Le président foudroyé par la beauté

Michel Racine (Fabrice Luchini) préside la cour d'assises du Pas-de-Calais. DR

Michel Racine (Fabrice Luchini) préside la cour d’assises du Pas-de-Calais. DR

« La Cour! » Une sonnette qui retentit, une porte qui s’ouvre et le président vêtu de sa robe rouge et de son hermine qui entre dans la salle d’audience de la cour d’assises… Tout ce décorum ne manque pas d’une certaine allure et a de quoi en imposer au public et sans doute plus encore à l’accusé… C’est donc l’univers de la justice et le monde des procès que Christian Vincent a choisi pour décor de son dixième long-métrage. Et à cette occasion, il retrouve Fabrice Luchini qui fut le héros de son premier « long », la fameuse Discrète (1990) et sa réplique culte: « T’as vu la fille! Elle est immonde… »

Michel Racine est le président de la cour d’assises du Pas-de-Calais à Saint-Omer. C’est un homme solitaire et un magistrat désagréable même s’il est bon dans son travail… Alors que la session des assises va s’ouvrir, Michel Racine est malade. Il souffre d’une forte grippe et se réfugie dans sa chambre d’hôtel pour avaler un potage, un quart Vittel, une pomme véreuse et quelques médicaments. Comme il en manque, il sort dans la nuit pour trouver une pharmacie. Dans la rue, il tombe dans une tranchée de chantier. Il n’en faut pas plus pour que la rumeur se propage: « Racine était tellement bourré qu’il s’est cassé la gueule près d’un bar à putes… »

La cour d'assises, théâtre de la détresse humaine. DR

La cour d’assises, théâtre de la détresse humaine. DR

Mais Michel Racine a le cuir épais et celui qu’on surnomme le « président à deux chiffres » parce qu’il ne condamne jamais à moins de dix ans, affecte de ne pas entendre ce qui se dit dans son dos, y compris lorsque l’un de ses collègues assesseurs lâche: « Voilà Racine! Je sens comme un courant d’air froid ». Parce que, bientôt, Michel Racine aura la tête ailleurs. En tirant au sort les jurés, le président va choisir la belle Ditte Lorensen-Coteret, médecin-anesthésiste au CHU de Lille, qu’il a connu quelque dix années plus tôt…

Le cinéma américain comme le cinéma français se sont nourris et se nourrissent encore de la justice. Avec Douze hommes en colère (1957), Sidney Lumet signait le film le plus emblématique sur un jury populaire. Et on se souvient aussi que, devant la caméra d’André Cayatte, Jean Gabin fut un massif président de cour d’assises dans l’académique Verdict (1974). Mais, avec L’hermine, Christian Vincent joue, lui, avec brio sur trois tableaux… Il donne d’abord le portrait d’un magistrat saisi dans le difficile exercice quotidien de son métier. Il observe ensuite, avec une belle acuité, des jurés avec toutes leurs différences et enfin, de manière cette fois franchement romanesque, il séduit avec l’esquisse d’une belle histoire d’amour. Ainsi on voit le président Racine aux prises, dans une affaire sordide, avec un accusé qui a choisi de ne pas s’exprimer, à l’écoute d’une mère victime qui peine à formuler sa pensée ou se coltinant des témoins dont les propos prêtent parfois à sourire…

Ditte Lorensen-Coteret (Sidse Babett Knudsen à g.) et les jurés. DR

Ditte Lorensen-Coteret (Sidse Babett Knudsen à g.) et les jurés. DR

A travers quelques échanges au cours d’un déjeuner à la pause de l’audience, ce sont cette fois les jurés qui sont sous la loupe attentive de Christian Vincent. Des jurés avec leurs questions, leurs doutes, leurs idées reçues aussi comme lorsque Marie-Jeanne Metzer (la toujours épatante Corinne Masiero) raconte: « Le président, c’est une peau de vache. Le beau-frère à ma soeur est agent de service au tribunal. Là-bas, personne ne peut le blairer… » Mais, dans ce théâtre de la détresse humaine, c’est aussi à ces jurés que Michel Racine délivrera sa vision de la justice lorsqu’il dira que la quête de la vérité passe après la réaffirmation de la puissance de la loi et la nécessité de dire ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.

Sidse Babett Knudsen dans son premier film français. DR

Sidse Babett Knudsen dans son premier film français. DR

Mais, on l’a dit, Michel Racine qui tient à ce qu’on lui donne du « Monsieur le président », va se retrouver, par la grâce de Ditte Lorensen-Coteret, dans la peau d’un adolescent transi d’amour. Presque à demi-mots, on apprend que Michel Racine, à la suite d’un grave accident, a été longtemps hospitalisé et qu’il a croisé, là, la radieuse anesthésiste. Christian Vincent concentre alors son propos sur le président et la jurée qui, bientôt, seront Michel et Ditte. Comme un gamin, le président envoie un SMS à la jurée pour la retrouver dans une brasserie. « C’est peu courant, pas prudent, dit-il, mais la loi ne l’interdit pas ». Il pourra ainsi lui dire: « Vous me manquez atrocement » tout en célébrant la lumineuse beauté de Ditte. Face à une rayonnante Sidse Babett Knudsen (découverte dans la série scandinave Borgen et qu’on ne manquera pas de revoir dans des films français) qui se contente souvent de le scruter de ses intenses yeux clairs, Fabrice Luchini est admirable en homme amer et peu enclin à la jouissance qui se retrouve foudroyé par la passion. Magnifique lorsqu’il récite quelques vers des Passantes de Georges Brassens (« Je veux dédier ce poème à toutes les femmes qu’on aime pendant quelques instants secrets… ») Luchini, couronné pour son interprétation à la Mostra de Venise, emporte, avec sobriété, le spectateur dans la transfiguration d’un homme qui laisse enfin s’exprimer son humanité autant que son désir…

Touchant et fort, L’hermine est une belle réussite.

L’HERMINE Comédie dramatique (France – 1h38) de Christian Vincent avec Fabrice Luchini, Sidse Babett Knudsen, Eva Lallier, Corinne Masiero, Victor Pontecorvo, Candy Ming, Michael Abitbout, Jennifer Decker, Hélène Van Geenberghe, Claire Assali, Chloé Berthier. Dans les salles le 18 décembre.

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