Une star égyptienne dans les griffes du pouvoir
Il n’est que de voir les grandes salles du centre-ville de Caire pour mesurer l’impact du cinéma en Egypte, plaque tournante du 7e art en Afrique et au Moyen-Orient. George Fahmy est aujourd’hui l’acteur le plus adulé du pays des pharaons. Dans la rue Talaat Harb, ses fans font la queue devant le Miami ou le Metro pour l’applaudir…
Au générique des Aigles de la République, on a eu la bonne idée de mettre ces grandes affiches peintes et très colorées qui faisaient le charme des années où Omar Sharif, Faten Hamama, Leila Mourad ou Adel Imam précédaient la gloire de George Fahmy…
Le comédien adulé, tourne, une scène dans une voiture… On le flatte : « Je te jure, c’est digne d’Antonioni ! » A son grand fils, dont il a oublié l’anniversaire, il offre une Breitling et va boire un verre avec lui et sa petite amie. A cette dernière, George lance : « Tu sens bon ! » Mais la jeune fille dit qu’elle ne met pas de parfum. Même les légendes de l’écran peuvent prendre un vent.
Soudain, George se sent mal à l’aise. Là-bas, à une table, un homme le regarde fixement. George demande à un serveur de le faire quitter le restaurant…
On a découvert, à l’international, le cinéma de Tarik Saleh avec son second long-métrage, Le Caire confidentiel (2017) qui, dans la tradition du film noir, racontait, avec en toile de fond la fin du régime Moubarak, l’enquête menée par l’inspecteur Noureddine Mostafa sur le meurtre, dans une suite d’un grand hôtel, d’une célèbre chanteuse… Le flic soupçonne un puissant député et entrepreneur d’être lié au meurtre. Le dossier est vite classé. Trois jours avant le début du tournage en Egypte, la sécurité d’État expulsa l’équipe et interdit à son auteur de pénétrer sur le territoire égyptien. Le tournage de Le Caire confidentiel sera organisé en catastrophe à Casablanca au Maroc.
Après avoir tourné un thriller d’action (The Contractor, 2021) aux Etats-Unis, le cinéaste de 53 ans, né à Stockholm d’un père égyptien et d’une mère suédoise, sera de retour, en 2022, avec La conspiration du Caire, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes où il obtiendra le prix du scénario. Cette fois, il donne un thriller sur les rivalités entre les élites religieuses et le pouvoir politique, à travers une intrigue qui a pour cadre la très influente université cairote Al-Azhar.
Voulu par Tarik Saleh comme une lettre d’amour à l’âge d’or du cinéma égyptien des années 1950-70, Les aigles de la République parle de mensonge et de vérité au travers du personnage de George Fahmy, un menteur patenté, dans son travail comme dans sa vie privée. Ce talent lui a permis de devenir riche et célèbre. C’est aussi ce qui pourrait entraîner sa perte.
Dans les réceptions mondaines qu’il fréquente, souvent pour briller au bras de Donya, sa jeune petite amie, Fahmy la joue profil bas quand on parle politique. Et il se tait quand on affirme que « L’ennemi est partout » et qui, lui, la vedette du film Le premier Egyptien dans l’espace, serait droitdel’hommiste. Star, George Fahmy peut toujours dire qu’il ne travaille pas pour le régime. La pression devient trop forte quand on lui demande d’interpréter le président al-Sissi au grand écran. De fait, George ne va pas avoir voix au chapitre. Bientôt, il se retrouve sous la coupe, discrète mais précise, du docteur Mansour, véritable éminence grise du président.
N’ayant pas d’autre choix même s’il remarque, qu’avec son 1,66m, al-Sissi est beaucoup plus petit que lui, George Fahmy va se glisser dans la peau et l’uniforme de l’homme qui entend conduire l’Egypte vers un avenir radieux. « Je suis très honoré de prendre part à cette aventure ». Le pharaon de l’écran connaît son métier (son interprétation est si convaincante que les autres comédiens tremblent comme s’ils étaient en face du vrai président) et l’équipe a tous les moyens nécessaires pour faire du bon boulot. Même si l’inflexible docteur Mansour, ici ou là, rectifie le tir.
Sans dévier de son propos, en l’occurrence la relation complexe qu’entretient l’artiste avec le pouvoir et l’argent, le cinéaste multiplie cependant avec justesse les notations, qu’il s’agisse des relations entre George et son exigeante petite amie (Lyna Khoudri), d’une visite à la pharmacie où George veut acheter du viagra, des difficiles relations avec sa femme ou encore de son amitié avec Rula, une comédienne qu’un haut dignitaire du régime désire ardemment…
En acceptant de jouer le rôle principal de La volonté du peuple, le comédien va se retrouver au plus près des cercles du pouvoir. Désormais, il dîne et trinque avec l’entourage de Sissi, croise la mystérieuse Madame Suzanne, épouse du ministre de la Défense. Les deux se retrouveront même dans une suite de l’hôtel Hilton Nile… Bientôt George va se retrouver en terrain miné et au coeur d’une machination. Pour faire bonne mesure, le docteur Mansour (Amr Waked) a glissé dans le contrat de George, une lettre manuscrite où il s’excuse pour son suicide. « Au cas où vous disparaitriez… » souffle Mansour.
Nourri au bon lait du film noir de l’âge d’or du cinéma américain, Tarik Saleh mène son film d’une main solide et embarque, sans coup férir, le spectateur dans un festival de coups tordus. Pour cela, le cinéaste peut compter sur d’excellents comédiens comme Zineb Triki qui fut de l’aventure du Bureau des légendes, et qui incarne, ici, la belle Madame Suzanne. Et puis bien sûr, il y a l’ami et acteur fétiche Fares Fares, présent dans tous les films de Saleh. Il campe, ici, un George Fahmy, vedette accomplie puis simple rouage d’un complot qui le dépasse.
Après une projection, plutôt glaciale, de La volonté du peuple, George est de retour, dans la rue, parmi un groupe de vieux parieurs accrochés à un poste de radio. Même si, en 1956, Nasser a interdit les courses de chevaux et fermé l’hippodrome de Gizeh, ils se réunissent toujours pour jouer. Pour le cinéaste, ces parieurs représentent un rêve anéanti. Peu importe qui est en train de piller le pays, ils sont toujours là…
Les chevaux sont au départ. Les jeux sont faits. George va sans doute perdre de l’argent. Mais qu’importe, ce n’est pas vraiment un problème pour lui. Par contre, son visage est plus fermé qu’autrefois. Comme s’il venait de se réveiller d’un mauvais songe.
LES AIGLES DE LA REPUBLIQUE Thriller (Suède/France/Danemark/Finlande – 2h09) de Tarik Saleh avec Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked, Chrerien Dabis, Ahmed Kairy ; Nael, Sherwan Haji, Suhaib Nashwan. Dans les salles le 12 novembre.




