DE JEUNES EXISTENCES FRACASSÉES ET LE MAL-ÊTRE DE KATIA
JEUNES MÈRES
A un arrêt de bus, on remarque une jeune fille au ventre rond. A une femme, elle demande : « Madame vous attendez une fille qui s’appelle Jessica ? » En quelques images, les frères Dardenne installent une atmosphère. On est tout de suite du côté de cette Jessica qui va éclater à propos de sa mère qui l’a jetée. Tenants d’un cinéma social européen, on retrouve d’emblée, ici, le style de Luc et Jean-Pierre Dardenne qui s’est nourri autant du néoréalisme italien que des œuvres de Maurice Pialat. Ainsi, dans les pas de Jessica et des autres pensionnaires, on se glisse dans cette communauté qu’est la maison maternelle qui accueille des jeunes mères. En décembre 2023, pour l’écriture d’un scénario, les Dardenne visitent une maison maternelle près de Liège, échangent avec les jeunes mères célibataires, pour la plupart mineures, les éducatrices, la psychologue. Ils sont d’abord attirés par la vie commune dans ce lieu, les repas, les bains donnés aux bébés, les discussions à propos de thèmes liés à la maternité, à la violence, aux addictions… Avec ce matériau, ils vont écrire, pour leur treizième long-métrage, une aventure à quatre personnages principaux et un cinquième (Naïma) dont l’histoire est brève. Ils rassemblent, ici, quatre trajectoires en les entremêlant avec une impressionnante fluidité et en s’attachant à porter attention à l’individualité de chaque personnage. Cela, tout en mettant clairement en lumière ce qui les relie. La maternité précoce liée à la détermination sociale de la pauvreté et des carences affectives. A travers tout le film, on évoque ainsi la famille d’où elles viennent, où elles retourneront ou ne retourneront pas, le père souvent absent ou inexistant, l’avenir avec l’enfant ou sans l’enfant confié à une famille d’accueil ou encore leur avenir scolaire et professionnel, leur capacité de vie autonome. Filmées au plus près avec un regard empathique, Perla se souvient d’une mère alcoolique qui avait noyé son canari dans l’eau des toilettes. Ariane retrouve sa mère. Cette dernière l’assure qu’elle ne boit plus mais la fille souffle « Je ne vais pas revenir! Je ne veux plus connaître la misère, c’est tout. » Ariane est décidée à placer sa petite Lili dans une famille d’accueil. Lorsqu’enfin, elle rencontre la famille d’accueil, elle leur pose une question. « Vous faites de la musique ? Je voudrais que vous lui appreniez la musique… » Comme une histoire sans fin qui est celle de jeunes existences fracassées, Jeunes mères s’avance, implacable, dans une sorte de routine ou de répétition placée sous le signe de la détresse. Avec Dylan et Mia, Julie rend visite à son ancienne institutrice. Cette dame se met au piano pour jouer quelque chose de gai. Dans ce film sans musique, s’élèvent les accents enjoués de la Marche turque de Mozart. Julie et Dylan sourient. Mia gazouille. Comme une lueur d’espérance dans un monde sans joie ? (Blaq Out)
DIFFÉRENTE
Katia flippe ! Dans l’open space de la petite société de communication où elle travaille comme documentaliste, la jeune femme ne sent pas à l’aise. Et comme la boîte annonce des licenciements économiques, Katia est encore un peu plus stressée. Elle répète : « Je suis virée ? » Pourtant elle fait bien son boulot et tout le monde loue son professionnalisme. Son amie Marie, avec qui elle pratique la boxe, lui dit bien de ne pas trop s’en faire, mais justement rien n’y fait. Fred, son amoureux avec qui elle vient de renouer après un moment de flottement, lui avoue qu’il est malheureux sans elle mais ajoute « Tu n’es pas la fille la plus simple non plus ! » Quatrième long-métrage de cinéma de Lola Doillon (la fille de Jacques Doillon), Différente est un film tout à fait malin qui fonctionne comme une comédie dramatique et même romantique lorsque se dessine la reprise du sentiment amoureux qui unit Katia et Fred. Mais, dans le même temps et sans que le propos ne devienne documentaire, Différente va s’imposer comme un magnifique portrait d’une jeune femme qui mène une vie ordinaire et qui se demande, sans comprendre, pourquoi elle est toujours si mal dans son être. C’est lorsque, par hasard, on lui demande de préparer un reportage sur l’autisme que Katia va avoir, d’une certaine manière, la révélation de sa différence. Pour les besoins de son enquête, elle assiste à un colloque et doit interviewer Romane Vainedeau, experte du sujet (interprétée par Julie Dachez, elle-même experte et conférencière sur l’autisme). Rapidement, elle entend parler d’Asperger, de trouble du spectre autiste sans déficience intellectuelle, du fait que les femmes autistes réussissent mieux à se camoufler socialement. Au gré de ses recherches, Katia va s’interroger sur son identité. Si la cinéaste place au centre de son propos le cheminement amoureux de Fred et Katia pour observer le décalage des ressentis et des réactions, Différente, qui se déroule dans les décors de Nantes, offre aussi une représentation de l’autisme éloigné des stéréotypes habituels. Lola Doillon, en s’entourant de spécialistes, évoque la difficulté du diagnostic, le manque de professionnels formés, le retard de la France, l’influence de la psychanalyse, la difficulté d’accès à l’emploi ou à obtenir les aménagements nécessaires. Mais tout cela passe tout en finesse car on ne perd jamais de vue Katia et son parcours de vie. La réalisatrice colle quasiment toujours à ce personnage fragile auquel sa mère se plait à rappeler l’enfant « sauvage » timide et craintive qu’elle était mais qui devenait très loquace quand elle devisait avec son amie imaginaire. Et finalement, une surprise viendra bouleverser le couple… Si Différente est une œuvre forte et intense, c’est dû aussi à l’interprétation incandescente de la comédienne et musicienne Jehnny Beth. (Blaq Out)
BILBAO – CANICHE – LOLA
