Le prisonnier, le superhéros, le falsificateur et le vengeur

Jung-soo Lee (Ha Jung-woo) prisonnier dans sa voiture. DR

Jung-soo Lee (Ha Jung-woo) prisonnier
dans sa voiture. DR

CATASTROPHE.- Enorme succès dans les salles de Corée du Sud l’été dernier avec plus de sept millions de spectateurs, Tunnel arrive sur nos écrans où il devrait, là aussi, rencontrer son public, notamment chez les amateurs de films-catastrophe… Tout bonnement parce que le troisième long-métrage de Kim Seong-hun est une réussite du genre. Cadre dans une entreprise automobile, Lee Jung-soo rentre chez lui en voiture. Il doit retrouver sa famille et fêter l’anniversaire de sa fillette. D’ailleurs le gâteau est posé sur la banquette arrière… Alors qu’il traverse un long tunnel, celui-ci s’effondre violemment sur la voiture. Pendant qu’une opération de sauvetage d’envergure nationale se met en place pour sortir l’automobiliste de son tombeau de pierre, Lee joue sa survie avec les maigres moyens à sa disposition… Tandis que l’enjeu de Tunnel (Corée du Sud – 2h07. Dans les salles le 3 mai) se résume en une seule question: combien de temps tiendra le malheureux?, l’intérêt du film se situe ailleurs, en l’occurrence dans une satire corrosive où les concepteurs du tunnel, les médias et les politiques en prennent pour leur grade. En évitant l’accumulation des désastres tous plus impressionnants les uns que les autres qui font l’ordinaire des films-catastrophe, Kim Seong-hum focalise l’attention sur un seul individu et génère ainsi une solitude puis une peur palpables. Dehors, l’épouse de Lee (Doona Bae, vue naguère dans A Girl at my Door) et Dae-kyung, le chef de l’équipe de secours semblent les seuls personnages raisonnables et sensibles dans une affaire qui prend des proportions d’autant plus colossales que Tunnel pointe, avec acuité, les excès d’une Corée, obsédée par la compétitivité, qui considère les règles de sécurité comme des entraves au développement… Pour le reste, on se demande vraiment où le malheureux automobiliste a trouvé un téléphone portable dont la batterie résiste aussi longtemps?

Enzo (Claudio Santamaria) et Alessia (Ilenia Pastorelli). DR

Enzo (Claudio Santamaria)
et Alessia (Ilenia Pastorelli). DR

SUPER-HEROS.- Les super-héros ne sont pas franchement la tasse de thé de l’auteur de ces lignes. Mais une séance matinale, naguère, lors des Rencontres du cinéma de Gérardmer l’a mis nez à nez avec le ténébreux Enzo Ceccotti, héros malgré lui de On l’appelle Jeeg Robot (Italie – 1h58. Dans les salles le 3 mai). Poursuivi par la police dans les rues de Rome, Enzo, petit voyou  sans envergure, plonge dans les eaux du Tibre. Là, il entre en contact avec une substance radioactive. Bientôt Enzo constate qu’il possède des pouvoirs surnaturels. Une aubaine qui, pense-t-il, va lui permettre d’être beaucoup plus performant dans ses activités criminelles. La manière dont il démonte un distributeur de billets en dit long sur sa nouvelle force mais montre aussi qu’Enzo joue petit bras: il ignorait que les billets étaient systématiquement maculés… Voguant entre le manga et le thriller, l’Italien Gabriele Mainetti réussit un film inventif, amusant et même édifiant! Car, au contact d’Alessia, jeune femme fragile, fortement perturbée et persuadée qu’il est l’incarnation de Jeeg Robot, le héros de manga, Enzo (le brun Claudio Santamaria) va définitivement passer du côté du Bien. D’abord pour tirer la pauvre Alessia des griffes du terrible Fabio alias le Gitan, un mafieux et… ancien concurrent d’un jeu télévisé très gravement déjanté, ensuite, plus généralement, pour… sauver le monde! En s’appuyant sur des personnages qui relèvent de la caricature (Fabio le Gitan est une synthèse du méchant complètement hystérique et passablement crétin) et sur des situations -évidemment- dignes de la bande dessinée, On l’appelle Jeeg Robot devient un thriller à la fois loufoque, hyper-violent et plutôt réussi dans son genre. Les amateurs du genre y trouveront leur bonheur. Les autres peuvent toujours faire une tentative…

