LA STAR, LE MONTEUR ET LE CRITIQUE

AAARedfordMême si le terme est volontiers galvaudé, l’étiquette de star va comme un gant à Robert Redford. Tout bonnement parce qu’il a traversé le cinéma hollywoodien avec une élégance qui ne se dément jamais et un talent simplement indiscutable. Il va sans dire que sa carrière est un modèle du genre. Dès qu’on plonge dans la belle kyrielle des films du grand Bob, on est épaté, au long cours, par tous les titres qui ont rythmé notre plaisir permanent du cinéma américain… Très vite, le Californien (il est né le 18 aout 1936 à Santa Monica) se fait remarquer et Daisy Clover (1965) de Robert Mulligan lui vaut le Golden Globe de la révélation masculine de l’année. Le beau gosse y croise Natalie Wood avec laquelle il vit une idylle secrète pendant plusieurs années… En 1966, il obtient son premier grand rôle dans Pieds nus dans le parc de Gene Sacks et craignant probablement d’endosser le stéréotype de l’Américain blond aux yeux, il décline des rôles dans des films comme Qui a peur de Virginia Woolf ? ou Le Lauréat.
Avec ce solide pavé de plus de 700 pages, on tient la biographie référence de Redford enfin traduite en français. L’Américain Michael Feeney Callan, déjà auteur de biographies de stars (Anthony Hopkins, Richard Harris, Julie Christie ou Sean Connery), s’est appuyé sur les journaux et la correspondance de l’acteur ainsi que sur des centaines d’heures d’interviews,  pour mettre en lumière l’un des derniers monstres sacrés de l’usine à rêves…
De manière très documentée (il a consacré pas moins de quatorze ans à ce travail), Feeney Callan raconte en détails Redford au fil d’une carrière de quarante ans tout en évoquant largement une jeunesse agitée, une famille éclatée entre un père très conservateur et une mère progressiste, ses débuts difficiles dans la comédie, la mort tragique de son fils Scott à l’âge de 5 mois, son engagement politique dans les rangs démocrates, son dévouement à la cause environnementale ou encore son investissement dans le cinéma d’auteur à travers le Sundance Institute fondé en 1981 qui soutient les artistes et parraine le fameux festival du film de Sundance…
Portrait honnête et attachant, Robert Redford est une analyse minutieuse du trajet d’un artiste populaire à propos duquel le biographe écrit : « Robert Redford n’était pas du genre à faire des demi-mesures (…) Il était un sportif dans son ADN, un compétiteur de bout en bout. Il est arrivé dans le métier d’acteur en trébuchant et sans certitude mais il a trouvé un sens et un pouvoir dans la découverte d’un talent inhérent. Il a offert ce talent au monde entier sous forme d’éclairs de diversion, de romance, de provocation et d’esprit… » Ces éclairs ont des titres connus de tous ! En 1969, il devient bankable en se glissant dans la peau du Sundance Kid dans Butch Cassidy et le Kid, formant un duo gagnant avec Paul Newman. Pour brouiller les pistes, Redford passe à la réalisation avec Des gens comme les autres (1980) et il poursuivra régulièrement dans cette voie avec des œuvres fortes et sensibles comme Milagro (1988), Et au milieu coule une rivière (1992), Quiz Show (1994), L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux (1998), La légende de Bagger Vance (2000), Lions et agneaux (2007), La conspiration (2011) et Sous surveillance (2013)…
Redford, c’est aussi une complicité au long cours avec Sydney Pollack. Les deux se rencontrent dès 1966 sur Propriété interdite avant de se retrouver, en 1972, sur l’emblématique Jeremiah Johnson, fameux Mountain man et figure errante des grands espaces à laquelle Redford apporte un puissant charisme. Viendront encore Nos plus belles années (1973), Les trois jours du Condor (1975, Le cavalier électrique (1979) et enfin Out of Africa (1985), archétype du film romantique hollywoodien. A propos de Jeremiah Johnson, le biographe rapporte les paroles d’une amie de Sydney Pollack qui estime que le film « était la fusion de Bob, de Sydney et de l’interdépendance de leur créativité. Beaucoup de gens ont affirmé que Sydney voulait être Bob, qu’il ne lui manquait que la crinière blonde… »
Et on cite encore Gatsby le magnifique (1974) et forcément Les hommes du président (1976) où il incarne Bob Woodward, signature du Washington Post, et tombeur de Nixon dans le plus beau film sur le journalisme au cinéma. Le Redford de Michael Feeney Callan permet, à toutes ses pages, de se glisser dans une grande aventure de cinéma.

ROBERT REDFORD. Michael Feeney Callan. Traduit par Muriel Levet. Editions La Trace. 759 pages. 22 euros. En librairie depuis le 17 mai.

