Steve et ses deux mamans

On n’a pas fini d’entendre parler de Xavier Dolan! Si les petits cochons du cinéma ne le dévorent pas prématurément (ce qui ne devrait pas être le cas tant le Québécois a la pêche), Dolan va nous offrir une oeuvre au long cours au style étourdissant et avec une approche de thématiques qui ne le sont pas moins…

A 25 ans, Xavier Dolan a déjà cinq long-métrages à sa filmographie et le dernier en date donne l’impression d’une rare maturité. Non point que les précédents étaient mineurs (son Laurence Anyways de 2012) est un bijou sur le fil du rasoir) mais, avec Mommy, le cinéaste porte à son incandescence sa réflexion sur la mère. En 2009, déjà avec le même tandem de comédiennes que dans Mommy, il signait et jouait dans J’ai tué ma mère, une histoire d’amour/haine, surtout de haine quand même, pour une génitrice manipulatrice. A l’époque, disait-il, je voulais punir ma mère. Cinq ans plus tard, voilà qu’il la venge en donnant un vaste poème, lumineux, explosif, tendre, violent, gueulard autour de Diane ‘Die’ Després et de son grand adolescent de fils…

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Antoine-Olivier Pilon.

Steve O’Connor Després, avec sa gueule d’ange blond, n’est pas un gamin « commode ». Lorsque Mommy commence, ‘Die’ vient le récupérer dans une institution spécialisée. Après un nouvel esclandre qui a envoyé un pensionnaire à l’hôpital, la directrice ne veut plus d’un gaillard bientôt promis à la « taule ». Mais ce n’est évidemment pas comme cela que ‘Die’ voit les choses… Elle sait bien que son Steve est atteint de TDAH (trouble de déficit de l’attention/hyperactivité) et qu’il peut, à tout moment, gravement « péter un câble »… Alors, dans leur petit appartement, la mère et le fils vont quand même tenter de joindre les deux bouts, essayer de trouver un équilibre et, pourquoi pas, croire qu’il existe un espoir. Cela d’autant plus que la voisine d’en face, l’énigmatique Kyla, vient souvent les rejoindre…

Avec Mommy (prix du jury à Cannes en mai dernier), Xavier Dolan creuse donc en profondeur le sujet qu’il connaît le mieux, en l’occurrence sa mère, précisément LA mère dans sa figure et son rôle. C’est pourquoi ce Mommy est un magnifique moment de cinéma. D’abord parce que cette histoire, souvent sombre, est baignée d’une superbe lumière mordorée. Le cinéaste ne se contente pas de faire de la « belle image ». Lorsque ‘Die’ et Steve arrivent chez eux, que la lumière les baigne, la promesse, sinon de bonheur, du moins d’espoir appartient au possible. Et Dieu sait que la vie de ‘Die » n’est pas un chemin parsemé de roses. Veuve depuis trois ans, ‘Die’, avec son look bien sexué de princesse adolescente, galère au jour le jour. Lorsqu’elle craque, elle balance à l’inconséquent Steve, qu’elle n’a plus de job, plus de cash, plus de vie et exige simplement une pause.

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Anne Dorval. DR

Si Mommy surprend les spectateurs par son « petit » cadre carré 1.1, ce choix stylistique de Dolan est cependant bienvenu. Cette image qui fait parfois songer à un cliché de photomaton, enserre à la perfection des visages que le cinéaste sonde longuement avec attention et tendresse. Et même lorsque Dolan (qui clairement connaît le vocabulaire technique du cinéma sur le bout des doigts) recourt à un moyen aussi rebattu que le ralenti, ça marche encore… On aime aussi, pour indiquer des instants d’apaisement, cette trouvaille qui laisse Steve « écarter » littéralement le cadre du 1.1 pour l’amener quasiment au scope… Quant au travail sur la musique et le son, c’est du grand art.

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Suzanne Clément. DR

Et puis Mommy, c’est aussi le plaisir de voir trois formidables acteurs porter à la perfection une fable émouvante et rayonnante sur le courage, l’amour et l’amitié. Antoine Olivier Pilon campe un Steve qui s’accroche à l’idée qu’il pourrait, malgré ses accès de violence, vivre en paix avec sa mère. Suzanne Clément est Kyla, la voisine d’en face. Bègue, en année sabbatique, sa vie est grise jusqu’au moment où ‘Die’ et Steve apparaissent dans sa vie. A moins qu’elle ne soit une sorte d' »ange » descendue sur terre pour -provisoirement- aimer un couple de paumés sublimes.  Quant à Anne Dorval, elle est simplement bouleversante. Sa tempérament intempestif, son langage charretier (le film est sous-titré en français), son look de pétasse sont trompeurs. ‘Die’ est prête à tout pour impressionner son fils, pour lui montrer qu’elle l’aime, y compris à subir ses attaques, ses hurlements. En fait, ‘Die’ est une combattante. Loin d’être une loser, c’est une winner dont Xavier Dolan fait l’attachant portrait. Et cette femme insubmersible est pathétique lorsque, seule chez elle, elle ravale ses larmes après que Kyla lui a annoncé qu’elle s’en allait vivre ailleurs…

MOMMY Drame (Canada – 2h18) de Xavier Dolan avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément, Patrick Huard, Isabelle Nélisse, Michèle Lituac. Dans les salles le 8 octobre.

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