Le lutteur olympique et le coach paranoïaque

Vous n’aimez pas la lutte libre et vous ne comprenez de toutes manières rien à ce sport historique né il y a plus de 5000 ans? Aucune importance! Dans Foxcatcher, ce sport (que les instances olympiques veulent supprimer des JO à partir de 2020) n’est que le cadre, au demeurant étouffant, d’un drame palpitant…

En 1984, aux Jeux Olympiques de Los Angeles, les frères Schultz, Dave l’aîné dans la catégorie des 74-82 kilos et Mark le cadet chez les 68-74 kilos, rapportent deux médailles d’or aux Etats-Unis. Ils deviennent des héros américains. Mais la lutte n’est pas une discipline aussi médiatisée que le basket ou le base-ball et les frères Schultz vont retourner doucement à un relatif anonymat. Retour donc à des salles d’entraînement miteuses, à des séances de travail épuisantes et solitaires. Car les frères Schultz ne sont plus sur la même longueur d’ondes et se sont éloignés l’un de l’autre.

Steve Carell.

Steve Carell.

Tout change pourtant pour Mark le colosse mutique lorsque le milliardaire John du Pont, héritier de la puissante et richissime dynastie d’entrepreneurs américains, s’intéresse à lui.Il propose à Mark d’emménager dans sa magnifique propriété familiale et conçoit, sur place, un camp d’entraînement haut de gamme dans lequel Mark et un certain nombre de lutteurs de haut niveau pourront préparer les Jeux Olympiques de Séoul en 1988… Pour Mark, c’est l’occasion d’être dans la lumière et non plus constamment éclipsé par Dave… Pour John du Pont, c’est l’occasion de coacher des champions et de gagner au passage le respect de ses pairs.

Présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes, le film de Bennett Miller donna l’impression de pouvoir valablement faire la course à la Palme. S’il ne décrocha in fine qu’un prix de la mise en scène très largement mérité, Foxcatcher fut quasi-unanimement salué par la critique. Il est vrai que cette histoire tragique a quelque chose de glaçant, de magnétique et de terrifiant à la fois. Autour de l’entraînement puis rapidement de la manipulation d’un athlète, le cinéaste brosse le portrait d’un homme d’abord excentrique qui vire peu à peu au malade mental.

Channing Tatum et Mark Ruffalo.

Channing Tatum
et Mark Ruffalo.

Avec Foxcatcher, Bennett Miller s’empare pour la troisième fois d’un personnage ayant réellement existé. En 2011, dans Le stratège, il racontait l’histoire de Bill Beane, le manager de l’équipe de base-ball des Oakland Athletics. En 2005, avec Truman Capote, il évoquait le fameux romancier américain dans ses recherches pour l’écriture du roman De sang froid. Le rôle valut à Philip Seymour Hoffman l’Oscar du meilleur acteur.

Le personnage de John E. du Pont (1938-2010) dans Foxcatcher  a tout pour rapporter à Steve Carell un Oscar! Car le comédien souvent abonné  jusque là à de comédies pas très relevées, du genre 40 ans, toujours puceau mais plutôt à son avantage dans Little Miss Sunshine, campe, ici, un homme frappé de paranoïa. A la tête du « système Foxcatcher », Du Pont se voit en… sauveur de l’Amérique. Gagner des médailles d’or à Séoul en lutte libre, ce serait river le clou aux Russes. « Je suis un patriote », proclame le coach qui veut que « son pays étincelle à nouveau ». Alors Du Pont se conduit à la fois comme un coach, un mentor, un gourou ou un père pour ses lutteurs. Mark Schultz, avec son potentiel de champion, est promu, dans une upper-class qui n’est pas la sienne, au rang de « fils ». Mais John du Pont, le regard vide, peut aussi devenir un dingue inquiétant qui manipule et frappe Mark… Tout en devenant un « gamin » penaud et contrit devant sa vieille mère (Vanessa Redgrave)…

Channing Tatum (de dos), Steve Carell et Mark Ruffalo.

Channing Tatum (de dos), Steve Carell
et Mark Ruffalo.

La mise en scène de Bennett Miller pour Foxcatcher est dépourvue d’esbrouffe. Là où d’autres auraient donné dans les grandes orgues, le cinéaste choisit une sobriété bienvenue. Il peut de toute façon s’appuyer sur trois comédiens épatants: Channing Tatum, habitué des rôles de gros bras (on l’a vu sauver naguère le président des Etats-Unis dans White House Down) est remarquable en costaud brillant dans les affrontements primitifs sur le tapis de lutte mais complètement fragilisé par les errements de son coach. Mark Ruffalo, le plus malin des frères Schultz soudain courtisé par John du Pont, est celui par lequel la tragédie se concrétisera. Quant à Steve Carell, méconnaissable avec son nez de rapace, il est prodigieux dans l’économie angoissante d’un grand malade autoritaire, capricieux et lunatique…

Foxcatcher, évocation pathétique d’une Amérique qui part à vau-l’eau, est un drame à voir absolument.

FOXCATCHER Drame (USA – 2h14) de Bennett Miller avec Steve Carell, Channing Tatum, Mark Ruffalo, Vanessa Redgrave, Sienna Miller, Anthony Michael Hall. Dans les salles le 21 janvier.

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