MARK DIXON DETECTIVE

Mark Dixon DétectiveDétective à New York, Mark Dixon est réputé pour être un flic têtu et brutal qui ne lâche jamais le morceau et se fait un point d’honneur d’harceler les gros truands. Amené à enquêter sur le meurtre d’un riche (et naïf) Texan poignardé après avoir gagné beaucoup d’argent dans des jeux clandestins, Dixon est persuadé de pouvoir faire tomber Tommy Scalise, un caïd impliqué dans le crime. Au cours de son investigation, Dixon interroge Ken Payne considéré comme le suspect principal. Ancien héros de guerre, Payne se rebelle. Dans la bagarre, Dixon envoie, sans le vouloir, Payne à terre et celui-ci succombe. Dixon comprend instantanément que le drame va définitivement mettre en péril sa carrière. D’autant que le lieutenant Thomas, son nouveau chef, l’a dans le collimateur. Désemparé, Dixon décide de faire disparaître le corps. Pour cela, il endosse le chapeau, l’imperméable et empoigne la valise de Payne… Malheureusement, c’est un vieux chauffeur de taxi qui finira par être l’infortuné  suspect du drame. Pire, Mark Dixon, tout en devant endosser un rôle de tricheur qui est tout ce qu’il abhorre, tombe amoureux de la ravissante Morgan Taylor qui n’est autre que la fille du chauffeur de taxi!

Scénarisé par le grand Ben Hecht et réalisé pour la Fox par Otto Preminger, Where the Sidewalks ends (en v.o.) est un film noir qui compte parmi les chefs d’oeuvre du genre! Et pourtant, comme le souligne l’excellent livret exclusif et largement illustré écrit par Frédéric Albert Lévy qui accompagne cette belle édition, pas une seule ligne, nulle part, dans l’autobiographie de Preminger, ne mentionne Mark Dixon détective. Et cela même alors que de nombreux spécialistes n’hésitent pas à placer ce film au même niveau que le mythique Laura (1944). De fait, il y a une réelle « géméllité » entre les deux films: mêmes interprètes principaux, même directeur de la photographie, même monteur, même ingénieur du son… Si celui qu’on surnommait l’Ogre, oublie Mark Dixon…, c’est qu’il y a une raison. « Sans doute, écrit Lévy, aurait-il invoqué pour justifier cette lacune sa mauvaise mémoire, dont, assez curieusement, il se vantait, expliquant, citation de Freud à l’appui, qu’elle était le signe d’un bon équilibre mental. Mais certains témoignages sont là pour nous dire qu’il ne riait guère quand, vers la fin de sa vie, sa mémoire commença à lui faire vraiment défaut. » En fait, l’omission de Where the Sidewalk ends est probablement à mettre en rapport avec l’un des thèmes majeurs de l’œuvre de Preminger, celui du « nouveau départ » ou de la « nouvelle naissance », pour reprendre les termes employés par le critique Patrick Saffar dans son livre consacré, en 2009, au cinéaste.

Remarquable, ce film de 1950 l’est par sa cohérence dramatique (même s’il faut bien admettre quelques péripéties tirées par les cheveux) et par sa densité romanesque. Car au coeur du film, oeuvre la figure complexe de Mark Dixon, bon flic constamment hanté par son passé. Le père de Mark fut un gangster et si Dixon est flic, c’est pour mettre à mal la pègre et pour régler, de façon inconsciente, son compte à son père. Quitte à frôler les limites. D’ailleurs, le titre original prend tout son sens. Where the Sidewalk ends, autrement dit -là où les trottoirs s’arrêtent- évoque les caniveaux où circulent les détritus. Le premier plan du film décrit, dans un court travelling, un trottoir sur lequel s’affiche les noms des deux vedettes puis le titre du film. Puis on voit les jambes et les pieds d’un homme qui descend du trottoir et marche dans le caniveau mouillé… Un plan qui résume l’histoire, celle d’hommes qui quittent le droit chemin pour se frotter à la pègre, d’hommes comme Dixon qui franchissent la limite ténue entre le bien et le mal…

Avec un rythme fluide et efficace, une compassion sans pathos pour ses personnages, Preminger réussit une oeuvre virtuose. Au-delà de l’intrigue même, on est frappé par une mise en scène qui, pour indiquer les limites, multiplie les barrières, les grilles, les paravents, les comptoirs de bar, les portes qui s’ouvrent et se ferment…

Enfin Dana Andrews et Gene Tierney recomposent la tête d’affiche de Laura. Si certains considèrent parfois qu’Andrews joue comme une bûche, il apporte pourtant à Dixon de la profondeur, voire de la souffrance en flic torturé et obsessionnel. Si son rôle est moins épais que dans Laura, Gene Tierney est toujours sublime dans le noir et blanc superbe du directeur de la photo Joseph LaShelle.

En supplément au film, on trouve un portrait (30 minutes) de Preminger par Peter Bogdanovich. Le cinéaste de La dernière séance (1971) se souvient de Preminger (1905-1986) comme d’un « intellectuel européen dans le monde hollywoodien » et avoue qu’il n’a jamais eu à connaître de la légendaire tyrannie de l’auteur d’Exodus avant de passer en revue la brillante carrière d’un réalisateur qui aimait, en tant qu’acteur, incarner des officiers allemands, ainsi dans Stalag 17 (1953) de Billy Wilder. Et Bogdanovich évoque aussi largement ce masterpiece qu’est ce Laura qui révéla véritablement le style élégant et raffiné de Preminger… Un authentique must du film noir!

(Wild Side)

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