LA MÉMOIRE D’UN ARCHITECTE ET LE PROPAGANDISTE DE LA MACHINE NAZIE 
THE BRUTALIST
Comme les sinistres coursives d’un enfer sous terre…. Dans une bousculade permanente, une foule se presse, avance, chavire. Laszlo Toth est dans cette marée apeurée. Il aperçoit enfin le ciel. Ce n’est pas celui d’Auschwitz. Il était dans la cale d’un bateau qui entre dans le port de New York. Au-dessus de lui, c’est le ciel de l’Amérique, la terre promise. Mais, las, la statue de la Liberté semble à l’envers, de guingois, la tête en bas… De mauvais augure ! Lorsqu’il pose le pied sur le sol américain, Laszlo Toth n’est plus rien. Cet architecte visionnaire né à Budapest, formé au célèbre Bauhaus de Dessau, se demande de quoi sera faite son existence dans ce pays de cocagne qui n’attend pas vraiment les immigrants qui affluent. Heureusement, Laszlo peut compter sur Atilla, un parent qui l’accueille avec effusion. Cet Hongrois a ouvert un magasin de meubles à Philadelphie. C’est là que Toth, après avoir créé un superbe fauteuil en métal et cuir, va faire une rencontre qui va bouleverser sa vie. En effet, pour faire une surprise à son père, le jeune Harry Lee demande à Attila et à Toth de réaliser une nouvelle bibliothèque dans la grande demeure des Van Buren. Si le père, Harrison Lee Van Buren Sr. pique un colère noire en découvrant cette bibliothèque aux beaux volumes bien éclairés, il se reprendra bientôt en constatant le talent, voire le génie de cet architecte qui gagne maigrement sa vie en pelletant du charbon sur les sites industriels de Philadelphie… L’éminent et fortuné oligarque américain lui confiera le soin de réaliser un immense complexe qui deviendra l’Institut Van Buren… Pour Laszlo Toth, c’est évidemment la chance de sa vie, l’occasion de renouer avec un vrai geste créateur. Autour de la question : qui permet à l’art d’exister ? et en mettant en scène un personnage fictif, The Brutalist, entièrement filmé à Budapest, se présente comme une vaste épopée sur fond de quête du rêve américain. Avec cette fresque (forcément) monumentale à laquelle il a oeuvré pendant sept ans, Brady Corbet arrive sur le devant de la scène cinématographique. Son troisième long-métrage fait carton plein. Il a été couronné meilleur réalisateur à la Mostra de Venise et a obtenu les Golden Globes de meilleur film dramatique, meilleur réalisateur et Adrien Brody dans le rôle de Laszlo Toth, a été couronné meilleur acteur. The Brutalist est aussi une superbe histoire d’amour, celle qui réunit Laszlo et Erzsebet, une femme d’une grande lucidité et d’une honnêteté féroce qui trouvera dans la passion qu’elle porte à son mari les ressources pour s’arracher au handicap rapporté de sa déportation. La judéité est aussi l’un des thèmes du film, autant par la volonté de Szofia et de son compagnon de faire leur alya que par le désir de Toth de nouer la réalisation de l’institut Van Buren à la mémoire des camps. La forme du bâtiment devant amener celui qui y pénètre à lever les yeux vers le haut et la lumière… A propos du titre qui peut résonner bizarrement pour un spectateur francophone, il convient de dire que le brutalisme auquel il fait référence est un style architectural qui a connu une grande popularité des années 1950 aux années 1970. Il se distingue notamment par la répétition de certains éléments comme les fenêtres, par l’absence d’ornements et le caractère brut du béton. Le « béton brut » est le terme employé par Le Corbusier, qui voit dans ce matériau de construction un aspect sauvage, naturel et primitif lorsqu’il est utilisé sans transformation. (Universal)
LA FABRIQUE DU MENSONGE
« La propagande est un art ! » C’est Joseph Goebbels qui le dit et, sur ce point, on peut faire confiance à l’éminence grise d’Hitler. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, le Reichsminister est devenu un personnage incontournable de la machine nazie. Ayant l’oreille et le plein soutien du Führer, il est convaincu que la domination du Reich sur l’Europe et le monde passera par des méthodes de manipulation radicalement nouvelles. Pour cela, il s’agit autant de contrôler, d’une main de fer, les médias (et aussi le cinéma) que d’électriser les foules. Au point de transformer les défaites en victoires et le mensonge en vérité. Dans une salle de cinéma, avec son staff, Goebbels visionne des images d’Hitler saluant de très jeunes soldats qui s’apprêtent à aller mourir au combat. Il scrute les rushes, observe un plan sur les mains d’Hitler secouées de spasmes. Soudain il crie : « Le Führer ne tremble pas ! Le peuple ne verra jamais ces images ! » Le technicien, à ses côtés, ose : « Nous n’avons rien d’autre. Le Führer n’est plus qu’une ombre de lui-même. » Goebbels s’agace et lâche: « C’est moi qui décide ce qui est vrai. Et ce qui est vrai, est ce qui profite au peuple allemand. » Goebbels est en train de bâtir la plus sophistiquée des illusions, quitte à précipiter les peuples vers l’abîme… L’évocation du nazisme et de la Shoah, l’un des plus grands crimes de l’humanité a souvent été traité au cinéma. Avec La fabrique du mensonge, l’Allemand Joachim Lang se demande pourquoi la majorité des Allemands ont suivi Hitler dans la guerre et l’Holocauste, et comment les responsables ont pu commettre des crimes aussi inimaginables contre des millions de victimes innocentes ? Lang choisit de s’inscrire dans la perspective des auteurs de ces crimes. « Nous ne connaissons Hitler et les principaux dirigeants nazis, dit le réalisateur, que par leurs apparitions fabriquées, celles que Goebbels, voulait utiliser pour façonner l’image du national-socialisme. Cette image agit encore aujourd’hui sur nous. Elle est le résultat d’une manipulation. » Führer und Verführer (titre original) s’attache à briser la mise en scène en plongeant dans les coulisses où œuvre Goebbels. Lang appuie ainsi ses dialogues sur des citations authentiques et il s’attache régulièrement à mêler des images de fiction avec de vraies images d’actualité souvent insoutenables. On est constamment au plus près de Goebbels, (sinistre) « héros » de cette descente dans le cercle de l’enfer, quand il « courtise » Hitler dans le but de devenir son numéro 2 en évinçant les Göring, Bormann, Ribbentrop et autre Himmler. L’objectif d’Hitler était d’élargir l’espace vital des Allemands à l’Est et de procéder à l’extermination totale de tous les Juifs. L’objectif de Goebbels était de trouver les images parfaites pour cela et, avec sa machine de propagande, de soutenir Hitler au sein de son propre peuple… Evoquant les amours de Goebbels, nabot gominé, le film se penche aussi sur ce moment tragiquement ubuesque que fut le discours du Sportpalast de Berlin prononcé le 18 février 1943 par Goebbels devant 14 000 membres du parti nazi alors même que l’Allemagne glissait déjà vers sa perte. Considéré comme le sommet de la rhétorique de Goebbels, ce discours voit, in fine, l’orateur poser dix questions à une foule hystérique, le tout s’achevant par une incantation : « Maintenant, Peuple, lève-toi ! Tempête, déchaîne-toi ! ». Enfin, le film a une résonance fortement contemporaine quand il se demande à quelles images, on peut faire confiance. (Condor)
BONA
Jeune fille issue de la classe moyenne philippine, Bona a cessé de fréquenter le lycée. Elle préfère suivre Gardo, acteur et second couteau dans des productions à petit budget. Chassée de sa famille, Bona part s’installer chez Gardo. Alors qu’elle pense pouvoir enfin vivre une belle histoire d’amour avec lui, la jeune fille devient sa bonne à tout faire, obligée de supporter le défilé incessant de ses nombreuses conquêtes… Pièce maîtresse de l’œuvre de Lino Brocka, Bona est indissociable de son actrice et productrice, Nora Aunor. Première comédienne non métissée à accéder au rang de superstar, la jeune femme, alors âgée de 28 ans, était vénérée par les classes populaires dont elle est issue. La dévotion de ses fans était sans limites. Ainsi, son rôle dans Bona, qu’elle a elle-même produit pour enfin apparaître dans un film « sérieux », est un curieux renversement de situation, dans lequel le cinéaste philippin (1939-1991) désacralise son statut de star en lui offrant le rôle d’une fille qui sacrifie tout ce qu’elle a (sa famille, sa classe sociale) pour se rapprocher de son idole. Comme dans Insiang (1976) ou Manille (1975), deux de ses films présentés en Occident, le cinéaste excelle à ancrer ses mélodrames dans un contexte social bien réel (ici, la vie quotidienne dans un bidonville filmée en quasi huis clos), tout en évitant l’écueil du misérabilisme. Face à un Phillip Salvador impressionnant en monstre d’égoïsme, Nora Aunor crève l’écran en petite sœur de la truffaldienne Adèle H., aveuglée par un amour sans retour. Bona s’ouvre sur une scène de foule filmée sur un mode documentaire. Une procession religieuse s’avance au milieu de centaines de participants en transe puis se poursuit avec une scène de tournage d’un « film dans le film ». On passe alors sans crier gare – et sans que le spectateur s’en rende immédiatement compte – à une autre temporalité, un autre lieu, grâce à la simple juxtaposition de deux plans similaires sur Nora Aunor, qui incarne le personnage de Bona et établit un lien entre les deux espaces. Ainsi, Lino Brocka signale que le ton de la suite du film aura beau se révéler tout autre, la question centrale n’en demeure pas moins la même. A la passion du Christ, illustrée par la procession religieuse, succède la vénération de Gardo par Bona. Mais l’impulsion humaine, le besoin intime pour l’individu de se trouver une divinité à adorer, même sous les traits d’un acteur de seconde zone, restera identique. En revanche, le sacrifice changera d’objet : ce ne sera plus Jésus qui souffrira pour les hommes – mais Bona pour Gardo. Longtemps invisible après sa sortie en 1981 à Cannes, Bona est présenté dans une belle version restaurée et riche en suppléments, notamment des entretiens avec des collaborateurs de Brocka et Superfan (2009 – 22 mn), écrit et réalisé par Clodualdo del Mundo, Jr. qui rend hommage à Mandy Diaz, superfan et archiviste autoproclamé de Nora Aunor. (Carlotta)
MERCATO
Ah, la beauté du geste ! Driss Berzane évoque, les larmes dans la voix, la sublime reprise de volée de Zidane qui, le 15 mai 2002, offre, à la 45e minute, sa neuvième Ligue des champions au Real Madrid contre les Allemands du Bayer Leverkusen. Mais ce but de légende n’est qu’un (beau) souvenir car la vie de Driss n’est pas un long fleuve tranquille… Et pourtant, il adore le ballon rond. Mais Driss est au bord du précipice. Car cet agent de joueurs, quasiment de la vieille école, doit une forte somme à un certain Demba, un type très peu fréquentable, qui lui aurait donné un coup de main pour le transfert de Medhi Bentarek au Paris Saint Germain… Entouré de ses nervis, Demba donne huit jours à Driss pour régler sa dette… Amateur de football mais aussi réalisateur de qualité qui a signé la comédie 16 ans ou presque (2013) avec Laurent Lafitte, Docteur ? (2019) avec Michel Blanc en médecin de nuit à Paris qui se voit contraint, la nuit de Noël, de « déléguer » les soins apportés à divers patients à un livreur Uber Eats ou Un homme heureux (2023), une comédie avec Fabrice Luchini et Catherine Frot sur la transition de genre, Tristan Séguela développe, ici, le thème du mercato, cette période très importante dans le football moderne, où les enjeux financiers atteignent des sommets vertigineux. Après avoir évoqué la figure de Bernard Tapie dans la fiction biographique Tapie sur Netflix, le cinéaste s’attache, cette fois, à un personnage de fiction avec cet agent en quasi-faillite, qui n’a plus d’appartement et dort dans son bureau. Le couteau sur la gorge, Driss va tout tenter pour trouver la somme et surtout prouver qu’il est toujours un bon agent. Ainsi il doit gérer en parallèle la carrière et la vie de ses clients, principalement celle de Mehdi, blessé depuis un an et contrôlé positif à la cocaïne mais aussi le jeune Erwin, une pépite de 12 ans repérée par un grand club de Salzbourg ou encore tenter de faire signer Félix Gassama, star du Real Madrid, dont l’agent vient de décéder. Et sans doute plus que tout, Driss Berzane ne veut pas apparaître comme un loser aux yeux de son fils Abel, jeune homme idéaliste qui observe d’un mauvais œil le métier de son père et l’aspect mercantile du football. Jamel Debbouze, grand amateur de foot lui aussi, est excellent dans ce thriller nerveux qui plonge au coeur des coulisses (des ténèbres?) du football d’aujourd’hui, une industrie planétaire où les intérêts se chiffrent en milliards. (Pathé)
QUATRE NUITS D’UN RÊVEUR
Une nuit à Paris, Jacques marche dans les rues, suit des passantes sans jamais oser les aborder. Du côté du pont Neuf, il aperçoit une jeune fille au comportement étrange. Elle tente de sauter dans la Seine, Jacques l’en empêche et ils font connaissance. Ils se revoient la nuit suivante et Marthe, la jeune fille, va, durant quatre nuits, se confier à lui. Au cours de ces nuits, Marthe attend avec anxiété le retour de l’homme auquel elle s’est donnée l’année précédente. Dans la filmographie de Robert Bresson (1901-1999) qui ne compte que treize longs-métrages, Quatre nuits d’un rêveur occupe une place assez modeste mais pas du tout mineure. Tourné en 1971 entre Une femme douce (1969) et Lancelot du lac (1974), Quatre nuits… est l’adaptation (de très loin, selon Bresson) des Nuits blanches de Fiodor Dostoïevski publié en 1848 et qui racontait la solitude d’un jeune homme vivant à Saint-Petersbourg qui rencontre, par hasard, une jeune femme et en tombe amoureux mais sans retour. Bresson qui a alors 70 ans et plus rien à prouver, s’empare de cette histoire et la fait sienne, notamment en imprimant à son récit une ambiance teintée d’irréel et d’onirisme pour raconter une relation, marquée par l’incertitude et la nostalgie, qui se développe à travers des échanges introspectifs et des gestes simples, captés par la caméra dans un style à la fois minimaliste, documentaire et poétique. Le film explore la quête de sens et d’amour (peut-on tomber amoureux de quelqu’un qu’on n’a jamais vu?) de ces deux jeunes personnages, leur désir, leurs illusions, et leur difficulté à donner corps à leurs rêves dans un contexte urbain moderne. Jacques, artiste enregistreur de sons et peintre, exprime ses pensées à travers des enregistrements et des toiles représentant des silhouettes féminines idéalisées. La relation entre Jacques et Marthe se construit dans une atmosphère de mélancolie, de désir et de fragilité. Et alors que le bonheur semble vouloir se dessiner pour Jacques et Marthe, la rencontre accidentelle de Marthe avec son ancien amant va mettre fin à leur rêve partagé. On sait qu’après Journal d’un curé de campagne (1951), Robert Bresson ne travailla quasiment plus qu’avec des acteurs non professionnels qu’il désignait comme des « modèles » dans la mesure où il voulait les modeler. Ici, dans le rôle de l’insaisissable Marthe, on découvre la ravissante Isabelle Weingarten, remarquée sur une photo de mode, qui débute au cinéma et qui fera carrière, notamment chez Jean Eustache (La maman et la putain) ou Wenders (L’état des choses). Dans les suppléments, Guillaume des Forêts, l’interprète de Jacques, revient longuement sur la façon dont il est entré dans le projet de Bresson et évoque la manière de tourner du cinéaste. Jeune homme dans Quatre nuits…, Guillaume des Fotêts a fait une carrière d’astrophysicien et a terminé son parcours professionnel comme professeur émérite à l’Institut d’astrophysique spatiale. Un ovni de cinéma par le maître du cinématographe. (Potemkine)
L’ATTACHEMENT
Cinquantenaire célibataire (endurcie), Sandra Ferney tient une librairie féministe. Lorsque le couple de l’appartement voisin, Alex et Cécile, doit se rendre à l’hôpital pour l’accouchement de cette dernière, Sandra accepte de s’occuper de leur fils Elliott, âgé de six ans, bien que cette femme ne soit pas très intéressée par les enfants. Des complications surviennent lors de l’accouchement et la mère décède en donnant naissance à une fille prénommée Lucille. Sandra va devenir de plus en plus une référence féminine importante, non seulement pour le garçon, mais aussi pour Alex, le père veuf et pour la petite Lucille. Scénariste, réalisatrice et écrivaine, Carine Tardieu signe, ici, son cinquième long-métrage en adaptant L’intimité, le roman d’Alice Ferney paru en 2020 chez Actes Sud. Le cinéaste avait déjà lu le livre qui se trouvait chez elle mais c’est Fanny Ardant (que Carine Tardieu dirigea dans l’émouvant Les jeunes amants en 2022) qui lui conseilla de le relire dans le but de l’adapter au cinéma. Autour du personnage central de Sandra qui n’est pourtant que la voisine, celle qui dit « Je suis seulement celle qui était là », la cinéaste organise une œuvre fine et délicate sur les liens affectifs imprévisibles nés au hasard des drames et des amours de la vie. Car Sandra va être embarquée dans l’existence de la famille d’à-côté. Evidemment, sa situation n’est pas simple d’autant qu’apparaît le vrai père biologique d’Elliott et qu’Alex éprouve des sentiments nébuleux pour Sandra. Construit en une suite d’une douzaine de chapitres et avec le palier de l’immeuble comme motif central et sas de rencontres, L’attachement permet à son auteur d’aborder des thèmes comme l’amour, la culpabilité, la maladresse, la générosité, le sacrifice, les sentiments impulsifs et la passivité, le rapport à la maternité et à la paternité, le couple et le célibat, la place des uns par rapport aux autres… Enfin, le film est porté par une belle distribution avec, en tête, Valeria Bruni Tedeschi (Sandra) et Pio Marmaï (Alex) entourés de Raphaël Quenard, Vimala Pons, Catherine Mouchet, Marie-Christine Barrault ou Florence Muller. Un joli côté Les Choses de la vie ! (Diaphana)
A SHORT LOVE AFFAIR
Après avoir tenté sa chance contre contremaître dans une usine de confection de Séoul, Bae Il-do, un modeste mais habile tailleur, décide de revenir dans sa ville natale de banlieue. Depuis trois ans, il partage sa vie avec Sae-daek, une jeune femme issue d’un milieu très pauvre avec laquelle il vient d’avoir un bébé. Si Il-do reste avec elle, c’est uniquement pour sauver les apparences. Le jeune homme se saisit du moindre prétexte pour fuir l’ambiance délétère qui règne chez lui. À l’atelier de couture où il a été embauché, Il-do fait la rencontre de Min Gong-nye, une femme mariée et mère d’un petit garçon. Entre ces deux êtres malheureux dans leur foyer respectif et sous le regard des nombreuses femmes à l’oeuvre dans l’atelier, le coup de foudre est immédiat… Avant de devenir l’auteur d’une œuvre sulfureuse (To You, from Me, Fantasmes), le Coréen Jang Sun-woo, né en 1952 à Séoul, a excellé dans le genre du mélodrame réaliste. Ainsi ce A Short Love Affair, adapté du roman de son compatriote Park Yeong-han, qui se distingue par son approche naturaliste, évitant le symbolisme pour se concentrer sur la représentation fidèle de la vie quotidienne de personnages marginalisés. Le ton est cependant marqué par l’empathie pour des gens ordinaires (le mari de Min est tout à fait pathétique dans sa manière de s’accuser de l’échec de son mariage) et aussi une forme d’humour qui n’est pas sans faire penser à un film comme l’italien Affreux, sales et méchants. Oeuvre souvent émouvante et engagée, A Short Love Affair constitue une étape importante dans l’évolution du cinéma coréen vers une représentation plus authentique des réalités sociales. Le film est bien interprété par Park Joong-hoon (Il-do) et Choi Myoung-gil (Min). Présenté dans une nouvelle restauration 4K et inédit en Blu-ray, A Short Love Affair est accompagné d’un document (15 mn) d’Antoine Coppola, professeur de cinéma à l’Université Sungkyunkwan de Séoul. L’universitaire décrypte A Short Love Affair, du réalisateur militant pro-démocratique Jang Sun-woo, où s’entrecroisent les genres du film d’hôtesses coréen et du réalisme social. Film de chevet du célèbre réalisateur Bong Joon-ho (Memories of Murder, The Host), A Short Love Affair est la quintessence du mélodrame coréen ! (Carlotta)
SEAN CONNERY – 6 FILMS COLLECTION