Révélé au public international en 1992 avec Jambon, Jambon, savoureuse satire du machisme espagnol, découvreur des acteurs Javier Bardem, Penélope Cruz et Ariadna Gil, le cinéaste Bigas Luna (1946-2013) entre dans le cinéma à l’heure où le régime franquiste vit ses derniers moments. Comme le note Maxime Lachaud, journaliste et grand amateur des marges du cinéma, dans le livret (100 pages) qui accompagne ce beau coffret : « Dans le contexte de l’après-censure franquiste, le cinéma espagnol avait besoin de se défouler en investiguant la sexualité dans toute sa diversité et ses fétichismes, et en allant dans des territoires tabous, voire pervers… » Dans cette « période noire : 1977-1987 », Artus Films a puisé trois films rares dans lesquels le cinéaste barcelonais explore donc des sujets sulfureux dans des climats étranges et inquiétants mais volontiers traversés par de l’humour noir. L’univers obsessionnel de Bigas Luna, « homme de scandale et de parole » selon la formule de Penelope Cruz, va pouvoir éclore avec des premiers films qui adoptent entièrement le monde de la nuit sur fond d’ombres, de songes, de pulsions. Et de transgressions. « Les ambiances claustrophobiques, les pièces mal éclairées, dit encore Lachaud, les gros plans quasi-abstraits en font des aussi des films sombres au sens littéral. Et, dans ce monde, le corps, la bestialité, la chair (et la chère! ndlr), les cris et les humeurs tiennent le premier rôle ». Ainsi Bilbao (1978), sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, nous fait entrer dans la psyché de Léo, un sociopathe fétichiste obsédé par une stripteaseuse prostituée (Isabel Pisano) L’année suivante, Caniche aborde clairement le thème de la zoophilie avec Angel (Angel Jové) et Eloisa (Consol Tura), un frère et une sœur, « couple fusionnel » qui ont des rapports très particuliers au caniche Dany pour elle et à de multiples molosses pour lui. Mais au-delà de ces perversités, Caniche, qui fait parfois songer au cinéma de Carlos Saura, offre une critique virulente de la société capitaliste (sœur et frère attendent impatiemment un héritage), de la bourgeoisie et de la famille dans un contexte post-Franco. Quelques années plus tard, Lola (1986), avec l’aventure d’une jeune femme (Angela Molina) dévorée par ses pulsions, poursuit cette exploration d’un érotisme bestial et morbide qui en appelle à des visions surréalistes qui ne sont pas sans faire référence à l’oeuvre de Dali, Bunuel mais aussi aux peintures de Goya. Mettant en valeur un cinéma résolument libre, voici une belle découverte à la fois sensuelle, addictive, symbolique, rabelaisienne, hypnotique, culinaire, onirique, dérangeante et mystique ! Excusez du peu ! (Artus Films)
COFFRET TAKASHI ISHII
Figure marquante du cinéma japonais, Takashi Ishii commence sa carrière dans les années 1970 en tant que dessinateur de manga pour adultes, les gekiga, proches du roman graphique avant de transposer au cinéma ses propres œuvres, notamment la célèbre série Angel Guts. Il scénarise et met ensuite en scène plusieurs pink film (film roses ou érotiques) issus de ses mangas des années 1970 avant de se faire remarquer avec des œuvres plus ambitieuses… Ce sont quatre de ces films à découvrir pour la première fois Blu-ray dans une nouvelle restauration 2K que réunit le coffret Takashi Ishii sous-titré Aventures et mésaventures de l’héroïne Nami. Situés dans un Japon interlope et magnétique, les quatre films, tous en couleurs, mettent en vedette le personnage culte d’Ishii (1946-2022), en l’occurrence la séduisante mais tourmentée Nami Tsuchiya, une héroïne aux prises avec la masculinité toxique qui gangrène la société, agissant comme un puissant révélateur de la violence et de la complexité des relations humaines. Original Sin (1992) raconte comment Nami (l’actrice Shinobu Otake), mariée à un agent immobilier d’âge mûr, entame une liaison avec Makoto, leur nouvel et jeune employé. Obsédé par sa maîtresse, celui-ci fomente un plan pour se débarrasser du mari… Dans A Night in Nude (1993) on découvre un certain Jiro, « remplaçant professionnel », qui accomplit pour ses clients les tâches les plus ingrates du quotidien. Lorsque la belle et mystérieuse Nami (l’actrice Kimiko Yo) fait irruption dans son bureau, le voilà entraîné malgré lui dans l’assassinat d’un violent yakuza… Alone in the Night (1994) présente une Nami dévastée par la mort de son mari, agent infiltré au sein d’un clan de yakuzas. Au lieu d’être enterré avec les égards qui lui sont dus, celui-ci est accusé d’être impliqué dans le crime organisé. Nami (l’actrice Natsukama Yui) décide alors de se venger pour laver son honneur… Avec Angel Guts : Red Flash (1994), on retrouve Nami (l’actrice Maiko Kawakami) travaillant comme graphiste au sein de la rédaction d’un magazine. Elle accepte au pied levé de remplacer le photographe de plateau sur le tournage d’un film pornographique. Mais une scène de viol brutale réveille en elle des souvenirs enfouis. Elle va bientôt se réveiller dans un love-hôtel avec le cadavre de son violeur à ses côtés. D’étranges événements commencent alors à se produire… On trouve enfin dans ce beau coffret décoré du regard de la belle Nami, de nombreux suppléments dont quatre entretiens (62 mn) avec le réalisateur Takashi Ishii et huit autres entretiens (88 mn) avec les membres des équipes des films. Enfin Matthew E. Carter signe un essai video (16 mn) intitulé Les multiples visages de Nami. Entre thriller, film de yakuza et pinku eiga ou film rose érotique, voici une nouvelle pierre dans le beau travail de Carlotta sur le cinéma asiatique. (Carlotta)
ONCE UPON A TIME IN GAZA
