orchestre rouge » fondé par Leopold Trepper), groupe dont les leaders sont les époux Harro et Libs Schulze-Boysen. Elle y croise Hans Coppi, qu’elle épouse par la suite et dont elle tombe enceinte. Ils passent ensemble un bel été, notamment au bord d’un lac de la banlieue de Berlin, malgré le danger de leurs activités. Ils collent en effet des tracts antinazis, transmettent des messages radio vers l’URSS, écoutent Radio Moscou, notamment des messages diffusés en allemand par des prisonniers de guerre… A la fin de 1942, tout le groupe est démantelé par la Gestapo. Après un interrogatoire où elle tente de couvrir ses amis, elle est emprisonnée dans la prison pour femmes de la Barnimstrasse. Enceinte, elle parvient à travailler au côté d’un médecin nazi qui se sert de ses compétences médicales. Derrière les barreaux, Hilde (Liv Lisa Fries, excellente) donnera naissance à un fils qu’elle prénomme Hans, comme son père. Quelques semaines plus tard, elle est condamnée à mort pour haute trahison, comme tous les membres du groupe. Au cours de ses derniers mois, la maternité – elle conserve la garde de son fils jusqu’à la veille de son exécution, le 5 août 1943 – lui donne la force d’affronter son destin. Le matin du 5 août, le pasteur de la prison écrit sous sa dictée une lettre adressée à sa mère et à son fils, lettre qui finit par la formule In Liebe, Eure Hilde (titre du film en v.o.) qui signifie « Avec amour, votre Hilde ». En épilogue, Berlin, été 42 s’achève sur un message de Hans Coppi, alors âgé de 80 ans et élevé par la mère de Hilde. Il note avoir consulté les archives soviétiques à Moscou. De tous les messages expédiés par le groupe, un seul a été réceptionné en Union soviétique. Il était dépourvu de toute dimension militaire ou politique ! Quelques mois dans la brève existence d’Hilde Coppi, voilà ce que le réalisateur allemand Andreas Dresen nous invite à vivre. Le film est fort et émouvant parce que le cinéaste donne, par l’atmosphère de son film, le sentiment que nous ne sommes pas dans l’Allemagne nazie et dans le Berlin de 1942. Hilde Coppi (1909-1943) qui a réellement existé, est une jeune femme pleine de vie mais aussi de doutes et de peurs, qui rêve d’un grand amour et qui s’engage cependant résolument dans la résistance antinazie. Si la mise en scène peut paraître académique, le film est raconté avec une vraie humanité et fait vibrer le spectateur tant la tension dramatique est grande dans le court et courageux combat d’Hilde Coppi contre la machine de mort du Troisième Reich. (Blaq Out)
VOYAGE AVEC MON PÈRE
Journaliste américaine, Ruth se rend, au début des années 1990, en Pologne avec son père Edek pour visiter les lieux de son enfance et retrouver la maison où il a grandi. Mais Edek, survivant de l’Holocauste, résiste à revivre son traumatisme et entreprend même de saboter le voyage. Si la trentenaire new-yorkaise cherche à comprendre l’histoire de sa famille, lui n’a aucune envie de déterrer le passé. Le voyage s’annonce compliqué… Pour explorer la relation complexe entre une fille et son père, rescapé de la Shoah , la cinéaste allemande Julia von Heinz s’appuie sur le roman Too Many Men, publié en 1999 et largement salué par la critique, signé de l’Australienne Lilly Brett. L’écrivaine est la fille de Max et Rose Brett, survivants du ghetto de Lodz en Pologne puis du camp de concentration d’Auschwitz. Elle est née en Allemagne juste après la Seconde Guerre mondiale dans un camp de personnes déplacées. Connue à l’international pour son premier long-métrage Was man am Ende zählt (2007), la réalisatrice berlinoise sera sélectionnée en 2020 à la Mostra de Venise pour son film Und morgen die ganze Welt qui devient alors le candidat allemand aux Oscars. Ici, elle donne un récit qui mêle souvenirs familiaux, traumatisme historique et quête de réconciliation à travers deux personnages qui sont certes père et fille mais qui, en réalité, sont étrangers l’un à l’autre. Au côté d’une fille qui entend contrôler tout ce qui se passe (y compris les cornflakes qu’elle consomme), Edek, récemment devenu veuf, n’a rien contre le fait de partir à l’aventure mais pas question de replonger dans ses souvenirs de camps. Pour sa part, Ruth lit sans cesse des ouvrages sur la Shoah et se fait même faire un tatouage avec un numéro de prisonnier des camps ! Arrivant, conduits par un sympathique chauffeur de taxi polonais, dans ce qui fut l’appartement familial, ils constatent qu’une famille polonaise y vit depuis la fin de la guerre. Et ces gens ont même conservé des objets ayant appartenu à la famille d’Edek… Si l’évocation de la Shoah et des camps n’est jamais vaine, il faut reconnaître que Treasure (en v.o.) peine à captiver et cela malgré la belle prestation de l’Américaine Lena Dunham (Ruth) et de l’Anglais Stephen Fry (Edek). Un film qui aurait pu être simplement poignant. (Blaq Out)
