Une tragique quête de sainteté

Dans une salle sobrement décorée d’un crucifix et de quelques images pieuses, un jeune prêtre en soutane prépare six jeunes adolescents à la confirmation, ce sacrement du passage de l’enfance à l’âge adulte. Mais la préparation prend un tour plutôt singulier lorsque l’homme d’église invite son auditoire à se voir comme des soldats de Dieu lancés dans un combat sans relâche contre un ennemi d’autant plus redoutable qu’il avance masqué. On parle ici du diable et de ses manifestations à l’école, à la télévision, dans les publicités obscènes, les mauvais films ou les musiques néfastes… Parmi les adolescents, Maria, 14 ans, est prête déjà à tous les sacrifices et même à faire don de sa vie entière à Dieu pour devenir sainte…

A des années-lumière du cinéma de divertissement, Chemin de croix est une descente, quasi en apnée, dans le quotidien d’une famille catholique fondamentaliste, de nos jours, quelque part en Allemagne. Couronné de l’Ours d’argent du meilleur scénario à la dernière Berlinale, le film de Dietrich Brüggemann repose manifestement sur une connaissance précise des milieux catholiques intégristes. Le cinéaste munichois ne fait pas mystère du fait que son père, au début des années 90, fréquenta la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, société de prêtres catholiques fondée en 1970 en Suisse par Mgr Lefebvre et qui refusa de reconnaître les réformes du concile Vatican II. Et c’est notamment la décision du pape Benoît XVI de lever, en 2009, l’excommunication des cardinaux de cette Fraternité qui fut le déclencheur de Kreuzweg. Peu sensible au film à thèse, Brüggemann n’entend pas se situer, ici, dans une charge contre les fondamentalistes catholiques mais bien dans une réflexion, certes sarcastique, sur la mécanique du pouvoir dans une famille et comment ce pouvoir peut se combiner avec une certaine idéologie.

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Lea van Acken (à gauche) et Lucie Aron. DR

Ce qui fait la force de Chemin de croix, ce sont les choix esthétiques adoptés par Brüggemann. Le film est, en effet, construit comme une suite de quatorze séquences en plan fixe s’ouvrant systématiquement par un carton mentionnant les stations d’un chemin de croix: Jésus est condamné à mort – Jésus est chargé de sa croix – Jésus tombe sous le bois de la croix – Jésus rencontre sa mère – Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa croix – Véronique essuie le visage de Jésus – Jésus tombe pour la deuxième fois etc. Pour le cinéaste (et sa soeur Anna qui a écrit le scénario avec lui), cette épure est absolument nécessaire à la narration. Elle apporte en effet une dimension méditative comme lorsqu’on regarde un tableau. De plus, les plans fixes laissent une totale liberté au spectateur qui peut ainsi poser son regard où bon lui semble. De manière paradoxale, le spectateur n’a pas non plus d’échappatoire à la scène et doit se contenter du plan ainsi délimité.

Cette suite de quatorze plans fixes concentre donc l’attention du spectateur sur la relation constamment tendue entre Maria et sa mère, femme sévère et jusqu’au-boutiste dans sa conception de la religion autant que dans sa manière d’éduquer ses enfants. S’ébauche alors le quotidien ordinaire d’une famille qui ne l’est pas vraiment mais qui pense qu’elle est aussi normale que bien d’autres. Autour de Maria et de sa mère, gravitent alors un père effacé, un jeune frère bruyant et enfin Johann, le petit dernier que l’on pense autiste. C’est d’ailleurs pour que le benjamin guérisse que Maria est prête à offrir sa vie à Dieu.

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Florian Stetter et Franziska Weisz. DR

Deux personnages extérieurs vont bouleverser l’existence de Maria. D’abord Bernadette, la fille au pair française habitée par une foi « moderne » et qui pourrait représenter pour Maria une alternative heureuse à la rigueur inflexible de sa mère. Et puis Christian, le copain de classe qui éveille chez Maria des désirs et des tentations de son âge… Un « petit ami » qui l’invite à venir chanter dans sa chorale où l’on pratique, outre les chorals de Bach, un peu de soul et de gospel. Or, lorsque Maria évoque cette chorale et sa musique, sa mère (Franziska Weisz, remarquable) explose « parce que c’est une occasion de voir des garçons » alors que le prêtre en confession dénonce, lui, « la batterie et les basses monotones qui invitent à la débauche… »

Avec, dans le rôle de la pâle Maria, Lea van Acken, une pure mais impressionnante débutante, Chemin de croix est une oeuvre totalement dépouillée mais qui fait parfaitement toucher du doigt les ravages du fanatisme religieux. Cela sans que le cinéaste force la main du spectateur dans une démarche propagandiste. A cet égard, le dernier plan (l’un des trois seuls du film où la caméra se met en mouvement) est superbe. Par un mouvement de grue, la caméra s’élève pour plonger sur un cimetière avant de panoramiquer vers un ciel gris et plombé. A chacun alors de se faire son idée. Ce ciel triste est-il le refuge vers lequel tend l’âme de Maria?

CHEMIN DE CROIX Drame (Allemagne – 1h50) de Dietrich Brüggemann avec Lea van Acken, Franziska Weisz, Florian Stetter, Lucie Aron, Moritz Knapp, Klaus Michael Kamp, Hannes Zischler, Birge Schade. Dans les salles le 29 octobre.

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