A Gaza, en 2007, Yahia, étudiant rêveur, est vendeur de falafels. Il se lie d’amitié avec Osama, dealer charismatique au grand cœur. Ensemble, ils montent un trafic de drogue, caché dans leur modeste échoppe. Les deux hommes vivotent comme tous les Palestiniens enfermés à Gaza. Mais ils ont, en plus, sur le dos un policier véreux, Abou Sami. Deux ans plus tard, Yahya, à qui le ministère de la Culture propose le premier rôle du Rebelle, un film de propagande à la gloire des martyrs, croise à nouveau le chemin du flic ripou qui a été depuis promu… Jumeaux nés en 1988 dans la bande de Gaza, Arab et Tarzan Nasser sont connus pour leur long-métrage Gaza mon amour présenté en première à la Mostra de Venise 2020 et sélectionné comme candidat palestinien pour l’Oscar du meilleur film international lors de la 93e cérémonie, mais sans être retenu parmi les nominations. Opposés au Hamas, les deux frères Nasser vivent en exil en France depuis 2011, tout en continuant de montrer le quotidien de la Palestine. Once Upon a Time in Gaza, leur troisième long-métrage, est présenté dans la sélection Un certain regard à Cannes 2025 et remporte le prix de la meilleure réalisation dans cette section parallèle. Sans s’interdire l’humour, voire le burlesque, les frères Nasser ont choisi de raconter au plus près la vie d’anonymes vivant le quotidien de l’enclave palestinienne tout en faisant un film dans le film avec « le premier film d’action tourné à Gaza » et en évoquant aussi l’actualité récente avec notamment les déclarations de Trump sur son projet de « riviera du Moyen-Orient ». Mais Once upon… (tourné dans un camp de réfugiés de Jordanie) se situe en 2007 et les deux réalisateurs expliquent que ce choix n’est pas anodin : « C’était une année charnière qui a profondément influencé le cours des événements à Gaza jusqu’à aujourd’hui. Cette année a suivi la victoire du Hamas aux élections législatives, qui a conduit à un blocus militaire, politique et économique. Israël considérait Gaza comme une entité hostile et a imposé un siège asphyxiant et inhumain sur plus de deux millions de personnes. Nous avons choisi cette année, car elle a marqué un tournant brutal. » Si Arab et Tarzan Nasser affirment qu’ils essayent juste de faire du cinéma, ils constatent cependant qu’il est très difficile, à Gaza et en Palestine en général, d’échapper à la politique. Parce qu’elle contrôle tout, y compris la vie quotidienne des gens. Au départ, ils songeaient même à faire un… western. « C’est pourquoi, disent-ils, que nos trois personnages sont un bon, un méchant et un affreux… » (Blaq Out)
LE RETOUR A LA RAISON
Les éditions DVD permettent de temps à autre, de fameux moments de cinéphilie et d’histoire du 7e art mêlées ! C’est le cas avec ce programme de quatre courts métrages de Man Ray sur une musique de SQÜRL, le duo musical formé par Jim Jarmush et Carter Logan. De son vrai nom Emmanuel Radnitsky, Man Ray (1890-1976) est un artiste américain connu pour un œuvre protéiforme, englobant la peinture, la photographie, la sculpture, le cinéma et la création d’objets. Installé à Paris en 1921, il rejoint le mouvement surréaliste grâce à Marcel Duchamp et collabore avec des figures emblématiques comme André Breton, Louis Aragon, Paul Eluard et Salvador Dalí. En 1923, il exploite sur une pellicule de film le procédé photographique de la rayographie qu’il venait de mettre au point. Il crée des séquences abstraites et hypnotiques à l’aide de clous, de ressorts, de cristaux, de punaises ou de cordes qui fourmillent sur l’écran. La poésie surréaliste prend forme par associations : du sel jeté sur la pellicule conduit à un champ de marguerites, le mot « dancer » peut être lu comme « danger »… pour finir par des jeux d’ombre et de lumière captés sur le buste nu d’une de ses égéries de l’époque. Avec Emak-Bakia (1926), Man Ray étend son exploration des techniques pour satisfaire son imagination. En plus de la double exposition et de la rayographie qu’il maîtrise déjà, il expérimente l’animation en stop motion. Des sculptures de Pablo Picasso, des formes géométriques ou du papier découpé prennent vie. L’oeil objectif de Man Ray met ce Cinépoème en marche, en marche saccadée par les ruptures de rythme. L’étoile de mer (1928) est un poème de Robert Desnos tel que l’a vu Man Ray. Au fil de la lecture à voix haute par Desnos de son poème, Man Ray visualise des images qui lui inspirent matière à réaliser un film surréaliste. L’étoile de mer représente l’amour, l’amour impossible, l’amour perdu. Kiki de Montparnasse et André de la Rivière sont les spectres qui incarnent cet amour né dans la réalité, qui se poursuit et se finit un rêve tragique. On découvre aussi Les mystères du château du Dé, commandé en 1929 par Charles et Marie-Laure de Noailles à Man Ray. Le couple souhaite que l’artiste réalise un film ayant pour cadre leur villa ultra moderne construite par Mallet Stevens sur les hauteurs de Hyères. Un coup de dé jamais n’abolit le hasard, le poème de Mallarmé, lui inspire le titre et le thème du film. Man Ray en fait le plus « scénarisé » de ses films. Des dés, jetés à Paris, nous embarquent à bord d’une voiture roulant à tombeau ouvert jusqu’à la villa Noailles. La caméra, tantôt subjective, tantôt objective, nous perd dans le château cubiste. (Potemkine)
L’ANGOISSE DU GARDIEN DE BUT A L’INSTANT DU PENALTY
