Joyeux retour chez les doux dingues!

RETOUR DANS LES SALLES OBSCURES ! UN PUR PLAISIR… SURTOUT QUAND ON PEUT Y DEGUSTER ADIEU LES CONS… LE FILM D’ALBERT DUPONTEL ETAIT SORTI SUR LES ECRANS LE MERCREDI 21 OCTOBRE 2020. ET IL LES QUITTAIT A PEINE UNE POIGNEE DE JOURS PLUS TARD, LE 29 OCTOBRE AVEC L’INSTAURATION DU RECONFINEMENT ET LA FERMETURE DES CINEMAS.
LE 12 MARS 2021, POUR LA 46e CEREMONIE DES CESAR (DONT ON S’EST EMPRESSE D’OUBLIER L’ATMOSPHERE SCATO-NAUSEEUSE) LE FILM RAFLAIT PAS MOINS DE SEPT COMPRESSIONS DONT CELLES DE MEILLEUR FILM ET DE MEILLEUR REALISATEUR.
REVOICI CI-DESSOUS LA CRITIQUE PARUE ICI EN OCTOBRE 2020. IL N’Y A PAS UNE VIRGULE A CHANGER…

Jean-Baptiste Cuchas (Albert Dupontel) vient de rater son suicide. DR

Jean-Baptiste Cuchas (Albert Dupontel) vient de rater son suicide. DR

Aux grands maux, les grands moyens ! Dans une tour d’une entreprise du CAC 40, un jeune type brillant mais totalement coincé se retrouve, dans un ascenseur bloqué au 13e étage, nez à nez avec la jeune fille qu’il aime en secret et à laquelle il adresse, depuis des mois, des poèmes et des fleurs mais sans jamais oser l’aborder… Lorsque le binoclé étriqué pousse le bouton de l’appel d’urgence, c’est pour entendre une voix douce lui glisser : « Faut pas avoir peur ! Je t’aime sont les mots les plus importants dans la vie ! » Cette séquence est l’un des nombreux bons moments qui jalonnent Adieu les cons, le septième long-métrage d’Albert Dupontel sous sa casquette de metteur en scène…
La dernière fois que Dupontel avait réalisé un film, c’était en 2017 et il signait Au revoir là-haut, la riche adaptation du roman éponyme de Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013. Il y tenait d’ailleurs le rôle principal d’Albert Maillard, auteur, en compagnie d’un fils de famille défiguré pendant la Grande guerre, d’une belle escroquerie…
Après cette évocation historique enlevée (le film, César 2018 de la meilleure réalisation, avait réuni plus de deux millions de spectateurs), Albert Dupontel fait son retour avec une tragédie burlesque qui fait la part belle aux émotions, voire à un doux délire. Mais le cinéaste n’oublie pas de commenter, avec verve, le monde actuel comme il va ou ne va pas.
Coiffeuse de son état, Suze Trappet est bien malade (« Je meurs d’un excès de permanentes », dit-elle) même si, sur les radios que lui montre un médecin, elle a tendance à voir des cœurs et des fleurs, « peut-être un bouquet de soucis »… Alors, à 43 ans, Suze décide de retrouver l’enfant dont elle a accouché lorsqu’elle en avait quinze et qu’elle a abandonné sous X.

