Magique comme un coup de foudre

Quelques accents de jazz, un générique en noir et blanc facilement reconnaissable et voilà qu’on a déjà l’impression, dans l’obscurité complice de la salle, de retrouver un vieil ami de cinéma… Avec une épatante constance, Woody Allen poursuit donc son oeuvre. Il s’est maintenant éloigné de son cher Manhattan et a fait, en 2013, un crochet par la Californie pour son excellent Blue Jasmine. Mais c’est essentiellement en Europe que, depuis une dizaine d’années, il trace sa voie. De Barcelone à Paris en passant par Londres et Rome, il donne des films, certes inégaux (To Rome with love était quand même bien médiocre) mais dans lesquels on retrouve sa petite musique et surtout ses obsessions récurrentes…

Avec Magic in the Moonlight, son 45e long-métrage, Allen revient au monde des illusionnistes qu’il connut, dès son adolescence, lorsqu’il faisait lui-même des tours de cartes. De fait, ses films sont traversés par des hypnotiseurs (Broadway Danny Rose, Le sortilège du scorpion de jade), un guérisseur (Alice), une diseuse de bonne aventure (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu) et c’est le cinéaste lui-même qui tenait, dans Scoop, le rôle de Splendini le magicien…

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Colin Firth et Emma Stone. DR

Wei Ling Soo est une grande pointure de la scène internationale. Partout ce prestidigitateur chinois impressionne les foules en faisant disparaître un éléphant ou en passant, en un instant, d’un sarcophage égyptien à un confortable fauteuil. De son vrai nom Stanley Crawford, cet Anglais bon teint est aussi un personnage cynique, arrogant et suffisant qui s’est fait une spécialité de débusquer les faux médiums, imposteurs, fumistes et autres charlatans qui abusent de la crédulité du grand public…

Nous sommes dans les années 20 sur la Riviera française. Riche famille américaine, les Cartledge ont invité dans leur villa de la Côte d’Azur, la jeune Sophie Baker, compatriote américaine douée de talents médiumniques. Grace Cartledge espère, grâce à la belle Sophie, pouvoir entrer en contact avec son défunt mari. Quant à la mère de Sophie, elle espère surtout pouvoir escroquer dans les grandes largeurs la crédule vieille dame… Et c’est là que, poussé par un ami magicien, débarque Stanley Crawford, transformé en homme d’affaires. En voyant la frêle Sophie, il ne pense faire qu’une bouchée de cette gamine inculte. Mais ce bel esprit scientifique, rationnel et intelligent, va devoir déchanter. Car Sophie est charmante, magnétique et elle ne va tarder, avec ses airs mutins, à foudroyer notre grand homme.

En s’appuyant sur une image solaire et joyeuse de Darius Khondji, Woody Allen embarque sans coup férir ses spectateurs dans un univers d’illusions où l’on va vite se perdre entre le vrai et le faux, le rationnel et le magique. Qui a raison? L’Anglais pontifiant ou la ravissante spirite? En cultivant aussi avec soin le film d’époque, Allen parle de l’amour (« Le coup de foudre est une sorte de magie ») et de la mort (« Naître, ne commettre aucun meurtre et pourtant être condamné à mort ») tout en brossant le brillant portrait d’un fameux misanthrope qui se moque des malheureux « banalement avides d’espoir dans un un monde qui en manque tant ». Mais Stanley qui confie: « Plus je la regarde et plus je suis stupéfait », avancera, pour la beauté d’un minois, sur le bon chemin. Il se demande: « La réalité se limite-t-elle à ce qu’on voit? » et avouera: « Je n’ai pas toutes les réponses. »

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Emma Stone et Colin Firth. DR

Avec une belle malice, Woody Allen s’ingénie à brouiller les pistes. Pour ce faire, il peut s’appuyer sur la gracieuse Emma Stone qui ajoute, à sa jeune carrière, une prestigieuse performance « allénienne » et bien sûr sur un Colin Firth brillant en tête à claques de haut vol. Oscarisé pour Le discours d’un roi, le comédien so british peaufine un superbe maître des illusions qui perd peu à peu ses certitudes et ses repères.

En réussissant ses longues prises dialoguées, Woody Allen joue avec le scepticisme le plus radical et la joie enfantine d’un grognon qui imagine qu’il existe un monde parallèle au  nôtre. En évoquant notre envie de croire au mystère, aux choses qu’on ne peut ranger dans des cases, à la magie enfin de l’amour, le cinéaste titille avec talent la capacité d’émerveillement du spectateur. Ce n’est assurément pas un hasard si La rose pourpre du Caire et ses personnages qui traversent l’écran, est l’un des plus grands films de Woody Allen. Comme par l’enchantement d’un coup de baguette magique, Magic in the Moonlight est un vrai plaisir de cinéma.

MAGIC IN THE MOONLIGHT Comédie (USA – 1h38) de Woody Allen avec Emma Stone, Colin Firth, Eileen Atkins, Marcia Gay Harden, Simon McBurney, Hamish Linklater, Jacki Weaver. Au cinéma le 22 octobre.

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