Dans un monde post-7 octobre…

"Oui": Jasmine (Efrat Dor) et Y. (Ariel Bonz). DR

« Oui »: Jasmine (Efrat Dor) et Y. (Ariel Bonz). DR

FABLE.- Aux accents de Be my lover, Y. anime une soirée aussi luxueuse que déjantée où se mêlent les ultra-riches de Tel Aviv et des militaires de l’état-major de Tsahal en uniforme. L’alcool coule à flots, la drogue circule et Y., musicien de jazz, fait le pitre jusqu’à finir le nez dans un bassin. Où on le laisserait bien se noyer, si son épouse Jasmine ne venait pas le repêcher. Le couple finira sa nuit dans une magnifique villa, largement décorée d’oeuvres d’art contemporain, à sucer, de concert, les oreilles d’une femme âgée… Le lendemain, Y. et Jasmine, danseuse et professeur de danse hip-hop, sont de retour dans leur petit appartement où ils vivent modestement avec leur jeune fils. Tous les deux n’en sont pas plus fiers que cela mais leur lutte pour une survie pure et simple passent par la vente de leur art, de leur âme et de leur corps à l’élite de Tel Aviv. Avec leurs spectacles de danse lors de soirées privées, ils se disent qu’ils apportent un peu de joie et de réconfort à une nation abattue après l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023. Ce faisant, ils acceptent n’importe quel spectacle pour s’en sortir. Ils ne peuvent tout simplement pas dire « non ». Bientôt, Y. se fait blondir les cheveux et se voit confier une mission de la plus haute importance, la mise en musique d’un nouvel hymne national aux paroles belliqueuses. Il est payé par un oligarque russe qui attend un éloge de Tsahal et des barbaries commises au cours des 18 derniers mois dans une bande de Gaza promise à la destruction.
Ecrit en trois chapitres (La belle vie, Le chemin et La nuit), Oui (Israël – 2h30. Dans les salles le 17 septembre) n’est assurément pas une œuvre de tout repos. Dans un pays traumatisé, les personnages imaginés par Nadav Lapid s’agitent comme des insectes déroutés qui se tapent la tête contre des portes fermées et se disent que la soumission est la seule vérité du temps. D’ailleurs, Y. le dit bien à son fils : « Résigne-toi le plus vite possible. La soumission, c’est le bonheur. » Jusque là, les personnages des films du cinéaste israélien de 50 ans, installé à Paris depuis 2021, s’aventuraient dans le champ de la rage, de la contestation, de la révolte.

"Oui": la fête jusqu'à la folie. DR

« Oui »: la fête jusqu’à la folie. DR

Remarqué à Cannes 2021 pour Le genou d’Ahed, récompensé du prix du jury, Lapid, voix discondante du cinéma israélien, montre aujourd’hui « quelqu’un qui choisit de ramper pour arriver à se faufiler dans l’ouverture de la porte avant qu’elle ne se ferme. Je pense que cela en dit davantage sur la vérité du monde, la vérité de l’artiste dans ce moment. » Et pour un cinéaste israélien (qui, dit-il, ne peut pas s’échapper de l’état ou de la politique de son pays) il y a probablement une ironie amère à mettre en scène un musicien dont l’acte guerrier envers Gaza se résume à la composition d’une mélodie. En compagnie de Leah, son ex-petite amie (Naama Preis, Madame Lapid à la ville), Y. fait le chemin vers la frontière. Au loin, dans le sourd grondement des armes, une épaisse fumée noire s’élève au-dessus de Gaza. A bord de la voiture, Leah égrène l’effrayante litanie des hommes, des femmes, des enfants assassinés du 7 octobre. Les anciens amoureux ont beau évoquer leur jeunesse, leurs émotions, ils sont totalement dévorés par la situation actuelle. « S’embrasser face à Gaza qui brûle, dit le cinéaste, c’est à la fois être israélien mais aussi citoyen du monde. »
Tragédie musicale et fable bordélique (dont le tournage a été très compliqué), Oui ne fait pas dans la nuance, ni dans la mesure. Y. (Ariel Bronz) et Jasmine (Efrat Dor) sont emportés dans un tourbillon sur lequel semble régner ce Russe, homme le plus riche du monde, capable de faire pousser un gratte-ciel dans le désert en quelques secondes, mais en servant d’une… télécommande pourrie !
Un film hystérique et « malade » mais audacieux et saisissant qui scrute l’effroi du monde post-7 octobre. Et dont on sort étourdi et épuisé…

"Dans l'intérêt...": Rebecca (Anamaria Vartolomei) et son petit garçon face à Julie.

« Dans l’intérêt… »: Rebecca (Anamaria Vartolomei) et son petit garçon face à Julie.

