Le président et sa part d’ombre

Ricardo Darin incarne le président argentin Hernan Blanco. DR

Ricardo Darin incarne le président argentin Hernan Blanco. DR

Fraîchement élu à la tête de l’Argentine, le président Hernan Blanco doit participer, au Chili, à son premier sommet international… Quelques heures avant de partir, Blanco apprend, par son équipe rapprochée, qu’il risque de se retrouver au coeur d’un scandale de surfacturation de fonds de campagne… Le stress gagne car c’est le gendre du président qui trempe dans l’affaire. Vite, le président décrète: « On n’en parle pas. Ca n’existe pas. » Point. Car, pour le chef de l’Etat argentin, le sommet doit être un moment crucial pour asseoir sa position dans le contexte politique de l’Amérique du Sud, d’autant plus que le sommet doit décider de la création d’une Alliance du Sud, sorte d’équivalent de l’OPEP alors que le président brésilien Oliveira Prette arrive, lui, au Chili avec un statut de star politique…

Né à Buenos Aires en 1980, Santiago Mitre commence sa carrière comme acteur puis devient le coscénariste de Pablo Tapero pour Leonora (2008) puis Carancho (2010) et Elefante blanco (2012). Il passe à la réalisation en 2011 et est remarqué pour second long-métrage, Paulina (2015), le drame d’une jeune femme promise à une brillante carrière d’avocate et qui choisit d’enseigner dans un village défavorisé. Peu de temps après son arrivée, Paulina sera agressée et violée par un groupe de jeunes gens, parmi lesquels elle reconnaît certains de ses élèves. Présenté à Cannes, le film sera couronné du Grand prix de la Semaine de la critique. Avec El Presidente (La cordillera en v.o.), son troisième « long », Mitre poursuit dans la veine politique qui avait nourri ses deux précédents films. Pour le cinéaste, El Presidente est l’occasion de dessiner le portrait d’une figure politique majeure et de confronter la vie publique d’un homme dont la politique est le métier avec une vie privée soudain mise à mal par les révélations qui frappent son gendre et plus encore sa fille Marina, une trentenaire psychologiquement fragilisée…

Les chefs d'Etat réunis en sommet dans la Cordillère des Andes. DR

Les chefs d’Etat réunis en sommet
dans la Cordillère des Andes. DR

El Presidente s’ouvre d’une manière quasiment documentaire avec cet électricien qui arrive en camionnette, au petit matin, au palais présidentiel et que la sécurité ennuie parce que le  prénom sur ses papiers ne correspond pas à celui sous lequel il est enregistré pour son intervention… Après cet épisode presque cocasse, on passe à une immersion dans le quotidien présidentiel en entrant dans les lieux, en passant par les coulisses, les cuisines, les bureaux, les salles de réunion pour arriver jusqu’au bureau présidentiel. Le cinéaste a d’ailleurs pu tourner, une nuit et un dimanche, dans le vrai bureau de la Casa Rosada, la résidence officielle de la présidence argentine… Et puis l’avion présidentiel emporte Hernan Blanco vers un grand hôtel planté dans les hauteurs neigeuses de la Cordillère des Andes. Blanco va y rencontrer ses homologues latino-américains pour une suite de rencontres et de débats. Dans la coulisse d’un sommet tendu, le président argentin décide de faire venir sa fille Marina pour tenter de comprendre le drame qu’elle vit tout en tentant de gérer le danger que représente son instabilité…

Hernan Blanco et sa fille Marina (Dolorès Fonzi). DR

Hernan Blanco
et sa fille Marina (Dolorès Fonzi). DR

Et puis, petit à petit, tandis que l’hôtel paraît ressembler aux couloirs de Shining, le film bascule doucement du politique (l’Alliance du Sud est une invention qui demeure cependant crédible et qui renvoie aux courants nationalistes qui animent l’Amérique latine) vers une fiction où la réalité se tord dès lors qu’apparaît le personnage de Marina. Ses états d’âme contaminent El Presidente et lui donnent une dimension étrange, voire fantastique alors qu’une séance d’hypnose de Marina vient renforcer le décalage volontaire avec le réel… De la même manière que l’hôtel prend des allures « kubrickiennes », les routes qui y mènent, à l’image des personnages, sont toutes en virages et en courbes, cette sinuosité donnant au film des allures de construction mentale.

Ecrit en pensant précisément à Ricardo Darin pour le rôle de Hernan Blanco, El Presidente repose pleinement sur la star argentine qu’on a eu l’occasion de voir dans des films comme Dans ses yeux (2009), Les nouveaux sauvages (2014) ou Truman (2015). Le comédien aux yeux très clairs campe un homme d’Etat qui assume sa normalité et la revendique au point d’en avoir fait un argument marketing de sa campagne électorale. Mais la menace de corruption va faire s’effriter la façade de normalité… Non sans une touche d’humour, Santiago Mitre a nommé son président Blanco (blanc en espagnol) comme pour souligner, au fur et à mesure du récit, l’ambiguïté d’un personnage d’abord impénétrable, voire insondable mais, à priori très droit, qui va révéler progressivement sa part d’ombre. Quant à la rencontre (très discrète) avec un émissaire du gouvernement américain (Christian Slater, parfait en Américain très sûr de lui), elle va permettre à Hernan Blanco, de signer un stratégique pacte faustien…

 

Au sommet, un président (Ricardo Darin, avec Paulina Garcia) en représentation. DR

Au sommet, un président (Ricardo Darin,
avec Paulina Garcia) en représentation. DR

Le cinéma argentin est suffisamment rare sur nos écrans pour ne pas aller jeter un coup d’oeil à cet El Presidente qui se regarde agréablement et qui déstabilise un peu un président lorsque une journaliste l’interroge sur sa conception du Bien et du Mal et sur la manière de les utiliser de la manière la plus utile…

EL PRESIDENTE Drame (Argentine – 1h54) de Santiago Mitre avec Ricardo Darin, Dolorès Fonzi, Erica Rivas, Elena Anaya, Daniel Gimenez Cacho, Gerardo Romano, Leonardo Franco, Paulina Garcia, Christian Slater. Dans les salles le 3 janvier.

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