Ils s’aimaient d’un aussi grand amour…

Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis.
En ce temps-là la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle.
Tu vois, je n’ai pas oublié…
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l’oubli.
Tu vois, je n’ai pas oublié
La chanson que tu me chantais.
C’est une chanson qui nous ressemble.
Toi, tu m’aimais et je t’aimais
Et nous vivions tous les deux ensemble

Simone Signoret (Marina Foïs) et Yves Montand (Roschdy Zem), une vraie complicité. DR

Simone Signoret (Marina Foïs) et Yves Montand (Roschdy Zem), une vraie complicité. DR

La fameuse chanson écrite en 1946 par Prévert et Kosma disait aussi que «  la vie sépare ceux qui s’aiment, Tout doucement, sans faire de bruit… »
Or c’est là que l’aventure amoureuse de Simone Signoret et d’Yves Montand se distingue de beaucoup d’autres parce que, justement, ces deux-là ne se sont jamais séparés réellement. Comme le dit Diane Kurys, elle l’aimait plus que tout, il l’aimait plus que toutes les autres.
Dans les années 2000, une collection Les couples célèbres, aux éditions Acropole, racontait Cerdan et Piaf, Antoine et Cléopâtre, Napoléon et Joséphine, Sand et Chopin, Bacall et Bogart, Colette et Willy et donc, inévitablement la passion engagée de Montand et Signoret.
Que Diane Kurys ait eu envie de raconter cette belle histoire d’amour au long cours, n’a rien en soi de bien étonnant. Parce que l’aventure Montand-Signoret, sur les plans amoureux, artistiques et politiques, mérite autant l’intérêt que les biopics de Claude François (Cloclo, 2012), Edith Piaf (La môme, 2007), Dalida (Dalida, 2017) ou Charles Aznavour (Monsieur Aznavour, 2024) sans même parler du Johnny à venir par Cédric Jimenez et Raphaël Quenard dans le rôle du rockeur…
Diane Kurys qui retrouve, ici, le grand écran, sept ans après l’oubliable Ma mère est folle, donne, ici, une plaisante illustration de ce vrai sous-genre cinématographique qu’est le biopic. D’ailleurs, le film assume d’emblée la fiction en s’ouvrant dans les coulisses, devant des miroirs, où les comédiens s’apprêtent à entrer dans leurs personnages. Et ce sont évidemment des personnages plus grands que nature qui s’offrent à eux.
Et puis, on glisse à une interview où il est question de l’Oscar de la meilleure actrice remporté par Signoret, première Française à s’imposer pour la prestigieuse statuette, pour Room at the Top (Les chemins de la haute ville), le film anglais (1959) de Jack Clayton. Forcément, la comédienne en vient à parler de ce Montand qu’elle « essaye de ne pas quitter trop longtemps » pour dire « On s’aime et on s’aime bien ».

Dans l'intimité de deux monstres sacrés. DR

Dans l’intimité de deux monstres sacrés. DR

« Le point de départ, dit la cinéaste, c’était Simone Signoret. La femme, l’actrice. Il y a quelque chose de fascinant chez elle ; une force, une détermination, mêlées à une sorte de fragilité, de vulnérabilité. Avant de commencer à écrire, elle me semblait à la fois impressionnante et un peu pathétique. Les bons personnages sont toujours faits de ces contrastes. Ce sont leurs ombres qui définissent leurs contours, comme les frontières de certains pays inconnus. »
Diane Kurys qui a a travaillé cinq années durant sur ce film avec la scénariste Martine Moriconi (avec laquelle elle avait déjà fait un autre biopic, en l’occurrence Sagan en 2008) réussit à nous faire entrer dans les vies foisonnantes de deux monstres sacrés alors que Signoret travaille de moins en moins et boit de plus en plus tandis que Montand surfe sur les succès et aligne les conquêtes. Revient alors l’évocation de Marilyn Monroe et de la liaison passionnée née en 1960, pendant le tournage de Let’s Make Love (Le milliardaire) alors que les deux stars sont mariées, chacune de leur côté avec Arthur Miller et Simone Signoret. Et, sans réelle surprise, on comprend que ce fut une terrible souffrance pour cette dernière. Elle dira même : «J’aurai pu la tuer… »
Le film enchaîne les scènes où une Signoret, occupée à un tricot, fait répéter Montand tandis que celui-ci lui reproche : « C’est de ta faute si tu ne tournes pas… » et que l’autre souffle : « Personne ne veut plus de moi», celle où Montand parle avec Claude Sautet du travail sur Vincent, François, Paul et les autres, celle où le couple évoque, à l’occasion d’un voyage en URSS (où les gens ont une profonde tristesse dans le regard) les désillusions de son engagement à gauche, celle où ils évoquent, avec François Périer et leurs amis, la beauté de l’italien Nous nous sommes tant aimés, celle aussi où Simone Signoret se lance dans l’écriture du magnifique La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, celle d’un anniversaire chez Prunier…