IMMERSION.- Dans le service de pédiatrie d’un hôpital public, une blouse blanche s’applique à retirer, le plus délicatement possible, une sonde gastrique à un enfant de quatre ans. Rebecca, sa mère, est à ses côtés mais elle ne peut pas rester. En effet, une ordonnance d’un magistrat ne l’autorise qu’à venir deux fois par jour auprès de son fils, le temps de lui donner à manger. Car il faut qu’Adam se nourrisse au risque de voir son état de santé sérieusement se dégrader.
La blouse blanche, c’est Lucie, l’infirmière en chef du service. Elle apaise Adam et s’occupe autant de Rebecca qui dit et répète qu’elle veut rester auprès de son fils, passer la nuit auprès de lui. Autour de Lucie, on estime que Rebecca doit quitter les lieux mais Lucie tente de calmer le jeu. Dans l’intérêt d’Adam. Elle soupire : « Pas facile pour une mère d’admettre qu’elle met son gamin en danger… » Lorsque Rebecca décide d’enlever Adam et de s’enfuir, dans la nuit avec lui, les choses tournent mal. C’est encore Lucie qui les poursuit sur le parking de l’hôpital. Mais Rebecca et Adam vont chuter dans un escalier… Quitte à défier sa hiérarchie, Lucie est bien décidée à aider la mère et l’enfant.
On avait remarqué la réalisatrice bruxellloise Laura Wandel en 2021 à Cannes avec Un monde, son premier long-métrage, qui se penchait sur le harcèlement scolaire à travers le parcours de deux enfants. Avec Dans l’intérêt d’Adam (France – 1h18. Dans les salles le 17 septembre), elle immerge cette fois e spectateur dans l’univers hospitalier à travers l’existence d’une infirmière qui s’implique, sans doute au-delà de la normale, dans le « sauvetage » d’un gamin. En cela, Lucie va se heurter à sa hiérarchie. Tout bonnement parce qu’elle ne supporte pas de voir la détresse autant d’un gamin dénutri que d’une mère à la fois inquiétante et vulnérable, persuadée qu’on va lui retirer la garde de son petit Adam.

"Dans l'intérêt...": Julie (Léa Drucker), magnifique infirmière. Photos Maxence Dedry

« Dans l’intérêt… »: Julie (Léa Drucker), magnifique infirmière.
Photos Maxence Dedry

Durant quelques heures, on reste au plus près du quotidien de cette infirmière qui voit passer dans son service une fratrie de quatre gamins sous le coup d’une ordonnance de placement ou encore une grande adolescente voilée qui a avorté. « On va dire, note Lucie, qu’elle est entrée pour une appendicite… » Et qui revient toujours au chevet d’Adam qui murmure à sa mère : « Je veux rester avec toi mais je ne veux pas être mort ».
Avec une caméra portée, tout en mouvement, le film donne remarquablement à voir le rythme effréné du personnel soignant. Ainsi, on suit les déambulations incessantes d’une Lucie, presque en apnée, superbement incarnée par Léa Drucker dont le visage fatiguée impressionne. A ses côtés, Anamaria Vartolomei, découverte dans L’événement (2021), est Rebecca, une jeune mère à la dérive.

"Connemara": Hélène (Mélanie Thierry) et Christophe  (Bastien Bouillon). DR

« Connemara »: Hélène (Mélanie Thierry)
et Christophe (Bastien Bouillon). DR

MONDES.- La petite quarantaine, Hélène vit à Paris et s’investit pleinement dans la société de conseil en restructurations gérée par un ami. Pourtant cette battante est au bout du rouleau. Le burn-out menace clairement. Pour Hélène, ses Vosges natales, c’était le passé. C’est pourtant là qu’elle va revenir pour tenter de se reconstruire. Avec sa famille, elle s’installe à Epinal d’où elle était partie, sans doute pour échapper aussi à un milieu modeste. Epinal, c’est une manière de retrouver une autre qualité de vie. Un soir, sur le parking d’un restaurant, elle aperçoit un visage connu. C’est Christophe Marchal, le bel hockeyeur de ses années lycée. Probablement aussi un lointain objet de désir… De ses retrouvailles inopinées, va naître une liaison qu’Hélène n’avait pas vue venir…
Sensible à l’oeuvre de Nicolas Mathieu depuis la parution de Leurs enfants après eux, Alex Lutz pensait adapter ce roman au cinéma. Mais les droits étant pris, l’acteur et cinéaste strasbourgeois attendit la parution suivante de l’écrivain pour porter à l’écran ce Connemara (France – 1h55. Dans les salles la 10 septembre). De Mathieu, Lutz salue ainsi l’« incroyable acuité, sa manière de décrire comment le grand corps social infuse la vie de ses personnages, dans leurs attitudes, leurs gestes… De plus, il parle de la France, d’une certaine France, sans que ce soit un texte politique : il trace une subtile cartographie sociologique, mais aussi sensorielle, des êtres, sans une once de pédagogie de comptoir. » Plongeant dans une France bien éloignée des agitations parisiennes, Hélène se lance, presqu’à corps perdu, dans une aventure physique et sentimentale. Leurs étreintes, ce sont deux France, deux mondes désormais étrangers qui rêvent de s’aimer. Mais est-ce possible ?

