Le pianiste bouleversé et le flic fatigué
MUSIQUE.- Après une longue période passée à se produire et à enseigner au Japon, Mathias Vogler, pianiste virtuose, est de retour en France. Il revient à Lyon où l’attend Elena, elle aussi, musicienne de grand talent, qui fut autrefois son professeur. Celle-ci tient à ce que Vogler reprenne une carrière de soliste et l’accompagne notamment dans ses prochains concerts à l’Auditorium de Lyon. Après une réception chez Elena, Vogler croise, au sortir de l’ascenseur de l’immeuble, une jeune femme blonde. Leurs regards se croisent. La jeune femme s’éloigne. Mathias Vogler est pris de malaise et s’effondre au sol… Revenu à lui et bouleversé, Mathias ne sait plus à quel saint se vouer, d’autant qu’il se pose aussi nombre de questions sur les choix à faire pour sa carrière. En se promenant dans un parc, le pianiste croise Simon, un petit garçon. Pétrifié, il le regarde jouer sous la surveillance de sa nounou. Le gamin fait une chute, se blesse légèrement. Vogler le suit tandis que sa gardienne l’emmène chez le pharmacien. De retour au domicile de sa mère, le musicien fouille dans les boîtes contenant des photos de son enfance. Le gamin croisé dans le parc lui ressemble comme deux gouttes d’eau. La rencontre avec ce double plonge Mathias dans une frénésie qui menace de le faire sombrer. Pire, elle le mènera à Claude, son amour de jeunesse.
Avec Deux pianos (France – 1h55. Dans les salles le 15 octobre), Arnaud Desplechin est de retour au cinéma après Spectateurs ! (2024), une fiction censé « célébrer les salles de cinéma et leur magie multiple ». Des aventures et préoccupations de ses personnages, le réalisateur dit : « Ce sont des histoires de monades qui se rencontrent, s’étreignent pour fuir leur solitude avant d’y retourner. Mais cette solitude est évidemment une force pour chacun d’eux. »
Loin du Nord, qui est le terreau de nombre de ses œuvres, Desplechin, dans un mélodrame de l’intime, s’attache à des êtres en souffrance. C’est évidemment le cas de Vogler qui navigue entre ses regrets (une carrière précoce, l’exil et l’enseignement, reprendre les concerts, ou l’avenir plus terne de chef de chant) avant de déposer les armes aux pieds de Claude. C’est vrai aussi pour cette femme qui avait deux amants, qui est tombée enceinte très jeune et a décidé d’avoir un enfant sans plus se poser de questions. Effrayée par elle-même, elle s’est jetée dans les bras du hasard et a laissé le destin choisir à sa place. C’est vrai encore pour l’arrogante Elena qui décide de rendre les armes…Avec une caméra très en mouvement, le cinéaste les observe au plus près, interrogeant aussi la liberté que l’on peut avoir ou pas dans les sentiments. Desplechin fait sienne, la phrase de Judith, l’amie de Claude : «Le malheur, c’est une perte de temps». Enfin, l’auteur d’Esther Kahn (2000), de Rois et Reine (2004) ou de Roubaix, une lumière (2019) se penche, avec émotion et tendresse, sur le lien qui unit Mathias et le petit Simon… Loin de son D’Artagnan flamboyant, François Civil est, ici, tout en retenue et en silences, un artiste et un père en quête de résilience. Autour de lui, on retrouve avec plaisir autant Charlotte Rampling (Elena) que Nadia Tereszkiewicz (Claude), Alba Gaïa Bellugi (Judith) ou encore Hippolyte Girardot en agent et ami…
ALMA.- Patron d’une grosse société qui a développé le programme d’intelligence artificielle Alma, déployé dans tous les services de police, Kessel est abattu alors qu’il rentre chez lui. C’est le branle-bas de combat dans la capitale. Tous les services sont sur les dents et le ministre de l’Intérieur promet une résolution rapide de l’affaire. Flic fatigué et insomniaque, Zem Brecht, fonctionnaire dans la zone 3, est mis sur le dossier d’autant que les morts violentes se succèdent. Bientôt, Zem va être « verouillé ». Plus question d’enquêter. On lui colle dans les pattes, une certaine Salia Malberg, flic d’élite oeuvrant dans la zone 2, qui reprend l’affaire. Mais sans réussir à avancer beaucoup plus qu’un Zem qui regarde, avec un rien d’ironie, sa « collègue » se démener comme elle peut dans une histoire qui a tout du parfait bourbier…
Connu pour ses deux succès que sont Bac Nord (2021) et Novembre (2022) sur l’enquête policière pendant les cinq jours qui suivi les attentats du 13 novembre 2015 en France, Cédric Jimenez remet, ici, le couvert avec, cette fois, un thriller dystopique puisqu’il se déroule dans le Paris de 2045. La capitale est désormais coupée en trois zones correspondantes aux classes sociales. Plus question de passer d’un secteur à un autre sans montrer patte blanche…
Chien 51 (France – 1h46. Tout public avec avertissement. Dans les salles le 15 octobre) démarre, sur les chapeaux de roues, c’est le cas de le dire, avec une course-poursuite nocturne dans la ville. On a d’emblée l’impression d’être dans un jeu vidéo d’autant que ça va se mettre à défourailler dans tous les sens. Le futur sera violent ou il ne sera pas ? Pour ce film à gros budget (42 millions d’euros) qui se place à la deuxième marche du podium des films français les plus chers à sortir en 2025, juste derrière Dracula de Luc Besson (45 millions), le cinéaste adapte le roman éponyme, paru en 2022, de l’écrivain français Laurent Gaudé.
Dans un univers crépusculaire qui fait souvent penser à celui de Blade runner (on ne dira jamais assez l’impact du film de Ridley Scott sur l ‘imaginaire SF) Chien 51 s’intéresse d’abord à un de ces flics quasiment à la dérive que le cinéma apprécie souvent. Zem Brecht a tout vu, tout bu, tout lu. Toujours en retard au boulot, on ne lui en fait pas spécialement grief parce qu’on sait bien que c’est un bon. D’autant plus que l’assassinat de Kessel ressemble de plus en plus à un complot dans lequel un certain John Mafram semble avoir un rôle majeur. Pour la résolution de cette histoire, Zem aura bien besoin de l’aide du commandant Malberg, une cabossée de la vie comme lui. Autour de ces deux personnages, Cedric Jimenez organise une aventure qui a le mérite de ne jamais se relâcher en multipliant les pistes. D’autant que Gilles Lellouche (Zem), fidèle du cinéaste, et Adèle Exarchopoulos (Salia) font le job avec application. Pourtant, cette dystopie qui met face à face l’humain et la machine IA, ne parvient pas vraiment à nous emballer. Comme si, curieusement, on avait déjà vu tout ça.