Suze Trappet (Virginie Efira)  fait la rencontre de sa vie. DR

Suze Trappet (Virginie Efira) fait la rencontre de sa vie. DR

Las, à l’agence de santé, c’est tout juste si le fonctionnaire ne lui rit pas au nez : « Donner, c’est donner ; reprendre, c’est voler »
Si Suze Trappet a le moral au plus bas, que dire de Jean-Baptiste Cuchas ! Voilà un serviteur de l’Etat aussi déférent que transparent. Ce pro de l’informatique est un spécialiste de la surveillance et il s’apprête à informer ses supérieurs de ses nouvelles trouvailles lorsqu’on lui signifie qu’on ne va plus avoir besoin de lui. A ses tourments, le malheureux ne voit qu’une solution et elle est définitive. Equipé d’un solide fusil de chasse, Jean-Baptiste organise sa sortie non sans avoir enregistré une vidéo : « C’est trop injuste ! Je ne comprends pas… » Mais le coup mortel part de travers, emporte une cloison, blesse le fonctionnaire qui se riait de Suze Trappet. Panique dans le service ! La police est déjà persuadée avoir affaire à un radicalisé… Passant la tête par la cloison défoncée, Suze voit instantanément en Jean-Baptiste l’homme qui pourrait lui apporter le nécessaire coup de main pour résoudre son drame…
Avec ces deux laissés-pour-compte de l’existence, Dupontel embarque le spectateur dans une aventure urbaine et souvent nocturne dont il règle avec brio la précise mécanique. Jouant d’abondants mais bienvenus effets spéciaux (le film est quasiment entièrement tourné en studio avec des décors poétisés), Dupontel réussit à maîtriser, de bout en bout, sa narration émotionnelle. Et si Adieu les cons échappe constamment au n’importe quoi, c’est que Dupontel sait se reposer sur de solides références. Le film est dédié au Monty Python Terry Jones, disparu en janvier dernier, auquel Dupontel voue une grande admiration. A propos des loufoques British, on remarque un caméo de Terry Gilliam (la pub pour les fusils de chasse) et surtout Adieu les cons -par exemple dans l’ubuesque séquence d’archives labyrinthiques- fait un clin d’œil évident à Brazil (réalisé en 1985 par Gilliam) et à son univers bureaucratique et totalitaire proche du 1984 de George Orwell. Et il n’échappera pas aux fans du très culte Brazil que trois personnages d’Adieu… portent les noms de Kurtzmann, Lint et Tuttle…

Jean-Baptiste, Suze et M. Blin (Nicolas Marié) mènent l'enquête. DR

Jean-Baptiste, Suze et M. Blin (Nicolas Marié) mènent l’enquête. DR

Alors, on se laisse, avec bonheur, aller à cette folle histoire qui devient une fable noire où un Dupontel mordant parvient quand même, en à peine 1h30, à aborder, sur un rythme qui ne faiblit pas, la violence du monde du travail, l’accouchement sous X, la maternité, la maladie d’Alzheimer, le handicap, le suicide, les imbroglios administratifs, l’aseptisation des villes nouvelles, l’addiction au portable et à l’informatique qui régit la vie de tous dans un monde connecté complètement déconnecté de sentiments purs…
Mieux encore, Dupontel campe remarquablement un inhibé dépressif qui reprend du poil de la bête au contact d’une Suze Trappet déterminée. La désormais incontournable Virginie Efira (on vient de la voir, excellente, dans Police d’Anne Fontaine et on l’attend dans Benedetta de Verhoeven) est parfaite en femme au bout du rouleau qui aura le bonheur de susurrer, à distance, dans la scène, citée plus haut, de l’ascenseur, un message d’amour à son fils retrouvé.
Quant à Nicolas Marié, complice de longue date de Dupontel, il est formidable de fantaisie dans le rôle de Serge Blin. Relégué aux archives à cause de sa cécité, Blin, que la police rend hystérique, va se révéler d’un grand secours pour ses deux compagnons de hasard… La séquence où Blin guide Suze à bord de sa voiture dans la ville est savoureuse et mélancolique à la fois. Car Blin se souvient, ici, d’une petite épicerie traditionnelle, là, d’un cinéma ou d’un square occupé par des boulistes alors qu’on ne voit que les mornes façades de grands magasins ou de garages…

Jean-Baptiste et Suze en mauvaise posture. DR

Jean-Baptiste et Suze en mauvaise posture. DR

Enfin Dupontel agrémente son récit de joyeuses petites apparitions. Jackie Berroyer est un vieux médecin malade, Michel Vuillermoz, un psy bien barré, Laurent Stocker, un directeur trouillard ou encore Grégoire Ludig et David Marsais, du Palmashow, des préposés pas fûtés…
Réflexion sur les déviances kafkaiennes du monde actuel, Adieu les cons (qui fait se rencontrer et s’aimer quelqu’un qui veut vivre mais qui ne peut pas et quelqu’un qui pourrait vivre mais qui ne veut pas) est aussi un épatant divertissement. A ne pas rater !

ADIEU LES CONS Comédie dramatique (France – 1h27) de et avec Albert Dupontel, Virginie Efira, Nicolas Marié, Jackie Berroyer, Philippe Uchan, Bastien Ughetto, Marilou Aussilloux, Catherine Davenier, Michel Vuillermoz, Laurent Stocker, Kyan Khojandi, Grégoire Ludig, David Marsais, Bouli Lanners. De retour dans les salles le 19 mai.

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