Joseph Bloch est gardien de but de classe internationale. Lors d’une rencontre à Vienne, il « décroche », encaisse un but et se fait expulser par l’arbitre. Il entame alors une errance dans la métropole autrichienne, prend une chambre d’hôtel et va au cinéma. Le lendemain, il passe la nuit avec la caissière du cinéma et finit par l’étrangler au petit matin, sans raison. Bloch prend ses affaires et part en autocar pour la petite ville de Bierbaum où il essaie de renouer avec Hertha, son ex-petite amie. Mais là-bas, il y a beaucoup de policiers sur les routes en raison de la disparition d’un enfant. En lisant les articles de presse, il s’informe de l’avancement de l’enquête et apprend qu’il a laissé une piste avec des pièces de monnaie américaines tombées d’une poche endommagée de son veston. En assistant à un match de football, il explique à son voisin, à l’occasion d’un penalty, à quel point le gardien de but et le tireur doivent se concentrer mentalement l’un sur l’autre. Le film se termine par l’arrêt du penalty. On ne saura pas si Bloch sera arrêté. Avec Die Angst des Tormanns beim Elfmeter (en v.o.) Wim Wenders tourne, en 1971, son second long-métrage après Summer in the City (1970). Entouré de ses futurs fidèles collaborateurs (Robby Müller à la caméra, Peter Przygodda au montage), le cinéaste allemand entame sa collaboration avec l’écrivain autrichien Peter Handke en adaptant son roman éponyme publié en 1970. Déjà apparaissent les thèmes que Wenders développera dans ses films suivants, en l’occurrence la place de l’homme face à l’existence, face aux femmes, l’errance, la frontière… La fuite en avant de Bloch (Arthur Brauss), archétype de l’antihéros, rappelant l’errance existentielle du protagoniste de L’étranger d’Albert Camus mais aussi les œuvres de Michael Haneke, se drape d’une mise en scène sobre et stylisée, révélant un style inimitable. L’angoisse... est présenté dans une édition restaurée 4K (supervisée par la fondation Wim Wenders) et, pour la première fois, en Blu-ray. Dans les suppléments, on trouve un entretien (14 mn) filmé en 2017 dans lequel le réalisateur revient sur sa première véritable expérience de tournage et sur le combat mené durant des années pour obtenir les droits d’auteur sur la musique de son film. (Carlotta)
L’ETAT DES CHOSES
Sur la côte désertique du Portugal, le tournage des Survivants, un film de science-fiction, s’interrompt faute de pellicule. La production est à court d’argent. L’équipe est immobilisée dans un vieil hôtel dévasté par les tempêtes. Le réalisateur, Friedrich Munro, est un leader philosophe, qui entretient une relation paternelle avec les membres de son équipe. Il veille à leur bien-être physique, mais aussi émotionnel. Soutenu par Joe, son cadreur, il reste solide comme un roc au milieu de la crise, maintenant son équipe concentrée sur son objectif créatif pendant cette période de vacuité, dans l’attente d’un apport de fonds qui permettra de reprendre le travail. Les jours passent sans nouvelles du producteur qui se trouve aux États-Unis et les membres de l’équipe s’occupent à tenir à l’écart la menace de l’ennui prêt à les submerger. Ils se rapprochent les uns des autres, forcés à des relations plus personnelles qu’il n’est d’usage lors des tournages. C’est le bon côté de l’épreuve qu’ils traversent. Mais à mesure que les jours deviennent des semaines, l’appréhension commence à dominer. Joe doit retourner chez lui pour rejoindre sa femme qui est mourante, et laisse avec réticence Friedrich gérer seul une situation qui va s’aggravant… Dix ans après L’angoisse… et alors qu’il a déjà donné Faux mouvement (1975) et L’ami américain (1977), Wim Wenders s’attelle à l’exemple même du film dans le film et propose une brillante réflexion sur le cinéma. Der Stand der Dinge (en v.o.) s’inspire largement de la première expérience hollywoodienne vécue par Wim Wenders sur son film Hammett (1982) dont le tournage avait dû être interrompu à plusieurs reprises. Cette mise en abyme du cinéma, où l’on croise les réalisateurs Samuel Fuller (Joe, le cadreur) et Roger Corman, interroge les différences existant entre les modes de production européen et américain, et vient rejoindre le panthéon des grandes œuvres réflexives sur le septième art, comme La nuit américaine ou Le mépris. Lauréat du Lion d’or à la Mostra de Venise 1982, L’état des choses est à découvrir en Blu-ray dans une restauration 4K supervisée par la Fondation Wim Wenders. Dans les suppléments, on trouve un entretien (18 mn) mené en 2001 par l’écrivain, producteur et intellectuel allemand Roger Willemsen, dans lequel Wenders parle de ce long-métrage tourné au jour le jour au Portugal avec l’équipe du film Le territoire de Raoul Ruiz, qui lui redonna l’envie de diriger aux États-Unis. On y voit aussi une petite demi-heure de scènes coupées. (Carlotta)
THE END OF VIOLENCE
Tout semble réussir au producteur multimédia Mike Max jusqu’au jour où son assistante l’informe qu’un dossier confidentiel du FBI a atterri dans sa boîte mail tandis que Page, sa femme, menace de le quitter. De fait, deux hommes ont pour mission de tuer Mike Max qui a bâti sa carrière sur l’exploitation de la violence. Ils réussissent à l’enlever mais, le lendemain, ce sont leurs corps décapités qui sont découverts. Tous les soupçons se portent sur Mike, qui a disparu. Chargé de l’affaire, l’inspecteur Dean Brock en vient vite à se demander si le producteur n’est pas plutôt la victime d’un complot qui lui échappe. En parallèle, Ray Bering, un ancien de la NASA, mène l’enquête sur un écran de surveillance du laboratoire top secret qu’il a installé au sein de l’observatoire de Griffith Park… Avec ce film aux allures de polar sans concession, Wenders fait son grand retour aux États-Unis, treize ans après son chef-d’œuvre Paris, Texas. Magnifiée par un superbe trio de stars, Bill Pullman (Lost Highway), Andie MacDowell (Un jour sans fin) et Gabriel Byrne (Usual Suspects), cette enquête trépidante sur l’envers du décor de Hollywood pointe du doigt les dérives d’une société occidentale superficielle régie par l’image. Pour le plaisir, on croise aussi, ici, dans de petits rôles l’ami Sam Fuller, l’épatant Pruitt Taylor Vince ou encore Frederic Forrest (1936-2023) auquel Wenders confia le rôle principal de Hammett. Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 1997, The End of Violence est à découvrir, pour la première fois, en Blu-ray dans sa nouvelle restauration 4K supervisée par la Fondation Wim Wenders et MK2 Films. Dans ce film à l’intrigue parfois décousue et toujours dans une forme de distanciation, Wim Wenders poursuit sa réflexion sur le pouvoir des images et des histoires au sein d’une société où l’image passe avant tout, déshumanisant les individus. Le clin à l’Amérique est patent avec la scène qui reconstitue le diner peint par Edward Hopper dans son célèbre tableau Nighthawks. Dans les suppléments, on trouve un entretien (42 mn) avec Wim Wenders réalisé cette année dans lequel le cinéaste se remémore l’aventure du film à travers son casting fabuleux, la musique de Ry Cooder, la violence intra-urbaine de Los Angeles et sa projection officielle pour le cinquantenaire du Festival de Cannes. Avec Wenders et l’Amérique (23 mn), Luc Lagier, le créateur de Blow Up, l’excellent web-magazine d’Arte consacré au cinéma, retrace la biographie ainsi que la filmographie de Wim Wenders, ses attirances et ses déceptions à l’égard du cinéma américain. (Carlotta/MK2)