Il est et reste le plus fameux des James Bond ! Même si certains estiment que George Lazenby dans Au service secret de sa Majesté (1969) est en mesure de lui faire de l’ombre. Sean Connery (1930-2020), icône du cinéma britannique, fut le premier à se glisser dans le smoking (et dans l’Aston Martin!) de l’espion anglais né de l’imagination d’Ian Fleming. C’est en 1962 qu’il déboule sur le grand écran dans James Bond contre Dr No. Envoyé en mission par M, 007 débarque à Kingston, capitale de la Jamaïque, croise sur une plage la belle Honey (Ursula Andress) et affrontera bientôt l’inquiétant représentant du SPECTRE… Derrière la caméra pour Dr No, Terence Young enchaîne, en 1963, avec Bons baisers de Russie. En pleine Guerre froide, le SPECTRE convoite le Lektor, dernier joyau de la technologie soviétique. A Bond de déjouer la machination… En 1964, c’est Guy Hamilton qui réalise Goldfinger. 007 enquête sur le milliardaire Auric Goldfinger (Gert Fröbe, magnifique) dans le cadre d’une simple mission de surveillance. Mais l’adversaire va être cruellement sous-estimé et rien ne va se passer comme prévu. La malheureuse Jill Masterson finira asphyxiée, couverte de peinture dorée et Bond devra retourner la belle Pussy Galore pour empêcher Goldfinger de mettre la main sur la réserve d’or de Fort Knox ! En 1965, Terence Youg est de retour à la réalisation d’Opération Tonnerre où 007 devra retrouver deux bombes atomiques dérobées par le SPECTRE. Le film est un immense succès au box-office et les scènes sous-marines n’y sont pas pour rien. En 1967, On ne vit que deux fois, mis en scène par Lewis Gilbert, est le premier film de la saga à dévier fortement du roman de Fleming . À la suite du détournement d’un vaisseau spatial américain, la tension monte fortement entre les USA et l’URSS, au point qu’une guerre pourrait éclater. Les services secrets anglais sont dans la boucle et le MI6 fait passer Bond pour mort pour lui permettre d’enquêter en toute discrétion à Tokyo. Enfin, en 1971, après la parenthèse Lazenby, Sean Connery retrouve Bond devant la caméra de Guy Hamilton pour Les diamants sont éternels. 007 enquête sur un trafic de diamants liés à SPECTRE, découvrant une opération de contrebande internationale, confrontant Blofeld, et déjouant ses plans tout en protégeant le monde des menaces liées aux diamants volés. Un héros de l’ombre, on le sait. On retrouve ces six films pour la première fois en 4K UHD dans une édition collector library case steelbooks, évidemment riche en bonus. Pour saluer une légende ! (Warner)
FANTASMES
Lycéenne de dix-huit ans, Y s’est promis de perdre sa virginité avant d’entrer à l’université. Sa meilleure amie, Ouri, lui parle de J, un sculpteur marié de trente-huit ans. Immédiatement séduite par le son de sa voix au téléphone, Y lui propose de se retrouver pour faire l’amour. Sitôt réunis sur le parvis d’une gare coréenne, ils se rendent dans un motel. Immédiatement, une puissante attirance naît entre eux dès leurs premiers ébats. Auprès de sa jeune maîtresse aux désirs insatiables, J va d’abord visiter l’ensemble de son corps. Dès le second rendez-vous, Y lui annonce son goût et sa curiosité pour les plaisirs sadomasochistes. J va entreprendre de la frapper, avec divers outils, lors de leurs relations sexuelles… De motel anonyme en motel anonyme (où parfois on refuse l’entrée à Y qu’on prend pour une mineure), les rendez-vous réguliers se succèdent, entièrement consacrés à des ébats physiques de plus en plus violents. J a du mal à se retrouver avec son épouse qui le traite de pervers lorsqu’il demande de le frapper… Des années plus tard, J et sa femme vivent désormais à Paris. Il reçoit un appel téléphonique d’Y qui, sur le chemin du Brésil où elle va vivre avec sa sœur, veut le revoir une dernière fois. Dans une petite chambre d’hôtel, Y frappe J avec un manche de pioche. C’est la fin de leur liaison. En 1999, le cinéaste coréen Jang Sun-woo (qui avait tourné A Short Love Affair, voir ci-dessus) adapte un roman érotique de Jang Jung-li qui valut, dès sa parution en 1996, à son auteur plusieurs mois d’emprisonnement pour outrage à la pudeur. Evidemment, on songe à Nagisa Oshima et à son fameux Empire des sens dans la mesure où les deux films vont jusqu’au bout de la description d’un puissant désir sexuel. Mais si Oshima donne à son œuvre des atours parfaitement esthétiques, Jang Sun-woo parle d’abord d’une liaison contemporaine et s’inscrit régulièrement dans une démarche entre réalité et fiction. En effet, les deux comédiens débutants (Lee Sang-hyun dans le rôle de J et Kim Tae-yeon dans le rôle de Y) interviennent dans le film, notamment pour parler du contenu du scénario alors que le cinéaste n’hésite à montrer des scènes de tournage. Interdit aux moins de 16 ans à sa sortie en salles, voici une réussite de (brutale) sensualité. En supplément à cette édition inédite en Blu-ray et présentée dans une nouvelle restauration 4K, on trouve une intervention (15 mn) d’Antoine Coppola, professeur de cinéma à l’Université Sungkyunkwan de Séoul, qui considère que Fantasmes fait la synthèse de toute l’œuvre de Jang Sun-woo. (Carlotta)
SEPTEMBER & JULY
Les soeurs July et September sont inséparables. July, la plus jeune, vit sous la protection de sa grande soeur. Leur dynamique particulière est une préoccupation pour leur mère célibataire, Sheela. Lorsque September, à la suite d’une altercation, est exclue temporairement du lycée, July doit se débrouiller seule, et commence à affirmer son indépendance. Pour son premier long-métrage comme réalisatrice, la comédienne Ariane Labed, vue dans Une place sur la Terre (2013), Fidelio, l’odyssée d’Alice (2014) ou Avant l’effondrement (2023) s’emparent de Soeurs, le roman de Daisy Johnson, paru en 2020, pour brosser le portrait de deux sœurs qui s’entendent très bien malgré leurs différences et leurs actions. September est très protectrice et se méfie de tout le monde tandis que July tente de s’ouvrir malgré ses tics et tombe amoureuse. Sheela, mère célibataire et artiste photographe, ne sait pas comment agir face au comportement de ses filles. Lorsque la situation s’aggrave, elle décide de partir s’installer dans une maison en Irlande… Mais les trois femmes ne sont pas au bout de leurs épreuves. September and July s’ouvre sur une image des deux sœurs grimées et déguisées comme les fillettes du Shining (1980) de Kubrick. Mais la cinéaste, comme elle le livre dans la longue interview proposée dans les suppléments, s’interdit toute référence cinématographique. Par contre, elle ne nie pas des références à la photographie contemporaine, notamment en s’attachant aux détails du quotidien et aussi, dans un regard féminin, à construire des images que l’on ne voit pas couramment dans les films. Ariane Labed propose une perception altérée de la réalité, quelque chose de dangereux et de fantastique, pour observer un pacte familial secret et l’amour inconditionnel entre deux sœurs qui se protègent ainsi d’un monde extérieur hostile. (Blaq Out)
CHATEAU ROUGE
Quartier de la Goutte d’Or à Paris, métro Château Rouge, collège Georges Clemenceau. Nous voici dans une classe de troisième de ce collège du 18e arrondissement. Avec beaucoup de sensibilité, la documentariste Hélène Milano, qui donne, ici, son cinquième long-métrage, embarque le spectateur dans les parcours, les espoirs et les doutes d’élèves issus d’un quartier populaire et d’un environnement social défavorisé. Chargés de leur insouciance et de leurs blessures, les adolescents doivent grandir. Ils construisent leurs personnalités, se perdent, se cherchent. Les adultes tentent de les guider malgré la violence du système, la réalité des inégalités sociales et aux défis liés à leur parcours scolaire. Oeuvre engagée, empreinte d’humanité, Château rouge ne se limite pas à un constat social, mais insiste sur l’importance de l’éducation comme outil d’émancipation et de cohésion sociale, tout en soulignant la nécessité de soutenir et valoriser le rôle des enseignants. Hélène Milano capte, avec une précision remarquable, les échanges et les moments d’introspection des élèves. Qu’ils soient filmés face caméra ou simplement pris sur le vif dans les couloirs et salles de classe, ils parlent de leurs rêves, mais aussi des obstacles qu’ils rencontrent sur le chemin de l’école. Si certains expriment une ambition débordante, d’autres confient leur peur de l’échec, alimentée par un sentiment d’être enfermés dans des stéréotypes sociaux et territoriaux. Au-delà du regard emphatique posé sur les collégiens ou encore de la vivacité des échanges et la force des émotions, le film est une belle illustration des enjeux qui traversent aujourd’hui le système éducatif : la nécessité de renforcer les moyens dans les territoires les plus fragiles, de repenser la carte de l’éducation prioritaire pour qu’elle corresponde aux réalités actuelles et de reconnaître pleinement le rôle fondamental des enseignants et éducateurs. A méditer ! (Blaq Out)
LE SECRET DE KHEOPS
Menant de nouvelles fouilles archéologiques dans la ville du Caire, l’archéologue français Christian Robinson est convaincu d’avoir découvert une mystérieuse inscription concernant le trésor du pharaon Khéops. Selon lui, il s’agit d’indices laissés par Dominique Vivant Denon, premier directeur, de 1802 à 1815, du musée du Louvre. Et si le trésor du pharaon Khéops avait été découvert pendant la campagne d’Égypte de Napoléon, ramené en France, puis caché à Paris ? Accompagné de sa fille Isis et de son petit-fils Julien, le flamboyant chercheur part, des archives poussiéreuses du Louvre jusqu’aux cabinets secrets de la Malmaison, à la recherche du trésor en espérant accomplir la plus importante découverte archéologique du 21e siècle.… C’est en lisant un article sur une momie retrouvée dans des poubelles et qui provenait d’un grenier ayant appartenu à des compagnons de Bonaparte, que Barbara Schulz a eu l’idée de son film. Ajoutant à cela un documentaire sur la pyramide de Khéops, elle tenait son scénario. Puis la comédienne des récents Bernadette (2023), Le voyage en pyjama (2023) et C’est le monde à l’envers (2024) s’est posée la question : « Et si Bonaparte avait trouvé le trésor de Khéops pendant la campagne d’Égypte et l’avait ramené à Paris ? » Fascinée par les histoires d’archéologie et d’Égypte antique, Barbara Schulz signe, donc, ici sa première réalisation et donne une comédie d’aventure dont elle évoque un autre aspect de la genèse : « Pour les 70 ans de ma mère, je l’ai emmenée en croisière sur le Nil. Comme j’avais déjà ce film en tête, j’ai inondé notre guide de questions, pris des photos et écrit pendant la navigation, en me nourrissant d’articles comme celui qui retraçait les fouilles clandestines ayant provoqué un effondrement à Louxor. » Sur fond de réconciliation entre un père et sa fille (Julia Piaton), Le secret de Khéops s’amuse à jouer des références aux grands films d’aventure et fait des clins d’oeil, notamment à Indiana Jones avec un Fabrice Luchini qui la joue truculent, érudit et excentrique. Du plateau de Guizeh aux salles du Louvre, on se laisse promener par ce joyeux divertissement ! (M6)
LES FORÇATS DE LA GLOIRE
Durant la Seconde Guerre mondiale, Ernie Pyle, correspondant de guerre, suit la progression de la Compagnie C du 18° Régiment d’Infanterie américain, d’abord en Afrique du Nord, puis en Sicile et au cœur de l’Italie, notamment pendant la terrible bataille de Monte Cassino… Si William A. Wellman (1896-1975) fut un cinéaste hollywoodien reconnu auquel on doit des réussites comme Wings (Les ailes en 1927) qui le fit connaître, Une étoile est née (1937) avec Janet Gaynor ou encore L’étrange incident (1943), un western autour du lynchage, il a aussi été au courant de sa vie un vrai baroudeur ! Il fut ainsi blessé er décoré comme pilote de chasse au-dessus des tranchées de la Première Guerre mondiale. Autant dire que le gaillard sait de quoi il parle quand il évoque la terreur des conflits armés et surtout il se montre toujours très soucieux de véracité. C’est ainsi qu’en 1945, il signe The Story of G.I. Joe (en v.o.) où, dans les pas du correspondant de guerre Ernie Pyle, il montre le quotidien d’une compagnie US et réussit l’un des meilleurs films de guerre produit par Hollywood avec Aventures en Birmanie (1945) de Raoul Walsh et Les sacrifiés (1945). de John Ford. En appuyant son scénario sur les carnets de guerre de Pyle (qui tombera sur une île japonaise du Front Pacifique le 18 avril 1945), Wellman, avec Robert Aldrich comme assistant, apporte une dimension réaliste à son propos, dépouillant son film de tout sentimentalisme et de tout lyrisme. Dépeignant la vie des soldats, leur courage, leur douleur et leur humanité, il montre la brutalité et la réalité du front, en employant une mise en scène sobre et émouvante, sans glorification de la violence. La mise en scène de Wellman est d’une sobriété remarquable et même émouvante lorsque la caméra balaye les paysages bouleversés des champs de bataille. Si Burgess Meredith est remarquable dans la peau d’Ernie Pyle auquel il ressemble étrangement, Les forçats de la gloire révèlera, dans le rôle du capitaine Walker, Robert Mitchum au grand public. (Sidonis Calysta)
LE COMMANDO DE LA MORT
En 1943, la campagne d’Italie bat son plein. Les troupes américaines ont débarqué à Salerne, dans le sud du pays. Un commando américain mené par le sergent Bill Tyne est chargé de prendre d’assaut un bastion allemand. Alors que la plupart des hommes, débutants ou expérimentés, rêvent d’en découdre avec l’ennemi, il faut bientôt se rendre à l’évidence : la progression est lente et difficile et les premiers combats se font attendre. Pour les soldats qui craignaient l’épreuve du feu commence alors une torture beaucoup plus insidieuse, celle de l’attente… En 1945, moins de deux ans après les faits historiques, le cinéaste américain Lewis Milestone (1895-1980) s’empare de cette aventure pour mettre en scène A Walk in the Sun (titre en v.o. plus approprié que le titre français) qui suit au plus près une division texane qui se retrouve chargée d’une mission d’autant plus vague que, très vite, ils doivent se débrouiller sans officiers, juste avec quelques sergents à peine plus évolués que le reste des troufions… Devenu célèbre et couronné de deux Oscars pour avoir réalisé, en 1930, A l’Ouest, rien de nouveau d’après le best-seller d’Erich Maria Remarque, Milestone donne un film de guerre original pour l’époque dans la mesure où il ne met en scène aucun héros, aucun chef infaillible mais seulement des soldats qui ont la peur au ventre, qui sont incapables de se tirer, seuls, d’affaire alors que les sous-officiers qui se suivent, n’arrangent pas plus les choses… Pour porter son film, le cinéaste peut s’appuyer sur des gueules comme John Ireland, Lloyd Bridges ou Richard Conte. Et puis, dans le rôle du sergent Tyne, on trouve l’excellent Dana Andrews qui venait de jouer le lieutenant de police Mark McPherson dans le très culte Laura (1944) de Preminger et qui allait incarner un aviateur revenant du front dans Les plus belles années de notre vie (1946) de William Wyler. (Sidonis Calysta)
ARC DE TRIOMPHE
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne, Ravic, un chirurgien de renom, est torturé par Von Haake, un agent de la Gestapo, déjà responsable de la mort de la femme du médecin. Ravic réussit à fuir son pays et se réfugie à Paris où il exerce illégalement son métier. Il y fait la connaissance de Joan Madou, une veuve à la dérive qu’il sauve du suicide. Ils tombent amoureux l’un de l’autre et parviennent à atteindre la Côte d’azur. Mais Ravic est découvert par la police et extradé. Il parvient cependant à retourner en France après plusieurs mois et y croise à nouveau Von Haake, au moment où les troupes de la Wehrmacht s’apprêtent à envahir la Pologne. Trois ans après Le commando de la mort (voir ci-dessus), Lewis Milestone adapte un roman qu’Erich Maria Remarque écrivit et publia aux Etats-Unis en 1946. D’après certains échos, le personnage de Joan Madou aurait lointainement été inspiré par Marlène Dietrich. Si le roman de Remarque s’attachait à la vie des réfugiés illégaux en France avant-guerre, le film de Milestone joue plus la carte du mélodrame avec la romance, sans doute cousue de fil blanc, entre Ravic et Joan Madou. Il faut dire que le cinéaste bénéficie, pour interpréter le couple, de deux vedettes, alors au sommet de leur gloire. Charles Boyer (Ravic) était le séducteur français du Hollywood de l’époque. Quant à Ingrid Bergman, elle avait été auparavant à l’affiche de Casablanca (1942), Hantise (1944) dont elle partageait déjà l’affiche avec Charles Boyer, La maison du docteur Edwardes (1945) et Les enchaînés (1946), tous deux de Hitchcock. Ici, elle incarne une femme bien toxique… bien habillée par Edith Head. Enfin le grand Charles Laughton se régale avec Haake, le gestapiste. Arc of Triumph (en v.o.) a été tourné dans les studios d’Hollywood où furent reconstitués des rues et des ponts de Paris, ainsi que le Fouquet’s… (Sidonis Calysta)
PROSPER
Chauffeur Uber à côté de ses pompes, Prosper prend comme passager un homme mourant qui vient de se faire tirer dessus. Paniqué et embrouillé par des difficultés financières comme sentimentales, Prosper se débarrasse du cadavre tout en lui volant 30 000 euros qu’il avait dans sa poche ainsi que sa paire de bottines en peau de crocodile. En les portant, Prosper se retrouve habité par l’esprit de l’homme assassiné : King, un gangster respecté et craint de tous. Partagé entre ces deux personnalités que tout oppose, Prosper et King, unis dans un seul corps, enquêtent pour démasquer l’assassin de King. Né à Bondy et venu au spectacle par le rap, Jean-Pascal Zadi a été remarqué, en 2020, avec Tout simplement noir (2020) qu’il coréalise et interprète, ce qui lui vaut le César du meilleur espoir masculin. Depuis le comédien a mis en scène Le grand déplacement, actuellement sur les grands écrans. Pour Prosper, il est dirigé par Yohann Gloaguen dont c’est le premier long-métrage. Prosper, incarné par Jean-Pascal Zadi, est un thriller comique sur des identités qui se mélangent dans un décor qui est celui de l’univers de la sape. Avec ses scénaristes, le réalisateur s’est immergé dans la culture congolaise et notamment celle des sapeurs. Mouvement culturel et de société, la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes) est née à l’époque coloniale des années 1920, d’abord à Brazzaville, puis à Léopoldville, devenue Kinshasa lorsque des jeunes Congolais ont commencé à adopter et à réinterpréter les habits des colons. La « sapologie » ou art de bien se saper est devenue aujourd’hui un moyen d’affirmer une identité et de contester une domination coloniale. Tout en étant une œuvre rythmée et pleine de rebondissements improbables, Prosper entend aussi faire honneur à ce mouvement culturel ainsi qu’à ses adeptes. Avec humour et fantaisie, Jean-Pascal Zadi, devenu incontournable dans le paysage du cinéma français, mène le bal dans cette joyeuse aventure fantastique ! (Le Pacte)
FASSBINDER ANTHOLOGIQUE ET LES MAUX DE L’AMÉRIQUE 
RAINER WERNER FASSBINDER VOL. 3
