Le père, le fils, le vin et les femmes

Bruno (Benoît Poelvoorde) et Jean (Gérard Depardieu). DR

Bruno (Benoît Poelvoorde)
et Jean (Gérard Depardieu). DR

Entre l’affiche, la bande-annonce, la présence de quelques comédiens réputés, on se disait qu’on allait assister à une variation sur des pochtrons sublimes, une version contemporaine et rurale du fameux Singe en hiver (1962) où Depardieu et Poelvoorde auraient sans peine pris la place, tonitruants au comptoir, de Gabin et de Bebel…

Alors bien sûr, ça commence fort au Salon de l’Agriculture où deux solides gaillards, Bruno et Thierry, viennent célébrer une tradition qui n’appartient sans doute qu’à eux: faire la route des vins sans quitter le Salon. Mieux, ils préviennent: « Il vaut mieux nous avoir au début qu’à la fin… » D’emblée, ils siphonnent recta un pouilly fuissé qui ne demandait qu’à s’épanouir sur le palais avant de poursuivre chez l’Alsacien Pierre Adam. Un brave homme, à l’accent qui fleure bon la colline sous-vosgienne, leur fait goûter un pinot noir qui ira rejoindre illico le pouilly…

Là, on peut valablement se demander comment le duo Delepine-Kervern va se sortir d’affaire. Et surtout savoir si le duo aviné va longtemps poursuivre sa quête bachique… Surprise, Saint Amour va alors partir sur d’autres pistes. Oh bien sûr, il s’agit toujours de visiter des terroirs mais, cette fois, à la manière d’un road-movie déjanté et même carrément surréaliste. On songe alors à Mammuth (2010), autre collaboration du tandem de réalisateurs, qui déjà s’offrait des échappées libres et de petites saynètes qui, si elles n’ajoutaient pas grand’chose à la cohérence du film, avait le mérite de la pure loufoquerie…

Gustave Kervern, co-réalisateur et interprète de Thierry. DR

Gustave Kervern, co-réalisateur
et interprète de Thierry. DR

Si Bruno est venu au Salon de l’Agriculture pour solidement picoler, il y est rejoint cette fois par Jean, son père, venu présenter Nabuchodonosor, le taureau champion de son élevage. Mais surtout Jean voudrait se rapprocher de son fils. Car celui-ci est bien décidé à quitter le monde rural pour devenir vendeur chez Jardiland. Et ça, Jean ne peut l’admettre. Sur un coup de tête, le père, qui a arrêté de boire depuis un bout de temps, décide donc d’offrir au fils une vraie route des vins. Mais, pour Jean, c’est moins pour boire que pour se rapprocher de Bruno.

Mike, le chauffeur de taxi au prénom de tracteur américain, va donc les transporter en direction d’une première halte dans le Beaujolais avec passage à Juliénas et dégustation de saint amour dans une cantine où Jennifer, la serveuse, a clairement du mal à attraper le homard de son vivier… Et lorsque le trio ramènera Jennifer à son domicile, la petite demandera à Jean de l’accompagner dans sa chambre. Où elle se couche sur le lit… pour pleurer sur la crise de l’agriculture et se lamenter: « On n’arrivera jamais à 3% de déficit! »

On a compris à cet instant que Saint Amour s’engage sur les brisées de la fable farfelue et extravagante où trois gentils hurluberlus se transforment en poètes de la picole et des femmes fantasmées. Mike se raconte des histoires sur toutes les belles qui ont déjà traversé sa vie. Bruno se lamente sur toutes les vestes qu’il a prises avec les femmes et Jean se sent philosophe agreste: « Si la vie n’était qu’un sillon, il ne serait pas que droit » dit-il tout en invitant son Bruno à ne pas oublier qu’au bout du sillon, on peut changer de direction, façon blé ou orge, viande ou lait.

Vénus (Céline Sallete), un rêve de femme... DR

Vénus (Céline Sallete), un rêve de femme… DR

Dans sa déambulation burlesque pas dépourvue, il faut le dire, de baisses de rythme, Saint Amour va passer par une chambre d’hôtes tenue par un Michel Houellebecq en pyjama rayé, une soirée d’enterrement de vie de jeune fille où la future mariée a honte de dire que son homme est un cul-terreux ou par des haltes chez les ex de Mike, la palme revenant à celle incarnée par la souriante Izia Higelin, coincée dans son fauteuil de paraplégique, souffrant d’un cancer des poumons non sans avoir subi une ablation des ovaires!

On croisera encore un prophète qui dialogue avec Dieu et ses séraphins ou une employée d’une agence immobilière avec une manière bien à elle de faire visiter un appartement à Bruno. Disons simplement que Bruno n’aura pas le temps d’enfiler le préservatif siglé « La France pour tous avec Jacques Chirac » qu’il avait dans sa poche…

Et puis Jean, Mike et Bruno finiront leur périple dans les bras de Vénus, belle et intrigante cavalière rousse (Céline Sallette, séduisante à souhait) à la ménopause précoce, avec laquelle ils connaîtront des bonheurs oubliés ou inconnus… Le retour au Salon de l’agriculture serait alors une simple boucle bouclée si Delépine et Kervern n’avaient pas écrit une scène improbable où un père déclare à son fils qu’il l’aime… Improbable sauf lorsque c’est Depardieu qui s’en charge. Monumental et tendre, il est alors bluffant de justesse… Tout comme il est émouvant lorsqu’il écoute le message sur le répondeur (c’est la voix de Yolande Moreau) de sa femme disparue ou lorsqu’il emballe Andréa Férreol (clin d’oeil à La grande bouffe de Ferreri) dans sa chambre d’hôtel. Tous les deux s’étreignent sur le lit et, en se relevant, Depardieu soupire: « J’ai l’impression d’avoir oublié un truc… » et de se souvenir: « On a oublié de faire l’amour… »

Bruno, Mike et Jean, trio en goguette. DR

Bruno, Mike et Jean, trio en goguette. DR

Si Vincent Lacoste (Mike) est un peu plus en retrait tout en ayant de bonnes scènes, Benoît Poelvoorde donne toute sa mesure avec un Bruno dont la consommation d’alcool va peu à peu s’estomper pour libérer un brave type franc du collier. Delépine/Kervern lui ont fait du sur-mesure avec une tirade digne de Cyrano sur les dix stades de l’ivresse. Où se succèdent la libération, la vérité, la torpeur, la violence, la recherche frénétique de sexe, la honte etc.

Moins radical que les films précédents du duo, moins trash aussi, Saint Amour est à déguster sans attendre.

SAINT AMOUR Comédie dramatique (France – 1h48) de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, Céline Sallette, Vincent Lacoste, Gustave Kervern, Solène Rigot, Izia Higelin, Ovidie, Andréa Ferreol, Chiara Mastroianni, Ana Giradot, Mahault Mollaret. Dans les salles le 2 mars.

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