L’écrivain et le beau fantôme du passé

Max Zorn (Stellan Skarsgard) et Rebecca Epstein (Nina Hoss). DR

Max Zorn (Stellan Skarsgard)
et Rebecca Epstein (Nina Hoss). DR

Un homme parle… Face à la caméra, il évoque son père qui enseignait la philosophie et surtout la lisait pour le plaisir. Et puis, il s’arrête sur ce qui importe plus que tout. Il dit « les choses qu’on a faites et qu’on regrette. Les choses qu’on n’a pas faites et qu’on regrette aussi ». Et puis la caméra se déplace et on voit que l’homme -un écrivain nommé Max Zorn- donne une lecture. Et l’on comprend que les souvenirs de l’écrivain concernent deux femmes : « L’un à qui j’ai fait du mal et l’autre à qui j’ai manqué ».

Avec Retour à Montauk, Volker Schlöndorff donne corps à un projet qu’il caresse depuis plus de cinq-six années mais auquel il n’arrivait pas à s’atteler car trop autobiographique, bien trop essayiste… De fait, l’histoire écrite par l’écrivain zurichois Max Frisch (1911-1991) était bien autobiographique. Alors qu’il est marié, Max Frisch fait, en 1974, la rencontre de l’Américaine Alice Locke-Carey. Dans Montauk, paru en 1975, Frisch décrit le week-end passé avec Alice à Montauk, lieu situé sur la pointe est de Long Island. L’écrivain suisse rencontrera à nouveau l’Américaine en 1980 et ils vivront ensemble jusqu’en 1984.

« Quiconque jette un regard en arrière sur sa vie a le sentiment que c’est un roman » a écrit Max Frisch. C’est en revenant régulièrement sur le projet et en travaillant avec l’écrivain Colm Toibin que Schlöndorff a pu faire de Retour à Montauk un travail indépendant et personnel. Où le cinéaste comme Toibin ont intégré des expériences de leurs propres vies…

Clara (Susanne Wolff) et Max Zorn. DR

Clara (Susanne Wolff) et Max Zorn. DR

Il y a un amour dans la vie, qu’on n’oublie jamais, peu importe à quel point on essaie. Max Zorn arrive à New York pour promouvoir son dernier roman. Sa jeune femme Clara l’a précédé de quelques mois pour contribuer à la parution du livre aux Etats-Unis. A New York, l’attend aussi Lindsey, l’attachée de presse chargée de gérer l’emploi du temps de l’écrivain entre lectures, rencontres et multiples interviews, y compris sur des chaînes de télévision où Zorn, interpellé sur l’Europe, aura l’occasion de préciser : « Avant d’être une économie, l’Europe est une culture ». Dans son dernier roman dont il est donc venu faire la promotion new-yorkaise, Zorn raconte l’échec d’une passion dans cette ville, dix-sept ans plutôt. Presque par hasard mais le hasard fait bien les choses, Max va tout mettre en œuvre pour revoir Rebecca Epstein, la femme en question. Si Rebecca semble d’abord réticente, cette avocate réputée va accepter de retourner avec Max à Montauk, le petit village de pêcheurs au bout de Long Island. Il faut bien un prétexte. Ce sera une maison que Rebecca doit absolument visiter. Mais, comme le rendez-vous tombe à l’eau, Rebecca et Max n’auront d’autre choix que de retourner sur la vaste plage face à la mer comme dans le motel ou le petit restaurant de crustacés qui avaient abrité autrefois, leur brève rencontre. Mais peut-on revenir sur les lieux d’un amour ancien, peut-on faire revivre une passion d’antan ? Le désir est-il encore là ou a-t-il fait place aux souvenirs, voire aux regrets ?

Avec Retour à Montauk -son premier film contemporain depuis un bon moment- Volker Schlöndorff, 78 ans, Palme d’or 1979 avec Le tambour (ex-aequo avec Apocalypse now) imagine un beau film mélancolique en forme de comédie romantique douce-amère. De retour à New York, Max Zorn sent bien qu’il est en territoire mouvant, pris soudain dans une aventure amoureuse largement décrite dans son dernier roman mais qui prend évidemment des accents de réalité et même de triangle amoureux lorsqu’il tente, au cabinet d’avocats, de forcer le passage jusqu’à cette Rebecca qui aura fait le trajet « Berlin-Est – Manhattan via Yale ». « Chaque coin de rue me la rappelle. Ce serait dommage de se rater… » se persuade l’écrivain. Soutenu par Lindsey qui s’en veut de jouer ce jeu-là, Zorn va accepter l’escapade à Montauk que Rebecca met sur pied mais dont Clara ne doit rien savoir… En une poignée de jours, alors que le temps s’est enfui, Max Zorn, dans une ville superbement filmée, loin de la classique carte postale, tente de renouer les fils de son récit romanesque pour reconstituer un passé disparu. A Rebecca, il demande : « Tu as lu ce que j’ai écrit sur notre histoire ? » et elle lui répond : « J’ai été surprise, étonnée surtout par ce que tu as inventé… » Si elle sait bien que tout s’est mal fini à l’époque, Rebecca veut voir si la flamme peut être ranimée. Savoir si on peut tout pardonner et recommencer là où l’on s’était arrêté ?

Lindsey (Isi Laborde) et Max Zorn. DR

Lindsey (Isi Laborde) et Max Zorn. DR

Pour servir un sens du récit et une fluidité dans la mise en scène intacts, Volker Schlöndorff peut s’appuyer sur un quintette de comédiens de talent. Dans la peau de Max Zorn, Stellan Skarsgard (capable de jouer chez Lars von Trier comme dans Les Avengers ou Pirates des Caraïbes) incarne un écrivain « à la distinction d’antiquaire européen » qui s’interroge et se trouble parce que, soudain, le délicat fantôme de son passé passionnel surgit dans la lumière presque nordique de la vaste plage de Montauk. Il y a aussi Niels Arestrup dans le personnage de Walter, riche collectionneur d’art et énigmatique ami de Max. Le cinéaste a enfin confié trois beaux rôles de femmes à la découverte américaine Isi Laborde (Lindsey), à l’Allemande Susanne Wolff (Clara) et à Nina Hoss (applaudie chez nous dans deux films allemands de Christian Petzold : Barbara en 2012 et Phoenix en 2014), la belle, originale, distante et fascinante Rebecca Epstein qui avoue « Je ne m’en suis jamais remise ». Rebecca, la figure fantasmatique construite par Zorn dans son roman, se retrouve soudain devant lui et lui confie ses blessures. Dans ce lieu où la terre s’arrête et où le ciel et la plage se confondent, c’est une vraie femme et non plus une figure rêvée qui arpente le sable…

RETOUR A MONTAUK Comédie dramatique (France/Allemagne – 1h46) de Volker Schlondorff avec Stellan Skarsgard, Nina Hoss, Susanne Wolff, Isi Laborde. Bronagh Gallagher, Malcolm Adams, Mathias Sanders, Niels Arestrup. Dans les salles le 14 juin.

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