PIÉGÉ
Eddie Barrish baigne dans les problèmes financiers… De ce fait, il ne peut payer les réparations de son van avec lequel il fait des livraisons et qui lui permet aussi de récupérer, deux fois par semaine, sa fille Sarah à l’école… Sur un parking, il avise un luxueux 4×4 et décide de le voler. Mal lui en prend. N’ayant rien trouver à voler, Eddie veut ressortir. Mauvaise surprise : toutes les portes sont verrouillées. Après avoir tenté en vain de casser les vitres sans tain, qui se sont avérées blindées, il comprend qu’il est piégé dans la voiture et coupé du monde extérieur par l’insonorisation et le brouilleur téléphonique interne du véhicule. Quand le téléphone du 4×4 sonne, Eddie se retrouve en communication avec le propriétaire, un certain William Larsen, un médecin qui n’a plus que quelques mois à vivre à cause d’un cancer de la prostate. Très contrarié après avoir subi déjà six vols de voiture et constaté chaque fois l’incompétence de la police, Larsen surveille son 4×4 grâce à des webcams placées dans l’habitacle et surtout il dispose du contrôle total à distance de sa nouvelle voiture et est bien décidé à exercer sur le jeune homme une vengeance diabolique… En signant le remake du film argentin 4×4 (2019) de Mariano Cohn, l’Américain David Yarovesky, connu pour deux films d’horreur (Brightburn ; l’enfant du mal en 2019 et Les pages de l’angoisse en 2021) donne un thriller claustrophobique et angoissant marqué par une tension constante et une forte unité de lieu avec l’habitacle du 4×4 Dolus (une marque fictive inspirée par les Land Rover). Mais, à l’évidence, c’est la performance d’Anthony Hopkins qui emporte l’adhésion. Face à Eddie Barrish (Bill Skarsgard qui venait d’incarner le comte Orlok dans le Nosferatu de Robert Eggers), il incarne un manipulateur sadique et peut jouer à loisir d’une voix aussi suave qu’inquiétant qui n’est pas sans faire penser à celle du fameux Hannibal Lecter du Silence des agneaux. Jusqu’à son épilogue brutal, Locked (en v.o.) est un film d’atmosphère bien flippant. (Metropolitan)
SINNERS
Le 16 octobre 1932, à Clarksdale (Mississippi) Preacherboy, de son vrai nom Sammie Moore, revient dans l’église de son père pasteur, alors en plein sermon. Le jeune homme porte des cicatrices sur le visage et le manche d’une guitare cassé dans la main. Son père insiste pour que Sammie pose sa guitare et se repente. La veille, Elijah « Smoke » et Elias « Stack », des frères jumeaux vétérans de la Première Guerre mondiale, sont de retour dans leur ville natale de Clarksdale. Anciens de la pègre de Chicago, ils reviennent dans le Mississippi pour acheter une ancienne scierie à Hogwood, un Blanc très raciste. Les jumeaux retrouvent Sammie, leur cousin, et se préparent à ouvrir un bar juke joint le soir même, avec de l’alcool de qualité volé à Chicago. Aux abords de la ville, un certain Remmick demande désespérément refuge à Joan et Bert, qui vivent dans une ferme isolée. Il dit être poursuivi par un gang amérindien. Lorsque les Amérindiens arrivent, Joan refuse de les laisser fouiller la maison. En repartant, ils avertissent Joan que Remmick n’est pas celui qu’il prétend être. Joan va découvrir que Remmick est un vampire et qu’il a transformé Bert en mort-vivant… « Si tu pactises avec le diable, un jour, tu le retrouves devant ta porte ! » Autant dire que les personnages de Sinners vont devoir faire attention. Connu pour avoir mis en scène un spin-off à la saga de films Rocky avec Creed : l’héritage de la Rocky Balboa (2015) dont il confie le rôle principal, celui du fils illégitime d’Apollo Creed, à Michael B. Jordan, l’Américain Ryan Coogler s’attelle, ici, à une œuvre ambitieuse puisqu’elle mêle le film historique (sous l’angle notamment de la lutte pour l’émancipation des Afro-américains) et le film de vampires. Mais c’est bien dans sa