A la fin des années soixante-début des seventies, la télévision allemande diffuse les films de Fassbinder. En Alsace, où les habitants comprennent la langue, l’ARD ou la ZDF font de belles audiences. Les cinéphiles alsaciens, petits vernis, se régalent en découvrant les films de l’emblématique figure du Nouveau cinéma allemand. Votre serviteur conserve un souvenir ému du malheureux Hans Epp poussant sa carriole dans Le marchand de quatre saisons et finissant lamentablement ses jours… Après deux premiers volumes, Carlotta Films poursuit sa grande quête fassbinderienne avec un coffret collector édition limitée n°3 qui célèbre le 80e anniversaire de la naissance du génie du cinéma allemand. De son premier court-métrage réalisé en 1966 à sa mort prématurée en 1982, Rainer Werner Fassbinder a réalisé plus de quarante films pour le cinéma et pour la télévision, brossant au fil de son œuvre un tableau extraordinairement riche et complexe de l’Allemagne au 20e siècle. Les longs-métrages de coffret collector vol. 3 (trois Blu-ray) attestent du génie de l’auteur, tout en montrant sa cohérence et sa diversité mêlées. De son hommage réussi au film noir américain (Les dieux de la peste en 1969) à sa fresque monumentale située en plein IIIe Reich avec un magnifique Hannah Schygulla (Lili Marleen, 1980), en passant par ses deux courts-métrages de jeunesse que sont Le clochard (1966 – 12 mn) et Le petit chaos (1967- 11mn), voici sept œuvres culte dans de splendides restaurations 4K inédites. Parmi les titres du coffret, Le soldat américain (1970) est un thriller où Ricky, un tueur à gages américain (mais natif de Munich) est engagé par trois policiers pour éliminer plusieurs personnes. A propos de Maman Küsters s’en va au ciel (1975), RWF se tourmentait, selon son assistant Harry Baer, de savoir, pourquoi après 68, il n’avait pas choisi la même voie que Baader et Meinhof ? Il évita toujours de répondre à cette question, préférant se dire que faire des films était plus important pour la cause que descendre dans la rue. Ouvrier d’usine, Herman Küsters tue son patron et se suicide. La presse s’empare de l’affaire, brosse un portrait humiliant de Hermann. Emma Küsters, sa femme (Brigitte Mira), se pose comme objectif de réhabiliter l’honneur de son mari. Délaissée par ses enfants, elle se tourne vers un groupe communiste et ensuite vers un groupe anarchiste. Avec Le rôti de Satan (1976), voici l’histoire d’un poète ex-révolutionnaire au bout du rouleau mais qui, soutenu par un orgueil sans borne, est prêt à tout pour refaire surface. Il s’engage ainsi dans une quête d’argent immorale et destructrice. En n’hésitant pas à copier le célèbre poète Stefan George dont il se croit une réincarnation, il se fourvoie complètement et rejoint ainsi le caractère pathétique de son propre ménage. Comme toujours, le coffret comprend de multiples suppléments, notamment Alter Ego : Harry Baer à propos de RWF (41 mn), Fassbinder tourne Film n° 8, un documentaire de Michael Ballhaus et Dietmar Buchmann (30 mn), Travailler avec Fassbinder : l’assistante réalisatrice Renate Leiffer à propos de Maman Küsters… ou encore Fassbinder à Hollywood, un documentaire de Robert Fischer (57 mn). Les deux premiers volumes étaient épuisés. Carlotta annonce qu’ils sont à nouveau disponibles à l’occasion de la sortie du volume 3. Pour mémoire, le coffret n°1 présente en version restaurée inédite sept films de Fassbinder réalisés entre 1969 et 1973 : L’amour est plus froid que la mort, Le bouc, Prenez garde à la sainte putain, Le marchand des quatre saisons, Les larmes amères de Petra Von Kant, Martha, Tous les autres s’appellent Ali. Pour sa part, le coffret n°2 réunit huit films tournés par RWF entre 1974 et 1981, en l’occurrence Effi Briest, Le droit du plus fort, Roulette chinoise, L’année des treize lunes, Le mariage de Maria Braun, L’Allemagne en automne, Lola, une femme allemande et Le secret de Veronika Voss. Une somptueuse anthologie du cinéaste qui disait : « Tout ce qui est raisonnable ne m’intéresse pas » ! (Carlotta)
A CAUSE D’UN ASSASSINAT
Candidat démocrate à l’élection présidentielle de 1972, le sénateur Charles Carroll est assassiné le 4 juillet 1971, jour-anniversaire de l’indépendance des Etats-Unis, à Seattle lors d’une conférence de presse-buffet, par l’un des serveurs. Une commission d’enquête ne retient pas l’hypothèse d’une quelconque conspiration et conclut qu’il s’agit d’un acte isolé commis par un déséquilibré qui, poursuivi, s’est tué en se jetant du toit. Au cours des trois années qui suivent, la plupart des personnes qui ont assisté à cet événement meurent les unes après les autres à la suite de divers accidents. Témoin du meurtre de 1971, la journaliste Lee Carter pense que ces « accidents » sont en réalité des assassinats déguisés. Elle fait part de ses craintes à son collègue et ami Joe Frady, mais ne réussit pas vraiment à le convaincre. Cependant, quand Lee est victime à son tour d’un « accident » fatal, Frady, désormais persuadé que la jeune femme ne se trompait pas, décide, sans l’accord de son rédacteur en chef, de mener une enquête approfondie. Il se fait recruter sous un faux nom par l’entreprise privée et occulte Parallax qui engage sélectivement des hyperviolents agressifs pour en faire des tueurs sous contrat pour des crimes politiques impunis. Des types qui seront ensuite tués… Depuis quelque temps déjà, Carlotta Films développe sa belle série des Coffrets Ultra Collector, de luxueuses éditions sous forme de livres à la couverture illustrée d’un visuel exclusif (ici, signé de Laurent Durieux). Après Les ailes du désir (#26), L’empire des sens (#27) et Paris Texas (#28), la série fait la part avec son #29 à The Parallax View (en v.o.), le thriller politique réalisé en 1974 par Alan J. Pakula qui signera, deux ans plus tard, Les hommes du président qui poussera à son paroxysme le thème obsessionnel de la conspiration. Film emblématique des années 1970, À cause d’un assassinat illustre brillamment le climat paranoïaque qui s’est emparé de l’Amérique au lendemain des meurtres des frères Kennedy et de Martin Luther King, bientôt suivis par le scandale du Watergate. Disponible pour la première fois en France dans sa nouvelle restauration, le film de Pakula (1928-1998) est une œuvre virtuose, portée la photographie claire-obscure de Gordon Willis et interprétée par un excellent Warren Beatty dans le rôle du lanceur d’alerte Joe Frady. Comme de coutume dans cette collection, on trouve de multiples suppléments dont une présentation du film par le réalisateur Alex Cox qui explique : « Ce monde chimérique que Pakula et Beatty nous faisaient découvrir en 1974, c’est celui dans lequel on vit aujourd’hui. […] Toutes nos données appartiennent à des sociétés privées et à des agences gouvernementales et sont à vendre. » Pour sa part Jon Boorstin, assistant de Pakula, estime dans Mise au point : la genèse de A cause d’un assassinat (15 mn) que, loin d’être un film politique, le film traite de la culture du contrôle et de la paranoïa, brillamment illustrée lors de la séquence clé du test. Enfin, Révisions (27 mn) est un entretien inédit avec le cinéaste français Nicolas Pariser (Alice et le maire en 2019) qui observe : « Le thème du complot, notamment au cinéma, est revenu à cause du 11-Septembre et, évidemment, de toutes les thèses complotistes autour. Le 11-Septembre a probablement été notre assassinat de John F. Kennedy. » Enfin L’envers des totems, le livre inédit (160 p. et plus de 40 photos d’archives) de Jean-Baptiste Thoret encense le génie paranoïaque d’À cause d’un assassinat et son éblouissante esthétique du complot, avant de décortiquer le programme dit de l’« effet parallaxe » appliqué au film. L’ouvrage est agrémenté de deux entretiens avec Alan J. Pakula (dont un mené en 1998 par Steven Soderbergh). En 1979, le thème du film sera repris par le cinéma français et Henri Verneuil qui donnera, avec Yves Montand en tête d’affiche, I… comme Icare. (Carlotta)
LA TENDRESSE DES LOUPS
Dans la nuit, une femme est réveillée, dans sa chambre, par des bruits sourds provenant de l’appartement voisin. Elle frappe à la cloison et demande : « M. Haarman, vous me donnerez un peu de votre viande ? » Ce Fritz Haarman est clairement un type très étrange. Au générique du film, on découvre son ombre avançant sur un mur de briques. Crâne chauve, regard aigu, manteau long, il n’est pas apprécié, loin s’en faut, par les habitantes de l’immeuble. Parce qu’il n’est guère courtois et aussi parce qu’il reçoit souvent chez lui des jeunes gens en rupture de ban… Dans une Allemagne de Weimar, déchirée par la guerre, de Hanovre aux territoires occupés de la Ruhr, Haarman vit de petits trafics. Bien connu des services de police pour de multiples délits dont des affaires de moeurs, il est pourtant engagé, par Braun, son officier traitant, comme indic du fait de sa connaissance du milieu de la pègre tout en s’offusquant de devoir vendre ses amis. Lorsqu’une inquiétante série de meurtres de jeunes hommes commence, les policiers ne se doutent pas que le tueur travaille en fait avec eux. Pire encore, ils ignorent que Fritz Haarmann se sert de sa position pour attirer de nouvelles proies. Il se présente, en effet, en tant que commissaire à ses victimes, lui permettant de les enfermer dans son appartement. Il tue ses victimes à la manière de Dracula, par une morsure dans le cou, suçant leur sang avant de transformer leurs restes en… charcuterie, vendue notamment à une restauratrice louche mais pas regardante sur les menus qu’elle sert. Le tueur aura le temps d’assassiner quarante jeunes hommes avant d’être pris. En s’inspirant des méfaits de Fritz Haarman, surnommé le vampire de Hanovre, tueur en série allemand considéré comme l’auteur des meurtres de 27 jeunes gens entre 1918 et 1924 et exécuté en 1925, Ulli Lommel tourne, en 1973, Die Zärtlichkeit der Wölfe (en v.o.). Situé trente ans après les faits réels, ce film, à l’impressionnante atmosphère, fut produit par Rainer Werner Fassbinder avec lequel Lommel tourna, comme comédien, plus d’une dizaine de films. Présenté en ouverture de la Berlinale 1973, le film connut un beau succès critique. La tendresse des loups doit beaucoup à l’interprétation de Kurt Raab, autre comédien fétiche de Fassbinder. Tout en suavité inquiétante, Raab (qui fut emporté à 47 ans, en 1988, par le sida) rend hommage, ici, à Peter Lorre, le tueur en série du M le maudit (1931) de Fritz Lang. Dans ce second film de sa carrière de cinéaste, Ulli Lommel (1944-2017) tourne d’ailleurs une scène où Haarman ramasse un ballon et le rend à un enfant. Par ailleurs, RWF avait ramené, pour le film, sa troupe d’amis comédiens. Outre Fassbinder lui-même qui s’offre un caméo remarqué, on trouve, ici, Margit Carstensen, Ingrid Caven, Brigitte Mira, El Hedi ben Salem, Irm Herrmann, Rosel Zech ou Hans Hirschmuller. Dans cette belle édition Blu-ray inédite, on trouve, parmi les suppléments, un long entretien avec le réalisateur qui raconte les difficultés qu’il connut avec RWF pour ce film qui fit décoller sa carrière aux États-Unis. Avec Images de Fritz (24 mn), le chef opérateur Jürgen Jürges raconte la manière de filmer un tueur en série. (Carlotta)
SUBWAY
Voyou au grand coeur et musicien à ses heures, Fred a braqué le coffre-fort d’un certain Raymond Kerman pour lui dérober des documents compromettants. Las, Fred est tombé sous le charme d’Hélena, la femme de cet inquiétant personnage. Poursuivi par les hommes de main de celui-ci, il se réfugie dans le métro parisien. Fred va y découvrir une faune étrange, fixée à demeure, loin des lumières du jour. Les couloirs secrets deviennent son refuge favori. Il décide d’y vivre et surtout d’y attirer Héléna. Il lui donne rendez-vous mais doit fuir encore. A son corps défendant, Héléna ne reste pas insensible à l’amour de son soupirant souterrain. L’étau se resserre lentement sur lui : ses poursuivants ont flairé une piste… Au détour des couloirs, Fred rencontre aussi des musiciens, évoluant chacun dans leur coin. Il décide de les réunir et de les inciter à former un groupe. C’est en 1985, après diverses péripéties de production, que Luc Besson s’attaque à Subway. Il est connu de la critique qui a apprécié son premier long-métrage, Le dernier combat en 1983. Cette fois, c’est le grand public qui est au rendez-vous. Le film réunit près de trois millions de spectateurs et à l’époque, Subway est le troisième meilleur film français au box-office après Trois hommes et un couffin (10 millions d’entrées) et Les spécialistes (5,3 millions). Pour fêter le 40e anniversaire du film, Gaumont sort Subway en steelbook édition limitée et restaurée 4K ultra HD avec plus de trois heures de suppléments dont le making of (80 mn) par Jean-Hugues Anglade et différents interviews de collaborateurs du cinéaste. L’occasion de se plonger dans l’univers underground et désormais vintage de Besson. Le film a-t-il pris un « coup de vieux » ? Sans doute car il est emblématique des années eighties. Mais il conserve quand même de belles cartes dans sa manche. Ainsi la musique d’Eric Serra, la quête d’un monde marginal considéré comme une sorte d’opéra souterrain filmé dans des lumières blêmes et froides, la plongée, quand même rare, dans le métro. La RATP a mis beaucoup de conditions au tournage et Besson ne les a, semble-t-il, pas toutes respectées… Et enfin, une distribution de luxe avec le tandem Isabelle Adjani – Christophe Lambert. La première mode iroquois-punk de luxe et le second en voyou rock et péroxydé ! Autour d’eux, c’est épatant : Richard Bohringer, Michel Galabru, Jean-Hugues Anglade, Jean-Pierre Bacri, Jean Bouise, Jean Reno et même Luc Besson en conducteur de train du RER B. (Gaumont)
DIS-MOI JUSTE QUE TU M’AIMES
Pour Marie, Julien et leurs deux adolescentes de filles, la vie va tranquillement. Mais une panne de la chaudière dans la petite maison qu’ils habitent près de Vannes montre bien que la vie du couple, marié depuis quelques années déjà, n’est plus aussi heureuse et paisible qu’auparavant. Dans l’entreprise où Marie travaille, un audit est en cours. Par ailleurs, Anaëlle, qui fut autrefois le grand amour de Julien, est de retour en ville où elle a décidé d’ouvrir un bar. Tout cela trouble et déstabilise la fragile Marie. Lorsqu’elle est reçue par Thomas Radiguet, le DRH, Marie s’effondre. Elle croit ou imagine que Julien revoit Anaëlle. Aveuglée par la jalousie, Marie entame alors, par dépit, une liaison avec Thomas. Elle se retrouve vite embarquée dans une spirale dangereuse qui va mettre en péril bien plus que son mariage… Avec Dis-moi juste que tu m’aimes, Anne Le Ny livre une manière de thriller domestique avec quatre personnages pris dans les rets d’une aventure intime. « En général, au cinéma, dit Anne Le Ny, on parle soit de la naissance de l’amour – du moment de la rencontre et de la passion – soit de la fin de la relation amoureuse, avec son cortège d’amertume et de ressentiment. J’avais envie d’explorer ce qui se passe au milieu de la relation ! (…) Marie et Julien sont accaparés par leurs obligations familiales et professionnelles et ils ne se parlent plus beaucoup. C’est un moment où leur couple a besoin d’un second souffle… » Las, la relation charnelle -intense, de l’avis même de Marie- va bouleverser l’existence de tous les protagonistes, peu à peu manipulés par un personnage hautement toxique. Radiguet est dans l’emprise la plus complète sur Marie, évidemment mais aussi sur sa famille dans laquelle il s’immisce au motif de « voir comme ils vivent ». Le couple Marie-Julien va être contraint de modifier la place de chacun dans le couple. Julien ira jusqu’à braquer l’ordinateur professionnel de son épouse pour lui venir en aide. Si les personnages de Marie et Julien sont bien dessinés, Anne Ly Ny apporte un soin particulier à son affable et empathique prédateur. Elle décrit la mécanique de l’emprise chez un individu fêlé, séduit par la vulnérabilité de Marie et, persuadé que Marie ne peut avoir de volonté propre. Radiguet est dans la toute-puissance et s’imagine comme le prince charmant venant sauver la malheureuse Cendrillon. Pour incarner Radiguet, la comédienne et réalisatrice a choisi José Garcia, excellent en pervers narcissique. Omar Sy (Julien) et Vanessa Paradis (Annaëlle) lui donnent une belle réplique. Mais dans ce thriller, vite suffocant, c’est Elodie Bouchez, avec sa Marie bouleversée, qui épate ! (M6)
PRIMA LA VITA
« D’abord la vie. Et ensuite le cinéma ! » C’est le cri mais aussi le viatique de Luigi Comencini à sa fille Francesca. Le premier est cinéaste, la seconde aussi. Le père (1916-2007) fut l’un des maîtres de la comédie à l’italienne (Pain, amour et fantaisie en 1953 ou L’argent de la vieille en 1972) avant de donner, dans une œuvre protéiforme, des œuvres sur le monde de l’enfance comme L’incompris (1967), Eugenio (1980) ou Un enfant de Calabre (1987). Francesca, la fille née en 1961, débute au cinéma avec Pianoforte (1984) sur l’histoire de deux jeunes drogués. Avec Il tempo che ci vuole (en v.o. litt. « Le temps qu’il faut »), Francesca Comencini raconte, pendant la sombre période des Années de plomb, l’histoire de Francesca qui, ne trouvant pas sa voie et sa place dans la société, fréquentera un groupe de toxicomanes. Son père la surprendra dans la salle de bain avec une seringue. De là, un dialogue s’instaurera entre le père et la fille, où elle lui expliquera qu’elle se trouve inutile et « bonne à rien ». Malgré la maladie de Parkinson qui l’affecte, le père décide de s’installer avec elle à Paris pour son sevrage… Avec ce quatorzième long-métrage (parmi lesquels une série de documentaires auxquels la cinéaste accorde une place importante) Francesca Comencini (interprétée, adulte, par Romana Maggiora Vergano) livre une chronique intime de sa relation avec son père (Fabrizio Gifuni, vu récemment dans L’enlèvement de Bellochio). Les images sont superbes sur l’émerveillement de l’enfance à travers une jeune fille fragile et pleine d’espoir. Il aura sans doute fallu des années à la cinéaste pour se décider à livrer cette réflexion sur le rapport très fusionnel à son réalisateur de père. Point, ici, de référence à sa mère ou à ses trois sœurs. Prima la vita, c’est un face-à-face, les yeux dans les yeux, même si parfois le regard de la fille s’échappe lorsque, devenue grande adolescente, elle se met à mentir, à se laisser aller avant de se retrouver au bord du gouffre de la drogue. Heureusement Luigi est là comme un rempart à ses démons. Et il lui dira : « Déjà essayé ! Déjà échoué ! Echoue encore ! Echoue mieux ! » Sous la forme d’un huis-clos émotionnel, un beau poème à l’enfance et à la lutte pour la survie mais aussi à l’admiration du cinéma ! (Pyramide)
LA CAVALE DES FOUS
Dans un accès de jalousie meurtrière, Henri Toussaint, grand professeur au Collège de France, philosophe spécialiste de Blaise Pascal, a tenté d’égorger son épouse alors surprise en flagrant délit d’adultère avec un simple serveur de bar. Il est interné depuis sept ans dans une clinique psychiatrique privée quand Bertrand Daumale, son psychiatre, lui demande, l’espace d’un week-end, de revoir une dernière fois sa femme, gravement souffrante et qui souhaite lui donner le baiser du pardon avant de mourir. Malgré les réticences du directeur de l’hôpital, Daumale obtient l’autorisation en arguant que cela demande seulement un rapide trajet de deux heures par autoroute et qu’un ultime baiser d’adieu pourrait permettre au savant de recoudre l’histoire de sa vie, mutilée par une bouffée de démence. Un autre pensionnaire de l’asile rentre en cachette dans la voiture du psychiatre : Angel, un psychotique qui s’est attaché à Toussaint. Sorte d’Harpo Marx qui a la fâcheuse manie de grimper sur les pieds des gens et de leur tirer les poils du nez avec un grand sourire convivial, il attire rapidement des ennuis à Bertrand Daumale. Ce dernier est par ailleurs préoccupé car il a peur que sa jeune compagne soit peut-être en train de le tromper avec un écrivain… On avait découvert le cinéma de Marco Pico en 1974 avec son premier long-métrage intitulé Un nuage entre les dents qui racontait, par le menu, les aventures de Malisard et Prévot, deux journalistes aux prises avec le (faux) enlèvement des deux enfants du second, un « événement » monté en épingle par le rédacteur en chef du journal pour faire de l’audience. Un touchante chronique des « localiers » interprétée par Philippe Noiret et Pierre Richard. Ici, c’est autour des thèmes de la folie et de la psychiatrie mais aussi de la rédemption et du pardon que le cinéaste a imaginé, en 1993, le voyage insensé d’un psychiatre accompagné de deux de ses patients. Mais le thérapeute n’est-il pas aussi atteint que les deux malades, le fou intelligent et le débile, qui sont en route avec lui ? Au-delà d’un scénario loufoquement inventif, ce sont les personnages qui sont attachants, bien servis par des interprètes au diapason avec Pierre Richard, co-auteur du scénario, en psychiatre, Michel Piccoli dans le rôle du professeur et Dominique Pinon en lunaire Angel ! (Gaumont)
LA COURSE A L’ECHALOTE
