Des neiges d’Iran au sable de l’Arizona
MERE.- A Hambourg, un homme achète trois valises. C’est un voyage important qui l’attend avec son jeune fils Alborz et Dena, sa grande adolescente. Si le gamin est enthousiaste de partir, c’est qu’il s’agit de retrouver une mère qu’il n’a plus vu depuis six ans. Dena qui refuse de partir, est en colère contre cette mère qui semble ne guère se préoccuper d’eux.
A Téhéran, dans un quartier discret, loin des regards et des médias, Maryam sort d’une voiture banalisée. Mais c’est clairement un policier qui la confie à son frère en lui disant qu’il le tient pour responsable. La mère de Dena et Alborz, en sortant, retire son châle et libère son ample chevelure brune et bouclée. Tout en lançant un regard de défi à la suppléante policière vêtue de noir des pieds aux yeux… Militante des droits humains et figure de l’opposition en Iran, Maryam est détenue depuis longtemps dans la sinistre prison d’Evin. Le régime islamique lui a octroyé une permission de sortir de sept jours. Grâce à différents passeurs, elle va pouvoir rejoindre, à travers des montagnes inhospitalières, sa famille venue s’installer dans une maison quelque part en Turquie, non loin de la frontière iranienne.
7 jours (Allemagne – 1h56. Dans les salles le 6 août), c’est donc le temps de liberté imparti à Maryam. Un espace qui sera aussi celui d’un véritable déchirement pour cette femme qui ne conçoit pas son existence hors du combat qu’elle mène au sein de son pays. Mais qui, cependant, se sent tout à fait légitime face à son mari qui la soutient tout en souffrant de son absence mais surtout en mère face à ses deux enfants.
L’idée du film est née d’une conversation entre le réalisateur Ali Samadi Ahadi et son confrère Mohammad Rasoulof, connu notamment pour avoir signé Les graines du figuier sauvage (2024). Celui-ci lui a envoyé un scénario, inspiré de Narges Mohammadi, figure emblématique de la lutte pour les droits humains en Iran et prix Nobel de la paix 2023. « On retrouve dans le film, dit le cinéaste, certains éléments tirés de sa vie : son mari, ses enfants qui vivent à l’étranger, les multiples séjours en prison, sa santé fragile…. » Cependant c’est la fiction qui l’emporte puisque le film explore une question morale : que se passerait-il si une femme comme Maryam avait la possibilité de quitter l’Iran pour retrouver ses enfants ? Accepterait-elle ce choix ? Ou déciderait-elle de poursuivre la lutte, au prix de tout le reste ?
En occultant complètement -sinon à travers un passeur qui lui glisse : « L’Iran est fière de vous »- la dimension politique et militante du parcours de Maryam (Narges Mohammadi a été libérée à plusieurs reprises pour raisons médicales mais a toujours fait le choix de rester en Iran), Ahadi mêle un thriller intérieur sur l’exil et une chronique familiale intimiste, intense et constamment sous tension. Ainsi cette scène bouleversante où Maryam aperçoit ses enfants jouant dans la neige. Elle les regarde de loin, mais décide de ne pas s’approcher. Le simple fait d’aller vers eux, elle le sait, pourra bouleverser sa vie.
Fasciné, dit-il, par la force des femmes d’Iran et par le fait qu’elles sont discriminées à tous les niveaux de la société, le cinéaste, à travers le portrait de cette Myriam qui dit « La peur et la fuite ne sont pas des solutions », leur rend un bel et émouvant hommage. Pour incarner Maryam, Ali Samadi Ahadi a trouvé, en Vishka Asayesh, une interprète exceptionnelle.
Vishka Asayesh est une immense actrice en Iran. Elle est connue depuis l’âge de 18 ans et a joué dans les plus grandes productions. Tout a changé en 2021, après la mort de Mahsa Jina Amini. Elle prend alors une décision radicale en refusant de continueréà porter le hijab à l’écran. Elle a été bannie du jour au lendemain. 7 jours est son premier film sans voile. Et c’est poignant.
