COFFRET LINO BROCKA

Manille + InsiangNé en avril 1939 dans la province de Sorgoson aux Philippines, Lino Brocka, après ses études universitaires, se convertit à la religion mormonne en réaction au catholicisme de son pays et passe deux ans, en tant que missionnaire, dans une colonie de lépreux à Hawaii. De retour dans son pays, il participe à des spectacles d’une compagnie théâtrale où il monte Tennessee Williams ou Sartre. A l’orée des années 1970, il commence à tourner des films à petit budget avant de créer sa propre société de production, Cinémanila. Les films de Brocka s’adressent, pour l’essentiel, à un public populaire. Toutefois, d’autres, marqués par des préoccupations sociales et politiques, apparaissent plus ambitieux. Cette alternance, délibérée, s’explique pour le réalisateur, par sa volonté de développer un grand public philippin et d’élever le niveau du cinéma local…
Dans une filmographie qui comprendra une soixantaine d’oeuvres (Lino Brocka se tue en 1991 dans un accident de voiture à Manille), des oeuvres comme Manille (1975) ou Insiang (1976) vont le faire connaître en Europe. On retrouve ces deux films, dans de belles versions restaurées, dans un coffret qui comprend aussi Retour à Manille: le cinéma philippin, le documentaire réalisé en 2010 par le critique Hubert Niogret, passionnante plongée au coeur d’un pan méconnu du 7e art auquel Lino Brocka et plus récemment Brillante Mendoza, ont apporté une reconnaissance internationale. Dans les suppléments des films, on entend aussi Pierre Rissient, l’un des meilleurs découvreurs des cinématographies d’Asie du Sud-est, raconter sa rencontre avec le cinéaste et ses films…
Depuis quelques mois, Julio, 21 ans, a quitté son village de pêcheurs pour Manille où il espère retrouver sa fiancée Ligaya… Avec Manille, Brocka, tel un Dante philippin, signe une descente aux enfers. Julio a tout laissé derrière lui. A court d’argent, il se fait embaucher comme ouvrier sur un chantier. Bientôt, il va découvrir, entre prostitution, corruption et pauvreté extrême, l’univers du sous-prolétariat à Manille. De son côté, Ligaya (incarnée par la belle Hilda Koronel) a été enlevée à sa famille par une vieille maquerelle sous le fallacieux prétexte de lui faire suivre des études, en fait vendue au prix fort à un commerçant chinois.
Avec Insiang, magnifique mélodrame social, Lino Brocka s’installe dans un bidonville de Manille (le film a été tourné avec des acteurs professionnels dans un vrai bidonville) où vit la frange la plus pauvre de la population. Dans une habitation étriquée, la tyrannique Tonya malmène sa fille Insiang tout comme la famille du père, parti du domicile conjugal avec sa maîtresse. Insiang se démène comme elle peut pour survivre dans un environnement où chômage et alcoolisme font partie intégrante du quotidien. Un jour, Tonya chasse sa belle-famille de chez elle et ramène à la place son nouvel amant, Dado, un caïd du quartier en âge d’être son film. Très vite, Dado va tomber sous le charme de sa nouvelle « belle-fille ». D’abord victime, Insiang va peu à peu organiser une implacable vengeance contre ceux qui l’ont humiliée… Premier film philippin sélectionné au Festival de Cannes (c’était en 1978 à la Quinzaine des réalisateurs), Insiang est une oeuvre magnifique et cruelle qui prend aux tripes. Avec son visage à la fois grave et angélique, la belle Hilda Koronel est une formidable Insiang prise entre la violence du bidonville et la puissante sensualité d’un trio tragique…

(Carlotta)

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