Femmes au bord de la crise de nerfs

C’est François Truffaut qui disait, je crois, qu’il faisait du cinéma pour faire faire de jolies choses à de jolies femmes… La femme (et le fusil, évidemment) pierre d’angle du cinéma éternel, en somme. Le 7e art se nourrit de la grâce, de la beauté, de la sensualité des femmes mais aussi, parfois de leur noirceur, plus souvent de leurs drames. Pour s’en convaincre, il faut aller voir l’admirable film des frère et soeur Elkabetz: Le procès de Viviane Amsalem. Voilà une oeuvre limpide dans ce qu’elle dit de la souffrance des femmes dans une société israélienne contemporaine où le mariage civil n’existe pas. Seule la loi religieuse s’applique et stipule que seul le mari peut accorder une séparation.

Epuisée par son mariage, Viviane Amsalem a quitté le domicile conjugal depuis quelques années déjà. Son seul voeu est d’obtenir un divorce en bonne et due forme afin de ne pas être mise au ban de la société. Parce qu’elle croit à la Justice, à la Loi, Viviane actionne un tribunal rabbinique. Et c’est une longue bataille qui l’attend…

Déjà auteurs de Prendre femme (2004) et Les sept jours (2008) dans lesquels on suivait le même personnage de Viviane face à elle-même puis face au clan, à la famille, Ronit et Schlomi Elkabetz achèvent, ici, leur trilogie avec une oeuvre intense et radicale, fascinante et tragique. Les deux cinéastes s’emparent d’un sous-genre cinématographique -le film de procès- pour tirer la matière d’une superbe métaphore sur la condition des femmes partout où elles sont considérées comme inférieures aux hommes.

La puissance du Procès… vient bien sûr de l’affrontement tenace de deux obstinations, celle de Viviane qui veut sortir d’un mariage qu’elle juge raté, celle de son mari Elisha (Simon Abakarian, superbe dans ses inflexibles certitudes) qui  n’entend, en aucun cas, lui « offrir » une liberté inconcevable à ses yeux. Entre les deux parties au procès, on trouve trois rabbins qui composent le tribunal. Quand l’un d’eux s’exclame: « Sachez quelle est votre place, femme! », on doute d’emblée de l’objectivité du tribunal mais on comprend vite que ces juges poursuivent, eux aussi, une quête obstinée: tout faire pour préserver un foyer juif.

Il n’est, ici, nul besoin d’être au fait des arcanes du droit religieux juif pour apprécier ce magnifique et pathétique portrait d’une femme tellement désespérée que rien ne peut plus l’arrêter. Viviane veut sa liberté. On la lui refuse. L’enjeu est simple. Et pourtant Viviane doit taire sa douleur, sa peur, sa volonté inextinguible pour ne pas hypothéquer ses chances de voir peut-être aboutir sa demande de divorce.

Pour la mise en scène de ce parfait huis clos, Ronit et Schlomi Elkabetz ont fait fi de leur propre regard de cinéaste. Le Procès… est construit, dans un dépouillement digne de Bresson ou de Dreyer, dans un ping-pong de regards, la caméra adoptant les points de vue successifs des protagonistes. Et ce n’est pas un hasard si, dans toutes les premières séquences du film, Viviane n’apparaît pas à l’image. D’emblée, la femme est niée, sa parole n’est d’aucun poids. Pire, son désir de liberté sonne comme une menace pour l’ordre établi.

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Ronit Elkabetz. DR

Autour d’une admirable Ronit Elkabetz qui fait, tour à tour, de sa Viviane une madonne souffrante et une rebelle déterminée, s’ordonne une histoire dans laquelle s’affronte une multitude de convictions et d’émotions. Au fil des dépositions des témoins, de la lassitude des juges, de la combativité des avocats, on passe de la tragédie à des moments de pure comédie. Et plus le procès avance, plus, malgré l’âpreté des débats, il nous semble discerner des instants de compassion et d’humanité…

Et puis il y a cette scène sublime où Viviane qui, jusque là, a toujours porté des vêtements sombres, apparaît dans une robe d’un rouge intense. Pire, elle dénoue ses longs cheveux noirs et y passe longuement ses doigts. Or, comme l’explique Ronit Elkabetz, dans le judaïsme, la voix et la chevelure de la femme sont considérées comme les moyens les plus scandaleux de séduction. Devant les rabbins effarés, Viviane ne charche pourtant pas à provoquer. Elle affirme, simplement mais de la façon la plus « crue », qu’elle ne joue plus le jeu. Advienne alors ce que pourra. La malheureuse qui supplie depuis des années, de revenir à la vie, n’est pas décidée à rendre les armes. Parce qu’il en va de son intégrité physique et morale..

A côté du Procès de Viviane Amsalem, on est tenté de dire que On a failli être amies ne fait pas vraiment le poids. Peut-être. Pourtant le nouveau film d’Anne Le Ny est, lui aussi, un (double) portrait de femmes. S’il est attachant et parfois intrigant, c’est que la cinéaste a inscrit son propos dans l’univers du travail et que cette démarche est plutôt rare dans le cinéma dit commercial. Marithé (Karin Viard), employée dans un centre de formation pour adultes, aide les autres à changer de métier et à trouver leur vocation. Le hasard lui fait rencontrer Carole, bourgeoise coincée qui vit et travaille dans l’ombre de Sam, son mari (Roschdy Zem), un talentueux chef étoilé. Tout en tentant de trouver à Carole, un job pour voler de ses propres ailes, Marithé comprend vite que sa cliente a surtout envie de changer de vie et, sans doute, de mari. Le problème, c’est que la dévouée Marithé n’est pas insensible au charme de Sam, ni à sa cuisine.

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Emmanuelle Devos et Karin Viard. DR

Bien aidée par deux comédiennes qui s' »affrontent » avec un plaisir manifeste, Anne Le Ny évoque à la fois l’entreprise sous un angle intime, un métier pas forcément glamour mais aussi la sensualité des métiers de bouche et les pesanteurs d’une ville provinciale (Orléans) où Marithé et Carole, avec des statuts sociaux différents, n’auraient pas dû se rencontrer… Mais surtout, la cinéaste réussit à montrer des rapports ambivalents, assez ambigus, entre deux femmes. L’une ne veut plus de son mari, l’autre a une éthique professionnelle. Les deux ne se veulent pas de mal et ne s’inscrivent pas dans la rivalité amoureuse. Marithé et Carole sont dans un moment de crise où elles vont s’utiliser mutuellement pour garder la tête hors de l’eau. Et on prend plaisir à passer avec elles ce moment de leur existence.

LE PROCES DE VIVIANE AMSALEM Drame (Israël – 1h55) de Ronit et Schlomi Elkabetz avec Ronit Elkabetz, Simon Abkarian, Menashe Noy, Sasson Gabay, Eli Gorstein. En salles  le 25 juin.

ON A FAILLI ETRE AMIES Comédie dramatique (Frqance – 1h31) d’Anne Le Ny avec Karin Viard, Emmanuelle Devos, Roschdy Zem, Anne Le Ny, Philippe Rebbot. En salles le 25 juin.

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