Pathétiques hommes politiques et crises en tous genres

« Fils de. »: Nino (Jean Chevalier),
Lionel Perrin (François Cluzet)
et Francine (Emilie Gravos Kahn). DR
MASSACRE.- Dans le salon privé d’un restaurant parisien, au mitan des années 70, deux hommes politiques, l’un veule, l’autre matois, s’apprêtent à déguster des ortolans sous le regard d’un adolescent. Sur la table, une mallette contient une forte somme d’argent, probablement sale. Soudain, deux terroristes, la tête couverte de masques d’apiculteur, font irruption. Les deux notables se retrouvent quasiment nus, couverts de plumes, pris en photos qui feront la une de la presse…
Bien des années plus tard, une semaine après l’élection présidentielle, la France se cherche toujours son Premier ministre. Jeune attaché parlementaire ambitieux, Nino est missionné pour convaincre son père, Lionel Perrin, sénateur de longue date, d’accepter le poste. Mais cet éternel perdant a coupé les ponts avec la politique comme avec… son fils. Nino se retrouve embarqué dans une course effrénée où tous les coups sont permis. Il a 24 heures pour sauver sa carrière, sa relation avec une jeune journaliste politique de France Info, renouer, quand même, les liens avec son géniteur et, si possible, ne pas compromettre l’avenir de la France !
Premier long-métrage du jeune réalisateur Carlos Abascal Peiró, Fils de. (France – 1h45. Dans les salles le 3 septembre) est, au-delà d’une tragédie filiale, une virevoltante satire politique qui, à aucun moment, ne retient ses coups. Bien sûr, la politique française a déjà donné lieu à des films, qu’il s’agisse de La conquête (2011) sur l’ascension de Nicolas Sarkozy, de l’excellent L’exercice de l’État (2011) ou de comédies dramatiques comme Bernadette (2023), la bio (non autorisée) de Mme Chirac ou encore l’hilarant Présidents (2021) dans lequel Sarkozy et Hollande se tapent gravement sur les nerfs. A son tour, Fils de. développe une aventure ubuesque mais le cinéaste note, pourtant, que la moquerie devient politiquement utile lorsqu’elle vise nos convictions.
Il n’en reste pas moins que le petit univers politique français que décrit Fils de. ressemble à un remarquable ramassis d’authentiques canailles, de vraies crapules, de parfaites ordures, de fumiers satisfaits, de considérables pétasses, de pauvres crétins, de misérables sagouins, de purs vauriens et de gougnafiers saitisfaits. Dans les sombres et feutrées allées du pouvoir, toutes les saloperies sont de mise. Tout est possible pour obtenir un poste, savonner la planche du concurrent, mettre des peaux de banane, colporter des ragots, manipuler les médias, déterrer des secrets financiers ou sexuels. Paraphrasant Bismarck, un conseiller note d’ailleurs que « la politique, c’est comme les saucisses. Il vaut mieux ne pas savoir comment ça se concocte. »
On craint le pire si, dans la salle, s’installe le spectateur convaincu que tous les hommes politiques sont à enterrer vivants. On attend l’expertise d’un vrai homme politique…
« Le fait, dit le cinéaste, de tourner un film de fiction où il est question de politique est aussi pour moi une manière de rappeler que cette classe nous appartient et qu’on doit l’investir. Je crois aux institutions, à la force du geste électoral. » On adhère bien volontiers à ce point de vue.
Né en Espagne, Carlos Abascal Peiró a travaillé pour plusieurs journaux espagnols avant de rejoindre l’équipe de correspondants de l’Agence de Presse Espagnole à Paris. A 23 ans, il a intégré la Fémis dans le parcours réalisation. « Lorsque j’écrivais le scénario, dit-il, j’avais le sentiment que nous souffrions d’un déficit d’incarnation dans la façon d’exister au monde idéologiquement alors que les combats n’ont pas beaucoup changé. Nino, qui appartient à la génération LinkedIn, traverse cette crise. C’est dit dans les dialogues : on peut avoir des idées aujourd’hui, mais les vivre devient (parfois) difficile. Cela dit, peut-être de moins en moins, vu l’actualité récente… »
Pour servir, avec une mise en scène agile et virevoltante, son impitoyable mais drolatique jeu de massacre, le cinéaste peut s’appuyer sur d’excellents comédiens avec, en fils de, Jean Chevalier, de la Comédie française, un Nino volontiers effaré. Autour de lui, François Cluzet, Karin Viard, Alex Lutz (épatant en conseiller Schuffenecker, Alsacien d’origine et consommateur de kiwis), Emilie Gavois Kahn, Olivier Broche, Nathalie Richard s’amusent clairement de caractères outranciers (ou pas?). Quant à Sawsan Abès, elle incarne une reporter dont le personnage a été nourri par les années de journalisme du cinéaste. Et, disons-le, cette demoiselle aux dents longues n’est pas parfaite, non plus.
Abraham Lincoln observait : « Un homme d’État est celui qui pense aux générations futures, et un homme politique est celui qui pense aux prochaines élections. » Démonstration faite, ici. De brillante (et évidemment excessive) manière.