BLADE RUNNER
En novembre 2019, Los Angeles est une mégalopole pluvieuse et crépusculaire, perpétuellement couverte de smog. La planète a vu disparaitre la quasi-totalité de la faune, à la suite de la surexploitation, de la pollution, des guerres nucléaires et du dérèglement climatique d’origine anthropique. La population est encouragée à émigrer vers les colonies situées sur d’autres planètes. Pour les besoins des humains, ont été créés des animaux artificiels, ainsi que des androïdes, non pas des robots mécaniques mais des êtres vivants dont les organes, fabriqués indépendamment, et par manipulation génétique, sont assemblés pour leur donner apparence humaine. On les nomme « réplicants » et ils sont considérés comme des esclaves modernes, et utilisés pour les travaux pénibles ou dangereux, dans les forces armées ou comme objets de plaisir. Les « réplicants » sont fabriqués par la Tyrell Corporation, dirigée par Eldon Tyrell, dont le siège est installé dans le colossal building pyramidal qui domine la ville. Après une révolte sanglante et inexpliquée de « réplicants » dans une colonie martienne, ceux-ci sont désormais interdits sur Terre. Les Blade runners, des unités de police spéciales, interviennent pour appliquer la loi contre les contrevenants androïdes, qui consiste à tuer tout « réplicant » en situation irrégulière. En fait, on parle plus banalement de « retrait ». On ne tue pas une machine. On la retire du service. Comme les androïdes les plus modernes sont difficiles à distinguer des humains, la mission des Blade runners est complexe. Ils doivent enquêter longuement afin d’avoir la certitude qu’il s’agit bien d’un androïde à détruire. Ancien Blade runner, Rick Deckard a repris du service pour une mission périlleuse : retrouver quatre Nexus 6, modèles avancés menés par l’énigmatique Roy Batty et en fuite après avoir détourné une navette spatiale. Les Nexus 6 sont des androïdes parfaits, supérieurs physiquement et, pour certains, intellectuellement aux humains. Dépourvu d’émotions, la durée de vie de ces esclaves est limitée, par prudence, à quatre ans. Révoltés, les six Nexus sont signalés sur Terre… Lorsqu’au début des années 80, Ridley Scott se lance dans ce projet de science-fiction en adaptant (librement) le roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? du maître Philip K. Dick, les choses ne sont pas simples. Le tournage est difficile, les producteurs pas satisfaits. Le film est un échec commercial et la critique est virulente. A l’international, Blade runner tire son épingle du jeu. Mieux, le film va prendre rang de chef d’oeuvre de la SF avec une version director’s cut, approuvée par Ridley Scott, sortie en 1992. Une version qui instaure plus clairement le doute quant à la nature réelle de Rick Deckard et renforce la thématique du questionnement sur l’humanité. Porté par un Harrison Ford remarquable en Rick Deckard et un Rutger Hauer inquiétant en Roy Batty, Blade runner The Final Cut, désormais film-culte présenté dans une édition 4K Ultra HD, va installer un style visuel qui fait référence dans la science-fiction. On replonge toujours, avec le même plaisir, dans la ville tentaculaire avec son atmosphère glauque, l’omniprésence de la pluie et de la publicité, la foule pauvre, avançant tête basse… Ici, la cité des anges n’a plus fière allure… (Warner)
MARAT-SADE
Interné à l’asile d’aliénés de Charenton, dans la France du début du 19e siècle, le marquis de Sade (Patrick Magee) met en scène avec les autres patients l’assassinat de l’écrivain révolutionnaire Jean-Paul Marat (Ian Richardson) par Charlotte Corday (Glenda Jackson). Mêlant théâtre et folie dans une réflexion sur la révolution et la violence, le film réalisé en 1966 par le Britannico-français Peter Brook (1925-2022) est tiré de la mise en scène qu’il monta avec les comédiens de la Royal Shakespeare Company. L’auteur avait choisi de filmer sa propre mise en scène plutôt que de créer un scénario original, comme il l’avait initialement envisagé. Adaptation fidèle de la pièce de Peter Weiss, le film conserve sa structure et son ambiance théâtrale. Marat-Sade marqua un tournant dans la carrière de Peter Brook, qui se consacre ensuite principalement à filmer du théâtre ou de l’opéra, en tentant de réinventer le rapport de la caméra à l’espace théâtral. Pour explorer les conflits entre l’idéalisme radical de Marat et le nihilisme libertin de Sade, Brook utilise des dispositifs avant-gardistes pour capturer l’essence du théâtre sur pellicule. Dans cette œuvre unique où l’expérience théâtrale se combine avec la subjectivité du cadre cinématographique, se mêlent document historique, psychodrame et dispute philosophique. Ecrite en 1963, la pièce de Peter Weiss, connue sous le titre de Marat-Sade, s’intitule en réalité La persécution et l’assassinat de Jean-Paul Marat représentés par le groupe théâtral de l’hospice de Charenton sous la direction de Monsieur de Sade. Ce texte a apporté la célébrité internationale à son