La policière et l’écolière en grande solitude

Mais pourquoi donc cette mignonne petite flic de Séoul a-t-elle été mutée dans un coin perdu de la campagne coréenne? C’est la question que l’on se pose rapidement en voyant débarquer le lieutenant Young-nam dans une petite cité portuaire du sud du pays. Et pourtant donc cette jeune femme fluette transporte-t-elle tant de bouteilles d’eau minérale dans sa voiture?

Avec A girl at my door, la cinéaste July Jung donne un premier long-métrage, largement applaudi dans la sélection Un certain regard au festival de Cannes 2014, qui dresse le portrait d’une série de solitudes. En arrivant à Yeosu, la policière aperçoit une gamine vêtue de blanc plantée au bord de la route. Elle l’éclabousse par inadvertance, s’arrête, revient sur ses pas… Mais Dohee, la gamine, s’enfuit à travers les rizières. Un peu plus tard, Young-nam rencontrera aussi, fonçant sur son triporteur, la grand-mère, mal embouchée, de la fillette puis son père, un gaillard que les hommes du poste de police présentent comme le seul type jeune d’un village vieillissant et comme le seul entrepreneur qui génère du travail dans le port…

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Doona Bae. DR

En abordant une série de thèmes aussi divers que la maltraitance des enfants, l’inceste, l’exploitation des travailleurs clandestins ou encore l’homosexualité, July Jung aurait pu  perdre le fil de son histoire. En fait, elle réussit, avec une jolie maîtrise, à cerner le point commun des personnages principaux de A Girl…, en l’occurrence leur profonde solitude tout en distillant une atmosphère étrange, voire même « fantastique ». Car, ici, deux personnages vont se téléscoper. D’une part, le lieutenant Young-nam, dont on comprend qu’elle a été contrainte de quitter Séoul pour un double problème d’alcoolisme et d’homosexualité et d’autre part Dohee, jeune écolière malmenée par sa grand’mère qui la traite de « salope » ou de « traînée » et battue par son père persuadée qu’elle est « tarée »… Au fil de ses déplacements, la policière aperçoit Dohee courant dans la nuit ou dansant sur la jetée du port… Lorsque Dohee vient frapper à la porte de Young-nam, celle-ci l’accueille, la nourrit et finit par accepter que la fillette reste chez elle…

A fines touches, la cinéaste raconte alors la relation qui s’installe entre Young-nam et Dohee. La première accepte que la gamine la rejoigne dans son bain et découvre alors son dos zébré de traces rouges. Si la policière s’interdit tout geste équivoque, c’est cependant sous le signe du trouble que se déroule cette amitié particulière. Lorsque l’amie de Young-nam débarque de Séoul pour tenter de renouer avec la policière, l’identité sexuelle de Young-nam entre alors clairement en conflit avec le système de valeurs coréennes. Et le fait que la policière, incarnation de la loi, s’adonne à la boisson (« Je bois pour pouvoir dormir ») n’arrange rien… même s’il apparaît que les Coréens ne craignent pas la bouteille.

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Kim Sae-ron. DR

Face aux pressions sociales, au comportement du père de Dohee, on pourrait imaginer que le piège va se refermer sur la malheureuse Young-nam. Mais c’est bien au contraire, dans le rapport avec Dohee que la policière va s’affranchir du regard de l’autre, tirer un trait sur les préjugés et finir par ne plus avoir peur… A Girl at my door devient alors clairement une réflexion sur l’identité féminine. Tout en laissant au spectateur la liberté de se demander si la relation entre la policière et l’écolière est plutôt du domaine mère-fille ou du domaine amoureux, July Jung montre, sans victimisation ni excès de compassion, une petite femme triste se relever et s’assumer…

Pour défendre son propos, la cinéaste bénéficie d’un joli duo de comédiennes. Vue dans Sympathy for Mr. Vengeance (2002) de Park Chan-woon ou dans Air Doll (2009) du Japonais Kore-Eda, Doona Bae est une star du cinéma sud-coréen. Elle apporte à la policière un mélange de fragilité lasse et de détermination silencieuse quand il s’agit de sauver Dohee. Celle-ci est incarnée par une adolescente de 14 ans, Kim Sae-ron tour à tour fillette apeurée et malmenée par les collégiens ou petit femme jalouse qui, vêtue de l’uniforme de Young-nam, casse tout dans l’appartement et se tape la tête contre les murs en criant: « Je suis mauvaise. Je dois être battue« . Enfin, Dohee, avec son sourire mutin, cache aussi un inquiétant « petit monstre » dangereusement manipulateur…

Commençant et s’achevant sous la pluie, A Girl at my door distille tant et tant de souffrances. Et contient un plan énigmatique, celui d’une main qui enserre une grosse grenouille. Comme une main qui étouffe les femmes du film?

A GIRL AT MY DOOR Drame (Corée du Sud – 1h59) de July Jung avec Doona Bae, Kim Sae-Ron, Song Sae-Byuk. Dans les salles le 5 novembre.

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