Jeune et dynamique fondé de pouvoir à la 20th Century Bank, Pierre Vidal doit remplacer, le temps d’une semaine de vacances, son directeur. Alors que le poids des responsabilités le rend plus nerveux que jamais et qu’en plus sa jalousie envers Janet, sa fiancée, devient maladive, il se fait dérober une mallette contenant un (douteux) acte de cession des parts d’une société organisatrice de spectacles. Avec sa fiancée, Vidal se lance à la poursuite des voleurs. En 1974, Claude Zidi réalise La moutarde me monte au nez, une comédie farfelue avec Pierre Richard et Jane Birkin. À la suite de son énorme succès au box-office avec plus de 3,7 millions d’entrées, le producteur du film, Christian Fechner, prend le pari de réunir le trio un an plus tard. C’est donc en 1975 que Zidi, Richard et Birkin se retrouvent pour La course à l’échalote. Véritable folie cinématographique, La course à l’échalote (présenté dans une version restaurée) fait penser aux meilleures comédies burlesques américaines. Dans ce film conduit à vive allure, quiproquos et gags s’enchaînent sans aucun temps mort. Entraîné par son rythme effréné, le réalisateur fait preuve de véritables inventions burlesques aux acrobaties qui ne cessent de surprendre et de provoquer le rire. Il est vrai qu’avec un bancal banquier qui se transforme en chasseur de gangsters, le film devient une course-poursuite où les cascades en pagaille se mêlent à une atmosphère carnavalesque, le tout emporté par la belle bande originale de Vladimir Cosma. De Paris à Brighton, en passant par un train de travestis, un chalutier et une baignoire suspendue dans les airs, la comédie de Zidi cavale sans reprendre son souffle et offre des moments de drôlerie insolite et poétique, menés tambour battant par une ribambelle de bons acteurs : Michel Aumont, Jean Martin, Catherine Allégret, Claude Dauphin, Henri Attal, mais surtout, un beau duo incarné par Pierre Richard et Jane Birkin. Si Jane Birkin est fantasque et pétillante, Pierre Richard retrouve, ici, ce rôle qu’il affectionne tant, celui d’un cadre moyen poussé par le hasard ou le destin dans une aventure qui le dépasse. Avec Claude Zidi aux manettes, le rire est au rendez-vous ! (Pathé)
PRESENCE
Chris Payne, sa femme Rebecca et leurs enfants, Tyler l’aîné et Chloe la cadette s’installent dans une grande maison de banlieue. Las, l’endroit est habité par un Poltergeist, autrement dit un phénomène paranormal… Cette Présence est témoin de la dégradation croissante des relations au sein du foyer. Le mariage des parents est en crise : Rebecca a commis une fraude financière au travail. Chris envisage de la quitter. Rebecca est obsédée par Tyler, un champion de natation arrogant et prête peu d’attention à sa fille Chloe. Chris, lui, s’inquiète pour sa fille qui pleure la mort de sa meilleure amie Nadia, l’une des deux jeunes femmes de la communauté récemment décédées dans leur sommeil. Chloe sent la Présence, qui se cache souvent dans le placard de sa chambre, et croit que c’est l’esprit de Nadia. Chloe rencontre un ami de Tyler, Ryan. Ils se défoncent et discutent de la perte et du chagrin, jusqu’à ce que Chloe s’effondre, sanglotant pendant que Ryan la console. Il lui dit qu’elle décidera quand et où ils auront des rapports sexuels, il parle de ses problèmes psychologiques et de son obsession du contrôle. La Présence fait s’effondrer une étagère dans le placard de Chloe afin de les empêcher de devenir intimes. Quelques jours plus tard, Chloe et Ryan ont finalement eu des relations sexuelles. Ryan ajoute une poudre blanche suspecte à la boisson de Chloe, mais la Présence la renverse avant que Chloe puisse la boire. Pendant ce temps, Tyler et ses amis font une blague à une camarade de classe, sollicitant une photo intime d’elle qu’ils font ensuite circuler sur les réseaux sociaux. Rebecca est indulgente, mais Chris et Chloe sont consternés. La Présence détruit la chambre de Tyler, révélant son existence au reste de la famille… Titulaire de la Palme d’or cannoise pour Sexe, mensonges et vidéo (1989), son premier long-métrage, l’Américain Steven Soderbergh a ensuite touché à tous les genres, la SF avec Solaris (2002), le film social (Erin Brockovich en 2000), le thriller (Ocean’s Eleven en 2001), le drame biographique (Che en 2008), le drame psychologique (Side effets en 2013) et il aborde ici le fantastique avec une famille vivant dans une maison hantée. Mais ce qui fait la force de Présence, c’est que le film se distingue par son dispositif formel innovant et sa narration immersive. En effet, l’histoire est vue du point de vue d’un Poltergeist, ce qui permet d’explorer la dynamique familiale et les thèmes du deuil, de la confiance et des secrets. Audacieusement, et avec une vraie maîtrise de la part de Soderbergh dans l’usage du plan-séquence, la mise en scène amène le spectateur à s’interroger sur la perception, le regard et la présence, en superposant trois niveaux de perception : celui de l’entité, celui du spectateur, et celui du réalisateur. Le grand retour de Soderbergh ! (Blaq Out)
LA MAISON DU LAC
Norman Thayer et sa femme Ethel, un couple âgé, viennent comme chaque année passer l’été dans leur maison de vacances sur le lac, à Golden Pond. Leur fille Chelsea leur rend visite avec son nouveau fiancé, Bill et le fils de ce dernier, Billy. En conflit avec son père depuis toujours à cause de son comportement bourru, Chelsea demande malgré tout à ses parents s’ils peuvent garder Billy le temps d’un voyage avec Bill en Europe. Le jeune garçon se retrouve alors seul face à des étrangers beaucoup plus âgés, sans ami ni occupation. Les rapports entre Norman et Billy sont, dans un premier temps, orageux mais leurs parties de pêche sur le Golden Pond vont les faire se rapprocher et s’apprécier. Au retour de Chelsea, cette dernière est plutôt contrariée de la relation que son père entretient avec ce garçon alors qu’il ne s’est jamais comporté ainsi avec elle. Mais la relation d’amitié entre Norman et Billy la force à ouvrir les yeux et à faire l’effort pour enfin dépasser cette mésentente ancienne avec son père. Vers la fin des années 1970, Mark Rydell connaît un bon succès critique et commercial avec The Rose. Bette Midler, qui tient là son premier grand rôle au cinéma, y incarne une chanteuse populaire dont le destin semble modelé sur celui de Janis Joplin. The Rose sera nommés pour quatre Oscars. Rydell enchaîne avec On Golden Pond (en v.o.), une comédie familiale et nostalgique produite par Jane Fonda qui y incarne Chelsea face à son père dont ce sera le dernier rôle au cinéma puisqu’il disparaît moins d’un an plus tard. Dans le rôle d’Ethel, on trouve une autre gloire d’Hollywood en la personne de Katharine Hepburn. Le film sera un grand succès et il remportera trois Oscars pour Katharine Hepburn et Henry Fonda, meilleurs acteurs et meilleure adaptation pour Ernest Thompson, auteur de la pièce dont est tiré le film. (BQHL)
APPRENDRE
Apprendre, lever le doigt, ne pas se tromper. Avoir envie que la maîtresse ou le maître dise « C’est bien ! » Savoir lire, écrire, compter, c’est pas toujours facile. Apprendre aux enfants, détecter dans leurs yeux ce qui coince, les encourager, les aider. Les faire lire, chanter. Apprendre à se parler dans la cour plutôt que se battre. Par les temps qui courent, le documentaire de Claire Simon prend évidemment une résonance particulière. Parce qu’il est bon de dire et de répéter que l’école publique est un sanctuaire du savoir et de la formation de l’individu. Un « lieu sacré », où se jouent des enjeux universels, dont la cinéaste ouvre les portes. Cela se passe dans l’école élémentaire Makarenko d’Ivry-sur-Seine, dans la banlieue parisienne… Venue au cinéma par le biais du montage, Claire Simon s’est imposée comme une remarquable cinéaste documentaire même si elle tourna aussi des fictions comme Gare du Nord (2013)avec Nicole Garcia, Monia Chokri, François Damiens et Reda Kateb. Son dernier film, Notre corps (2023) fut, dit-elle, une occasion de « filmer à l’hôpital l’épopée des corps féminins, dans leur diversité, leur singularité, leur beauté tout au long des étapes sur le chemin de la vie. » Avec Apprendre, elle permet, par le biais d’une observation discrète (les moyens de filmage mis en œuvre étaient très légers) au spectateur d’entrer dans un univers à hauteur d’enfant. Un univers presqu’interdit aux parents qui laissent leur progéniture à la porte de l’établissement. Au-delà des savoirs académiques, le film explore l’apprentissage de la sociabilité, du respect et de la gestion des émotions, illustré par des scènes telles qu’une dispute entre élèves ou l’intégration d’un groupe. Rien de révolutionnaire cependant dans cette école mais une manière de « vie de tous les jours » et des gestes précis, des situations concrètes captées avec sensibilité et sincérité. Un invitation à la réflexion sur le rôle de l’école et sur la nature même de l’éducation, dans une approche respectueuse et poétique. (Condor)
L’ARME FATALE
A l’aube de ses cinquante ans, Roger Murtaugh, flic las et peinard, se voit assigner un nouveau coéquipier. Hélas, Martin Riggs est tout son contraire, en l’occurrence un policier complètement impulsif et incontrôlable. Pire, il est plutôt suicidaire depuis la perte de sa femme dans un accident de voiture. Pour Murtaugh qui comptait bien la jouer calme et tranquille jusqu’à sa retraite, c’est la catastrophe. Mais les deux hommes, membres de la brigade criminelle de Los Angeles, se découvrent un passé commun puisqu’ils ont été tous deus sous les drapeaux au Vietnam. Leur collaboration débute de manière tumultueuse, mais ils doivent unir leurs forces pour enquêter sur la mort mystérieuse d’une jeune femme, Amanda, fille d’un ancien ami de Murtaugh. Plus encore, ils vont devoir faire montre de toutes leurs qualités lorsque Rianne, la fille de Murtaugh est enlevée par d’anciens agents des forces spéciales devenus trafiquants de drogue… En 1987, Richard Donner va signer un film d’action qui deviendra culte et qui apparaîtra comme le maître-étalon du buddy movie, ce genre cinématographique qui consiste à placer, au coeur de l’intrigue, deux personnages très différents, voire aux antipodes l’un de l’autre. Et on ne pouvait trouver mieux, pour incarner le duo de choc, que les sergents Murtaugh et Riggs. Le succès fut au rendez-vous avec des recettes s’élevant à 120,2 millions de dollars dans le monde. Si le personnage de Murtaugh revint assez vite à Danny Glover, brièvement en rivalité avec Brian Dennehy, un très grand nombre de comédiens avaient été envisagés pour incarner Riggs. On avait ainsi pensé à Pierce Brosnan, Nicolas Cage, Kevin Costner, Michael Keaton, Sean Penn, Liam Neeson, Tom Selleck avant que Mel Gibson, 31 ans, devenu célèbre avec Mad Max (1979), ne s’impose dans ce qui allait devenir une saga à succès avec quatre films entre 1987 et 1998. « Je suis trop vieux pour ces conneries » disait Roger Mutaugh et ce n’est là que l’une des répliques-cultes de Leathal Weapon (en v.o.) tout comme « Ton dossier dit aussi que tu es spécialiste en arts martiaux, le taï chi… et autres trucs de tueur. Je suppose qu’on devrait t’inscrire à l’arsenal comme l’arme fatale ! ». Pour la première fois en 4K UHD dans une édition collector. Pour le pur plaisir de l’action ! (Warner)
LE GORILLE VOUS SALUE BIEN – LA VALSE DU GORILLE
En 1958 et 1959, le réalisateur Bernard Borderie adapte, pour le cinéma, Le Gorille, personnage haut en couleur échappé de la célèbre série romanesque d’Antoine Dominique, nom de plume de Dominique Ponchardier, inventeur du mot « barbouze » et, semble-t-il barbouze lui-même. As des services secrets français, le Gorille, de son vrai nom Géo Paquet, a connu un beau succès auprès du public des salles obscures. Dans Le gorille vous salue bien, Géo Paquet est incarné par Lino Ventura qui décroche, ici, une rôle de tête d’affiche même si on l’a déjà largement remarqué, en flic ou en truand, dans Touchez pas au grisbi (1954), Razzia sur la chnouf (1955), Le rouge est mis (1957) ou Ascenseur pour l’échafaud (1958). Dans ce premier film, Le Gorille s’évade de prison aidé de l’extérieur. Son emprisonnement n’était qu’un camouflage destiné à masquer son activité au sein des Services de Renseignements dont il est l’agent n°1. La D.S.T s’inquiète de la disparition de plans de l’aéronautique militaire et c’est seul et poursuivi par la police légale que Géo Paquet mène l’enquête. Le gaillard n’est pas bavard mais il a une incroyable éloquence du geste. Qui, évidemment, impose le respect. Lorsque Borderie décide de tourner un nouveau Gorille, il propose le rôle à Ventura qui décline, ne voulant pas être enfermé dans un personnage. Dans La valse du gorille, c’est donc Roger Hanin qui reprend le rôle et qui le gardera dans le dernier film de trilogie, Le gorille a mordu l’archevêque réalisé en 1962 par Maurice Labro. Voici donc une valse des espions internationaux autour de la formule d’une invention secrète du savant allemand Keibel. Ted the Hook, l’Américain, Boris Almazian le Soviétique, Otto Lohn l’Allemand, et bien sûr Berthomieu dit « Le Vieux », chef des services d’espionnage français, se déchaîneront pour l’obtenir. Géo Paquet ne sera pas le moins acharné à défendre son supérieur et les intérêts de son pays. Dans les deux films, on remarque Charles Vanel, savoureux en chef du contre-espionnage. S’il fallait cependant choisir entre les deux productions, c’est assurément celle avec Lino Ventura qui l’emporte… Films d’espionnage qui ne se prennent pas au sérieux, Le gorille vous salue bien et La valse du gorille viennent d’être restaurés. L’occasion de (re)découvrir ces deux films cultes dans de très belles éditions restaurées Coffret DVD et Coffret Blu-ray. (Pathé)
BRIDGET JONES : FOLLE DE LUI
Ce soir, Bridget Jones est de sortie. Mais, à la maison, c’est quand même le grand bazar. Billy et Mabel, ses deux gamins, ne sont pas du genre paisible et voilà que débarque ce cher Daniel Cleaver. Les gamins l’adorent. Bridget, elle, tord un peu le nez à ses blagues foireuses et sexuelles. Bridget est veuve après dix années de bonheur. Son cher Mark Darcy a été tué, il y a quatre ans, lors d’une mission humanitaire au Darfour. Et Bridget ne parvient pas à faire son deuil, d’autant que le fantôme de Mark apparaît volontiers à l’heure où Billy et Mabel doivent se coucher. Bien sûr, autour d’elle, ses amis se font un devoir de lui dire que rien n’est terminé et qu’elle devrait refaire sa vie. Ah, les amis et leurs bons conseils ! A 52 ans, Bridget se sent tout simplement « impraticable et asexuée ». Sur son lit de mort, son vieux père lui a dit : « Survivre ne suffit pas. Il faut vivre ! » Lors d’une sortie dans un parc, les enfants ont escaladé un grand arbre et n’arrivent plus à redescendre. Bridget grimpe à son tour et reste coincée en mauvaise posture. Elle assure que tout va bien mais lorsque passe Roxster, un jeune garde forestier, Bridget est bien obligée de demander de l’aide… Depuis toujours -enfin depuis qu’on la suit sur les écrans- Bridget Jones se bagarre pour ne pas rester seule. Avec Bridget Jones : Folle de lui, on peut penser que la voilà rangée des voitures. Mais non, tout n’est pas fini et même sa gynécologue lui conseille de se bouger. Une amie l’inscrit sur Tinder. « Veuve éplorée recherche éveil sexuel », ça peut marcher ? Soutenue par son entourage, Bridget va d’abord retourner à son boulot de productrice de télévision et décider ensuite de filer, un temps, le parfait amour avec Roxster. Mais est-ce bien sérieux quand la différence d’âge est si grande ? Avec ce quatrième épisode des aventures et mésaventures de Bridget Jones, on retrouve donc le personnage, imaginé par la romancière Helen Fielding, qui a fait de Renée Zellweger une vedette internationale. Pour la dernière fois, on le suppose, la comédienne américaine, qui a l’âge de son personnage, repique au truc. Tout cela va son petit bonhomme de chemin. Rien de surprenant, ni de rédhibitoire non plus. (Studiocanal)
SARAH BERNHARDT – LA DIVINE
Après une enfance en nourrice à Quimperlé, puis en couvent à Versailles, Henriette Rosine Bernard entre au Conservatoire à Paris en 1859. Elle en sort avec un deuxième prix d’interprétation et un nouveau nom : Sarah Bernhardt. Après un bref passage à la Comédie-Française,, Sarah devient une « demi-mondaine » repérée par la police des mœurs. Maîtresse du directeur de l’Odéon, elle y triomphe dans le rôle de la reine dans Ruy Blas de Victor Hugo. La Comédie-Française la rappelle mais elle la quitte avec fracas en 1880. Le théâtre est alors un art en mouvement qui tente de sortir des carcans du répertoire comme du style boulevardier. L’actrice cherche surtout à se mettre en scène, privilégiant les rôles dans lesquels elle meurt sur scène, renforçant l’image d’une tragédienne dans une époque fascinée par la mort et l’au-delà. Alors que le naturalisme s’est imposé au théâtre, notamment dans la diction, elle rejoue au contraire le classicisme de la parole poétique. Première artiste à la carrière réellement internationale, Sarah Bernhardt organise en 1896, au Grand Hôtel à Paris, une journée où le tout-Paris se croise à la gloire de l’artiste… Dans le tourbillon fou que fut son existence et sa carrière, le film fait le choix de dégager deux axes : la journée du jubilé de 1896 et l’amputation de sa jambe droite due à une tuberculose osseuse du genou. Exit donc le biopic réaliste ou le récit totalisant. En choisissant de raconter la femme derrière la légende, Guillaume Nicloux coche joyeusement toutes les cases. Nous avons l’amoureuse libre et moderne qui se fiche des conventions et collectionne les amants, l’artiste capricieuse, la femme suicidaire ou la rebelle qui pousse Emile Zola à défendre le capitaine Dreyfus, persuadée qu’elle est de son innocence. On croise aussi Edmond Rostand, Louise Abbéla, Mucha, Sigmund Freud ou encore Pitou, le dévoué valet. Et puis le plus grand amour de la vie de Sarah Bernhardt, en l’occurrence Lucien Guitry… On entre agréablement dans cette évocation colorée d’une vraie icône à travers un récit impressionniste qui cultive le mot d’esprit et saute d’un temps à un autre. Au milieu de ce feu d’artifice, Sandrine Kiberlain, toute en légèreté, en frivolité et brio, campe une Sarah Bernhardt étourdissante. Au générique de fin, on voit quelques images de la vraie Sarah Bernhardt filmée en 1915 par Sacha Guitry dans Ceux de chez nous, un documentaire sur d’ « admirables Français ». (Memento)
HOLA FRIDA
C’est l’histoire d’une petite fille différente. Son monde, c’est Coyoacan au Mexique. Pétillante, vibrante, tout l’intéresse. Très jeune, elle découvre la magie des couleurs. Elle déborde d’énergie, elle rit, elle pleure et lorsque les épreuves se présentent, elle leur fait face grâce à un imaginaire débordant. « Je devais avoir six ans lorsque j’ai vécu intensément une amitié imaginaire avec une petite fille, à peu près de mon âge. » Ces mots de Frida Kahlo, qu’elle écrit dans son journal en 1950, ouvrent et irriguent le pétillant film d’animation réalisé par André Kadi et Karine Vézina. Ces deux réalisateurs ont découvert et aimé le livre jeunesse intitulé Je m’appelle Frida Kahlo paru chez Casterman avec un texte de Sophie Faucher et des illustrations de Cara Carmina. L’enfance de Frida Kahlo, née en 1907 au Mexique, fut une épreuve et une souffrance. À l’âge de six ans, la fillette est victime d’une poliomyélite. Conséquence : sa jambe droite s’atrophie et son pied ne grandit plus. Elle n’atteindra jamais une taille normale. Pour ses camarades de classe, elle est Frida la coja (Frida la boiteuse). On suppose qu’elle souffrait d’une malformation congénitale de la colonne vertébrale… Elève dans l’un des meilleurs établissements scolaires du Mexique, Frida Kahlo sera victime, en septembre 1925, d’un grave accident de la circulation. Le bus qu’elle emprunte pour rentrer des cours, sort de la route et percute un tramway. La jeune fille a l’abdomen et la cavité pelvienne transpercés par une barre de fer. Sa jambe droite est fracturée en onze endroits. Le bassin, les côtes et la colonne vertébrale sont eux aussi brisés. Elle passera des mois, alitée à l’hôpital, contrainte de porter des corsets en plâtre… Sous la forme d’un récit tendre et insouciant, porté par une belle animation fluide et chaudement colorée, Hola Frida évoque, avec une douce et touchante naïveté, une fillette qui apprivoise son handicap grâce à la puissance de l’imaginaire et la créativité. En s’appuyant sur un vécu qui illumine des œuvres largement autobiographiques, Frida Kahlo (1907-1954) s’imposera comme une figure emblématique de l’art et de la culture mexicaine, reconnue pour sa force, son originalité et son engagement. L’album de ses jeunes années est une puissante leçon de vie ! (Blaq Out)
GOD SAVE THE TUCHE