auteur, suédois d’origine allemande, qui a fui le régime nazi avec ses parents (d’ascendance juive) dès 1934. Marat-Sade est structuré en 33 morceaux, tous titrés et qui traduisent une œuvre foisonnante jouant de la forme du théâtre dans le théâtre. En effet, Peter Weiss mêle document historique (l’assassinat de Marat par Charlotte Corday le 13 juillet 1793), le psychodrame (la représentation donnée par les malades en 1808) et la dispute philosophique entre Sade et Marat. Cette dernière est une totale invention du dramaturge puisque les deux hommes ne se sont jamais rencontrés. Toutefois elle lui permet de mettre en scène deux versants de la Révolution française afin d’interpeller les lecteurs/spectateurs d’aujourd’hui : « Ce qui nous intéresse dans la confrontation de Sade et de Marat, c’est le conflit entre l’individualisme poussé jusqu’à l’extrême et l’idée de bouleversement politique et social. » Peter Brook découvre la pièce peu de temps après sa création en 1964 et décide « de filmer autant l’aventure de la pièce que la pièce elle-même, en traquant, par les moyens du cinéma, les ressorts de sa théâtralité. » (MGM)
SEPT X FREDDY
Avec son chandail à rayures rouge et vert foncé, Freddy Krueger est entré pour toujours dans la légende du cinéma d’horreur… Ce personnage de fiction créé par Wes Craven et incarné pour la première fois par Robert Englund dans Les griffes de la nuit (1984) ainsi que dans les sept autres films de l’emblématique saga. Tueur en série brûlé vif par les parents de ses jeunes victimes, Freddy revient d’entre les morts sous forme démoniaque afin de poursuivre et assassiner des adolescents dans leurs rêves. Freddy Krueger est né le 1er février 1942, à l’hôpital psychiatrique de Westin Hills, à Springwood dans l’Ohio. Il est le résultat de multiples viols qu’avait subis Amanda Krueger, alors qu’elle était nonne stagiaire dans un service de cet hôpital qui s’occupait de fous dangereux. Freddy vit au sein d’une famille d’adoption, hostile à son égard et il est également le souffre-douleur de ses camarades de classe. À un âge déjà très précoce, Krueger présente des signes de sadisme. Il s’adonne aux meurtres de petits animaux. Il apprivoise la souffrance comme source de plaisir en s’auto-mutilant. À l’adolescence, Krueger assassine son tuteur, ivrogne notoire, à l’aide d’une lame de rasoir. Une vingtaine d’années plus tard, il épouse Loretta, une serveuse, avec laquelle il aura une fille, Katheryn. C’est durant cette période que Freddy confectionne une arme atypique, à l’aide d’un gant de jardinage, pourvue de lames de couteaux. Il s’en servira pour mettre à mort une vingtaine d’enfants du quartier après les avoir enlevés. Krueger utilisera la centrale thermique dans laquelle il travaille comme lieu pour commettre ses forfaits… Un beau coffret… rayé rouge et vert (en 4K – Ultra HD) regroupe les sept films de la saga, en l’occurrence Les griffes de la nuit (1984) de Wes Craven dans lequel Freddy, le tueur d’enfants d’Elm Street, fut assassiné par les parents de ses victimes avant de revenir d’entre les morts… Suivent La revanche de Freddy (1985) de Jack Sholder, Les griffes du cauchemar (1987) de Chuck Russell, Le cauchemar de Freddy (1988) de Renny Harlin, L’enfant du cauchemar (1989) de Stephen Hopkins, La fin de Freddy : l’ultime cauchemar (1991) de Rachel Talalay et enfin Freddy sort de la nuit (1994) qui voit le retour derrière la caméra de Wes Craven. Robert Englund a cité comme influence pour son Freddy la performance de Klaus Kinski dans le Nosferatu, fantôme de la nuit (1979) de Werner Herzog. (Warner)
MISSION IMPOSSIBLE THE FINAL RECKONING
Deux mois après avoir échappé à la capture dans les Alpes autrichiennes, l’agent de la Force Mission Impossible Ethan Hunt reste caché alors que l’intelligence artificielle connue sous le nom de L’Entité se révèle au monde, provoquant une panique généralisée, des troubles civils et la loi martiale. La présidente des États-Unis, Erika Sloane, ancienne directrice de la CIA, appelle Hunt à se rendre et remettre la clé cruciforme en sa possession, qui déverrouille le code source original de l’Entité stocké dans une chambre à l’intérieur du sous-marin russe coulé en 2012, le Sébastopol. À Londres, Ethan Hunt retrouve les membres de son équipe, Benji Dunn et Luther Stickell, qui souffre d’une maladie en phase terminale. Luther a créé un virus spécialisé, la « pilule empoisonnée », qui peut neutraliser l’Entité lorsqu’il est intégré à son code source. L’équipe décide de localiser Gabriel, son ennemi juré et liaison humaine de l’Entité, qui pourrait les aider à trouver le Sébastopol. Ethan et Benji sauvent l’ancienne sbire de Gabriel, Paris, d’une prison autrichienne et parviennent à convaincre l’agent Degas de les rejoindre. À l’ambassade des États-Unis, Hunt retrouve Grace, ancienne voleuse travaillant maintenant en tant qu’agent, missionnée par le directeur de la CIA pour le capturer. Au lieu de cela, ils unissent leurs forces pour traquer Gabriel, qui finit par les capturer et les torturer. Gabriel révèle que Hunt a contribué involontairement à la création de l’Entité des années plus tôt en volant un prototype d’arme nommée « La Patte de Lapin » dans un laboratoire de Shanghai pour sauver sa femme de l’époque, Julia, prisonnière du trafiquant d’armes Owen Davian… Qui ne connaît pas le sémillant (et increvable!) Ethan Hunt ! Ici, il est au coeur des multiples péripéties de Mission: Impossible – The Final Reckoning mis en scène par Christopher McQuarrie. Initialement intitulé Mission: Impossible – Dead Reckoning Part Two, le film prend finalement le titre de Mission Impossible – The Final Reckoning. Dans ce huitième et dernier opus de la saga Mission impossible, Hunt, accompagné de son équipe de la FMI, se lance dans la mission la plus périlleuse de sa vie. Et il en prendra plein la figure avant de triompher du Mal. Recevant un accueil plutôt mitigé de la part de la critique, le film a fait l’ouverture, hors compétition, du Festival de Cannes 2025 et est sorti, dans la foulée, dans les salles françaises, réunissant 2,5 millions de spectateurs, ce qui n’est quand même pas mal pour une huitième mouture ! Un divertissement fidèle à l’ADN de la saga… (Paramount)