première partie que Sinners est le meilleur. Acteur-fétiche du cinéaste, Michael B. Jordan incarne les jumeaux, Elijah et Elias qui, dans les années 1930, durant la Prohibition, reviennent de Chicago dans leur ville natale du Mississippi pour refaire leur vie. C’est l’occasion de plonger dans une communauté afro-américaine dont l’existence se déroule sous le signe de la musique et de la fête. A ce titre, le film bénéficie d’une b.o. signée Ludwig Göransson riche en styles musicaux comme le blues et la country mais aussi l’électro. D’ailleurs, le film s’achève en 1992 avec un Sammie Moore devenu un musicien de blues très populaire, propriétaire de son propre établissement, nommé « Pearline ». Mais, pour en arriver là, les protagonistes seront passés par les affres du vampirisme… (Warner)
LES CONTES DE KOKKOLA
Charmante petite ville finlandaise non loin du Cercle arctique, Kokkola abrite une jolie collection de déjantés ! Ainsi Romu-Mattila, un marginal qui décide de partir s’installer en Suède avec son chien ou encore ces deux contrebandiers, un frère et une sœur, qui découvrent un alambic et un cochon lors de l’enterrement de leur père, et se lancent dans la contrebande d’alcool. De son côté, une vieille gardienne de phare, confrontée à l’abandon de son poste, rêve de partir dans les étoiles… Les contes de Kokkola regroupe trois films courts réalisés par Juho Kuosmanen entre 2011 et 2023, trois films muets en noir et blanc, vécus et voulus par le réalisateur comme des respirations entre deux projets de long métrage ainsi Compartiment n°6 que le cinéaste finlandais a donné en 2021. Tournés sans pression et dans une économie légère, ces aventures intimes, à la fois naïves et burlesques, veulent renouer aussi, tel un hommage, avec la magie du cinéma des premiers temps. Cette trilogie explore la transition entre le passé et le présent, mettant en lumière la mélancolie, tant la mélancolie poétique que la mélancolie sociale de cette région en mutation. Empreints de poésie et de silence, ces trois petits récits abordent des thèmes tels que la précarité, la perte, la débrouillardise et l’espoir fragile. Elles mettent en scène des personnages marginaux ou en marge de la société, confrontés à des bouleversements matériels et spirituels. En travaillant sur le silence, pour renforcer la dimension contemplative et poétique de cette lutte des individus face à un monde en transition, Les contes… use d’une esthétique en noir et blanc pour interroger la perte des traditions, l’érosion des liens communautaires, et la difficulté de maintenir un sens face à une modernité souvent vide de sens. Une œuvre singulière, poétique, stylisée et inventive, qui célèbre le cinéma d’hier tout en proposant une vision à la fois burlesque et mélancolique de la vie. Une expérience visuelle et sensorielle enrichissante. (Le Pacte)
DOUX JESUS
Sœur Lucie est religieuse dans un couvent austère depuis une vingtaine d’années. À l’occasion de la sortie bisannuelle des sœurs pour aller en consultation chez le médecin, la pourtant très dévouée sœur Lucie saute dans le premier bus venu pour prendre la fuite et commence à vivre « la vraie vie » dans ce monde moderne dont elle n’a pas connu l’évolution depuis vingt ans. En s’appuyant sur un bon casting avec, en tête d’affiche, Marilou Berry dans l’habit de sœur Lucie et Isabelle Nanty dans celui de la redoutable mère Henriette bien décidée à ramener au bercail une brebis (gravement) égarée, Frédéric Quiring, déjà auteur de comédies comme Sales gosses (2017) ou La très très grande classe (2022), donne, ici, une nouvelle comédie autour d’une pétulante religieuse qui décide de filer de sa « prison » pour retrouver son amour de jeunesse. Cela permet au cinéaste d’abord de décrire, avec humour, la vie en couvent puis d’emboîter la pas à sœur Lucie qui a troqué son habit pour des tenues plus flashy afin de découvrir, avec forcément beaucoup de naïveté, le monde moderne et la vie dehors. Le décalage entre la vie monastique et le monde extérieur procure de savoureux moments comiques grâce à l’abattage de Marilou Berry et Isabelle Nanty. Si le scénario est inégal avec notamment une dernière partie plus convenue, Doux Jésus demeure un agréable moment de cinéma plus proche de l’humour léger que de la « critique sociale ». Comme le dit l’affiche : « Que sa volonté soit fête ». (UGC)