AAABienLongtempsSalleMontageHIRSCH.- Dans son célèbre ouvrage Notes sur le cinématographe (1975), Robert Bresson affirmait que le « montage est le passage d’images mortes à des images vivantes. Tout refleurit. » De là à dire que tout se construit par le montage et que le cinéma, c’est le montage, il n’y a qu’un pas que nombre de cinéastes franchissent volontiers. Le montage véhicule le sens et donne un sens aux images mêmes qui n’en ont pas séparément…
Ce n’est sans doute pas Paul Hirsch qui dira le contraire. Le monteur new-yorkais, né en 1945, offre en effet, dans son livre, une vision privilégiée sur les coulisses du cinéma américain et plus spécialement sur l’univers du montage.
À travers un ouvrage fascinant, Hirsch fait revivre sa carrière film après film, en dressant le portrait des moments décisifs qui ont contribué à créer certaines scènes parmi les plus iconiques du cinéma hollywoodien. Il évoque des moments que peu de gens connaissent concernant le casting, la mise en scène ou la musique de ses plus grands films, ainsi que des réalisateurs, producteurs, compositeurs, actrices et acteurs stars. Moitié manuel à l’usage des étudiants de cinéma, moitié hymne à de légendaires cinéastes et professionnels du 7e art , cet ouvrage divertissant et drôle passionne tout en éduquant, mine de rien, à la fois les connaisseurs et les amoureux du cinéma.
En effet, Paul Hirsch est le monteur mythique des premiers Star Wars (il a reçu l’Oscar du meilleur montage en 1978 pour La guerre des étoiles et a été également nommé en 2005 pour Ray de Taylor Hackford) mais aussi d’une dizaine d’œuvres de Brian de Palma des années 70 et 80 comme Carrie, Blow Out ou Mission impossible. De son monteur, De Palma dit : « Si vous voulez savoir comment on s’y prend pour mouliner un film, ce livre est fait pour vous. Je devrais le savoir, j’étais à ses côtés depuis le début jusqu’à notre mésaventure sur Mars. Félicitations Paul, de te souvenir de tout ce qu’on a oublié. »
Paul Hirsch évoque, par exemple, Phantom of the Paradise : « J’étais très excité par le projet de monter une comédie musicale, étant donné mon amour de la musique et l’opportunité que cela m’offrait de monter des séquences en fonction de la musique qui est un type de montage où j’éprouve beaucoup de plaisir. Le premier jour de tournage à Los Angeles, j’étais sur le plateau puisqu’il n’y avait encore aucune pellicule à monter. On tournait dans un studio d’enregistrement et soudain de la fumée a commencé à s’échapper des conduits d’aération. On a immédiatement évacué les lieux et le problème a été rapidement résolu, même si cela a donné lieu à beaucoup de blagues sur les risques encourus à faire un film impliquant le diable… »

IL Y A BIEN LONGTEMPS, DANS UNE SALLE DE MONTAGE LOINTAINE, TRES LOINTAINE… Paul Hirsch. Traduit de l’anglais par Pierre Filmon. Carlotta Films éditions. 468 pages. 20 euros. En librairie le 9 juin.

AAAPasseportHollywoodREPONSES.- Comment filmer l’Amérique ? Comment filmer en Amérique ? Jamais peut-être un pays ne s’est autant identifié à un art que les États-Unis à leur cinéma. Passeport pour Hollwyood est né du désir de Michel Ciment de mieux comprendre ce phénomène unique en interrogeant trois anciens metteurs en scène du Nouveau Monde parmi les plus grands (Billy Wilder, John Huston, Joseph Mankiewicz) et trois nouveaux réalisateurs de l’Ancien Monde (Roman Polanski, Milos Forman, Wim Wenders) qui ont apporté un souffle nouveau au septième art, tout en se confrontant à l’Amérique.
Interrogé à propos de Fédora, somme de tout ce qu’il a exprimé au cinéma, Billy Wilder explique : « Quand vous vieillissez, vous cristallisez plus ou moins certaines tendances qui sont en vous. Plus je fais de films, plus j’essaie d’approfondir en simplifiant la technique et en m’exprimant avec élégance. Refuser le plan qui se fait remarquer, c’est ce qu’on voit chez Chaplin, Lubitsch, Ford. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de pouvoir filmer pour des millions de dollars à la lumière des chandelles, c’est de savoir ce qui se passe à la lueur de ces chandelles. »
Quel était le fonctionnement des grandes compagnies de production ? Comment un cinéaste acquiert-il son indépendance ? Quelles sont les conditions de la création à Hollywood ? Autant de réponses de première main fournis Michel Ciment (membre du comité de rédaction de la revue Positif et auteurs de livres comme Kubrick, Kazan par Kazan, Le livre de Losey ou Le dossier Rosi) dans ces entretiens bourrés d’anecdotes, de portraits, de réflexions sur l’art et la technique, qui permettent de mieux cerner des films aussi importants que Le Limier, Amadeus, Fat City, La Vie privée de Sherlock Holmes, Paris Texas ou Rosemary’s Baby, et de connaître plus intimement leurs auteurs.
Paru pour la première fois aux éditions du Seuil en 1987, puis en poche chez Ramsay en 1992 (deux éditions rapidement épuisées et désormais introuvables) ce livre reparaît, 35 ans plus tard, enrichi de trois entretiens avec Milos Forman sur ses trois derniers films : Larry Flynt, Man on the Moon, Les Fantômes de Goya (en présence pour ce dernier de Jean-Claude Carrière) ainsi qu’une rencontre avec Wim Wenders sur Don’t Come Knocking.

PASSEPORT POUR HOLLYWOOD. Michel Ciment. Carlotta Films éditions. 402 pages. 18 euros. En librairie depuis le 5 mai.

Laisser une réponse