9 SEMAINES ET DEMI
Elizabeth McGraw, divorcée, travaille à la Spring Street Gallery, une galerie d’art de New York. Tandis qu’elle fait ses courses chez un épicier chinois, un homme la remarque et provoque chez elle un certain émoi. Ce mystérieux inconnu ne tarde pas à l’aborder et l’invite à déjeuner dans un restaurant italien. Ainsi débute une relation torride, régie par des rapports de domination de plus en plus puissants. Elle durera neuf semaines et demie. Le Britannique Adrian Lyne accède, en 1983, à la notoriété en réalisant Flashdance, énorme succès mondial (4,1 millions d’entrées en France) avant de devenir le roi du thriller érotique du milieu des années 1980 avec successivement 9 semaines ½ (1986) et Liaison fatale (1987) dans lequel un avocat new-yorkais (Michael Douglas) tombe sous le charme vénéneux de la belle « Alex » Forrest (Glenn Close), une éditrice à la psyché (très) torturée. Ici, Lyne adapte Le corps étranger (Nine and a Half Weeks), un roman d’Ingeborg Day, publié en 1978 sous le nom de plume d’Elizabeth McNeill pour se concentrer sur la folle passion amoureuse qui habite John Gray, un type mystérieux, et la ravissante Elisabeth qui dévoile une sensualité de plus en plus intense. Ensemble, ils vont se précipiter dans un jeu érotique jusqu’aux limites de l’esclavagisme sexuel et du sadomasochisme. Outre la musique de Joe Cocker et le fameux You Can Leave Your Hat On, le film doit beaucoup à l’interprétation intense de Mickey Rourke et de Kim Basinger. Le premier n’a pas encore la gueule très cabossée qu’on lui connaîtra plus tard, par exemple dans l’excellent Wrestler (2008) d’Aronofsky. Mieux, il incarne alors, pour le grand public, le bel homme. Kim Basinger, elle, est au début de sa carrière, même si on l’a déjà vu chez Barry Levinson (Le meilleur, 1984) et Altman (Fool for Love, 1985) et elle est rayonnante. Empruntant une thématique des rapports sexuels sado-masochistes déjà développées par le Japonais Nagisa Oshima dans L’empire des sens (1976), le film de Lyne aura à connaître de la censure. Certaines scènes (simulation d’un suicide, sado-masochisme) tomberont dans la corbeille, Lyne regrettant cette censure sur des scènes cruciales qui faisaient perdre du sens au film.
Cette édition, restaurée pour le 40eanniversaire du film, est présentée avec la version non censurée du film et contient aussi Love in Paris (1997), suite de 9 semaines…, mise en scène d’Anne Goursaud dans laquelle on retrouve Mickey Rourke mais pas Kim Basinger. Raillé par la critique américaine, le film de Lyne fut un échec commercial aux USA mais un beau succès à l’international, avec, par exemple, 1,2 M d’entrées en France. (Warner)
STRIP-TEASE INTÉGRAL
Depuis sa création en 1985 à la télévision belge, Strip-Tease n’a jamais été une simple émission documentaire. Avec son refus des voix off et des interviews classiques, elle s’est imposée comme une œuvre d’observation radicale. À travers des portraits bruts et souvent dérangeants, elle a mis en lumière les absurdités de notre époque, du petit fonctionnaire zélé au grand naïf rêvant de succès. La disparition de Strip-Tease de France 3 en 2012 avait laissé un vide pour ceux qui cherchaient à comprendre le monde autrement qu’à travers les prismes partisans des chaînes d’information. La télé-réalité, avec son goût pour l’exagération et la caricature, a tenté de prendre le relais, mais sans jamais atteindre la profondeur de l’émission belge. Dix ans plus tard, alors que les débats politiques abondent et que la défiance envers les médias traditionnels grandit, Strip-Tease fait un intéressant retour et redonne à chacun la liberté d’interpréter ce qu’il voit. Un pari audacieux dans une époque où tout doit être expliqué, cadré et justifié. Strip-Tease intégral, programme qui rend le réel plus fascinant que la fiction, fait son retour sous la forme d’un documentaire de cinéma. Dans un monde saturé d’images mises en scène et d’opinions formatées, voici une observation froide et sans concession de la société. Son regard, parfois cruel, parfois attendri, permet une réflexion sur l’évolution des mentalités et des fractures sociales. Fidèle à l’esprit de la série culte qui a marqué les esprits en questionnant toujours la société et déclenché des vocations de cinéastes depuis près de trente ans, on retrouve ici, en deux heures, cinq peintures sensibles, touchantes, parfois absurdes, souvent drôles, tantôt sombres ou lumineuses – mais toujours aussi vraies que nature – des vanités de la société humaine dans leur plus merveilleuse banalité. Parmi les thématiques abordées : le déclassement et la précarité, les nouvelles croyances et idéologies, l’obsession de l’image et du paraître. En bonus, un entretien (26 mn) avec Jean Libon, l’un des co-créateurs de Strip-Tease. (Blaq Out)
THE RETURN – LE RETOUR D’ULYSSE