Après être allé à Monaco, aux États-Unis et à l’Élysée, et avoir passé un Noël mémorable en famille, les Tuche mènent désormais une vie paisible à Bouzolles. Cathy tient une « baraque à frites », Stéphanie est designer pour Cathy, Jeff est devenu le président du club de football, le FC Bouzolles, Donald est manager de Green Bouzolles, et Wilfried fait de la musique depuis la séparation des Daft Punk. Grande fan de la famille royale britannique, Cathy rêve d’aller au Royaume-Uni pour le couronnement de Charles III. Elle a demandé une invitation mais elle découvre trop tard la réponse dans le sac-banane de Jeff. Un dirigeant d’un grand club de football anglais vient rendre visite au club de Jeff pour voir les « infrastructures » du FCB. Le dirigeant tombe des nues quand il voit Jiji, le petit-fils de Jeff (fils de Stéphanie et de Georges Diouf), jouer au football. Il propose au garçon de faire une semaine de stage en Angleterre. Les Tuche décident de l’accompagner. En tant qu’ancien président de la République française, Jeff est logé, avec sa famille, dans une résidence mise à disposition par l’ambassade. Lorsqu’une invitation leur arrive pour un déjeuner avec le roi Charles III et son épouse Camilla Parker-Bowles, les Tuche n’ont que trois jours pour se mettre à la culture anglaise… Le jour du déjeuner, à Balmoral, Jeff se fait remarquer en serrant la main du roi, ce qui est interdit par le protocole. Mais le roi sympathise avec Jeff et l’invite à boire un coup. Cathy, quant à elle, apprend à Camilla à nettoyer les vitres en crachant dans du papier journal avant d’essuyer… Dans son club de football, Jiji est surpris en train de manger des frites que sa mère Stéphanie lui a envoyées… Le patron du club avertit le roi que le garçon n’a pas respecté les règles. Mais Charles, lui, trouve les frites succulentes. D’ailleurs, le jour du départ des Tuche, le roi s’invite chez eux pour demander à Cathy la recette de ses frites : d’abord réticente, Cathy accepte finalement, et elle est décorée par le roi. Non sans qu’un drame survienne avec Camilla… Avec son ambiance british et ses clins d’oeil à Titanic ou Harry Potter, le cinquième volet de la saga Tuche, mise en scène par Jean-Paul Rouve (qui conserve évidemment le personnage de Jeff), a encore bien tiré son épingle du jeu dans les salles françaises. Plus de trois millions de spectateurs, c’est très bien même si le résultat est moins fort que les 4,6 millions d’entrées du n°2 et surtout les 5,6 millions du n°3. Bref, les spectateurs sont toujours fans des Tuche ! (Pathé)
LES FOUS DU STADE
Graveson est un charmant petit village du Midi de la France, avec ses joueurs de pétanque dont l’accent fleure bon la Provence. Quatre amis farfelus en camping sauvage aux abords du village vont devoir faire face à une série de mésaventures rocambolesques, entre quiproquos, gags absurdes et courses-poursuites. En 1972, forts du succès des Bidasses en folie tourné un an plus tôt, les Charlots renouvellent l’aventure avec le réalisateur Claude Zidi pour une parodie des Jeux olympiques. Les fous du stade (en édition restaurée DVD/Blu-ray) est un marathon du rire qui remporta un grand succès au box-office avec près de six millions d’entrées en France. Avant de devenir des comédiens, les Charlots étaient avant tout musiciens. Connus sous le nom de groupe Les Problèmes, ils entament leur carrière dans le rock en 1965. Gérard Rinaldi au chant, Jean Sarrus à la basse, Gérard Filipelli à la guitare, Luis Rego à la guitare rythmique et Donald Rieubon à la batterie assurent les premières parties de toutes les stars des Yéyés, de Françoise Hardy à Claude François en passant par Johnny Hallyday et même les Rolling Stones. Ils connaissent alors un véritable succès en détournant une chanson d’Antoine, « Je dis ce que je pense et je vis comme je veux » et se lancent ainsi dans le chant humoristique. Les Problèmes deviennent Les Charlots, en hommage au personnage de Charlie Chaplin. Désormais chansonniers, ils enchaînent les succès avec des chansons originales ou des parodies de leurs contemporains. Poussés par Christian Fechner, leur jeune manager, qui ne tardera pas à devenir l’un des producteurs les plus prolifiques du cinéma français, ils ne vont pas tarder à se lancer dans le cinéma. Contre toute attente, ils sont, ici, des athlètes. Les JO de Paris de 1976 (jeux totalement fictifs) approchant à grands pas, la flamme olympique doit traverser le village de Graveson. Or c’est là que les Charlots passent leurs vacances. Entre la natation, le javelot, la perche, ils enchaînent les gags dans ce film burlesque placé sous le signe de l’absurde, du non-sens, voire du surréalisme. On pense parfois à Keaton et à Tati ! (Pathé)
LA TOUR DU DIABLE
Perdue au large de l’Écosse, la petite île de Snape Island se remarque par son unique phare. Lorsqu’ils y accostent, deux pêcheurs découvrent le spectacle macabre de trois jeunes adolescents sauvagement assassinés. Seule survivante, Penny, terrorisée et dans un état second, tue un des deux pêcheurs avant d’être maîtrisée et incarcérée dans un institut psychiatrique. En relatant les faits, Penny évoque de la sorcellerie, des envoûtements ou des rituels macabres qui se sont déroulés sur l’île. Intrigués par une lance phénicienne très ancienne trouvée empalée dans le corps d’un des adolescents, une équipe de scientifiques, accompagnée du détective Evan Brent chargé de prouver l’innocence de Penny, décide de se rendre sur place à la recherche d’un trésor dédié à la divinité Baal. Ce qu’ils ignorent, c’est qu’un mystérieux tueur rôde sur l’île… En 1972, le cinéaste anglais Jim O’Connolly (1926-1986) signe l’avant-dernier film de sa carrière avec cette Tower of Evil qui s’inscrit dans le cinéma horrifique qui fit les beaux jours de la mythique Hammer. Ici, on est dans un registre plus kitsch qui cède aussi à l’air du temps (la libération sexuelle est passée par là) avec des scènes de nu. Mais, dans l’esprit du slasher, c’est quand même la manière dont les protagonistes se font trucider, qui importe le plus. Et le film ne se prive pas de flirter avec le gore. Tout cela date évidemment mais le film peut aussi être considéré, y compris sous l’angle de la manière dont il est mis en scène, comme un témoignage du cinéma d’horreur des seventies. (Rimini Editions)
LE DRAME GAI DE RENOIR ET LES CHANSONS DE BOB DYLAN 
LA REGLE DU JEU
Sur l’aéroport du Bourget, de nuit, une foule en liesse attend André Jurieux. L’aviateur vient de battre le record de traversée de l’Atlantique. Son ami Octave arrive et peine à se frayer un chemin. Octave apprend au héros du jour que la femme pour laquelle il avait entrepris son raid n’a pu venir. À la journaliste de radio qui lui tend son micro, l’aviateur laisse éclater son amertume en la qualifiant de « déloyale ». Cette femme, c’est la ravissante Christine de La Chesnaye. Dans son luxueux appartement parisien, elle écoute l’émission radiophonique consacrée à l’exploit mais éteint rapidement l’appareil. Christine est mariée depuis trois ans au marquis Robert de La Chesnaye. Sa femme de chambre, Lisette, a épousé il y a deux ans Édouard Schumacher. C’est le garde-chasse du domaine de La Colinière, luxueuse résidence de campagne que possède le couple en Sologne. Une discussion entre Christine et le marquis révèle qu’il connaît la relation ambiguë de son épouse avec André. Mais le mari semble pardonner à sa femme et rejette la faute sur l’aviateur, qu’il juge trop naïf. Tout semble rentrer dans l’ordre. Robert s’absente un instant afin de téléphoner. Il désire rencontrer sa maîtresse, Geneviève de Marras, pour mettre un terme à leur relation. Dès le lendemain, Robert et Geneviève se retrouvent. Le marquis n’arrive pas à rompre. Trop faible, il se rend aux arguments de Geneviève et l’invite à un week-end de chasse. À La Colinière, Schumacher patrouille dans les bois. Il surprend Marceau, un braconnier, qui a pris un lapin dans un collet. Ils croisent le marquis. Agacé par la prolifération des lapins, La Chesnaye sympathise immédiatement avec Marceau, auquel il procure un emploi de domestique. Dès son arrivée au château, Marceau courtise Lisette, qui ne se montre pas insensible à ses avances… Une grande chasse va réunir les invités, aristocrates et grands bourgeois, du marquis. Les amours vont se faire et se défaire jusqu’au drame final. A la fin des années trente, Jean Renoir aligne ses grands films. En 1937, il signe La grande illusion puis La Marseillaise (1938), La bête humaine (1938) et enfin cette Règle du jeu dont il dira qu’il s’agit d’un « drame gai » ou d’une « fantaisie dramatique ». Pour le cinéaste (qui va quitter ensuite la France pour s’installer à Hollywood), le film a pour ambition d’être, à la fin des années 30, une peinture de mœurs de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie ainsi que des domestiques qui les servent. Sur le fonctionnement de cette société, Renoir porte un regard hautement critique mais aussi résolument humaniste. Le tout interprété par des comédiens (Marcel Dalio, Nora Gregor, Julien Carette, Roland Toutain, Paulette Dubost, Mila Parély, Pierre Renoir, Gaston Modot) au meilleur de leur art. Aujourd’hui, La règle du jeu est considéré comme un monument du cinéma mondial. Pourtant, à sa sortie, en juillet 1939, il avait été bien mal reçu. A droite comme à gauche, ce fut un tollé. Etait-ce la peinture acide de l’aristocratie, la mise en cause explicite du mensonge social, les allusions à l’antisémitisme ? Peut-être que le rejet vint de l’impressionnante modernité de la mise en scène. Selon François Truffaut, La règle du jeu constitue « le credo des cinéphiles, le film des films »… Voici une belle occasion, avec cette magnifique édition, de s’y replonger. (Rimini Editions)
UN PARFAIT INCONNU
Dans le New York de 1961, débarque un petit gars fluet, une casquette sur la tête, une grosse écharpe autour du cou, un sac sur le dos et une valise de guitare à la main. Plus tard, le jeune homme va croiser Pete Seeger à l’hôpital auprès d’un Woody Guthrie très malade et désormais muet sur son lit de douleur. Si vous aimez plus que tout la chanson française ou le krautrock germanique, passez votre chemin. Tous les autres peuvent se laisser emporter par l’aventure folk d’un petit gars du Minnesota nommé Robert Zimmermann en passe, ici, de devenir l’immense Bob Dylan, seul chanteur à ce jour à avoir obtenu le prix Nobel de Littérature. Avec aisance, James Mangold embarque le spectateur du côté d’une scène musicale en pleine effervescence. Bobby Dylan, 19 ans, débarque tandis que la guerre du Vietnam bat son plein, que la crise des missiles de Cuba amène la Guerre froide à un moment paroxystique, que les Noirs militent pour les droits civiques… Mangold a conçu Un parfait inconnu avec comme référence Amadeus de Milos Forman. Le cinéaste a ainsi exploré le parcours de Dylan, pendant les quatre années de sa vie de nomade en galère à son statut d’icône rock, à travers le prisme des autres personnages. Porte-parole musical de la classe ouvrière, Woody Guthrie (1912-1967) fait figure de maître spirituel tandis que Pete Seeger (1919-2014), véritable pionnier de la musique folk, sera un ami, une écoute attentive et un professionnel aguerri qui va lui mettre le pied à l’étrier. Et puis, il y a deux femmes qui occupent une place d’importance dans l’existence de Dylan. C’est évidemment Joan Baez (84 ans), reine du folk, que Dylan croise lors de ses apparitions en scène à New York avec, à la clé une fructueuse collaboration avec des duos autour de titres mythiques comme Blowin’ in the Wind, archétype du protest song (1962) ou I Ain’t Me Babe avant que les deux se prennent la tête. L’autre femme, Sylvie Russo, est un personnage fictif largement inspiré de Susan Rotolo (1943-2011), dessinatrice et peintre, qui fut la petite amie de Dylan de 1961 à 1964. Le film ne cherche pas l’exactitude mais bien une atmosphère, celle de musiciens de génie en pleine création. En s’appuyant sur une reconstitution historique de qualité, le cinéaste propose un récit constamment bruissant dans lequel s’élèvent des chansons mythiques comme I Was Young when I Left Home, Masters of War, A Hard Rain’s A-Gonna Fall, The Time There are a Changing, Maggie’s Farm et évidemment Highway 61 ou Like a Rolling Stone. Entouré de comédiens en verve (Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro, Boyd Holbrook), Timothée Chalamet, affublé d’une discrète prothèse de nez, est un Dylan épatant, tour à tour poète maudit, zombie spectral, musicien de légende (Chalamet chante en live), mi-enfant de choeur, mi-beatnik, grand ado fonçant sur sa moto Triumph, artiste affabulant son passé mais conscient de sa valeur lorsqu’il dit : « La bonne question n’est pas de savoir d’où viennent mes chansons mais de savoir pourquoi elles ne leur sont pas venues à eux ! » (Studiocanal)
LE TERRORISTE
Durant l’hiver 1943, un groupe de résistants réussit à faire exploser une charge à la Kommandantur de Venise. La réussite de l’opération menée par « l’ingénieur », chef du groupe et ses trois exécutants est toute relative. Une prostituée vénitienne y laisse la vie tandis que le commandant nazi en réchappe. Les Allemands menacent de fusiller quarante otages si « l’ingénieur » ne leur est pas livré. Les représentants des cinq partis clandestins d’opposition au sein du Comité de Libération qui représentent la Résistance à Venise, réunis en secret, sont très divisés sur la conduite à tenir et l’action clandestine en cours. Devant la menace des Allemands de fusiller les otages, le Comité décide de faire intervenir l’archevêque et de stopper, pour un moment, les attentats menés par « l’ingénieur ». Cependant, le soir même, un haut-parleur servant à la propagande fasciste saute. Ancien membre du Comité de libération nationale et des Groupes d’action partisane, Gianfranco De Bosio (1924-2022) était une figure de proue de la résistance italienne en Vénétie. Après-guerre, il devient metteur en scène au théâtre puis cinéaste, et signe avec Il terrorista une œuvre puissante, d’une grande authenticité. Le réalisateur s’est en effet appuyé sur sa propre expérience, sur des événements auxquels il a assisté et participé, pour livrer un film de réflexion idéologique et morale dont le message résonne encore aujourd’hui. Si l’action du film se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, au cœur d’une Venise occupée, divisée entre deux pouvoirs – les nazis et les fascistes – les thèmes abordés par le film restent en effet d’actualité : la notion de terrorisme, les enjeux moraux autour de la résistance à l’oppression, l’analyse toute en nuances de l’escalade de la violence… À l’époque, Venise est l’une des dernières régions d’Italie à se libérer. Elle est alors marquée par des faits de résistance radicaux, hautement controversés en raison des victimes collatérales et des représailles de l’ennemi que génèrent ces attentats. À travers différentes séquences de discussions, et en montrant toute la complexité des rouages politiques, le film offre une passionnante interrogation sur la négociation politique opposée à la guerre et aux actes de résistance. Lauréat du prix de la Critique italienne en 1963, Le terroriste, présenté dans une belle restauration 4K, est construit sur une mise en scène recherchée, sublimée par le cadre qu’offre une Venise hivernale, à la fois magnifique et sinistre. Son architecture singulière et labyrinthique, ses ruelles étroites, ses canaux vides baignés de brume, confèrent ainsi au drame un relief singulier. En dehors du passage de nazis à bord de gondoles, la cité est désertée, reflétant la solitude du héros interprété par l’un des plus grands acteurs italiens Gian Maria Volonté. Outre un livret de 32 pages sur le film, on trouve des suppléments inédits avec un entretien avec Me Stefano de Bosio, avocat et fils du réalisateur (44 mn) et Le terroriste et Venise, un retour sur les principaux lieux du film (23 mn) (Rimini Editions)
LA PIE VOLEUSE
Deux cambrioleurs cagoulés braquent un magasin de musique de Marseille. Ils provoquent une inondation. Partout des factures et des chèques flottent dans l’eau… Cela va profondément impacter la vie de Maria, une sexagénaire souriante qui aide, tous les jours, des personnes plus âgées qu’elles. Ainsi ce brave monsieur Moreau, cloué dans son fauteuil roulant, qui lui confie régulièrement des chèques pour faire ses courses. Mais voilà Maria tire le diable par la queue. Et pourtant, elle a envie de goûter au plaisir de la vie. Surtout Maria entend tout faire pour que Nicolas, son petit-fils, devienne un virtuose du clavier. Ce qui passe aussi par la location d’un bon piano réglée avec un chèque de… Monsieur Moreau. Qui reçoit un courrier du magasin lui réclamant un nouveau chèque. Lorsque le fils Moreau tombe sur la lettre, les événements vont se succéder en cascade et une plainte pour abus de faiblesse venir tout bouleverser… Avec le cinéma de Robert Guédiguian, on est quasiment toujours en pays de connaissance. Parce qu’à de rares exceptions, l’action se passe volontiers à Marseille et souvent du côté de L’Estaque… Parce qu’il y a aussi des visages connus qui incarnent des personnages de préférence attachants et chaleureux. On songe évidemment à Ariane Ascaride, comédienne favorite et épouse de Guédiguian mais aussi à Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet ou les plus jeunes Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin ou Lola Naymark… La pie voleuse ne fait pas exception. Et le cinéaste de Marius et Jeannette y raconte l’histoire d’une femme qui a assez d’ingénuité en elle pour penser que ce qu’elle fait, n’est pas répréhensible. Car Maria (Ariane Ascaride, lumineuse et marquée de fêlures) est très dévouée à ceux auxquels elle prélève un « petit » billet de dix ou vingt euros. En fait, elle a un rapport très aimant avec les gens chez qui elle travaille, qui eux-mêmes l’adorent. Maria outrepasse largement les tâches que ses employeurs exigent d’elle. Elle a de la bonté. Elle mesure presque le fait que ce ne soit pas une gêne pour les personnes. Que cela ne leur manquera pas. Et, en effet, cela ne leur manque pas. Avec ce conte coloré et ensoleillé, Guediguian aborde, sans avoir l’air d’y toucher, la question de la précarité et le droit de revendiquer plus que le strict minimum. « La vie ne peut pas se réduire au nécessaire, dit-il, il faut aussi un accès à la respiration, à la beauté. (…) Inconsciemment, Maria agit en anarchiste. Les couches moyennes devraient se montrer davantage solidaires envers les plus pauvres. Taxer les superprofits ne suffira pas. On ne règlera pas tous les problèmes du monde en taxant les 10% des personnes les plus riches. Il faut aussi que les gens d’un niveau social moyen aident leurs voisins moins dotés. » (Diaphana)
LA SORCIERE SANGLANTE
Accusée d’avoir tué le comte Franz en usant de ses pouvoirs maléfiques, Adèle Karnstein est condamnée à mourir sur le bûcher. Dans l’Europe centrale de 1499, sa fille aînée, Helen Rochefort va tenter d’arracher sa mère au supplice en offrant ses faveurs au vieux comte Humboldt. Mais il est déjà trop tard. Avant de mourir devant les yeux de Lisabeth, sa plus jeune fille, Adèle lance une terrible malédiction. Tous les Humboldt vont mourir le dernier jour de la fin du siècle. Peu après, Helen est tuée par le comte Humboldt, qui craint les représailles de l’église pour le crime d’adultère. La malédiction s’opère. Une épidémie de peste s’abat sur la région. Devenue adulte, Lisabeth, qui ressemble trait pour trait à sa mère, est courtisé par Kurt qui exige de l’épouser. Tandis que les villageois tentent d’investir le château pour échapper à la peste, un violet orage éclate. Un coup de foudre provoque le réveil d’Helen. Sortant de sa tombe, Helen se présente dans la chapelle où est dite la sainte messe de fin d’année. Le vieux comte est mort de peur et Kurt tombe instantanément sous le charme de celle qui se présente sous le nom de Mary. L’emprise de Mary est telle sur Kurt que celui-ci est prêt à empoisonner Lisabeth. Pour célébrer la fin de l’épidémie, on fabrique une grande marionnette articulée couverte de cheveux, symbole du caractère éphémère de tout ce qui est terrestre. Kurt, lui, bascule dans la folie. Il sera bâillonné et enfermé dans la marionnette qui sera enfin détruite par les flammes… C’est en 1964 que le cinéaste italien Antonio Margheriti (1930-2002) réalise I lunghi capelli della morte qui sera distribué en France sous le titre La sorcière sanglante. Avec Danse macabre, réalisé peu de temps auparavant, il s’agit là de deux vrais fleurons de l’âge d’or de l’horreur gothique qui place le cinéaste sur le même rang que ses confrères Riccardo Freda et Mario Bava. Par la suite, Margheriti se tournera vers d’autres formes du cinéma de genre et notamment la science-fiction pour laquelle il avait une affection particulière. Mis en scène dans un beau noir et blanc contrasté, La sorcière sanglante se déroule, non pas au 19e siècle comme la plupart des films d’horreur gothique, mais dans l’époque médiévale. Margheriti apporte d’ailleurs un grand soin à l’ancrage historique de son film, jouant avec la crypte, les passages secrets, la peste, la sorcellerie. A côté de George Ardisson qui incarne un Kurt, fils maudit et assassin hanté par le fantôme de sa victime, on trouve ici une légende du cinéma de genre en la personne de Barbara Steele. Avec son visage blême, ses yeux noirs et sa beauté diaphane, la comédienne anglaise est une véritable icône qui distillait un érotisme trouble. La « recomposition » du cadavre d’Helen est un morceau de bravoure ! La sorcière sanglante sort dans un beau coffret, enrichi de nombreux suppléments dont une présentation du film par Nicolas Stanick. Dans la même collection, Barbara Steele est aussi la vedette d’un autre film fantastique, Un ange pour Satan (1964) de Camillo Mastrocinque. (Artus Films)