REGARDS.- Jeune femme plutôt mystérieuse, Laura accepte d’accompagner son compagnon et des amis pour une excursion. Mais, à l’heure de partir, Laura se dédit. Son compagnon accepte de la ramener à Berlin. Mais, sur une étroite route de campagne, la voiture fait une embardée et se retourne dans les champs. Le chauffeur est tué sur le coup. Laura sort, presque miraculeusement, indemne de l’accident. Transportée dans une maison voisine, la jeune femme, très secouée, demande à y rester. Betty, qui avait vu passer la voiture, devant chez elle, juste avant le drame, accepte. Fragile, affaiblie, abattue, Laura passe son temps entre le lit et la fenêtre de son refuge sous le regard d’une Betty qui lui apporte soutien et réconfort. Petit à petit, une cohabitation s’installe. Mais Laura découvre bientôt de sombres secrets et doit se rendre à l’évidence : quelque chose ne va pas dans la famille. Les raisons qui les poussent à s’occuper d’elle ne sont pas aussi honorables qu’il n’y paraît.
On a remarqué le cinéaste allemand Christian Petzold avec des films comme Barbara (2012), Phoenix (2014), Transit (2018) ou le récent Le ciel rouge dans lequel on trouvait déjà l’excellente Paula Beer qui occupe, ici, le rôle principal de cette Laura, pianiste ambitieuse, qui a l’impression que la musique et sa vie lui échappent.
Miroirs n°3 (Allemagne – 1h26. Dans les salles le 27 août), dont le titre fait référence à la pièce pour piano éponyme de Maurice Ravel, s’applique à distiller une atmosphère presqu’inquiétante entre Laura et Betty tandis que Richard, le mari et Max, le fils de Betty, tous deux travaillant dans un garage situé dans un hameau proche, se tiennent présents à quelque distance. Dans cette maison perdue en pleine campagne, Laura va devenir une sorte d’enjeu qui pourrait permettre à Betty et aux siens de reprendre goût à l’existence.
Si, in fine, la raison qui pousse Betty à accueillir Laura, apparaît assez banale, c’est bien le sentiment que la jeune femme est séparée du monde, qui intéresse le cinéaste. « Laura n’est pas vraiment présente dans ce monde », dit-il. Dans la voiture fatale, elle passe devant une maison et le regard d’une parfaite inconnue, une femme vêtue de noir qui peint une clôture, la fixe. « Elle ne fixe pas les autres, seulement elle. Un contact s’établit. Elle est en quelque sorte choisie, comme dans les contes. Cette femme avec son pinceau à la main s’offre une princesse pour sa maison de sorcière. » Sous la férule d’une Betty omniprésente, Laura refait en quelques jours tout un parcours biographique, mais qui n’a rien à voir avec sa vie antérieure. Comme si elle prenait un nouveau départ absolu. En saisissant avec finesse des échanges de regards qui alternent des points de vue objectif et subjectif, Petzold montre comment, dans le comportement de Betty (remarquable Barbara Auer) puis des deux hommes, Laura devient l’objet de la famille… Avant de pouvoir, probablement, revenir littéralement à la vie.
CAUCHEMARIAGE.- Talentueux architecte, Théo Rose assiste à une réunion au sommet mais il craque devant les arguments fallacieux des dirigeants de son cabinet. Pour reprendre ses esprits, il se réfugie dans la cuisine attenante. Où officie Ivy. Les deux se regardent. Quelque chose se produit. Les mains se frôlent. Tout commence furieusement dans la chambre froide. Quelques années plus tard, Théo et Ivy Rose vivent, heureux, avec leurs deux enfants dans une demeure sous le soleil de Californie. Théo est à l’aise dans son travail et envisage de belles constructions. Ivy, encore un peu hésitante malgré ses réels talents de cheffe, va finir par ouvrir un petit restaurant en bord de mer. Si les affaires démarrent mollement, bientôt Ivy et ses plats exquis vont connaître une imposante notoriété. C’est alors que Théo va vivre le crash de sa vie. Le superbe bâtiment qu’il a imaginé pour recevoir un musée, est totalement anéanti par un ouragan. Le couple Rose va prendre un très gros coup, lui aussi.
En 1989, Danny DeVito signait La guerre des Rose, comédie très noire dans laquelle s’affrontaient Michael Douglas et Kathleen Turner. Ici, c’est Jay Roach qui adapte à son tour The War of the Roses, le roman de Warren Adler paru en 1981. Le réalisateur, révélé par le gros succès d’Austin Powers (1997), donna aussi, en 2015, un intéressant biopic sur l’aventure de Dalton Trumbo, le scénariste mis au ban d’Hollywood, à l’heure de la Guerre froide, par la funeste Commission des activités anti-américaines.
Avec sa Guerre des Rose (USA – 1h35. Dans les salles le 27 août), Roach ne peut pas jouer la carte de la surprise. Nombre de spectateurs se souviennent encore du brutal affrontement des Rose dans la première version. Dans cette histoire de couple qui, par habitude et fatigue, bat singulièrement de l’aile (le film s’ouvre dans le cabinet d’une psy ou les époux listent leurs griefs), le cinéaste s’en remet à l’abattage de ses comédiens, tous deux britanniques. On connaît Benedict Cumberbatch comme acteur du théâtre shakespearien et pour ses rôles dans La taupe (2011), Twelve Years a Slave (2013), Imitation Game (2014) ou encore la série télé Sherlock dans laquelle il est le locataire du 221B Baker Street. Olivia Colman, elle, a décroché l’Oscar de la meilleure actrice pour La favorite (2018) et s’est imposée avec brio dans des personnages très variés.
On peut donc faire confiance à ces deux-là pour tenir la barre d’une comédie évidemment prévisible. Peut-être moins noire que dans le premier film, cette guerre domestique repose sur une suite de saillies drôles ou vachardes, également portées par de bons seconds rôles. On suit donc cette histoire… d’amour (après tout, les Rose sont profondément épris l’un de l’autre) d’un œil gentiment amusé tout en comptant les coups. Concession à l’air du temps, c’est l’IA qui précipitera la chute des Rose.