De retour de la guerre de Troie après vingt ans d’absence, Ulysse échoue sur les côtes d’Ithaque, son ancien royaume. Lui, le flamboyant vainqueur d’antan, héros de la guerre de Troie, n’est plus qu’un homme vieilli, fatigué et méconnaissable. Sa femme Pénélope, restée fidèle, vit prisonnière de sa propre demeure, repoussant tous les prétendants à la couronne. Télémaque, leur fils, qui n’a jamais connu son père, devient, lui, un obstacle pour ceux qui veulent s’emparer du pouvoir. Neveu du grand Luchino Visconti, Uberto Pasolini a commencé sa carrière comme banquier d’investissement avant de bifurquer vers la production cinématographique et de connaître un premier énorme succès avec The Full Monty (1997) de l’Anglais Peter Cattaneo. The Return est son quatrième film comme réalisateur venant après le très beau Still Life (2013) où Eddie Marsan incarnait un fonctionnaire municipal vivant dans une grande solitude… Avec cette adaptation de L’Odyssée, le cinéaste romain se concentre sur les derniers chants de l’épopée, lorsqu’Ulysse, enfin de retour à Ithaque, doit vaincre les prétendants de Pénélope et convaincre son épouse qu’il n’est pas un imposteur. Pour ce faire, Pasolini choisit une approche réaliste et minimaliste, s’éloignant des effets spéciaux et des éléments fantastiques traditionnels de l’oeuvre d’Homère. Tourné en Grèce, notamment à Corfou, le film repose, autour des thèmes de la guerre, de la famille et de rédemption, sur une esthétique dépouillée qui donne parfois le sentiment de la lenteur et surtout d’un manque d’ampleur épique, avec aussi un look un peu démodé. En fait, cette tragédie grecque tient beaucoup sur l’alchimie qui opère entre Ralph Fiennes et Juliette Binoche. Ils se retrouvent pour la première fois depuis 1996 et Le patient anglais qui valut un Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle à l’actrice française. Si Juliette Binoche est une Pénélope grave et presque hiératique, Ralph Fiennes campe Ulysse comme un spectre revenu des enfers, vacillant au bord du gouffre. Un mendiant écoutant, silencieux, l’évocation de ses aventures et plus encore de sa légende. (Blaq Out)
DRAGONS
Sur l’île accidentée de Beurk, où vikings et dragons s’affrontent en ennemis acharnés depuis des générations, Harold, le fils inventif mais maltraité du chef Stoïk, capture un dragon nommé Krokmou et va se lier d’amitié avec lui. Comme le jeune Harold veut faire changer les mentalités des autres vikings, leur relation va bouleverser les traditions et les idées reçues. Leur lien improbable révèle la véritable nature des dragons, remettant en question les fondements mêmes de la société viking. Mais une sérieuse menace commune se profile. Sorti en juin dernier en salles, Dragons, avec son habile mélange de live action, d’aventures et de fantasy, a connu un joli succès en réunissant plus de 2,5 millions de spectateurs en France. Le réalisateur canadien Dean DeBlois n’est pas un nouveau venu dans le domaine de l’animation. Ila travaillé avec Don Bluth puis a rejoint Disney comme superviseur, avec Chris Sanders, du storyboard de Mulan avant de co-écrire et de co-diriger Lilo et Stitch, toujours avec Sanders. Dès 2010, cette fois chez DreamWorks, il s’attaque, encore avec Sanders, à un premier Dragons. Suivront un Dragons 2 (2014) et un 3 (2019) avant ce How to Train Your Dragon, remake en prises de vues réelles du premier Dragons. A noter, pour 2027, l’annonce d’un How to Train Your Dragon 2 toujours en live action! Cet opus en prises de vues réelles tient la rampe, notamment par son côté touchant reposant sur la belle amitié entre le jeune Harold et son ami dragon. Mais la relation entre Harold et son père, Stoïk la brute, est aussi un beau moment de cinéma. Stoïk, le chef du village, est incarné par l’Ecossais Gerard Butler, qui prêtait déjà sa voix au personnage dans les films d’animation. Butler amène une solide intensité à son personnage mais il est vrai que le comédien est un habitué des costauds du grand écran. Il fut ainsi l’increvable Mike Banning dans la trilogie d’action (La chute de la Maison-Blanche, 2013, La chute de Londres, 2016 et La chute du Président, 2019). A ses côtés, on retrouve le jeune Mason Thomas, 15 ans, en énergique Harold. Du joli travail ! (Universal)
LE RENDEZ-VOUS DE L’ÉTÉ
Jeune femme de 30 ans originaire de Normandie, Blandine se rend à Paris pendant les Jeux olympiques de 2024. Elle souhaite notamment assister aux compétitions de natation et suivre le parcours olympique de la nageuse marseillaise Béryl Gastaldello. Ce voyage dans la capitale est aussi l’occasion de retrouver sa demi-sœur, qu’elle n’a pas vue depuis dix ans. Habituée à la solitude et au calme, Blandine découvre une ville en effervescence dont elle ne maîtrise pas les codes. Au fil des jours, elle fait des rencontres, vit des mésaventures et tente de renouer avec sa demi-sœur tout en naviguant dans un Paris enfiévré par un événement mondial et hors normes… Pour son premier long-métrage, Valentine Cadic n’avait pas le désir de faire un film sur les Jeux olympiques parisiens mais bien de se servir de ce décor peu courant pour distiller une atmosphère, tisser des liens, dire autant les contrastes entre l’effervescence olympique et la réalité quotidienne que les difficultés de Blandine de s’adapter à la vie parisienne sans oublier, de manière plus militante, d’évoquer comment l’évènement JO, avec les expulsions de sdf, invisiblise « ceux qu’on ne veut pas voir ». Blandine apparaît comme un personnage doux, effacé aussi, presque lunaire. Venue à Paris, avec un billet acheté cher pour des épreuves de natation, elle se fait refouler parce que son sac à dos est trop volumineux. Au lieu de faire un esclandre, elle se contente de suivre son idole, que ses amis nageurs surnomment Queen B., sur son téléphone. Et que dire de l’Auberge de jeunesse qui la vire parce qu’elle a eu 30 ans, âge limite fixé par les statuts du lieu, au milieu du séjour. Tandis que Julie, sa demi-sœur, est la vraie Parisienne toujours surbookée et toujours sur un plan, Blandine évolue constamment à la lisière des choses, révélant ainsi, avec une pudique douleur, comment elle vient de connaître une rupture amoureuse avec Caroline qui devait venir avec elle à Paris. Dans le rôle de Blandine, Blandine Madec est très touchante. Dans le rôle de Julie, on retrouve la toujours remarquable India Hair. Une comédie douce-amère sur un destin personnel au milieu d’un événement mondial avec un petit air de cinéma « à la Eric Rohmer » ! (Blaq Out)