100 MILLIONS !
Patrick et Suzanne peinent à honorer les échéances de leur crédit immobilier, d’autant plus que le salaire de Patrick est amputé des heures de la grève partielle lancée par le syndicat dont il est l’un des leaders. Lorsqu’un notaire apprend au couple qu’une lointaine cousine de Patrick leur a laissé un héritage de cent millions, leur vie change. Comment être un syndicaliste pur et dur et un multimillionnaire ? C’est ce que raconte, ici, Nath Dumont dans cette comédie qui mêle satire sociale et humour grand public. Voici donc l’aventure d’un couple de la classe ouvrière qui hérite soudainement d’une somme importante, ce qui entraîne une série de péripéties illustrant les contrastes entre valeurs et tentations liées à l’argent. Réalisateur pour diverses séries télévisées comme Plus belle la vie, Demain nous appartient, Virgin ou En famille, Nath Dumont ne s’inscrit pas dans le courant de combat d’un Ken Loach mais bien dans une certaine tradition de la comédie française, ce qui implique des scènes et des situations vues et revues et souvent chargés de bons gros clichés. Du coup, la critique du capitalisme et des ultra-riches perd de son impact. Le cinéaste n’est pas dans la provocation mais dans un rire bon enfant. Le récit est plus divertissant que corrosif d’autant que les interprètes du couple Suzanne/Patrick appartiennent, volontiers, à l’univers de la comédie française. Comme on dit, Michèle Laroque et Kad Merad assurent. D’autant qu’ils se connaissent bien pour avoir déjà joué ensemble dans Monsieur Papa (2011), Brillantissime (2018) ou Lune de miel avec ma mère (2025). Sympathique. (Blaq Out)
MINECRAFT – LE FILM
Quatre aventuriers — Garrett, Henry, Natalie et Dawn — sont téléportés à l’intérieur du monde cubique de Minecraft à La Surface. Avec l’aide de Steve, un vétéran de ce monde, ils devront maîtriser les mécanismes de Minecraft pour pouvoir rentrer chez eux et terrasser les éventuelles monstres qu’ils croiseront sur leur route. Minecraft est d’abord (et avant tout?) un célèbre jeu vidéo sorti en 2011 développé par le Suédois Markus Persson, alias Notch, puis par la société Mojang Studios. Le jeu plonge le joueur dans un monde créé de manière procédurale, composé de voxels représentant différents matériaux (terre, pierre, eau, fer, charbon, etc.). Le monde est formé de diverses structures (arbres, cavernes, montagnes, villages, etc.) et est peuplé par des animaux (vaches, moutons, etc.) ainsi que des monstres (zombies, araignées, squelettes, etc.). Le joueur peut modifier son monde à volonté, soit dans le but de survivre, soit pour créer. Si l’adaptation du jeu au grand écran a suscité beaucoup de scepticisme avant sa sortie, le film a cependant réussi à capturer certains aspects visuels de l’univers cubique pour une immersion visuelle agréable, cela grâce à des effets visuels mêlant le numérique et des éléments concrets. Le tout au service de scènes d’action dynamiques et rythmées et d’un humour souvent absurde ou potache. Pour le reste, le scénario repose sur une intrigue minimaliste. Parmi les personnages, on remarque Steve à cause de l’interprétation (caricaturale) de Jack Black. Un divertissement léger… (Warner)
LES BODIN’S PARTENT EN VRILLE
Lorsque Maria Bodin découvre que le PDG de Mondialacta et le maire de Pouziou se sont mis d’accord pour créer une usine de fromages de chèvre près de sa ferme, elle met tout en œuvre pour défendre sa fromagerie artisanale. Ce qui va l’emmener avec son fils Christian au Salon de l’Agriculture et même au Maroc. Pour faire capoter ce projet industriel, ils ne reculeront devant rien: chantage, baston, courses-poursuites. Une fois de plus, les Bodin’s vont braver tous les dangers pour sauver leurs valeurs et leurs traditions. La troisième aventure cinématographique du duo en Thaïlande (2021) a réuni pratiquement un million de spectateurs dans les salles obscures. Il est vrai que les deux humoristes font, depuis 30 ans, partie du paysage comique en faisant rire, avec une tendresse pas toujours visible, de la France rurale. Après donc cette escapade asiatique, revoici donc Maria, la vieille fermière autoritaire de 87 ans, qui régit toujours la vie de son fils de 50 ans, Christian, un célibataire naïf, voire benêt, dans un trip qui dénonce la désertification des campagnes et l’industrialisation qui menacent les traditions artisanales, tout en mettant en avant la valeur des productions locales et rurales. Vincent Dubois (Maria) et Jean-Christian Fraiscinet (Christian) font le job. La mère Maria, avec son caractère fort, ses expressions crues et son bagou, est un sacré personnage alors que le doux Christian apporte une touche d’humour et de légèreté. Une comédie familiale divertissante et porteuse de messages positifs sur la préservation des valeurs rurales. (M6)