Le séducteur et le bunker

CANNES.- Veille de grand’messe sur la Croisette! A chacun ses rituels: le festivalier moyen fait la queue (la première d’une décade qui en verra beaucoup d’autres) pour récupérer son indispensable accréditation, le Cannois bon teint bronzé, bermuda à carreaux et chemisette rose Ralph Lauren, promène son lévrier. En jetant un regard quasi-dégouté sur les ouvriers qui frappent, collent, visent, scient, percent, poncent, forent dans des chapiteaux qui, demain, accueilleront des happy few dûment invités, prêts à en découdre avec de fines bulles. Tiens, chez Nespresso/Plage, on déballe des palettes de Piper-Heidsieck. C’est fini le Volutto du bon George?

La Croisette est encore provisoirement le territoire des touristes. Une petite dame, bob sur la tête, râle: « Au moins à Vintimille, on aurait pu se garer. » Devant la bijouterie Winston, un man in black, oreillette en batterie, la joue impassible. On a envie de lui demander s’il sait qu’une étude récente révèle que les ondes à forte dose sont néfastes pour la santé. On décide que non pour aller admirer la vitrine de l’agent immobilier juste à côté. On vous le donne comme on l’a lu: « 92 m2 et 25 m2 de terrasse, appartement en angle face à la mer: 790.000 euros ».

Et le cinéma dans tout cela? Pour savoir ce qui nous attend dans les prochains mois, il suffit de lever le nez devant le Carlton. Au fronton, là-haut, on apprend que Cameron Diaz et un certain Jason Segel nous retrouveront dans « Sex Tape », manifestement une comédie et, comme le dit l’affiche, « un film sur un film qu’ils ne voudraient pas que vous voyiez ». Grossier, le piège, non? On va se précipiter, tiens.

Juste, en dessous, on ne peut pas rater toute la troupe en grand format des « Expendables », Stallone et ses amis Statham ou Schwarzy en tête. Ils remettent donc le couvert pour un divertissement musclé qui ne fera mal à la tête de personne… Sauf aux méchants, évidemment.

Président du Festival de Cannes pour un an encore, Gilles Jacob s’est confié à la presse parisienne: le palais des festivals n’est plus, dit-il, à la hauteur d’un événement mondial comme Cannes. Et de suggérer de démolir le vieux bunker (il a ouvert ses portes en 1983) pour le remplacer par un édifice superbe et digne du Festival. En lisant la presse, le maire de Cannes a failli s’étouffer avec son croissant. En retrouvant sa voix, il a retrouvé son calme pour expliquer que, eh bien voilà, ce n’est pas tout à fait comme cela qu’à la mairie, on voyait les choses…

Le prochain président de Cannes, Pierre Lescure, lui, a d’autres soucis. On la fait courte: il est visé par une enquête du Parquet de Paris sur des mouvements financiers suspects entre ses comptes bancaires. L’ex-boss de Canal+ trouve étrange que cette « information » sorte juste au moment du festival. Y a-t-il des malfaisants sur la Croisette?

Tandis que ce sacré vieux séducteur de Marcello Mastroianni sourit par-dessus ses lunettes noires felliniennes sur l’affiche du 67e festival, les rumeurs vont déjà bon train. Ainsi, on voit déjà une palme d’or pour Nuri Bilge Ceylan, le cinéaste turc de « Winter Sleep ». D’autres verraient bien les frères Dardenne réaliser un gros coup en remportant, avec « Deux jours, une nuit » (et Marion Cotillard même pas maquillée), leur troisième palme d’or après « Rosetta » et « L’enfant ». Toute la Belgique en rêve déjà. Ensuite, il suffirait aux Diables rouges d’Eden Hazard de remporter la Coupe du monde au Brésil…

Mais de cela, la petite dame diaphane qui, sur son banc de la Croisette, semble grelotter dans le vent, s’en fiche, je vous dis pas…

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