Simone Signoret, une femme qui a toujours eu peur. DR

Simone Signoret, une femme
qui a toujours eu peur. DR

Ainsi, au fil de deux heures de cinéma, s’enchaînent les jours et les heures d’un couple qui s’aime et se déteste à la fois. Car ce balancement lancinant entre ces deux sentiments traverse tout le film. Mais, tandis que le film avance, on note que Diane Kurys s’attache quand même davantage à cette Simone Kaminker, née en 1921 à Wiesbaden dans une famille d’origine juive polonaise devenue Signoret, fabuleuse de beauté dans Casque d’or (1952) de Jacques Becker.
« Je pense, dit la réalisatrice, qu’il y avait une volonté de jouir de la vie et aussi une sorte de paresse chez elle. Elle l’affirmait dans ses interviews : elle n’a pas voulu transformer son apparence et elle n’a pas fait d’effort pour perdre du poids. À l’inverse, Montand était très soucieux de son hygiène de vie. Simone s’est laissé aller, avec un côté autodestructeur. Je pense qu’elle cherchait peut-être à punir Montand pour ses trahisons. »
Alors Moi qui t’aimais montre, au-delà de l’alcool, des cigarettes, des rides, des kilos en trop, une femme en souffrance. Quand elle sent la fin venir, elle confie à Serge Reggiani, l’ami de toujours : « La vraie Simone, elle a eu peur toute sa vie. »

Simone avec Serge Reggiani (Thierry de Peretti), son ami de toujours. DR

Simone avec Serge Reggiani (Thierry de Peretti), son ami de toujours. DR

Bien sûr, la mise en scène de Diane Kurys n’est pas particulièrement remarquable mais ça reste du cinéma classique et propre et comme souvent c’est l’interprétation qui va faire la différence. Roschdy Zem nous laisse un peu dans l’expectative. Parfois, il est juste et parfois, on se dit que Montand n’est pas tout à fait là. Ce n’est pas le cas de Marina Foïs qui éclaire littéralement sa Simone Signoret en l’habitant pleinement. Cheveux gris, veste en laine ou gilet noir sur chemise blanche, Signoret est là, dans l’attente de son Montand toujours en vadrouille, professionnelle et sentimentale. « Ça me plaît bien d’avoir un homme qui plaît bien » glisse-t-elle. Mais est-ce bien vrai ? Plus tard, elle dit : « J’ai cru que tu ne reviendrais pas. Je t’aime. »
Enfin, il y a ce beau moment de cinéma où Signoret revient au cinéma pour incarner Madame Rosa dans La vie devant soi de Moshé Mizrahi. Signoret n’est plus au top des comédiennes françaises. Montand lui dit qu’elle n’aurait pas dû accepter ce rôle. Signoret doute d’elle. Elle songe à abandonner le film. Mais la profession lui offrira le César 1978 de la meilleure actrice. Un tatouage sur l’avant-bras qui rappelle qu’elle fut déportée à Auschwitz, Signoret se glisse dans la peau de cette ex-prostituée juive de Belleville qui dit au petit Momo : « J’avais peur que tu deviennes grand trop vite… » Signoret est pathétique. Marina Foïs est superbe.

TOI QUI M’AIMAIS Comédie dramatique (France – 1h59) de Diane Kurys avec Marina Foïs, Roschdy Zem, Thierry de Peretti, Vincent Colombe, Pauline Cassan, Raphaëlle Rousseau, Xavier Robic, Cécile Brune, Sébastien Pouderoux, Leonor Oberson, Timothée de Fombelle, Yuval Rozman. Dans les salles le 1er octobre.

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