Deborah Lipstadt (Rachel Weisz) et Richard Rampton (Tom Wilkinson). DR

Deborah Lipstadt (Rachel Weisz)
et Richard Rampton (Tom Wilkinson). DR

NEGATIONNISME.- Historienne et professeur en études juives à l’université Emory d’Atlanta, l’Américaine Deborah Lipstadt est, sous les traits de l’actrice Rachel Weisz, l’héroïne de Denial, le film du Britannique Mick Jackson, connu pour avoir réuni Kevin Costner et Whitney Houston dans Bodyguard (1992). Le procès du siècle (Grande-Bretagne – 1h50. Dans les salles le 26 avril) appartient caractéristiquement au genre « film de prétoire » puisqu’il détaille la manière dont Deborah Lipstadt va être attaquée en justice par le sulfureux historien anglais David Irving. Auteur de travaux reconnus sur le négationnisme, Deborah Lipstadt fut en effet poursuivie pour avoir, dans son livre Denying the Holocaust (1993), désigné Irving comme négateur de la Shoah. Le film raconte le déroulement du procès à Londres entre janvier et avril 2000. D’un côté de la barre, David Irving qui accuse Mme Lipstadt et son éditeur anglais Penguin Books d’avoir ruiné sa réputation en le qualifiant de propagandiste négationniste et pro-nazi. De l’autre, l’universitaire américaine déroutée par la situation aberrante (à ses yeux mais pas à ceux du droit anglais) de devoir prouver que ce qu’elle a écrit sur Irving -en l’occurrence qu’il ment sciemment en niant l’existence des chambres à gaz- est vrai. Tandis qu’Irving (l’excellent Timothy Spall, acteur fétiche de Mike Leigh) choisit de se défendre seul mais aussi de faire du procès une tribune pour ses théories nauséabondes, Deborah Lipstadt sera entourée d’une équipe d’avocats menée par Richard Rampton. Sous ses faux airs de papy, Rampton est une pointure du barreau qui « vaincra » Irving avec les armes de la procédure britannique… Incarné par Tom Wilkinson, autre brillant comédien anglais, Rampton fait songer à Sir Wilfrid Robarts, l’avocat madré de Témoin à charge (1957) de Billy Wilder, interprété par le génial Charles Laughton. Un film précis et pertinent à l’heure des tristement fameuses Fake News

José (Antonio de la Torre) et Curro (Luis Callejo). DR

José (Antonio de la Torre) et Curro (Luis Callejo). DR

VENGEANCE.- Tout commence, en pré-générique, par un violent braquage de bijouterie qui tourne au drame… Des coups de feu, une voiture qui fonce dans la ville à vive allure, une arrestation. On se dirait dans un bon film d’action américain mais on remarque vite que non. L’histoire se déroule dans une Espagne dont le réalisateur aime dire qu’il connaît bien les quartiers en périphérie, les petites villes de Castille, les bars dont le sol est couvert de poussière, où les joueurs de cartes aiment s’attabler, les hôtels en bord de route… C’est dans ce décor que José, au physique de Monsieur Toute-le-monde, fourbit sa vengeance depuis de longues années. Le braquage a brisé sa vie et la vengeance est devenue une obsession. Couronné en 2016 de quatre Goya (l’équivalent des César chez nous) dont celui de meilleur film, La colère d’un homme patient (Espagne – 1h31. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 26 avril) est la première réalisation de Raul Arevalo, comédien dans Les amants passagers (2013) ou La isla minima (2014). Découpé en chapitres (Le bar, La famille, Ana, Curro, La colère), ce polar implacable installe d’abord une atmosphère pesante dans laquelle José semble chercher puis trouver ses marques. Il croise ainsi la route de la belle Ana avec laquelle il a une aventure avant de retrouver Curro qui sort de prison. Pour José, Curro est celui qui lui permettra d’avancer dans son plan, en l’occurrence savoir qui a fait le coup de la bijouterie et qui est l’auteur des coups mortels. Enfin, lorsque José (Antonio de la Torre) passe à l’action, il n’y aura plus de pitié. La colère d’un homme patient est un thriller, aux images volontairement « sales », qui prend aux tripes en mêlant la rage, l’amertume, la haine et la colère d’un homme définitivement blessé.

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