Et ils entrèrent dans l’histoire du cinéma !
Voilà bien un film qui met en joie ! On a beaucoup aimé -sans être, pour le moins du monde, maso- prendre des baffes (cinématographiques!) dans la figure avec Sirat, Oui ou Une bataille après l’autre. Mais c’est une autre sensation que nous invite à partager Nouvelle vague, celle des souvenirs cinéphiliques en se penchant sur le tournage, peu banal, du A bout de souffle de Jean-Luc Godard.
Remarqué pour Boyhood (2014… mais tourné sur une période de 12 ans!) ou encore la trilogie Before (1995-2013, l’Américain Richard Linklater est connu, comme Woody Allen ou Quentin Dupieux, pour tourner avec une régularité quasi annuelle. Et d’ailleurs Nouvelle vague n’est plus son dernier film puisque, le 17 octobre prochain, sort sur les écrans américains, Blue Moon, biopic sur le parolier Lorenz Hart, complice pour nombre de comédies musicales à succès, du compositeur Richard Rodgers…
A propos de Nouvelle vague, son premier film entièrement tourné en français, le cinéaste texan de 65 ans, dit : « Je pense que tout réalisateur en activité depuis un certain temps devrait, à un moment de sa carrière, réaliser un film sur la fabrication d’un film. C’est légitime de vouloir aborder ce sujet compliqué et obsédant auquel on consacre sa passion et sa créativité. Mais quelle est la bonne approche, comment trouver le bon ton ? Est-ce possible de faire mieux que La nuit américaine ? C’est peu probable.»
Au fil des ans, dit-il, ses réflexions le ramenaient toujours au moment de son premier film, à cette joie absolue qui consiste à pouvoir enfin condenser des années d’idées cinématographiques et d’obsessions dans un film. « C’est une expérience que l’on ne vit qu’une fois, évidemment. Nul n’est jamais prêt à affronter les batailles physiques et mentales qui en découlent : l’affrontement entre une confiance extrême et une profonde insécurité due au manque d’expérience, la passion inépuisable qui chaque jour se confronte à l’instabilité d’un travail qui implique tellement de gens, ayant chacun leur personnalité et leurs besoins. »
Et lorsque Jean-Luc Godard (1930-1922) est mort, Linklater s’est dit qu’il était temps de faire ce film. L’histoire de Godard tournant A bout de souffle, racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant A bout de souffle.
Pour le metteur en scène américain, il ne s’agit pas de refaire le film de JLG mais de le regarder sous un autre angle, de plonger la caméra en 1959 et recréer l’époque, les gens, l’ambiance, traîner avec la bande de la Nouvelle vague.
De fait, Nouvelle vague n’est pas un film d’époque. C’est une épatante fiction dans laquelle on se glisse avec un bonheur égal à celui d’un spectateur heureux d’entrer dans une salle obscure. C’est d’ailleurs bien là que l’on retrouve déjà Suzanne Schiffman, François Truffaut, Claude Chabrol et Jean-Luc Godard. Déjà critiques de cinéma, pas encore cinéastes mais décidés à vite le devenir. D’autant, comme le dit JLG, que « la meilleure façon de critiquer un film, c’est de faire un film ».
C’est un Godard torturé que montre Nouvelle vague. Même si quelqu’un glisse « C’est lui le vrai génie. Enfin c’est qu’il vous dira », JLG pense que c’est trop tard. Certes, il a tourné un court-métrage (mais « un court-métrage, c’est de l’anticinéma ») alors que ses amis des Cahiers ont signé, qui Le beau Serge, qui Les 400 coups. Le film de Truffaut ira à Cannes. Godard aussi, en piquant des francs dans la caisse des Cahiers. Tandis que Jean-Pierre Léaud court vers la mer et que l’image se fige, le festival fait une ovation à Truffaut. Sur les éternelles lunettes noires de Godard, s’imprime l’image d’Antoine Doinel. Cocteau confie à Truffaut que « L’art n’est pas un passe-temps, c’est un sacerdoce ». Ce sera vrai aussi pour Godard. « Soit tu le fais, soit tu te tais », le tance Suzanne Schiffman, emblématique figure de la Nouvelle vague. Il le fera. Grâce au producteur Georges de Beauregard. Parce que, pour faire un film, on a juste besoin d’une fille et d’un flingue. La fille, JLG la voit sur une page des Cahiers. « On n’aura jamais Jean Seberg ». Il l’aura même si, tout au long de leur aventure commune, la comédienne se demandera ce qu’elle fait là, râlant ainsi contre l’absence de son direct : « Si c’était en son direct, il ne pourrait pas parler pendant les prises ». Mais c’est bien sa Patricia qui prononce ce mot devenu le symbole du film et du mouvement qu’il a engendré : « Qu’est-ce que c’est, dégueulasse ? »
Quant à Michel Poicard, celui qui porte le flingue, ce sera Jean-Paul Belmondo, fringant boxeur et joyeux boute-en-train (Pense-t-il que le film ne sortira jamais?) auquel son agent, Blanche Montel, assure qu’il fait la pire erreur de sa vie. « C’est suicidaire pour ta carrière. Fais plutôt le prochain Duvivier. C’est moins de travail et plus d’argent… » Quant à Godard, il lance : « S’il veulent la nouvelle vague, donnons leur un raz-de-marée ! » C’est bien que ce qu’A bout de souffle sera.
Godard disposera de vingt jours pour tourner son premier long et Richard Linklater raconte, au fil des journées, un tournage pas comme les autres, Godard affirmant commencer chaque journée sans savoir ce qu’il va filmer. « Moteur, Raoul ! Ca tourne, Jean-Luc ! »
Raoul, c’est Raoul Coutard, le fameux chef op’. Et il est l’un des très nombreux personnages réels qui traversent Nouvelle vague. On y croise ainsi Juliette Greco et Jean-Pierre Melville, Robert Bresson et Roberto Rossellini qui conseille : « Il ne faut filmer que dans un état d’urgence et de nécessité ! ». Et il y a tout ceux qui sont auprès de Godard, Truffaut évidemment scénariste du film mais également Pierre Rissient, François Moreuil, Jacques Rivette, Richard Balducci, José Bénazéraf, Daniel Boulanger…
Porté par des comédiens qu’on ne connaît pas encore mais qui parviennent à se glisser avec brio dans leurs personnages (Guillaume Marbeck a trouvé le chouintement caractéristique de la voix de JLG et Zoé Deutch est une Seberg radieuse en « sainte et pécheresse »), Nouvelle vague permet aussi à Linklater d’aligner les aphorismes si chers à Godard, ainsi « Nous contrôlons nos pensées, qui ne veulent rien dire, mais pas nos émotions, qui veulent tout dire ».
Aux accents de Scoubidou de Sacha Distel ou de Tout l’amour de Dario Moreno, voici une plongée allègre et tourmentée dans le 7e art. « Ce sera le pire film de l’année. Ils vont détester ! » pronostique l’équipe du film. Ils auront tout faux. Comme le disait Gauguin, « l’art c’est soit du plagiat soit la révolution ». Ce sera la révolution.
NOUVELLE VAGUE Comédie dramatique (France – 1h45) de Richard Linklater avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin, Adrien Rouyard, Anroine Besson, Jodie Ruth Forest, Bruno Dreyfürst, Benjamin Clery, Matthieu Penchinat, Paolo Luka-Noe. Dans les salles le 8 octobre.