Une Amérique à feu et à sang

Pat Calhoun, alias Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio), un révolutionnaire malmené. DR

Pat Calhoun, alias Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio), un révolutionnaire malmené. DR

Quelque part en Californie, les French 75, un groupe révolutionnaire d’extrême gauche, organise la libération de migrants retenus dans un centre de détention. L’action violente est menée par Perfidia Beverly Hills, un combattante très déterminée et Pat Calhoun, alias Ghetto Pat, qui s’est fait une spécialité des explosions en tous genres… Pendant l’opération, la sculpturale Perfidia en profite pour humilier le capitaine Steven Lockjaw, le responsable du camp. Mais le militaire va alors développer une irrépressible fascination sexuelle pour la révolutionnaire…
Devenus amants, Pat et Perfidia poursuivent leurs actions, en compagnie d’une poignée de militants très résolus. Ils attaquent ainsi des bureaux de politiciens, braquent des banques ou font carrément sauter le réseau électrique d’une ville brutalement plongée dans le noir. Mais, en face, la police ne demeure pas les bras croisés. Lockjaw n’est pas le moins virulent et, lors d’une opération, il surprend Perfidia en flagrant délit de pose d’une bombe. Mais, bouleversé par cette femme qui avait eu une manière très particulière de le maîtriser, il décide de la laisser en liberté après qu’elle ait accepté une relation sexuelle dans un motel le soir même…
Après son dernier film réalisé en 2021, le surprenant Licorice Pizza (voir la critique sur ce site), Paul Thomas Anderson est de retour avec ce qui apparaît comme son film le plus cher et le plus commercial. Mais le cinéaste américain n’a pas perdu la main. Et il demeure égal à lui-même comme lorsqu’il traitait du cinéma X dans Boogie Night (1997), de la famille dans le tentaculaire Magnolia (1999), de la religion et du pétrole dans There Will Be Blood (2007) ou du drame d’un couturier-star dans le Londres des années cinquante avec Phantom Thread (2017).
Appartenant à la même génération de cinéastes que Soderbergh, Tarantino ou Fincher, Anderson se distingue par des films choraux qui ne craignent pas de se confronter au cinéma de genre. C’est encore le cas avec ce One Battle After Another qu’il adapte librement de Vineland, quatrième roman de l’auteur américain Thomas Pynchon, publié en 1990 au Etats-Unis. L’écrivain, aujourd’hui âgé de 88 ans, y contait la relation d’un agent du FBI, impliqué dans le projet COINTELPRO et d’une cinéaste radicale, experte en arts martiaux, le tout pour illustrer, entre humour et mélancolie, l’opposition entre résistance et réaction, qui, de l’ébullition sociale des années 1960 à la répression nixonienne, traverse cette période de l’histoire américaine.

Lockjaw (Sean Penn) en mauvaise posture. DR

Lockjaw (Sean Penn) en mauvaise posture. DR

Paul Thomas Anderson ne cite pas ce projet (illégal) du FBI organisé sous la houlette d’Edgar J. Hoover mais son dixième long-métrage évoque bien une « guerre » entre des révolutionnaires d’extrême gauche et une police déterminée à perturber, discréditer les activités des mouvements dissidents, y compris à « neutraliser » leurs meneurs.
De fait, comme le livre de Pynchon, le film d’Anderson, qui se déroule entre les années soixante et les années quatre-vingts, mêle l’uchronie, l’utopie, la satire politique, le polar, voire le western, avec en toile de fond, la lutte entre le bien et le mal.
De même que le récent Civil War (voir la critique sur ce site), c’est l’image d’une Amérique étrange et « malade » que présente Une bataille… Un pays en perte de repères devenu un champ de bataille où tous les coups sont permis entre les petits frères de la lointaine Bande à Baader et une armée qui a les coudées franches pour mettre à mal un ennemi qui la tétanise.
Avec un impressionnant brio dans l’écriture comme dans la mise en scène et une image de pellicule « à l’ancienne », Paul Thomas Anderson s’empare d’un matériau foisonnant. Car Perfidia, enceinte des œuvres de Lockjaw, va donner naissance à une petite Charlene. Pat ne réussira pas à la convaincre de vivre en famille. Pire, lors d’un nouveau braquage, Perfidia abat un garde, est capturée par la police qui la manipulera, sous la direction de Lockjaw, pour lui faire dénoncer ses anciens amis de la French 75. Les révolutionnaires seront contraints de faire profil bas. Pat et la petite Charlene vivront cachés sous les noms de Bob et Willa Ferguson dans le bled perdu de Baktan Cross. Seize ans plus tard, Bob est devenu paranoïaque et toxicomane. Il surprotège Willa, adolescente autonome et pleine de vie.

Willa (Chase Infiniti), une adolescente pourchassée. DR

Willa (Chase Infiniti),
une adolescente pourchassée. DR

De son côté, grâce à ses véhémentes actions anti-immigrés, Lockjaw a gravi les échelons de l’armée américaine. Ainsi, devenu colonel, il est approché par le Club des Aventuriers de Noël, une puissante société secrète de suprémacistes blancs. Mentant sur le fait de n’avoir jamais eu de relation interraciale, Lockjaw traque secrètement Willa afin de garder secrète sa relation passée avec Perfidia… Sous couvert d’une opération anti-immigration et anti-drogue, il va lancer ses troupes sur Baktan Cross pour retrouver Bob et Willa.
Film-fleuve qui n’a du blockbuster que l’apparence, Une bataille après l’autre va voir passer un chasseur de primes mutique mais pas si mauvais, une ancienne des French 75, qui va placer Willa dans un couvent de religieuses… révolutionnaires, un tueur mandaté par les suprémacistes pour faire toute la lumière sur les mœurs de Lockjaw ou encore le très zen Sergio St Carlos, le professeur d’arts martiaux de Willa et leader respecté de sa communauté…
Paul Thomas Anderson orchestre cette aventure sans laisser souffler le spectateur. Mieux, il lui offre d’intenses moments de bravoure comme une course-poursuite sur de longues routes droites en montées et en descentes. La violence explose brutalement dans tous les coins mais l’humour est néanmoins de la partie comme lorsque Ghetto Pat, alias Bob Ferguson, tente de joindre téléphoniquement les survivants de son réseau mais se trouve systématiquement rejeté parce qu’il ne se souvient plus du code nécessaire !

Benicio del Toro, un suave professeur d'arts martiaux. DR

Benicio del Toro, un suave professeur
d’arts martiaux. DR

Enfin, Une bataille… repose aussi sur une série de remarquables comédiens. Leonardo DiCaprio est un révolutionnaire hystérique puis, des années plus tard, un père paumé, stone, complètement à la ramasse mais qui saura se relever dans la défense de sa fille. Benicio del Toro campe benoîtement un professeur d’arts martiaux qui cache bien son jeu et enfin le formidable Sean Penn incarne un Lockjaw angoissant par sa raideur militaire, sa folie sexuelle et sa pure dangerosité !
Comme l’a dit Leonardo DiCaprio, voici une « fable politique avec l’énergie d ‘un cartoon ». On sort de là épuisé, étonné, inquiet et complètement ravi ! Décidément, après Sirat et Oui, deux films remarquables toujours à l’affiche, voici encore du sacré cinéma!

UNE BATAILLE APRES L’AUTRE Drame (USA – 2h 42) de Paul Thomas Anderson avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Benicio del Toro, Regina Hall, Teyana Taylor, Chase Infiniti, Alana Haim, Wood Harris, Shayna McHayle. Tout public avec avertissement. Dans les salles le 24 septembre.

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