Le bel envol de Paula

Avec une jolie note de nostalgie dans la voix, cette directrice de salles de cinéma lâche: « L’an dernier, nous avions Guillaume… » Autrement dit une comédie française qui marche. Celle, en l’occurrence, de Guillaume Gallienne et ses 2,8 millions de tickets vendus. En un mot comme en mille, la comédie française à succès, c’est le graal de tous ceux qui gèrent les salles obscures, surtout lorsque la fin d’année s’approche.

Alors quoi, en 2014, pour bien boucler l’année? Eh bien, La famille Bélier! Le tiendrait-on, notre graal? Et pourquoi pas? Voici, en effet, une comédie bien de chez nous qui mêle des ingrédients aussi différents et variés que la famille, l’adolescence, la chanson et… le handicap dont on sait, depuis Intouchables, qu’il permet des portraits aussi dynamiques qu’attachants. Donc, notre affaire se déroule dans la Mayenne, précisément du côté de Rennes-en-grenouilles, ce qui ne s’invente pas…

François Damiens, Luca Gelberg, Karin Viard et Louane Emera. DR

François Damiens, Luca Gelberg, Karin Viard et Louane Emera. DR

Chez les Bélier, on élève des bovins. Des fermiers donc qui connaissent la rudesse de la vie à la campagne mais qui ont de l’énergie à revendre. Il y a le père, Rodolphe, un type un peu sauvage, Gigi la maman, un brin excentrique et exubérante, Quentin le fils et Paula la grande adolescente de fille. La seule chose qui distingue les Bélier des fermiers voisins, c’est qu’à l’exception de Paula, ils sont sourds. Mais pas malheureux du tout. D’ailleurs, le père le dit: « Ce n’est pas un handicap d’être sourd. C’est une identité ». Parce qu’elle est adolescente, Paula affirme: « Je hais ma vie ». Mais c’est faux. Elle aime ses parents, son frère, est totalement complice de sa meilleure amie, simplement elle commence, à la vue du séduisant Gabriel, à ressentir ces émois qui mettent du rouge aux joues des filles.

François Damiens et Karin Viard. DR

François Damiens et Karin Viard. DR

La vie de Paula oscille entre cette famille dont elle s’occupe parce qu’elle est la seule « entendante » (c’est à elle que reviennent les coups de fil avec les fournisseurs de granulés pour les bêtes ou la banque pour les découverts) et ses rêves d’adolescente. Qui prennent une tournure nouvelle lorsque le professeur Thomasson, responsable de la chorale du lycée, détecte la pépite que Paula a dans la gorge. Car Paula a un don: elle sait chanter… Ce talent qui devrait être un cadeau du ciel pourrait bien virer au drame chez les Bélier. Car Thomasson suggère à Paula d’aller tenter ce concours parisien de la Maîtrise de Radio France qui, forcément, l’éloignerait des siens mais plus encore, en chantant, Paula commet une « trahison » en quittant symboliquement l’univers des siens, cette famille qui ne peut pas l’entendre… Bien sûr, Rodolphe viendra « l’écouter » en mettant sa main sur son larynx et puis il y a cette belle scène où Eric Lartigau ose nous faire entendre longuement le silence que connaissent les Bélier lorsque Paula chante… Enfin, il y a cette autre scène où Paula fait face au jury du concours parisien. Elle entonne « Je vole » de Michel Sardou, cette chanson où un adolescent quitte sa famille pour aller vivre sa vie… Paula chante: « Mes chers parents, je pars, je vous aime mais je pars… » Et la jeune fille, à destination des siens, là-haut dans la salle de concert, ajoute à ses mots les gestes de la langue des signes… Sans tirer sur la corde sensible, en jouant sur la magie de la chanson et des images, Eric Lartigau réussit un beau moment de cinéma. Ceux qui n’écraseront pas, à cet instant, une petite larme, sont tout bonnement des monstres.

Entre le rire et les larmes, La famille Bélier évoque tout à la fois la question de la normalité, la séparation vécue comme un déchirement, la famille qui porte ou qui étouffe, la peur qui fige et la fin de l’adolescence et, dit le cinéaste, « les premiers pas trébuchants d’une jeune fille dont l’horizon s’élargit brusquement ».

La réussite d’Eric Lartigau réside dans l’équilibre entre comédie et drame. Les moments de rire sont franchement savoureux, qu’il s’agisse de la visite chez le gynécologue où Paula se trouve au coeur des soucis intimes de ses parents ou encore de la campagne municipale de Rodolphe Bélier. Au maire sortant qui ricane: « Pourquoi ils voteraient pour un sourd? », Paula réplique: « Ils ont bien voté pour un con! »

Louane Emera et Eric Elmosnino. DR

Louane Emera et Eric Elmosnino. DR

Ce qui achève enfin de faire le charme de La famille Bélier, c’est sa distribution. Karin Viard et François Damiens, les parents, sont épatants d’humanité foldingue. Découverte dans l’émission « The Voice », Louane Emera, dans son premier rôle au cinéma, tient parfaitement la rampe dans le personnage d’une Paula prête à l’envol. Et puis Eric Elmosnino est drôle à souhait en prof de musique qui affirme, haut et fort: « Michel Sardou est à la variété ce que Mozart est à la musique classique: intemporel! »

On rit, on est ému, voilà du beau cinéma populaire.

LA FAMILLE BELIER Comédie (France – 1h45) d’Eric Lartigau avec Karin Viard, François Damiens, Louane Emera, Eric Elmosnino, Roxane Duran, Ilian Bergala, Luca Gelberg, Stephan Wojtowicz.
Dans les salles le 17 décembre.

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