VAMPIRE.- Au 15e siècle, dans une région reculée des Balkans, Vlad, prince de Valachie, est un seigneur redouté pour ses qualités de combattant. Une fois de plus, pour défendre son territoire, il est amené à combattre un ennemi qu’il met en déroute. Hélas, Vlad ne peut rien contre la perte d’Elisabeta, la femme de sa vie, tuée sous ses yeux par des soldats. Il implore un ecclésiastique de demander à Dieu de ramener celle qu’il aime à la vie. Mais le prêtre répond que c’est impossible et Vlad le transperce avec sa crosse… Il est alors frappé d’une malédiction. Le voilà condamné à errer à travers les siècles. Il devient le prince Dracul, un vampire qui n’a qu’un seul but dans l’existence : retrouver son amour perdu. Dans son château de Roumanie, le comte reçoit Jonathan Harker, un clerc de notaire, qui vient lui proposer une demeure à Paris. Jonathan porte autour du cou un collier avec une médaille qui contient la photo de Mina, sa fiancée. En voyant l’image, Vlad est bouleversé. Et si cette Mina n’était autre que la femme de sa vie !
400 ans plus tard, dans Paris où vient de s’élever la tour Eiffel, le prince Vlad va croiser la douce et fragile Mina qui ressemble, effectivement, à sa chère Elisabeta…
Le bon vieux vampire cher à Bram Stocker en aura eu des adaptations cinématographiques. En conservant son nom de Dracula ou… pas, comme ce fut le cas pour le célébrissime Nosferatu (1922) de Murnau qui ne voulait pas (ou ne pouvait pas) payer les droits d’auteur à la famille Stocker.
Après Tod Browning, Terence Fisher, Francis Ford Coppola ou encore Robert Eggers qui signa, l’an dernier, un nouveau Nosferatu, c’est donc Luc Besson qui s’y colle !
L’idée de son Dracula (France/Grande Bretagne – 2h09. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 30 juillet) est née, semble-t-il d’une discussion avec le comédien américain Caleb Landry Jones, qui tint en 2023 le rôle principal du DogMan de Besson. Le cinéaste et l’acteur évoquaient les potentiels rôles qui pouvaient convenir à Landry Jones. Et voilà comment le nom de Dracula apparut et comment Luc Besson se mit à écrire un scénario d’après Bram Stocker.
Avec un budget de 45 millions d’euros, Dracula est le film français le plus cher de 2025 même si on est loin des 197 millions d’euros du blockbuster de Luc Besson Valerian et la Cité des mille planètes (2017). Mais, de fait, l’argent, incontestablement, est sur l’écran ! Le réalisateur du Grand bleu n’a pas lésiné sur les costumes, les perruques, les maquillages, les décors, les effets visuels et il peut même proposer une b.o. écrite, dans une première collaboration entre les deux artistes, par Danny Elfman, le compositeur fétiche de Tim Burton… Besson n’hésite pas non plus à en mettre plein la vue avec cette aventure aussi gothique que kitsch. Mais Besson a toujours été un baroque et son objectif, c’est de faire du spectacle. Donc, sur un fond de drame romantique amoureux, le cinéaste distille (un peu trop longuement à notre goût) sa propre vision vampirique fortement saturée. Avec son faux air de Willem Dafoe, Caleb Landry Jones est un Dracula qui vaut bien ses prédécesseurs face à Christoph Waltz en prêtre exorciste sûr de son fait et convaincu que la gousse d’ail ne fonctionne pas contre les suceurs de sang. Tape-à-l’oeil mais pourquoi pas.
VOLANT.- Inutile de se raconter des histoires, la carrière de Sonny Hayes est derrière lui. Dans les années 90, oui, il était un prodige de la F1. Mais un terrible accident de course a rebattu les cartes. Alors, si le sourire craquant est toujours là, Sonny se promène dans son vieux camping-car en affectant de ne pas s’en faire. Accro aux jeux d’argent, marié plusieurs fois, il tente de satisfaire son ancienne passion (et ses besoins d’argent) dans des courses de moindre envergure. Alors qu’il pilote à Daytona, Sonny voit débarquer son vieil ami Ruben Cervantès. Propriétaire d’écurie aux abois, Ruben réussit à convaincre Sonny de revenir dans le circuit, en sauvant la team (fictive) Apex GP et en prouvant au monde automobile qu’il est toujours le meilleur.
Ruben (Javier Bardem) entend faire de Sonny le n°2 de l’écurie au côté de Joshua Pearce, un surdoué à dégrossir mais prêt à devenir une star du volant. Sûr de lui, le gamin n’a cependant aucune envie de se faire marcher sur les pieds par ce has-been, persuadé qu’il n’a strictement rien à apprendre d’un vrai loser. Quant à Sonny, il réalise immédiatement qu’en F1, son coéquipier est aussi son plus grand rival, que le danger est partout et qu’il risque de tout perdre.
