Dany qui voulait voir la mer

Dany (Freya Mavor" sur la route de la mer. DR

Dany (Freya Mavor) sur la route de la mer. DR

On connaissait le Sfar de la bande dessinée… Puis on l’avait découvert sur le grand écran avec le succulent Chat du rabbin et avec ce biopic pas comme les autres qu’était Gainsbourg (vie héroïque). On sourit aussi en l’entendant expliquer qu’après le succès de ces deux premiers films: « Dès qu’un biopic rentrait en production, il atterrissait sur mon bureau. Dès qu’il y avait un juif dans un film, c’était pour moi. »

Autant de raisons qui font qu’on avait bien envie de voir ce que serait le troisième film de Joann Sfar… Sans biopic et sans juif, donc. Mais avec une démonstration supplémentaire du goût de Sfar pour le cinéma, en particulier américain. C’était aussi la première fois que Sfar se voyait proposer un scénario, en l’occurrence un vrai challenge puisqu’il s’agissait de l’adaptation du roman, peut-être le plus inadaptable, de Sébastien Japrisot. A la manoeuvre, on trouvait Gilles Marchand et Patrick Godeau, deux solides professionnels, le premier ayant notamment écrit des films comme Harry, un ami qui vous veut du bien, Qui a tué Bambi? ou, plus près de nous, Eastern Boys. Après quoi Sfar pouvait se lancer dans un thriller autour de la plus rousse, la plus myope, la plus sentimentale, la plus menteuse, la plus vraie, la plus déroutante, la plus obstinée, la plus inquiétante des héroïnes.

Dany Doremus n’a jamais vu la mer. Et elle aimerait beaucoup. Un soir, son patron, Michel Caravaille, lui demande de venir à son domicile pour taper, en urgence, les cinquante feuillets d’un rapport dont il a besoin pour un rendez-vous. La secrétaire rousse, au chignon serré et au col boutonné haut, ne peut que donner suite. Mais elle n’a pas non plus vraiment à se forcer. Car Dany s’imagine bien des choses, y compris des étreintes passionnées avec son patron. Tout en tentant de se raisonner: « J’ai cru, je ne sais pas ce que j’ai cru… »

Michel Caravaille (Benjamin Biolay), un inquiétant patron.

Michel Caravaille (Benjamin Biolay),
un inquiétant patron.

Tout bascule lorsque Michel Caravaille demande à Dany de les conduire, lui, sa femme Anita et leur fillette, à l’aéroport puis de ramener l’auto à leur maison. Mais voilà, toujours ce désir de mer, et Dany, à bord de la belle Thunderbird, prend la route du Midi. Commence alors un étrange road-movie… Aux différentes haltes de Dany sur son chemin, la belle jeune femme est prise pour une autre.
Jonglant avec le split screen (écrans multiples), avec ses souvenirs de cinéma comme avec de multiples références (les jambes des femmes chères à Truffaut ou la citation du Passager de la pluie), Joann Sfar s’ingénie, avec une aisance minimaliste, à distiller et aussi à prendre à contre-pied les clichés du polar. Au coeur de son dispositif, il y a donc cette pauvre Dany qui se dit: « Tu traverses un rêve, Dany, mais c’est celui de quelqu’un d’autre. » Il est vrai que cette fille qui a quand même l’air très fragile, a de quoi perdre pied devant les certitudes des gens qu’elle rencontre. Il en est ainsi d’un garagiste gominé (Thierry Hancisse étonnant) dont le Relais routier semble droit sorti de L’été en pente douce, d’un portier de nuit ou d’un bellâtre italien dont on se demande encore s’il a couché avec notre charmante rousse ou si celle-ci a encore une fois rêvé sa nuit, elle qui se dit volontiers: « Tu essayes encore de te rendre intéressante, ma pauvre fille! ».

Freya Mavor.

Freya Mavor.

On n’a conservé qu’un vague souvenir de la première version de La dame dans l’auto… mise en scène en 1970 par Anatole Litvak avec Samantha Eggar dans le rôle de Dany. On n’a donc pas de mal à se glisser dans ce polar seventies où Sfar ose le bizarre, le déroutant, le « lynchien » même tout en développant des thèmes comme la culpabilité, le double et pourquoi pas la place de la femme dans la société française des années 70. Pour nous séduire, Joann Sfar a une belle carte dans sa manche. La perle rare qui prête ses longues jambes, sa taille fine et son sourire de victime myope et sexy à Dany est une comédienne écossaise nommée Freya Mavor. Les amateurs de séries la connaissent blonde pour l’avoir vue dans le britannique Skins. Dans ce « cauchemar délicieux » voulu par Sfar, elle est entourée par un Benjamin Biolay qui se régale clairement de son personnage de méchant et par l’énigmatique Stacy Martin que Lars von Trier mit naguère à nu dans son Nymphomaniac

 

Et Dany vit la mer...

Et Dany vit la mer…

Disons-le clairement, on ne saisit pas forcément tous les détails de la sombre machination, parfois fantastique, qui se déroule sous nos yeux. Il faut, à la fin, que le méchant révèle tous les arcanes d’un piège monté autour d’un lamentable chantage, pour qu’on y voit plus clair. Mais à cet instant, le drame est-il entièrement consommé? Il nous reste la fréquentation de Dany. Elle a peut-être un grain, Dany mais, avec ses faux airs de Marlène Jobert, elle est vraiment craquante.

LA DAME DANS L’AUTO AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL Thriller (France – 1h33) de Joann Sfar avec Freya Mavor, Benjamin Biolay, Elio Germano, Stacy Martin, Thierry Hancisse, Sandrine Laroche. Dans les salles le 5 août.

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