JANE AUSTEN A GACHÉ MA VIE
Dans la très belle librairie Shakespeare and Company à Paris, Agathe est comme un poisson dans l’eau. Elle conseille les clients, leur recommande la lecture de Jane Austen, sa romancière favorite. Célibataire, elle rêve d’une histoire d’amour digne des meilleurs romans romantiques. Elle est libraire mais rêve d’être écrivain. Sans doute la vie n’est-elle jamais à la hauteur de ce que lui a promis la littérature. Comme son collègue Félix (Pablo Pauly) a lu, sur l’ordinateur d’Agathe, l’ébauche d’un roman, il la fait inviter à une résidence d’écrivains qui se tient, en Angleterre, dans l'(imaginaire) Jane Austen Residency. Mais Agathe, touchée par le syndrome de l’imposteur, refuse. Ce n’est là que l’une de ces histoires qu’elle commence et ne finit pas. Jane Austen a gâché ma vie est le premier long-métrage de Laura Piani. « J’ai une tendresse, dit-elle, pour les fêlés, les inadaptés. Les doux, les sincères, les romantiques. Ceux qui ne trouvent pas leur place. Ceux qui préfèrent se raconter des histoires. Ceux qui n’arrivent pas à̀ tomber amoureux, à grandir, à faire leur deuil ou à prendre des risques. Tous ceux qui ont peur de souffrir…. » Ainsi, elle nous entraîne dans l’aventure d’Agathe Robinson pour montrer comment les gens qui passent leur vie dans les livres peinent à vivre la réalité d’une histoire d’amour contemporaine mais aussi à écrire puisqu’ils ne lisent que des chefs d’œuvre. De fait, la pauvre Agathe se sent comme Anne Elliot, le personnage de Jane Austen, vieille fille fanée consciencieusement passée à côté de son existence. De Jane Austen, Laura Piani dit apprécier les mots, le talent de conteuse, l’humour, l’aspect politique d’une œuvre qui posait des questions déjà très féministes pour l’époque comme le rapport des femmes au mariage et à l’indépendance. Laura Piani a clairement du goût pour les comédies anglaises des années 90. Dans cette chorégraphie des corps et des sentiments, de l’hésitation amoureuse et des quiproquos, Agathe, grande guigue « empêchée » et mal à l’aise dans un monde qui va trop vite, va finir, dans sa résidence anglaise si cosy, par affronter ses peurs et ses doutes pour enfin réaliser son rêve d’écriture… et tomber amoureuse. Point de suspense ici mais l’envie de parler de la fragile délicatesse des sentiments. Camille Rutherford est drôle et pathétique à souhait avec son Agathe gracieuse, sensible et maladroite, emportée, lors d’un bal en costume d’époque, dans une valse sur Amour et printemps de Waldteufel. (Blaq Out)
LA PAMPA
Sur le terrain de moto-cross de « La pampa », Jojo s’entraîne sous les yeux attentifs de son père David et de son entraîneur Teddy, espérant remporter des titres nationaux. Son meilleur ami, Willy, l’aide avec la mécanique, et assiste régulièrement David et Jojo dans leurs travaux quotidiens au lieu de réviser pour le bac. À la suite du décès de son père, Willy vit avec sa mère et sa sœur, et a du mal à accepter que sa mère refasse sa vie et souhaite déménager. Un soir, Willy surprend Jojo et Teddy en train de faire l’amour, et découvre ainsi son homosexualité. Jojo explique que leur histoire dure depuis quelques mois, et que Teddy compte quitter sa femme enceinte pour partir vivre avec Jojo. Parallèlement, Willy se lie d’amitié avec Marina, une ancienne habitante du village taxée de fille facile par les locaux, qui est partie étudier l’art à Angers. Elle tente d’achever une reproduction de la tenture de l’Apocalypse en modèle réduit. Un jour, Steph, la femme de Teddy, surprend son mari et Jojo dans l’acte. En rentrant chez lui, Willy tombe sur le partenaire de sa mère en train de ranger le garage de son père décédé, l’entraînant dans une colère noire qui lui vaut d’être privé de sortie. Willy fugue pour Angers et rejoint Marina qui lui montre la tenture, et lui explique que sa réputation de fille facile est une invention. Alors qu’ils deviennent intimes, le téléphone de Willy est bombardé de notifications : une vidéo, montrant Jojo pratiquant une fellation à Teddy (qui n’est pas identifiable), a fuité sur les réseaux sociaux, entraînant une vague de commentaires homophobes de la part de leurs camarades de classe. « Le film, explique le réalisateur Antoine Chevrollier, vient d’une discussion à une terrasse de café avec un ami et au cours de laquelle est revenu à mon esprit ce terrain qui s’appelle la pampa et qui se trouve dans le village où j’ai grandi. C’est un terrain de moto-cross qui générait beaucoup de fantasmes à mes yeux à l’époque. C’est un sport qui coûte cher mais qui ne rapporte pas grand chose. Mes parents n’avaient pas les moyens de me payer une moto mais je regardais les autres à travers les grilles. Le fantasme n’était pas tant lié à la pratique qu’à ce qu’elle générait en virilisme exacerbé avec tous ces hommes, et ces femmes d’ailleurs aussi, qui jouaient très bien le jeu du patriarcat, de la masculinité toxique. Ça me fascinait. Je l’ai plus tard déconstruit. » Connu pour avoir oeuvré sur des séries françaises comme Le bureau des légendes, Baron noir ou Oussekine, Antoine Chevrollier signe, ici, son premier long-métrage avec l’histoire de Willy et Jojo, deux amis d’enfance que rien ne semble pouvoir séparer. En cela, le film s’inscrit dans une veine en vogue dans le cinéma français avec des films comme L’amour ouf ou Vingt dieux. Plongée dans une jeunesse rurale, La pampa, film lumineux porté par d’excellents comédiens (Sayyid El Alami, Damien Bonnard, Artus) évoque une amitié puissante et des rêves d’avenir confrontés à l’ennui, à la pression sociale mais aussi à la discrimination et à la quête d’identité. (Blaq Out)
TU NE TUERAS POINT
Fils d’un ancien soldat de la Première Guerre mondiale, le jeune Américain Desmond Doss (1919-2006) veut apporter sa pierre à l’édifice lorsqu’éclate la guerre du Pacifique contre le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. Cependant en raison de ses croyances religieuses d’adventiste du septième jour, s’il souhaite bien s’engager, il refuse de porter une arme au combat et évidemment de tuer. Après de difficiles négociations avec la hiérarchie de l’armée, il est néanmoins affecté au poste d’auxiliaire sanitaire. Malgré les pressions et moqueries de ses camarades, Doss va démontrer un courage absolument exemplaire. Affectée à la 77e division d’infanterie, l’unité de Doss va être engagée dans la bataille d’Okinawa qui se déroule sur la colline de Hacksaw Ridge. L’infirmier Doss sauvera la vie de 75 de ses camarades en les faisant redescendre un à un de la falaise d’Okinawa dans une civière de corde, restant pour cela exposé au sommet de la falaise aux tirs ennemis pendant toute l’opération de sauvetage. En priant : « Seigneur, donne-moi la force d’en sauver encore un ». L’histoire vraie de Desmond Doss a (forcément) fasciné le cinéma hollywoodien. Dès les années cinquante, le producteur Hal B. Wallis, qui oeuvra chez Warner avant de rejoindre Paramount, tenta de monter un film sur ce héros humble mais plus grand que nature. C’est finalement en 2016 que le projet aboutit avec la réalisation de Mel Gibson qui plonge le spectateur au coeur d’une bataille terriblement violente. Les images de Tu ne tueras point, par le réalisme de leur violence, n’ont rien à envier à celles du débarquement filmés par Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan. En s’appuyant sur la remarquable composition d’Andrew Garfield (vu dans Boy A mais aussi dans Spider-Man), le cinéaste rend un bel hommage à la foi, au courage et l’altruisme d’un soldat qui refusa toujours qu’on le traite d’objecteur de conscience. Mais qui reçut cependant la Medal of Honor, la plus haute distinction militaire américaine. Le film, lui, fut nommé dans six catégories aux Oscars 2017 et remporta les statuettes du meilleur mixage de son et du meilleur montage. Un film de guerre très gibsonien qui développe des thèmes comme le rachat par la foi ou le pacifisme exalté au coeur d’un déchaînement général de violence. (Metropolitan)
PROMESSE – LES ENQUÊTES DU DÉPARTEMENT V
Sollicité par Christian Habersaat, un ancien collègue avec lequel il n’était pas toujours en phase, le détective Carl Mørck accepte d’envoyer sa jeune collaboratrice Rose sur l’île danoise de Bornholm. Celle-ci assiste au pot de départ à la retraite d’Habersaat lorsque, soudain, le vieux flic se tire une balle dans la tête, non sans avoir montré un énigmatique message à la caméra qui le filme. Même s’il y va à contre-coeur, Mørck accepte de se rendre sur l’île d’autant que Rose a annoncé qu’elle ne rentrerait pas avant la résolution de l’affaire. Avec son « Département V », Mørck va se lancer dans une affaire non classée : le meurtre d’une jeune fille retrouvée morte, au bord d’une route de campagne, accrochée dans les branches d’un arbre. C’est avec sa jeune fiancée que Carl débarque sur l’île danoise. A ses côtés, Assad, son coéquipier d’origine syrienne. Avec l’aide de la police locale, ils vont tous les trois tenter de résoudre ce meurtre. Sur cette île que Carl a bien connu autrefois, se trouve par ailleurs une communauté d’adorateurs du soleil. Le réalisateur et scénariste danois Ole Christian Madsen s’attaque pour la première fois à la saga du Département V, une série de romans de l’auteur danois Jussi Adler-Olsen. Promesse est la sixième adaptation du roman éponyme publié en 2014 après Miséricorde (2013), Profanation (2015), Délivrance (2016), Dossier 64 (2019) et Effet papillon (2021). On se retrouve, ici, en pays de connaissance avec un nouvel épisode de ces enquêtes menées par une petite équipe chargée des crimes non résolus. Cela nous vaut un solide thriller scandinave bien construit pour tenir le spectateur en haleine. Il faut dire qu’il y a de quoi se mettre sous la dent avec des secrets intimes honteux, de vieilles rancœurs familiales, de lourds silences, voire de l’inceste. Avec, en prime, le danger des sectes et de l’embrigadement des malheureux séduits par leurs promesses. D’ailleurs Rose va avoir à connaître des mœurs bien tordues de ces agités du bocal et elle aura bien du mal à s’arracher à leurs geôles. Quant à Mørck, flic blasé, taciturne et cynique (Ulrich Thomsen, vu dans Festen de Thomas Vinterberg), il plonge la tête la première dans les (mauvais) souvenirs en retrouvant une femme qu’il s’était employé à oublier. Avec son image récurrente et quasiment onirique de la jeune morte suspendue dans l’arbre, Promesse entre dans la catégorie des thrillers scandinaves qui ne répugnent pas à donner dans le glauque… (Wild Side)
LE DOSSIER MALDOROR
Du côté de Charleroi, deux gendarmes ramènent chez lui, un adolescent délinquant. La mère et le père du gamin envoient les deux fonctionnaires se faire voir. Pas question d’entrer dans leur domicile. Lorsque le père traite Paul Chartier de « chômeur », le gendarme explose, entre de force dans les lieux, se bat avec le père et le menace de son arme… De retour à la gendarmerie, Chartier est accablé par son adjudant, qui ne manque pas de lui rappeler d’où il vient. De fait, sa mère a travaillé dans un bar montant et son père est en prison. Mais, pour Chartier, tout cela, c’est fini. D’ailleurs, il va se marier avec Jeanne, une jeune femme appartenant à la communauté italienne du pays. Dans la Belgique de 1995, la population est bouleversée par la disparition inquiétante de deux jeunes filles, déclenchant une frénésie médiatique. Paul Chartier va rejoindre l’opération secrète Maldoror dédiée à la surveillance de Marcel Dedieu, suspect récidiviste. Face à la guerre, à peine feutrée, entre police judiciaire, gendarmerie et police communale, le gendarme idéaliste va se lancer, seul, dans une longue chasse à l’homme… Lorsque le cinéaste belge Fabrice du Welz évoque le projet du Dossier Maldoror autour de l’affaire Dutroux, il se heurte à une franche hostilité. De fait, l’affaire plongea la Belgique dans un cloaque. Le cinéaste approche son film comme « une coupe verticale, nette, dans le coeur d’une affaire tentaculaire ». On songe à un polar français des années 70 à la manière de Boisset et Corneau. Issu d’un milieu fracassé, Chartier prend conscience que le monde dans lequel il évolue comme gendarme est encore plus vérolé que celui dont il vient. Devant l’inertie du système et alors même qu’il a la sensation qu’il pourrait oeuvrer à l’exercice de la justice, Chartier va sombrer. Viré de la gendarmerie, il mène, seul, une traque sans issue mais complètement obsessionnelle… D’une tonalité naturaliste, le film bascule dans un univers horrifique autour du personnage d’« ogre » de Dedieu mais aussi de personnages spécialement tordus. Au coeur d’une faune peu ragoutante, Chartier patauge sans pouvoir franchement faire le ménage dans ces belges écuries d’Augias. Autour dAnthony Bajon (Chartier) on remarque Sergi Lopez, Alba Gaïa Bellugi, Alexis Manetti, Laurent Lucas, Jackie Berroyer, Lubna Azabal ou Béatrice Dalle. (The Jokers)
MON INSÉPARABLE
Jeune trentenaire en situation de handicap (il est porteur d’une déficience intellectuelle), Joël travaille dans un établissement spécialisé, un ESAT. Il apprend qu’Océane, son amie, elle aussi en situation de handicap, est enceinte. Le couple, qui est passionnément épris l’un de l’autre, souhaite garder l’enfant, mais Joël vit encore chez Mona, sa mère. La question se pose de garder ou non l’enfant, et dans quelles conditions. D’autant que Mona ignorait jusqu’à présent la future maternité d’Océane. La relation fusionnelle entre mère et fils commence sérieusement à vaciller. La cinéaste bisontine, grandie à Pontarlier, Anne-Sophie Bailly avait été remarqué en 2021 avec son court-métrage (présenté dans de nombreux festivals) La ventrière qui racontait l’histoire d’une sage-femme poursuivie par le veuf d’une femme morte en couches. Elle a aussi co-signé le scénario du Procès du chien, la comédie de Laetitia Dosch. Avec Mon inséparable, elle donne son premier « long » et raconte la relation complexe et émouvante entre une mère et son fils. Mona a consacré sa vie à élever son fils, qui vit avec un retard intellectuel. L’existence de Mona et Joël, profondément attachés l’un à l’autre, va connaître de sérieux bouleversements. Le récit explore une double quête d’émancipation : celle de Mona, qui doit retrouver sa propre identité de femme, et celle de Joël, qui cherche à s’affranchir de la protection excessive de sa mère pour gagner en indépendance, notamment en découvrant ses sentiments, sa sexualité et en envisageant de devenir père. Si la mise en scène n’est pas spécialement impressionnante, Anne-Sophie Bailly aborde avec beaucoup de nuances et de finesse la représentation du handicap sur fond d’enjeux de liberté et de responsabilité. En évitant les clichés, le film échappe aussi à la possible dimension de mélodrame compassionnel qui aurait pu pointer, la cinéaste choisissant de se placer au plus près de Mona. Ce faisant, elle peut brosser un beau portrait de femme qui se bagarre avec ses doutes, ses hésitations, ses convictions et ses errements. Pour porter ce personnage de mère-courage, la réalisatrice peut se reposer sur une Laure Calamy qui semble apprécier de relever le défi. Et la comédienne s’en sort à son avantage, y compris lorsqu’elle sera amenée à lâcher prise. Autour de l’actrice d’Antoinette dans les Cévennes, on remarque Julie Froger (Océane) et Charles Peccia-Galletto (Joël), premier comédien en situation de handicap à avoir été nominé aux César. (Blaq Out)
PADDINGTON AU PÉROU
Paddington continue d’écrire des lettres à sa tante Lucy pour la tenir informée de sa vie à Londres et des changements chez les Brown mais, un jour, il reçoit une lettre de la maison de retraite pour ours au Pérou l’informant qu’il manque profondément à tante Lucy et qu’elle agit étrangement. Paddington et les Brown décident d’aller au Pérou pour lui rendre visite. À leur arrivée au Pérou, les Brown apprennent de la mère supérieure que tante Lucy a mystérieusement disparu dans la jungle, ne laissant derrière elle que ses lunettes et son bracelet. Paddington trouve une carte dans la cabane de tante Lucy indiquant qu’ils devraient commencer leur recherche dans un endroit appelé Rumi Rock… Le plus célèbre consommateur de tartines à la confiture est de retour pour une troisième aventure ! Et il est bien normal, du point de l’industrie du cinéma, que Paddington revienne faire un tour sur les écrans. Le premier opus en 2014 avait réuni plus de 2,7 millions de spectateurs en France et le second en 2017 a frôlé les 2 millions. Pour donner du peps à ces nouvelles aventures, le réalisateur anglais Dougal Wilson (qui succède à Paul King) a choisi d’abandonner Londres pour les décors plus exotiques du Pérou. Sans doute, le charmant plantigrade, toujours si agréablement naïf et bienveillant, perd-il quelque chose de son humour si british en quittant la capitale anglaise mais le film gagne en ampleur pour devenir une sorte de film d’action, évidemment familial. Dans les luxuriants paysages d’Amérique latine (le film a été tourné au Pérou et en Colombie) bien photographiés, Paddington va connaître de multiples aventures, se confrontant même à un chasseur de trésor dévoré par la fièvre de l’or et atteignant aussi les hauteurs superbes du Machu Picchu. Ben Whishaw, Hugh Bonneville, Julie Walters, Jim Broadbent, Madeleine Harris, Samuel Joslin et Imelda Staunton sont toujours la partie. Et ils sont rejoints par Antonio Banderas ou Olivia Colman tandis qu’Emily Mortimer remplace Sally Hawkins dans le rôle de Mary Brown. Un bon spectacle familial ! (Studiocanal)
NOYADE INTERDITE
L’inspecteur principal Paul Molinat est de retour au pays. Voilà dix ans qu’il a quitté sa petite ville côtière du littoral atlantique après avoir fermé les yeux sur une escroquerie immobilière impliquant sa maîtresse de l’époque. Il est de retour pour enquêter sur la mort mystérieuse d’un homme dont le cadavre a été rejeté par la mer, suivi très vite par un deuxième corps. Au final, ce sont cinq morts qui finiront sur la grève. Nous sommes au début de la saison balnéaire et les macchabées sur le sable ne sont pas bons pour le commerce estival. L’affaire se complique pour Molinat lorsque débarque l’inspecteur Leroyer. Les relations entre les deux hommes sont exécrables et Molinat comprend très vite que son collègue mène une double enquête : sur la série de meurtres, mais aussi sur les ombres de son propre passé… Réalisateur notamment de La horse (1970), Le chat (1971), La veuve Couderc (1971), Le train (1973) ou Adieu Poulet (1975), Pierre Granier-Deferre a dirigé de grands comédiens comme Gabin, Simone Signoret, Delon, Trintignant, Romy Schneider ou Lino Ventura. Ici, en adaptant un polar de l’Américain Andrew Coburn, il offre un beau personnage à Philippe Noiret en flic décalé et mal embouché. Si Guy Marchand incarne Leroyer, un rôle qui lui vaudra un César du meilleur acteur dans un second rôle, on remarque surtout le casting féminin avec Elizabeth Bourgine (qui venait d’avoir le premier rôle dans Cours privé, le précédent film de PGD), Andréa Ferréol, Gabrielle Lazure, Suzanne Flon, Stefania Sandrelli, Laura Betti, Anne Roussel et Marie Trintignant. Excusez du peu d’autant que toutes pourraient avoir trempé, de près ou de loin, dans les affaires. Des dialogues ciselés, un face-à-face au cordeau entre deux flics, les paysages de Saint-Palais-sur-Mer et des environs de Royan, voilà un film policier rondement mené et qui sort dans la collection Nos années 80. Du beau travail. (Studiocanal)
LES REINES DU DRAME
