Les « princes » et les embrigadées

Noémie Merlant dans le personnage de Sonia.

Noémie Merlant dans le personnage de Sonia.

« On partageait tout avec mon fils. On échangeait tout… «  Ce sont ces mots qui ouvrent Le ciel attendra. Les propos d’un père abattu qui ne comprend pas ce qui a pu se passer avec ce fils pris par la tentation de rejoindre les rangs de Daech… Un autre parent ajoute:  « Ce n’est plus ma fille, c’est un fantôme! » Des témoignages, prononcés par des comédiens, qui se succèdent dans la première séquence du film de Marie-Castille Mention-Schaar. Une oeuvre puissante et bouleversante qui raconte deux trajectoires. Celle de Sonia, 17 ans, qui a failli commettre l’irréparable pour « garantir » à sa famille, et surtout à sa mère, une place au paradis. Celle de Mélanie, 16 ans, qui vit avec sa mère, aime l’école et rit  avec ses copines, qui joue du violoncelle et a bien envie, comme une fille de son âge, de changer le monde. Par l’entremise des réseaux sociaux, Mélanie va tomber sous le charme d’un « prince »…

C’est en lisant, dans la presse, un article sur un garçon parti à la recherche de sa soeur en Syrie, que la cinéaste trouve l’impulsion pour son film. De son côté, la scénariste Emilie Frèche avait posté sur Instagram un article sur un père menant la même démarche pour retrouver sa fille partie en Syrie. Marie-Castille Mention-Schaar entreprend alors un grand travail d’enquête, rencontre des journalistes, le frère qui était parti en Syrie. Celui-ci lui parle, pour la première fois, de Dounia Bouzar et raconte qu’il a trouvé, chez elle, une écoute et un soutien dans l’océan de solitude où lui et sa famille étaient plongés…

Mélanie (Naomi Amarger) face aux images de propagande.

Mélanie (Naomi Amarger) face aux images de propagande.

Le nom de Dounia Bouzar (qui a été largement associé au CPDSI, le Centre de prévention, de déradicalisation et de suivi individuel) revenant si souvent dans les interviews menées par la réalisatrice que celle-ci décide de prendre contact. Après une certaine réticence, elle accepte que Marie-Castille Mention-Schaar intègre son équipe et la suive partout en France où la radicalisation les appelle. Elle découvre alors la réalité, le processus d’embrigadement, met des visages sur des histoires enracinées dans le virtuel et la toile, observe enfin l’espoir possible à l’issue des séances de « désembrigadement »… Sans attendre plus, la cinéaste se lance dans cette aventure qui sera son quatrième long-métrage après Ma première fois (2012), Bowling (2012) et Les héritiers (2014).

Parce qu’il est simplement impossible de choisir la forme du documentaire pour parler et plus encore suivre une jeune femme qui s’inscrit complètement dans la dissimulation, la cinéaste va donc opter pour la forme de la fiction. Elle met ainsi la barre très haut pour aborder un sujet sensible qui ne supporte pas plus l’approximation que l’emphase… Et Marie-Castille Mention-Schaar réussit, ici, son pari: faire toucher du doigt au spectateur ce moment tellement fragile qu’est l’adolescence, où l’on a soif de pureté et d’engagement, où l’on passe si violemment d’un extrême à l’autre, de l’exaltation à la dépression…

Sandrine Bonnaire, Noémie Merlant et Clotilde Courau.

Sandrine Bonnaire, Noémie Merlant et Clotilde Courau.

Le ciel attendra fonctionne sur différents niveaux. Tout en les fragmentant avec une belle aisance narrative, il croise d’abord les parcours de Sonia Bouzaria et de Mélanie Thenot qui, cependant, ne se rencontreront jamais. Ensuite, il observe comment les parents des deux jeunes filles « gèrent » une situation très dramatique et enfin il revient, à plusieurs reprises, sur le travail d’écoute et de déradicalisation mené avec Sonia soutenue par ses parents… La cinéaste a aussi choisi deux temps… L’histoire de Sonia se déroule au présent, celle de Mélanie est un vaste flash-back dont la dimension tragique apparaît au fur et à mesure que la caméra accompagne une mère complètement défaite, errante (Clotilde Courau vraiment remarquable de détresse) et partie dans un impressionnant processus de culpabilité

Comme Marie-Castille Mention-Schaar a pu s’appuyer sur le témoignage d’une jeune adulte partie rejoindre Daech et revenue, son film sonne très juste dans ses dialogues, dans la précision du vocabulaire des conversations de séduction ou d’intimidation mais aussi dans la gestuelle, l’habillement, les attitudes et les comportements. Avec ses deux héroïnes, la cinéaste montre aussi qu’elles ne sont ni particulièrement exclues, ni spécialement fragiles mais, clairement, « accros » au téléphone portable et aux réseaux sociaux. Dans une interview, la réalisatrice faisait remarquer qu’en France, plus de la moitié des jeunes filles embrigadées sont des converties issues de la classe moyenne, voire supérieure.

Naomi Amarger. Photos Guy Ferrandis

Naomi Amarger.
Photos Guy Ferrandis

Le dialogue entre la mère (Sandrine Bonnaire) qui lance « C’est ton rôle de mourir à 17 ans? » et Sonia qui répond sèchement « Nous aimons plus la mort que vous aimez la vie! » fait froid dans le dos. Et on assiste avec angoisse à la lente « destruction » de Mélanie dès lors que s’affiche, sur son FaceBook, « Epris de liberté vous a envoyé un message ». Suivront les vidéos de propagande, la multiplication  quotidienne des messages avec les petits mots doux venus d’un « prince » plus que douteux: « Tu es pure », « Tu es spéciale », « Je te respecte » suivis d’ordres: « Tu ne parles plus aux hommes » et bientôt le choix d’un nom -ce sera Oum Hawa- et la demande pressante d’enfiler le jilbab, ce vêtement très couvrant censé la protéger tout en la faisant appartenir au groupe de ses « soeurs »…

Avec Le ciel attendra porté par deux brillantes jeunes comédiennes (Noémie Merlant est Sonia, Naomi Amarger incarne Mélanie), le processus d’embrigadement prend les allures d’un vrai mais terrifiant thriller parfois traversé d’un bref sourire comme avec cet échange entre Mélanie et une amie musulmane à propos de la gélatine de porc dans la pâtisserie: « Si ça ressemble à du porc, tu n’en manges pas. Si ça ressemble à un éclair, tu en manges… »  Ce qui vaudra à l’amie d’être traitée  de « kouffar » par une Mélanie de plus en plus radicale…

Ce film remarquable et prenant s’achève sur le sourire d’une Sonia rescapée. Pour elle, le ciel attendra encore mais Marie-Castille Mention-Schaar aura réussi à soulever tant et tant de questions… « Quand on a eu ce rêve et que ce rêve est anéanti, que reste-il et comment se reconstruire quand on s’est trompé à ce point? »

LE CIEL ATTENDRA Drame (France – 1h40) de Marie-Castille Mention-Schaar avec Noémie Merlant, Naomi Amarger, Sandrine Bonnaire, Clotilde Courau, Zinedine Soualem, Dounia Bouzar, Ariane Ascaride, Yvan Attal. Dans les salles le 5 octobre.

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