Un homme debout face à la barbarie

Georg Elser prépare l'attentat contre Hitler. Photos Bernd Schuller

Georg Elser prépare l’attentat contre Hitler.
Photos Bernd Schuller

Nous sommes le 8 novembre 1939 et Hitler parade, une fois de plus, à la tribune de la brasserie munichoise où il a ses habitudes oratoires… Mais cette fois, le Bürgerbraukeller a tout d’un piège… Car, dans l’ombre, travaillant depuis des jours et des nuits comme un orfèvre de la machine infernale, Georg Elser a mené son entreprise à bien. Bientôt les colonnes de la brasserie s’écraseront sur le Führer… Elser, lui, est déjà en route pour aller se réfugier en Suisse… Mais il ne réussira pas à franchir la frontière à Constance.

A Munich, l’explosion a été impressionnante. Huit personnes sont tuées mais Hitler avait quitté les lieux depuis treize minutes, échappant une fois de plus à la mort programmée par ses rares adversaires. A Constance, Georg Elser tétanisé ne fait pas le poids devant les policiers. Pour son malheur, il porte, sous le col de sa veste, l’insigne du Front rouge, l’organisation combattante du Parti communiste allemand… Il nie en être membre mais avoue ses sympathies communistes… Et surtout, on trouve sur lui des documents hautement compromettants dont une photo du… Bürgerbraukeller.

Georg Elser (Christian Friedel) interrogé par Nebe (Burghart Klaussner) et Muller (Johann bon Bülow).

Georg Elser (Christian Friedel) interrogé
par Nebe (Burghart Klaussner)
et Muller (Johann von Bülow).

Avec Elser, le cinéaste allemand Oliver Hirschbiegel rend hommage à un héros ordinaire, un petit homme courageux qui osa dire non au nazisme. Le cinéaste qui avait été remarqué en 2005 avec La chute (910.000 entrées dans les salles françaises) sur les derniers jours d’Hitler dans son bunker berlinois, saute cette fois aux années trente pour mettre en scène, à travers l’aventure de l’anonyme Elser, une Allemagne déjà prise dans le vertige nazi mais où les structures autoritaires n’ont pas encore complètement mis la main sur la vie du peuple allemand. Avec ce film d’une facture très classique qui s’appuie sur une suite de flash-back pour dessiner l’existence de Georg Elser, Hirschbiegel réussit à mettre en parallèle les terribles interrogatoires d’Elser et ses années de jeune ébéniste issu d’un milieu profondément rural de la région de Souabe en Bavière…

Georg Elser (Christian Friedel), musicien et homme à femmes...

Georg Elser (Christian Friedel),
musicien et homme à femmes…

D’un côté, le film raconte comment Georg Elser « déstabilise » par son énergie tant Arthur Nebe, le directeur de la police judiciaire du Reich qu’Henrich Muller, redoutable ponte de la Gestapo. S’il s’agit de faire avouer Elser, il s’agit surtout de démontrer, sur l’ordre insistant d’Hitler, que le « terroriste » n’a pas agi seul et qu’il est bien le rouage d’un réseau communiste hostile… Mais Elser a bien agi seul et on peut penser que son implacable détermination a « contaminé » Arthur Nebe qui figurera, en juillet 1944, parmi les officiers conjurés de l’opération Walkyrie menée par Von Stauffenberg…

En même temps, Hirschbiegel ne fait pas de Georg Elser, véritable figure majeure (mais méconnue) de la résistance intérieure allemande, un saint laïc… L’homme est curieux du monde mais, comme le montre les lumineuses séquences jazzy au bord du lac de Constance, ce musicien est aussi un tantinet libertin. Pour composer son personnage, le cinéaste a donné à son comédien (Christian Friedel, excellent et déjà vu en instituteur dans Le ruban blanc d’Haneke) quelques mots-clés. Parmi eux, Stenz soit homme à femmes en bavarois… Pour appartenir à une famille catholique très pieuse, Elser ne se prive pas ainsi de courtiser et de séduire la belle et coquine Elsa, épouse malheureuse d’un paysan alcoolique…

Georg Elser et la belle Elsa (Katharina Schüttler).

Georg Elser et la belle Elsa (Katharina Schüttler).

Mais Georg Elser, malgré sa complexité, est avant tout un homme debout. Aux nazis qui saluent d’un Heil Hitler, il répond par un insolent Mahlzeit (bonjour). Clairvoyant, croyant à l’individualité et à l’autodétermination tout en étant traumatisé à l’idée des morts que son attentat va produire, Georg Elser affirme: « J’étais un homme libre. On doit faire ce qui est juste. Si l’homme n’est pas libre, tout meurt. »

Enfin, Elser, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, brosse le tableau d’un village allemand alors que les tenants de la « race supérieure » phagocytent tous les pouvoirs. Le fascisme s’infiltre partout et métamorphose le village. Dans le bistrot, les SA en uniforme et les ouvriers communistes en viennent aux mains. Ebelé, le responsable nazi local, se fait de plus en plus menaçant tout en promettant des rues éclairées et bitumées grâce à Hitler. La pauvre Lore est exposée en place publique, un panneau au cou la traitant de salope parce que son ami est juif… Quant aux gamins blonds des Jeunesses hitlériennes, ils raillaient les dévots chrétiens tandis que la fête de la moisson devint une manifestation du Parti national-socialiste…

Emprisonné pendant de longues années, Georg Elser (1903-1945) mourra au camp de concentration de Dachau, tué d’une balle dans la nuque. Goebbels voulait le mettre au coeur d’un procès à grand spectacle. Mais les nazis choisirent de le faire disparaître discrètement. Comme pour effacer la trace même d’un freluquet qui osa dire qu’Hitler était nuisible pour l’Allemagne.

ELSER, UN HEROS ORDINAIRE Drame (Allemagne – 1h54) d’Oliver Hirschbiegel avec Christian Friedel, Katharina Schütller, Burghart Klaussner, Johann von Bülow. Dans les salles le 21 octobre.

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