Mimi Madamour et Billie Kohler, deux jeunes chanteuses, se rencontrent pour la première fois lors d’un concours de chant télévisé organisé en 2005. Sélectionnée, Mimi connaît un grand succès pop tandis que Billie est rejetée et poursuit un succès clandestin en tant que rockeuse punk. Au sommet de sa popularité, Mimi cache pourtant à sa mère comme à ses fans son amour pour Billie. Cinquante ans plus tard, en 2055, Steevyshady, un youtubeur hyper botoxé et à perruque blonde, qui fut lui aussi, secrètement amoureux de Mimi, raconte, dans un récit mêlant nostalgie, critique sociale et satire, le destin incandescent de son idole, du top de sa gloire en 2005 à sa descente aux enfers, précipitée par son histoire d’amour avec Billie, l’icône underground. Car, pendant un demi-siècle, ces reines du drame ont chanté leur passion et leur rage sous le feu des projecteurs. Premier long-métrage d’Alexis Langlois, Les reines du drame a été présenté, en 2024, à la Semaine de la critique à Cannes et y a obtenu le prix Têtu du film queer. Le cinéaste avait déjà été remarqué pour ses courts-métrages à l’esthétique trash, certains évoquant même la touche de Gregg Araki ou de John Waters. En 2023, Langlois avait aussi défrayé la chronique avec le clip vidéo Marathon pour Bilal Hassani où il filmait les ébats de ce dernier avec un acteur porno. Ici, le metteur en scène, tout en jouant avec les clichés queer, signe une romance pop sur fond de célébrité, d’amour, de toxicité, de quête d’identité mais aussi de déchéance. Il ne lésine pas sur les couleurs saturées, des décors et des costumes aux couleurs acidulées et évidemment un rythme endiablé et flamboyant qui ne laisse pas une seconde de répit au spectateur tout en soulignant, in fine, que malgré tout, l’amour finit toujours par triompher. Quitte à passer par l’explosion d’une sexualité jusqu’alors tabou. Pour incarner la relation, les amours et désamours, somme toute tragiques même si le film pose un regard ironique sur le show-biz, de Mimi Madamour et Billie Kohler dans le star system des années 2000, on trouve, ici, Louiza Aura (Mimi) et Gio Ventura (Billie) tandis que Bilal Hassani est Steevyshady. (Blaq Out)
VOL A HAUT RISQUE
Comptable de la famille mafieuse Moretti, Winston est accusé d’avoir blanchi leur argent. Désormais en cavale, il se cache dans un motel miteux au fin fond de l’Alaska. C’est là que le débusque l’US Marshal Madelyn Harris. Il négocie un accord pour une immunité, en échange de son témoignage contre le chef mafieux. Mais, pour cela, il doit se rendre prochainement au procès à New York. Avant cela, Madelyn est chargée de l’escorter jusqu’à la grande ville la plus proche : Anchorage. Ils empruntent donc le seul avion disponible, un petit zinc piloté par un certain Daryl Booth. Madelyn va vite comprendre que ce type est un dangereux tueur à gages psychotique à la solde des Moretti. Réussissant à neutraliser Booth, Madelyn, malgré son inexpérience, prend les commandes de l’appareil, guidée par Hasan sur son téléphone satellite. Hasan va lui permettre de rejoindre sa destination et d’atterrir de manière bien chaotique. Inutile de chercher midi à quatorze heures, ce Flight Risk (en v.o.) n’a d’autre ambition que d’embarquer, c’est le cas de le dire, le spectateur dans un thriller d’action en forme de huis-clos volant. Derrière la caméra, Mel -Madmax- Gibson connaît le job et il ajoute à son film ce qu’il faut de rebondissements, Madelyn Harris se demandant notamment comment les mafieux ont eu connaissance du transfert de Winston. Et s’il y avait du complot dans l’air ! Enfin, le cinéaste peut s’appuyer sur des comédiens à l’aise avec l’Anglaise Michelle Dockery (connue pour son rôle de lady Mary Crawley Talbot dans la série Downton Abbey) dans le rôle de Madelyn Harris, Topher Grace (Winston) ou Mark Wahlberg, routier du cinéma d’action, dans celui de Booth. (Metropolitan)
DANS L’INTIMITÉ DE ROMY ET DE LA SALLE OBSCURE 
BABYGIRL
Directrice générale d’une grosse entreprise américaine, Romy Mathis est une executive woman dans toute l’acception du mot. Cette femme qui peut parler avec aisance d’IA opposée à l’intelligence émotionnelle, est aussi une parfaite épouse et une mère aimante. Un jour, dans la rue à New York, elle voit un chien agressif être ramené au pas par un jeune homme. Qu’elle croise bientôt dans les vastes espaces de sa boîte où il débute comme stagiaire. « Comment avez-vous fait pour calmer le chien ? » interroge Romy. « J’ai toujours un biscuit sur moi » répond Samuel. Alors que les fêtes de Noël arrivent, l’entreprise organise une soirée pour le personnel. Samuel y danse joyeusement et égare sa cravate. Le lendemain, Romy la récupère à terre, la hume, l’enfonce dans sa bouche… Le film s’ouvre sur une séquence où Romy et son mari font l’amour dans le lit conjugal. « Je t’aime » dit le mari. « Je t’aime » répond l’épouse. Qui, après avoir enfilé sa nuisette, file dans son bureau et regarde, allongée sur le ventre, un porno sur son ordinateur tout en se donnant du plaisir. L’actrice et cinéaste hollandaise Halina Reijn signe ici un thriller érotique qu’elle envisage comme une expérience captivante, sensuelle et parfois risquée qui lui permet de questionner la complexité du désir dans un environnement sûr et confortable : « On achète un billet, on vit cette expérience ensemble et on peut en parler ensuite. J’étais convaincue que c’était nécessaire, surtout en Amérique où les mœurs sexuelles semblent très réprimées. Je voulais explorer cela de manière humaine et chaleureuse. » La limite, c’est justement qu’on observe les tribulations érotiques et les fantasmes « pervers » de Romy sans trop être bouleversé par ce dérapage qui amène une femme mature dans les rets d’un jeune type (Harris Dickinson) qui lui lance, comme un défi ultime, « Je crois que vous aimez qu’on vous dise quoi faire » qui deviendra « Je te dis quoi faire et tu le fais ». Alors, dans une luxueuse chambre d’hôtel, Romy retire sa culotte, écarte les jambes (hommage à la scène culte de Basic Instinct?) avant de retirer sa robe, d’entendre Samuel lui dire qu’elle est sa Babygirl et de finir, à quatre pattes, par laper du lait dans une coupelle. Face à une femme de pouvoir, le jeune stagiaire utilise sans vergogne la hiérarchie envisagée comme une tension et un jeu sexuels. S’il n’avait pas trop l’allure d’une romance chez les nantis doublée d’un porno chic, Babygirl pourrait alors apparaître comme une comédie de mœurs espiègle avec un chat et une souris dont les rôles et surtout les limites changent à volonté… Reste enfin Nicole Kidman (prix d’interprétation à la dernière Mostra de Venise) qui paye franchement de sa personne dans les scènes érotiques. On a parfois l’impression de la revoir dans le Eyes Wide Shut (1999) de Kubrick. On peut faire un petit tour avec cette New-Yorkaise de la haute société, tirée à quatre épingles, qui peine à équilibrer ses désirs intérieurs et son apparence civilisée. Une dirigeante accomplie et une matriarche qui, sous la surface, rêve de lâcher prise et de s’abandonner. Le fera-t-elle ? (M6)
SPECTATEURS !
Les Américains ont inventé les premiers films. La France a inventé le cinéma. Et les frères Lumière ont inventé le temps photographique. Entre temps et mouvement, Arnaud Desplechin célèbre la magie du cinéma. Spectateurs ! est un film-essai en hommage au septième art. Film lyrique à mi-chemin entre une réflexion sur l’essence du cinéma et une ode sentimentale, ce documentaire fait dire à son auteur : « J’aime que la compréhension passe par le sentiment et les sensations. Spectateurs ! est une élégie. Elle débute par l’image de Paul, enfant, qui attend sa grand-mère devant la porte avant de partir au cinéma, donc par un lien tendre. Il n’y pas ici d’opposition entre le lyrisme et l’intellection. » Dans ce quinzième long métrage d’Arnaud Desplechin, on retrouve, incarné par plusieurs comédiens, le personnage de Paul Dédalus, considéré comme l’alter-ego du réalisateur et qui apparaît pour la première fois dans Ma vie sexuelle… ou Comment je me suis disputé (1996) et son prequel Trois Souvenirs de ma jeunesse (2015). Avec Dedalus, le cinéaste revient sur l’enfance du personnage, et raconte comment il a été initié au cinéma : d’abord en tant que spectateur, puis en tant que cinéphile, et enfin en tant que cinéaste. On voit ainsi le gamin vivre sa première sortie en salle avec sa grand’mère (Françoise Lebrun) et sa sœur Delphine. Paul est autant fasciné par les images du Fantômas (1964) avec Jean Marais sur le grand écran que par le rayon de lumière s’échappant du projecteur et faisant vibrer l’air. Mais l’expérience s’arrête prématurément. Delphine tremble de peur et les contraint à quitter la salle. Paul se rattrapera largement par la suite. Arnaud Desplechin mixe documentaire et fiction. Il donne la parole à des anonymes qui disent leurs expériences de spectateur, fait parler Godard (« Le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde ») et s’interroge : qu’arrive-t-il à la réalité quand elle est projetée ? Et de répondre : « Elle scintille de significations ». Dans ce voyage à travers les images, le cinéaste montre de multiples documents d’archives et d’extraits de films, de L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1896) aux Quatre cents coups de Truffaut en passant Dracula de Coppola, Cris et chuchotements de Bergman, L’homme à la caméra de Vertov ou Europe 51 de Rossellini. Se mêle, aussi ici, le visage de l’Indien ignoré dans le cinéma américain, les seins de Julia Roberts sous les draps de Coup de foudre à Notting Hill ou encore la célébration de Misty Upham (1982-2014, la comédienne originaire du peuple amérindien Pieds-Noirs du Montana, découverte dans Frozen River. Desplechin consacre aussi une place de choix à Shoah de Jacques Lanzmann… Qu’est-ce que c’est, aller au cinéma ? Pourquoi y allons-nous depuis plus de cent ans. « Je voulais célébrer, dit Arnaud Desplechin, les salles de cinéma, leurs magies. » Mission accomplie. (Blaq Out)
NOSFERATU
Vlad l’empaleur est de retour ! Et il hante toujours les rêves et surtout la libido très troublée de la jeune et diaphane Ellen Hutter. Bien des années ont passé. Ellen s’est remise des « assauts » nocturnes de son tourmenteur. A Wisborg, dans l’Allemagne de 1838, elle vient d’épouser le charmant Thomas qui œuvre comme clerc de notaire. Mais lorsque l’étrange Knock sollicite Thomas pour se rendre dans les montagnes des Carpates afin de conclure la vente au comte Orlok d’une grande demeure décrépite au coeur de Wisborg, Ellen redevient craintive et sujette à des crises de terreur. Malgré les avertissements angoissés d’Ellen, Thomas part pour la Transylvanie. Malgré les recommandations de Tziganes, Thomas décide de se rendre auprès du comte. C’est un carrosse noir sans cocher qui le mènera vers un sombre château… Lorsque Thomas se blesse avec un couteau, Orlok, fasciné par son médaillon avec l’image d’Ellen, l’hypnotise et boit son sang. Thomas réussira à fuir le château. Il sera soigné du mal d’Orlok par des religieuses. Pendant ce temps, couché dans son cercueil rempli de rats infectés par la peste, le comte vogue vers Wisborg… Depuis des décennies, les cinéphiles sont nourris au lait noir de Dracula, le vampire imaginé en 1897 par Bram Stocker. Dès 1922, F.W. Murnau donna un Nosferatu mythique. En 1979, Werner Herzog y alla de son hommage avec son Nosferatu, fantôme de la nuit porté par le magnifique trio composé de Klaus Kinski, Isabelle Adjani et Bruno Ganz. A son tour, l’Américain Robert Eggers y va de son horreur gothique, renouant avec le mystérieux noble transylvanien pour lequel la lumière du soleil est mortelle. On retrouve, ici, les personnages principaux du roman de Stocker comme Thomas et Ellen Hutter inspirés de Jonathan et Mina Harker, Herr Knock inspiré du tragique Renfield ou encore le professeur von Franz qui s’inspire d’Abraham Van Helsing. Eggers apporte un soin particulier à une atmosphère effrayante reposant sur des images teintées de sombres bleu et noir et fait du personnage d’Ellen, la force motrice de son Nosferatu. «L’évolution la plus significative, par rapport à l’original, dit le cinéaste, c’est que ça devient le film d’Ellen. Elle est victime du vampire, mais aussi de la société du 19e siècle. » Le cinéaste a confié Thomas Hutter à Nicholas Hoult, vu dans Juré n°2 de Clint Eastwood, le professeur Von Franz, spécialiste des représentations occultes du vampire, à Willem Dafoe et Orlok au Suédois Bill Skarsgård qui en propose une composition scrofuleuse et pourrissante. Enfin, Lily-Rose Depp est une Ellen gagnée par d’étranges affres et glissant vers une hystérie « freudienne » qui en appelle au désir et à la jouissance. Un film qui n’a rien de blasphématoire et qui parvient, malgré quelques lenteurs, à réveiller le souvenir du grand et bien nommé Max Schreck ! (Universal)
INNOCENTS
Dans le Paris déjà fiévreux de 1968, Isabelle et son frère jumeau Théo fréquentent régulièrement la Cinémathèque française tout comme Matthew, un étudiant américain plutôt réservé. C’est devant la Cinémathèque fermée lors des manifestations contre le renvoi de son directeur Henri Langlois que les trois jeunes gens se rencontrent et sympathisent immédiatement. Matthew, qui loge dans une petite chambre de la rue Malebranche, est invité par Isabelle et Théo à dîner chez eux avec leurs parents. Restés seuls à Paris pendant les vacances de leurs parents, Isabelle (Eva Green) et Théo (Louis Garrel) invitent Matthew (Michael Pitt) à demeurer chez eux. Celui-ci découvre vite la relation fusionnelle, à la limite de l’inceste, entre Isabelle et Théo. Livrés à eux-mêmes dans l’appartement, les jumeaux l’entraînent dans un jeu dangereux ayant pour fond le cinéma. Lorsqu’Isabelle et Matthew ne trouvent pas un film évoqué par Théo (Scarface de Hawks), celui-ci demande à sa sœur de faire l’amour avec le jeune Américain, qui ignore qu’Isabelle est vierge. La relation amoureuse entre Matthew et Isabelle perturbe Théo. La tension s’installe dans l’appartement alors qu’au dehors la grève générale paralyse la capitale. Rentrant à l’improviste dans l’appartement, les parents d’Isabelle et Théo découvrent le trio endormi et couché nus ensemble. Ils repartent discrètement en laissant un chèque. Isabelle, en trouvant celui-ci, réalise la scène crue que ses parents ont vue d’eux et, alors que les deux garçons dorment, elle tente de mettre fin à leur jours à tous trois en ouvrant le gaz. Mais dehors, en ce mois de Mai 68, le Quartier latin est en pleine effervescence. Opportunément, un pavé lancé depuis la rue percute accidentellement une fenêtre de l’appartement. Le bris de cette fenêtre réveille Matthew et Théo. Isabelle se précipite pour refermer le gaz. Le trio descend alors dans la rue pour se mêler à la manifestation estudiantine passant sous leurs fenêtres. Matthew, foncièrement non violent, tente en vain d’empêcher les jumeaux d’user de la force contre les CRS. Plus de trente ans après Le dernier tango à Paris (1972), Bernardo Bertolucci (1941-2018) est de retour dans la capitale pour tourner l’avant-dernier film de sa carrière. Au-delà des aventures sur fond des événements de Mai, d’un trio bohême étourdi par ses relations sentimentales et sexuelles, The Dreamers (en v.o.) est aussi une célébration de la cinéphilie. Le film abonde de citations, de références, voire de reconstitutions de scènes de films. Le cinéaste cite ainsi Fuller et Shock Corridor, Godard et À bout de souffle, La reine Christine et Garbo, Blonde Venus et Marlène Dietrich ou encore la course à travers le Louvre dans Bande à part de Godard. (Metropolitan)
CROSSING ISTANBUL
Enseignante d’histoire à la retraite , Lia vit dans la ville géorgienne de Batoumi. Elle a été au côté de sa sœur malade pour ses dernières années et lui a fait, sur son lit de mort, la promesse de retrouver sa nièce Tekla disparue depuis longtemps. En interrogeant d’anciens amis, Lia apprend de la bouche de leur fils Achi que Tekla a vécu dans une communauté trans mais qu’elle n’est dans le coin. Achi avait rencontré Tekla avant son départ pour Istanbul. Il possède même son adresse. Le grand échalas va tout faire pour convaincre Lia de le laisser l’accompagner à Istanbul. Bientôt l’enseignante et Achi prendront la route de la Turquie et des rives du Bosphore. Commence alors pour Lia une quête qui l’amène à croiser Evrim, une avocate (Deniz Dumanli) qui se bat pour les droits des personnes transgenres. Achi (Lucas Kankava), lui, pense qu’il a plus de chances de faire quelque chose de sa vie à Istanbul qu’en retournant dans une Géorgie sans avenir. Avec Crossing (titre original), Levan Akin, réalisateur suédois d’origine géorgienne, signe son quatrième long-métrage et propose, en s’appuyant sur une histoire qu’on lui a rapportée, une chronique intimiste qui fait déambuler le spectateur dans les méandres et les beautés de la mégalopole turque. « On ne vient pas à Istanbul par hasard, il est si facile de s’y perdre », dit un personnage. Peu à peu Lia imagine Tekla (Tako Kurdovanidze) de plus en plus proche en fréquentant des personnes transgenres, pas vraiment inquiètes ou obsédés par leur condition de transgenres mais qui se regroupent néanmoins dans un même quartier. Porté par l’étonnante et touchante Mzia Arabuli dans le rôle d’une Lia qui mène son enquête sans négliger aucune piste, Crossing Istanbul est une balade tendre et libre entre la Géorgie et Istanbul (ville qui apparaît comme un personnage à part entière) qui pose un regard attentif et chaleureux sur deux personnages de générations différentes. Une odyssée humaniste sur la liberté et la diversité ! (Blaq Out)
LE LION DU DESERT
En 1929, le chef du gouvernement italien Benito Mussolini charge le général Rodolfo Graziani de résoudre le problème, en Libye, de la résistance armée des Bédouins, opposés à la colonisation de leur pays par l’Italie. L’objectif de Graziani est la répression de la résistance mais surtout la capture d’Omar Al Mokhtar, le chef spirituel des Bédouins. Mais Mokhtar n’entend pas céder devant les Italiens et leur mène une guérilla acharnée… Habile et versé dans les tactiques de guerre du désert, « Sidi Omar » se révèle un adversaire de taille. C’est un Duce excédé qui demande à son général le plus brutal de venir à bout du fameux « Lion du Désert ». Biopic d’un personnage aujourd’hui oublié sous nos latitudes, Le lion du désert, film tombé lui aussi dans l’oubli, se présente pourtant comme une aventure épique pleine d’action, qui, avec son style David contre Goliath, n’a rien à envier à certaines productions américaines du même tonneau. En 1980, le réalisateur américain d’origine syrienne Moustapha Akkad met en scène son second film historique après Le message (1976) qui décrivait la vie du prophète de l’islam Mahomet avec cette particularité que, conformément à l’aniconisme de la tradition islamique, le prophète n’est jamais représenté, sa présence étant « évoquée » ou « suggérée » par le procédé de la caméra subjective. Ici, le cinéaste s’attache à la personnalité d’Omar al-Mokhtar, symbole de la résistance libyenne au colonialisme italien et devenu une figure de proue pour de nombreux mouvements politiques libyens, qu’il s’agisse de Kadhafi comme de ses opposants. En Libye, le film eut un énorme succès. À sa sortie dans le pays, il fut considéré comme un événement national, d’autant plus que le régime de Kadhafi le fit tourner dans tout le pays. Pour sa part, Anthony Quinn fut longtemps la star américaine la plus populaire du pays. D’abord pour avoir joué un un notable arabe dans Lawrence d’Arabie (1962) puis un autre notable dans Le message. Dans le rôle d’Omar al-Mokhtar, Anthony Quinn est entouré d’Oliver Reed (Graziani), Rod Steiger (Mussolini) ou encore Irène Papas, Raf Vallone et John Gielgud. En Italie, le film fut interdit en 1982, le démocrate-chrétien Andreotti, président du conseil, estimant que le film serait « préjudiciable à l’honneur de l’armée ». (BQHL)
BETTER MAN