Co-produit notamment par Lewis Hamilton, le septuple champion du monde de Formule 1, F1 (USA – 2h35. Dans les salles le 25 juin) tombe à pic sur le marché hollywoodien. Le film réalisé par l’expérimenté Joseph Kosinski (Top Gun : Maverick en 2022 et plus de six millions de spectateurs en France) arrive en effet au moment où les Etats-Unis s’intéresse de près désormais à la F1 après le succès de Drive to Survive, la série documentaire Netflix dans un pays où c’était la NASCAR qui passionnait surtout les fans de gros bolides. Et la production a mis les petits plats dans les grands en offrant au sexagénaire Brad Pitt de se glisser dans la combinaison blanche de Sonny Hayes !
Disons-le clairement, malgré une durée de 155 minutes, F1 tient parfaitement la distance et le spectateur n’a pas le temps de souffler en suivant tout à la fois les relations difficiles entre Hayes et Pearce (Damson Idris), la romance qui s’amorce entre Sonny et Kate McKenna, la directrice technique d’Apex et évidemment les courses qui se succèdent à Silverstone, au Hungaroring, à Monza, Zandvoort, Suzuka, Spa-Francorchamps, Las Vegas ou Abu Dhabi. S’appuyant sur une bande son de Hans Zimmer, le film a été tourné pendant des week-ends de Grands Prix, les scènes étant mises en boîte entre les séances officielles. Pour renforcer encore le réalisme du film, des caméras miniatures ont été installées sur les voitures, permettant des prises de vue dynamiques et offrant une épatante expérience visuelle.
Alors que Kate (qui a élaboré une nouvelle pièce aérodynamique qui va booster les voitures) et les responsables de l’écurie tambourinent qu’une course de F1 est une affaire d’équipe, Sonny Hayes, lui, la joue solo. En piste, il connaît tous les trucs, y compris les plus limites, pour s’imposer. Et, on vous donne en mille, il va mener Apex à la victoire… Alors, tel les cow-boys de légende, il peut s’éloigner dans le soleil, laissant les siens désormais unis et confiants…
VIOLENCE.- Un couple s’enlace, amoureusement. Pourtant, dans le regard de la jeune femme, il y a comme une lassitude, une tristesse… Le tram arrive. Laura, la trentaine, s’en va. Sur son téléphone, des messages qui la font sourire. Cette jeune femme travaille comme sculptrice dans un atelier où viennent des enfants. Lou, la fille de Laura, voudrait bien aller à Pompeï en voyage scolaire et glisse que sa copine a « une mère sympa qui a de l’argent ». Laura craque. Putain de loyer et de voyage scolaire de merde avant de s’excuser : « Je fais ce que je peux ». Laura galère, élève seule sa petite fille et tente de se reconstruire après une relation tumultueuse avec Joachim. Elle mène une vie en apparence tranquille. En allant sur des sites de rencontres, elle confie qu’elle n’a fait l’amour qu’une seule fois en trois ans et admet que « le contact physique lui manque parfois ». Amusée, car il est l’exacte inverse des hommes avec lesquels elle a vécu jusque là, elle accepte la proposition de son collègue Lazare : « Je te fais le plat que tu veux ». Lorsque Laura croise Joachim, qui veut voir sa fille, très vite les choses se passent mal. Elles vont encore empirer lorsque Shirine, la nouvelle compagne de Joachim, est victime d’un accident qui fait aussi ressurgir le passé de Laura. Les deux femmes, en proie à la violence du même homme, vont peu à peu se soutenir…
Aux jours qui viennent (France – 1h40. Dans les salles le 23 juillet) est le premier long-métrage de Nathalie Najem, connue comme scénariste d’Edouard Delluc, Cédric Kahn, Anthony Cordier, Laurent Achard ou Laurence Ferreira-Barbosa. Elle donne, ici, une forte chronique sur l’expérience de l’emprise et de la violence. Dans le film, le drame n’est pas vécu par une seule femme mais par deux, ce qui ouvre la voie à l’après, après la violence, après la séparation.
En se confrontant à la difficulté des relations entre ex-conjoints, la cinéaste voulait aussi sortir des clichés qui entourent ces sujets, d’autant que l’actualité fait surgir régulièrement des histoires autour de ce thème.
Si Aux jours… dresse le portrait intéressant et nuancé de deux femmes qui, en se soutenant, font que la honte s’amenuise et que la solidarité puis la sororité prennent le dessus, en face d’elles, se dresse Joachim, un homme toxique qui exerce sur son entourage une emprise psychologique.