"Connemara": Hélène de retour à ses racines. DR

« Connemara »: Hélène
de retour à ses racines. DR

Pour son quatrième long-métrage pour le cinéma, Lutz donne un mélodrame nostalgique et mélancolique qui s’attache au plus près aux personnages d’Hélène et de Christophe sans négliger toutefois le personnage de Gérard, le père de Christophe (Jacques Gamblin) qui glisse lentement vers la sénilité. Dans une écriture à hauteur d’homme qui mêle le présent avec des flash-backs fragmentés et tandis que s’élèvent les accents émouvants des Pêcheurs de perles de Bizet, le film conte les tourments d’Hélène qui se dit qu’elle a quitté Épinal pour devenir une femme efficace et concernée et que vingt années d’efforts n’ont servi à rien. Christophe, ex-vedette de l’équipe spinalienne, lui, n’a pas bougé, sinon un an à Mulhouse, traînant avec ses copains, tentant de gérer sa vie avec son gamin et son ex-épouse. « T’as jamais eu envie de partir d’ici ? » demande Hélène. « Tu trouves ma vie trop simple pour toi? » répond Christophe. Cette réflexion sur les classes sociales est portée par deux excellents comédiens, Mélanie Thierry énergique et vulnérable et Bastien Bouillon, costaud fragile. On entend enfin la chanson de Sardou qui donne son titre au film lors d’un mariage où Hélène rit pour cacher ses larmes…

"Classe...": Les Trousselard (Laurent Laffite, Elodie Bouchez, Noée Abita, Sami Outalbali). DR

« Classe… »: Les Trousselard (Laurent Laffite, Elodie Bouchez, Noée Abita, Sami Outalbali). DR

ARGENT.- Avocat à Paris, Philippe Trousselard possède une superbe demeure dans le midi de la France. C’est là, au bord de la piscine ou dans son jardin, qu’il passe l’été. C’est aussi là que débarque Mehdi, avocat en devenir et petit ami de Garance Trousselard, la fille unique et gâtée de ses parents. Mais l’été ne va pas être de tout repos. Car l’évier de la luxueuse cuisine des Trousselard est bouché. Philippe fait donc appel à Tony Azizi qui assure, avec sa femme Nadine, le gardiennage de la villa. Et qu’importe si Tony, Nadine et leur fille Marylou sont en train de fêter e vingtième anniversaire de cette dernière. Quand Philippe demande, on s’exécute. Las, Tony a beau dire à tout le monde de ne pas faire couler dans l’évier pendant qu’il tente de réparer, Laurence Trousselard, la vaporeuse épouse de Philippe, n’a pas entendu. En trois minutes, Tony est recouvert, de la tête aux pieds, d’un liquide sombre et collant qui n’est assurément pas de l’eau. C’est la goutte de… qui fait déborder le vase. Les Azizi décident de rendre leur tablier. Et de réclamer leurs indemnités de départ. Mais Philippe les a toujours payé au black… Tout va rapidement s’envenimer…

"Classe...": Les Azizi (Mahia Zrouki, Laure Calamy, Ramzy Bedia). DR

« Classe… »: Les Azizi (Mahia Zrouki,
Laure Calamy, Ramzy Bedia). DR

La communication aidant, on a eu vite fait de dire que Classe moyenne (France – 1h35. Dans les salles le 24 septembre) était le pendant français du très applaudi Parasite (2019) du Coréen Bong Joon-ho qui valut à son réalisateur la Palme d’or à Cannes. C’est certainement aller très vite en besogne ! Même si, dans le film d’Antony Cordier aussi, il en va de riches et de pauvres. Qui vont s’affronter dans un duel de moins en moins feutré. Parce qu’avec de grosses sommes en jeu, les patrons comme les employés sont décidés à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Mehdi, « l’ancien pauvre » va bien tenter de mener la négociation à bien mais…
En s’appuyant sur des comédiens efficaces et semant son récit de bonnes notations sur le pouvoir de l’argent, le réalisateur offre une belle satire avec d’un côté des nantis odieux ou à côté de leurs pompes, de l’autre, des gens modestes qui se révèlent féroces. Au départ, tant Philippe Trousselard apparaît comme un solide abruti, on est en empathie avec les Azizi. Mais, force sera de constater qu’ils na valent guère mieux. Comme Laurent Laffite (Philippe), Elodie Bouchez (Laurence), Ramzy Bedia (Tony), Laure Calamy (Nadine), Sami Outalbali (Medhi), Noée Abita (Garance) et Mahia Zrouki (Marylou) sont savoureux, on passe un « bon » moment en… famille.

 

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