« C’est une violence de contrôle, dit la cinéaste. Il n’arrête pas de faire la leçon. À sa mère, à sa fille, à sa compagne, à son ex. Il leur dit tout le temps ce qu’il faut faire. À défaut de contrôler sa propre vie. »
Zita Hanrot, applaudie dans Fatima (2015) de Philippe Faucon, est une Laura qui passe par des phases sombres et solaires. Mais elle est debout, elle construit, elle avance alors que Joachim ne fait que s’accrocher à sa nouvelle femme. On découvre Alexia Chardard (apparue dans Mektoub, my Love : canto uno (2017) d’Abdellatif Kechiche) dans le rôle de Shirine, scientifique et jeune femme aussi amoureuse que troublée qui hésite longtemps à mettre la loi entre elle et Joachim. Ce dernier est incarné par Bastien Bouillon (vu récemment dans Partir un jour) qui apporte une douceur, une féminité même, un look de fils de bonne famille, à un type qui commet des actes vraiment détestables…
PLEIN.- Le soleil tape dur, la route est droite, poussiéreuse, vide, infiniment longue. Il ne manque que les gros buissons secs qui tourbillonnent dans le vent. Nous sommes quelque part dans un coin complètement perdu de l’Arizona. Au volant de sa petite voiture plus vraiment neuve, un représentant en couteaux de cuisine japonais constate qu’il n’est plus très loin de la panne d’essence. Là station-service tombe à pic. Las, Vernon, l’imposant pompiste noir, soupire : « Nous sommes à sec. On attend le camion de livraison d’un heure à l’autre… » Et, prévient-il, la prochain station est loin, très loin. « Si vous voulez, vous pouvez aller boire un café juste à côté… »
Déposée par son shérif de mari, Charlotte vient ouvrir son Diner. Après avoir attendu dans sa voiture, le représentant pousse la porte. Il est le premier client de Charlotte qui lui apporte du café. Ils auront le temps de discuter un peu, des couteaux japonais et de la petite fille du représentant qu’il va rejoindre à l’occasion de son anniversaire. Charlotte lui emballe un part de tarte à la rhubarbe pour la gamine… La clim’ du Diner ne fonctionne pas mais la radio annonce que deux malfrats ont braqué une banque d’une ville voisine. Et si c’était justement les deux types inquiétants qui viennent d’entrer dans l’établissement ?
Avec Last Stop : Yuma County (USA – 1h31. Dans les salles le 6 août), le réalisateur américain Francis Galluppi signe son premier long-métrage mais ce touche-à-tout qui écrit, réalise, produit, monte et compose la musique de tous ses films, a été remarqué avec un premier court-métrage Hugh Desert qui a remporté de nombreuses récompenses dont le Wes Craven Award au Festival International du Film de Catalina en 2019. Avec son court-métrage suivant, The Gemini Project, Galluppi a obtenu le prix du meilleur court-métrage, section Science-Fiction/Fantastique, au Festival International du Film de Burbank en 2020.
Last Stop… est une sorte de film néo-noir mâtiné des codes du western classique. Ici, une série de personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer, se retrouvent dans un Diner en attendant de pouvoir reprendre la route. Evidemment, les choses ne vont pas se passer normalement et le Diner (pour les connaisseurs de l’Arizona, le cinéaste s’est inspiré du Four Aces, une station- service/diner/motel de Lancaster) va carrément devenir un personnage central du récit. Très emblématique de l’univers américain, tant au cinéma que dans la peinture (on se souvient du Nighthawks, le fameux Diner peint par Edward Hopper en 1942), ce lieu va devenir le théâtre d’un brutal et inattendu déferlement de violence au fur et à mesure que les protagonistes poussent la porte. C’est ainsi que, sous le regard de Charlotte, la tenancière du Diner, le représentant de commerce anonyme et insignifiant va être rejoint par deux truands, l’un glacial, méticuleux et réfléchi, l’autre mal dégrossi, stupide et impulsif, par un couple de retraités texans, deux petits marlous dont une jolie rousse… Tous incarnés par des comédiens peu connus (à l’exception de Jim Cummings, le représentant) mais tous savoureux.
Histoire de plein qui s’achève sur un grand vide, Last Stop… se conclut en dehors du Diner mais, alors, le rythme du film chute un peu. C’est bien dans les lieux, entre le bar et les banquettes rouges, que cette histoire bien déjantée prend tout son sel. On songe aux frères Coen, à Tarantino, à Sam Peckinpah. Et c’est un compliment.