Enfant à Stoke-on-Trent dans le nord de l’Angleterre, le jeune Robbie grandit, entouré de ses parents et sa grand-mère Betty. Son père Peter est comédien et, avec son fils, il chante en regardant Frank Sinatra à la télévision. Robbie se fait remarquer lors d’une pièce de théâtre à l’école. Mais le gamin est triste. Son père, grand fan de Manchester United, a abandonné le domicile conjugal lors d’un déplacement pour un match. Adolescent, Robbie déclare vouloir devenir un chanteur célèbre. C’est sa mère qui va lui mettre le pied à l’étrier en 1991. Elle découpe une petite annonce dans la presse et contacte un producteur cherchant une dernière recrue pour finaliser la formation d’un groupe. C’est ainsi que Robbie Williams va intégrer (de justesse) le boys band Take That. Désormais Robbie Williams est sur la voie pour devenir un vrai showman et une star internationale. C’est ce personnage haut en couleurs dont s’empare le réalisateur australien Michael Gracey, auteur en 2017 de The Greatest Showman consacré à la création du cirque Barnum. Le cinéma n’est pas avare de biopics musicaux. Hollywood s’est penché sur Johnny Cash, Freddie Mercury ou Elvis, le cinéma français sur Piaf ou Aznavour. Mais, dans le cas de notre chanteur pop, celui-ci est dépeint comme un… chimpanzé car, comme Robbie le dit dans le film, il s’est toujours senti « moins évolué que les autres ». Les débuts de Robbie avec Take That sont placés sous le signe de la drogue, de l’alcool mais aussi du succès. De bars gays en bars lesbiens, les prestations du groupe les propulsent au rang de célébrités. Bientôt les tensions avec le manager Nigel Martin-Smith pour le contrôle créatif du groupe font douter un Robbie qui abuse des drogues. Il sera viré du boys band, sombrera dans la dépendance, souffrira d’hallucinations. Malgré tout, en travaillant avec Guy Chambers, il va relancer sa carrière en artiste solo avec notamment la ballade Angels (de l’album Life Thru a Lens) qui sera un très gros succès en 1997. Montrant le parcours d’un des plus grands chanteurs pop britanniques qui s’achève dans le film par une représentation triomphale au Royal Albert Hall, Better Man, avec un vrai sens des effets visuels, met en lumière les excès et les doutes d’un artiste parfois paralysé par la peur et luttant contre une santé mentale défaillante. Dans la peau du chimpanzé (avec la voix de Robbie Williams en arrière-plan), on trouve le comédien Jonno Davies pour lesquel on a utilisé les techniques de capture de mouvement. Une curiosité. (Paramount)
COMPANION
« Dès qu’on s’est vus, ça a fait des étincelles ! » C’est Iris qui évoque ainsi sa rencontre avec Josh. De fait, quand Iris croise par hasard Josh dans un rayon de supermarché, son existence cesse instantanément d’être morose. C’est le pur coup de foudre, comme celui qu’on ne voit que dans les comédies d’amour au cinéma. Mais là, c’est tellement beau, qu’on se demande si ce n’est pas trop. Car Iris avoue : « J’ai été heureuse deux fois. La première lorsque j’ai rencontré Josh. La seconde lorsque je l’ai tué. » Lorsque, le temps d’un week-end avec deux couples d’amis, Josh emmène Iris dans une vaste propriété reculée au bord d’un lac, certains événements dramatiques du séjour vont amener la jeune femme à prendre conscience de la nature réelle de leur couple… Oui, Iris est confrontée à un terrible secret : elle est le robot sexuel de Josh. Avec Companion, Drew Hancock réalise un thriller psychologique mâtiné d’horreur et de science-fiction, notamment produit pat Zach Cregger, connu pour Barbare (2022), un film d’horreur spécialement déjanté. On retrouve, ici, cet esprit dans l’évocation, à la fois drôle et angoissante, d’une relation « idyllique », en réalité toxique, qui part en quenouille lorsqu’Iris décide que, plus jamais, personne ne prendrait le contrôle sur elle. Autant dire que Josh (Jack Quaid, le fils de Meg Ryan et de Dennis Quaid) va avoir un certain mal à la « débrancher ». On songe parfois au film allemand I’am your Man (2021) de Maria Schrader où Alma acceptait de cohabiter, trois semaines durant, avec Tom, un robot humanoïde entièrement programmé en fonction des son caractère et de ses besoins. Une sorte d’époux parfait… Avec Companion, le ton et l’atmosphère sont plus du côté de l’ épouvante dans une histoire d’amour pas tout à fait comme les autres. Sophie Thatcher, vue en 2024 dans MaXXXine et Heretic, incarne Iris dans un drame sur les limites entre amour et domination, intelligence artificielle et conscience. (Warner)
BIRD
Dans le nord du Kent, en Angleterre, la jeune Bailey, 12 ans, vit dans un squat avec son frère Hunter et leur père, Bug, qui n’a guère de temps à leur consacrer. Prise dans une situation familiale compliquée et aux portes de la puberté, la gamine s’évade à travers des prises de vue de la nature et des oiseaux sur son smartphone. Bailey cherche donc de l’attention, voire de l’aventure ailleurs. Au cours d’une de ses pérégrinations et alors qu’elle vient de passer la nuit dans une clairière, elle rencontre Bird, un homme touchant et atypique qui est à la recherche de son père (Barry Keoghan). Ce garçon qui porte une jupe, lui propose sa vision du monde… La cinéaste britannique Andrea Arnold a la particularité d’avoir remporté à trois reprises le prix du jury à Cannes. En 2006 avec Red Road, en 2009 avec Fish Tank et enfin en 2016 avec American Honey. Avec un style réaliste qui est sa signature, Andrea Arnold décrivait, dans les deux premiers films, la détresse sociale de la banlieue britannique. On retrouve cette atmosphère fortement réaliste dans Bird avec cette Bailey qui évolue dans un milieu populaire où règnent non seulement le désordre matériel mais surtout le désordre affectif et sentimental. La cinéaste a raconté qu’un homme nu, apparu dans un songe, sur le toit d’une maison, lui avait inspiré le personnage de Bird. Pour Bailey (Nykiya Adams), c’est une histoire d’envol que développe la cinéaste. Envol hors d’un environnement familial instable, envol aussi dans sa tête, hors des contraintes de l’adolescence, envol avec Bird (Franz Rogowski, vu dans Happy End de Haneke et Ondine de Christian Petzold) dans une errance à travers des lotissements et les plages du Kent… La dimension réaliste du film bascule enfin, sans pour autant renoncer à l’évocation de l’émancipation des personnages, dans un surprenant merveilleux… (Ad Vitam)
GOOD ONE
Sam, une adolescente de 17 ans, préférerait certainement passer le week-end avec ses amis, mais elle accepte cependant de rejoindre son père Chris, dans la région des montagnes de Catskill dans l’état de New York. Un superbe endroit de nature où Matt, l’ami de toujours de Chris, est également convié. Pour son premier long-métrage, India Donaldson, la fille de Roger Donaldson (réalisateur de solides films d’action ou de thrillers comme Sens unique en 1987, Treize jours en 2000 ou The November Man en 2014) distille, ici, une chronique fragile dans des paysages paradisiaques. En cheminant dans la forêt, Sam avance avec deux hommes divorcés, dont son père, en pleine crise. Ils auraient dû être quatre pour cette randonnée mais Dylan, le fils de Matt, a préféré ne pas venir. « Trois, ça fera l’affaire… » soupire Matt. Mais, pour Sam, jeune fille amoureuse dont la caméra observe avec finesse, les réactions, la sortie avec deux hommes sous tension, va peu à peu faire changer sa vision des hommes sur fond de sexisme ordinaire (Matt lui propose de venir le réchauffer sous sa tente) mais aussi de dissonances générationnelles… Avec beaucoup de délicatesse, sans jamais tenter d’enfoncer un clou sur la masculinité toxique, la cinéaste signe un huis clos à ciel ouvert où se dessinent une subtile émancipation ainsi qu’une réflexion sur la condition féminine. Dans le rôle de Sam, la jeune Américaine Lily Collias s’impose avec charme et fragilité. (Blaq Out)
CRIMINAL SQUAD : PANTERA
Nicholas O’Brien est un flic qui ne lâche jamais le morceau même s’il a toujours du mal à digérer le fiasco de sa précédente affaire. Après avoir traqué les criminels à Los Angeles, Big Nick se rend cette fois sur la Côte d’Azur (les images ont été tournées aux Canaries), où sévissent des individus peu recommandables, notamment un gang mafieux. L’obsession du braquage de diamants devient une affaire de vie ou de mort pour Nick, et ses méthodes deviennent de plus en plus discutables. La tension monte d’autant plus qu’O’Brien cherche à capturer son ancien ennemi, Donnie Wilson qui est passé des braquages au vol de diamants. Scénariste (La chute de Londres en 2016), l’Américain Christian Gudegast remet, ici, le couvert comme réalisateur après un premier Criminal Squad (2018) où l’on découvrait les méthodes expéditives et violentes de Big Nick confronté à un groupe de braqueurs. Cette fois, il va se frotter à la « mafia des Panthères » dans laquelle s’est donc glissé Donnie (O’Shea Jackson, le fils du rappeur Ice Cube). Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Ici, c’est l’action qui compte et rien que l’action. A ce petit jeu, Gerard Butler, vu en indestructible Mike Banning dans la trilogie La chute…, se charge de tenir la baraque même si on a un peu de mal à s’y retrouver, dans le scénario, entre les différents méchants. (Metropolitan)
EEPHUS – LE DERNIER TOUR DE PISTE
Alors qu’un projet de construction d’un établissement scolaire menace leur terrain de baseball adoré, deux équipes amatrices d’une petite ville de la Nouvelle-Angleterre s’affrontent pour la dernière fois. Face à un avenir incertain, les tensions et les rires s’exacerbent, annonçant la fin d’une ère de camaraderie. Le baseball est un sport majeur aux Etats-Unis où il remplit les stades et suscite d’intenses passions. De ce côté-ci de l’Atlantique, il n’en va pas de même. Chez nous, le baseball est un sport confidentiel. Lorsque le baseball devient sujet de cinéma, il est rare qu’il fasse courir les foules. Même si, en 1992, dans The Babe, John Goodman était excellent en légende de la batte. Considérant que le baseball et le cinéma sont les deux grandes passions de sa vie, le réalisateur Carson Lund, lui-même joueur amateur, était donc fondé à évoquer ce passe-temps populaire dans l’imaginaire américain. En situant son action dans les années 90, Carson Lund développe la nostalgie d’une époque où, dit-il, « la technologie ne dictait pas encore la vie de tout le monde donc, dans une activité récréative comme celle décrite dans le film, les gens devaient être présents et interagir les uns avec les autres plutôt que de reporter leur attention sur leur téléphone. » Eephus (qui désigne un lancer particulier au baseball) suit, avec le stade comme espace, presque abstrait, du vivre-ensemble, des joueurs de niveaux très disparates s’affrontant dans un match qui est davantage axé sur l’ego et l’émotion que sur le tableau d’affichage. Un film indépendant américain et une curiosité ! (Capricci)
DANS LES PAS DE LA TRAGIQUE GELSOMINA 
LA STRADA
« Gelsomina, tu te souviens de Zampano. Il avait emmené Rosa. Pauvre Rosa ! Je ne verrai même pas sa tombe ! Elle est morte, ma pauvre fille ! Elle était si belle, si gentille… Elle savait tout faire. Regardez Zampano, comme elle lui ressemble. C’est Gelsomina. On est tellement malheureux ! Je vous l’ai déjà dit : elle n’est pas comme Rosa. C’est une bonne petite, elle fait tout ce qu’on lui demande, mais elle a poussé drôlement. Si elle mange tous les jours, peut-être qu’elle changera. Tu veux aller avec lui à la place de Rosa ? Il t’apprendra un métier, tu gagneras des sous, ça nous fera une bouche de moins à nourrir. Il est bon, tu sais, il te traitera bien… » C’est la mère de Gelsomina qui « invite » celle-ci à rejoindre Zampano… Costaud fruste et forain ambulant, Zampano achète, de fait, la gentille Gelsomina à sa mère pour le seconder dans son grand numéro de briseur de chaînes. Le reste du temps, il la traite comme bonne à tout faire sans lui accorder plus d’attention. Un jour, lors de leur périple forain, Gelsomina est fascinée par le « Fou » (Richard Basehart) et par son dangereux numéro de funambule. Mais Zampano est en conflit avec le « Fou ». De plus, l’intérêt qu’il porte à Gelsomina l’agace. Après une bagarre qui vaut quelques jours de prison à Zampano, les deux s’affrontent dans une rixe où le « Fou » perdra la vie. Choquée, Gelsomina bascule dans la folie et, puisqu’elle ne peut plus jouer son rôle, Zampano finit par l’abandonner… Après une petite poignée de films, le grand succès international vient en 1954 pour Federico Fellini avec La strada. L’idée du film est née vers 1952, alors que Fellini se débattait avec le montage du Cheik blanc. Pour des raisons de production, le maestro retarda le projet et tourna Les vitelloni (1953). Autour du thème récurrent, dans son cinéma, du monde du spectacle et notamment du cirque, Federico Fellini donne un œuvre qui prend ses racines dans le néo-réalisme italien, ce courant qui met en scène des personnages issus de milieux modestes dans un pays dévasté par la guerre. En suivant de village en village ses deux saltimbanques, Fellini ajoute ici une touche de poésie et d’onirisme. Au côté d’un Anthony Quinn qui obtient, dans le cinéma transalpin, l’un des rôles les plus mythiques de sa carrière, la figure la plus bouleversante de La strada (qui sort dans une superbe restauration en 4K, réalisée par Criterion), c’est évidemment cette Gelsomina pleine d’espoir, d’innocence, de naïveté et de grâce « chaplinesque » à laquelle Giulietta Masina, épouse de Fellini depuis 1943, apporte sa tendre lumière. Son visage est d’une expressivité intense, chaque mimique donnant un effet clownesque, et son sourire mélancolique reste longtemps à l’esprit d’autant que ce voyage des comédiens s’avère être un chemin de croix. Le film obtiendra le Lion d’argent à la Mostra de Venise 1954 et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère 1957. L’édition inclut le documentaire Fellini, je suis un grand menteur (2002), un formidable portrait du maestro dans lequel le réalisateur révèle les clefs de son cinéma, agrémenté de nombreux extraits de films, d’archives et de témoignages. Une fable humaine et lyrique. Un pur chef d’oeuvre ! (Rimini Editions)
UN OURS DANS LE JURA
En mâchant distraitement un bout de pain, Michel roule paisiblement au volant de son pick-up sur une route déserte. Soudain, à la vue d’un ours sur la chaussée, il fait une embardée, tente de reprendre le contrôle de son véhicule et finit par percuter une grosse limousine en stationnement. Le choc tue net une blonde qui faisait pipi entre les portières. Quant au conducteur, parti se soulager, il finira empalé sur une branche de sapin. Abasourdi, Michel revient dans sa scierie, raconte son aventure à Cathy, son épouse. Ensemble, ils retournent sur le lieu de la collision. Dans le coffre de la voiture, le couple découvre un sac bourré de gros billets… Décidément le Jura a le vent en poupe dans le cinéma français. Après Vingt Dieux (voir c-dessous), Un ours dans le Jura retrouve, à son tour, les vastes espaces forestiers de la Franche Comté. Après deux premières réalisations bien reçues par la critique, Franck Dubosc donne dans le thriller rural qui lorgne, de façon assumée, du côté du Fargo (1996) des frères Coen. « Il n’y a pas d’ours dans le Jura » disent plusieurs personnages du film. Force est cependant de constater que c’est un imposant plantigrade qui met, ici, le feu aux poudres. Il met en effet en déroute une colonne de migrants qui s’avèrent être des mules transportant, dans leur estomac, de grosses quantités de drogue. Et surtout, en emplafonnant une limousine, Michel récupère l’argent de ce trafic illicite. A cause de ce brûlant pactole, le couple Michel-Cathy, usé par le temps et les difficultés financières, reprend des couleurs. L’argent ne fait pas le bonheur, on le sait. Mais il peut (largement) y contribuer. Et, dans cette histoire délibérément et joyeusement immorale, tout le monde va vite avoir envie d’en croquer. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ? Mais non ! dit Franck Dubosc. Dans la réalité, tout le monde n’est pas forcément beau ni gentil. Si Un ours dans le Jura peine parfois à trouver le juste ton entre le film noir, la saga rurale et la comédie déjantée, l’ensemble est porté par une belle galerie de personnages, tous soigneusement ciselés. Franck Dubosc s’est emparé du taiseux Michel face à une Cathy tonique à laquelle Laure Calamy apporte une vraie détermination. Les gros billets, elle sait parfaitement quoi en faire, quitte à devoir faire le nécessaire pour se débarrasser de cadavres évidemment encombrants. Autour de ce couple qui réapprend à se parler dans l’épreuve, on retrouve avec plaisir un Benoît Poelvoorde à son meilleur niveau en major de gendarmerie. Et puis aussi Joséphine de Meaux, Kim Higelin, Medhi Meskar ou Emmanuelle Devos, délicieusement tordue en patronne de club échangiste. Tous vont finir par goûter à l’interdit. Allègrement savoureux ! (Gaumont)
GOSSES DE TOKYO
Une famille et leurs deux jeunes garçons, Keiji et Ryoichi, s’installent dans la banlieue de Tokyo. Les enfants, victimes de brimades de la part de la bande de gosses du quartier, font l’école buissonnière. Le père, mis au courant par l’instituteur, les force à retourner en classe afin qu’ils deviennent « des gens importants ». Les enfants, grâce à l’aide d’un garçon plus âgé, parviennent à se faire accepter et à remplacer l’ancien chef de la bande. Toutefois, ils se rendent compte que leur père, simple employé de bureau, fait quotidiennement des courbettes à son patron, quitte à se rendre ridicule. Il s’ensuit une dispute familiale orageuse. Les garçons ne comprennent pas les explications de leurs parents et décident de se rebeller en arrêtant de manger, « car si devenir quelqu’un d’important dans la société, comme le prêche le père, revient à faire des courbettes devant son chef, alors à quoi bon ? » En 1932, Yasujiro Ozu tourne Gosses de Tokyo qui est souvent considéré comme l’un de ses premiers grands succès. Alors que le cinéma parlant existe depuis la fin des années vingt, le cinéaste japonais met pourtant en scène un film muet en noir et blanc. Comme si le seul pouvoir des images était suffisant pour traduire cet univers où l’enfance se confronte au monde des adultes. Mêlant comédie, drame et critique sociale, cette œuvre filmée à hauteur d’homme, ici d’enfant (une position de caméra qui est la signature du maître nippon) dépeint la société japonaise des années 1930 à travers la perspective de deux jeunes frères découvrant le monde adulte. La mise en scène minimaliste et la simplicité des plans mettent en avant la subtilité des échanges familiaux et sociaux, tout en laissant transparaître une critique implicite de l’organisation sociale hiérarchique. A travers la malice de la mise en scène, qui capte avec un naturel déconcertant mimiques, rancœurs et petits plaisirs des deux enfants, se dessine une peinture de la société japonaise et de sa rigidité. Inédit en France en Blu-ray, Gosses de Tokyo sort dans une belle restauration 4K et est proposé avec un accompagnement musical du compositeur britannique Ed Hughes interprété par The New Music Players. Pour le plaisir, le coffret comprend aussi Bonjour (1959), le superbe remake en couleurs de Gosses de Tokyo. Enfin, dans les suppléments, on trouve Au nom du père (15 mn), un entretien inédit avec Pascal-Alex Vincent, cinéaste et enseignant à la Sorbonne Nouvelle, auteur, aux éditions de La Martinière, du livre Yasujiro Ozu : une affaire de famille. (Carlotta)
VINGT DIEUX
Une fête campagnarde, de la musique, de la bière qui coule jusqu’au bout de la nuit. Totone est là avec ses copains Jean-Yves et Francis. Au bout de la soirée, Totone ramène une jeune fille sur sa mob. « C’est quoi, ton nom, déjà ? » demande-t-il avant de se retrouver sous les draps avec Aurore. Las, c’est la panne. Un autre soir, une autre fête. Totone se châtaigne avec des copains d’Aurore. Le père de Totone, malgré un coup dans le nez, repart en voiture. Et il finit tragiquement contre un arbre. La vie de Totone et de sa petite sœur Claire, 7 ans, bascule. Désormais, il faut survivre, trouver le moyen de gagner sa vie. Il se met alors en tête de fabriquer le meilleur Comté de la région, celui avec lequel il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30 000 euros. Premier long-métrage de Louise Courvoisier, Vingt Dieux plonge, avec Totone, dans l’univers des exploitations agricoles et des fruitières qui produisent le fameux Comté AOC. La cinéaste parle de son film comme d’« une épopée sentimentale et fromagère ancrée dans le village de son enfance. » C’est une sorte de western comtois en format Scope (les vastes paysages du Jura le méritent) que traverse une Totone qui n’a rien d’héroïque. Il serait même plutôt plein de défauts. Bagarreur quand il a un coup dans le nez mais aussi jeune chien fou quand il poursuit son rêve : produire un Comté au délicieux goût de fleur. Pour cela, il faut trouver un boulot qui consiste à nettoyer des chaudrons de cuivre et à se lever à 4h du matin pour faire, de ferme en ferme, la collecte du lait. Mais le désir, secret et sans doute inconscient, de rendre justice à son père disparu, va pousser Totone à franchir quelques lignes rouges. Alors on suit, avec un sourire, les aventures campagnardes de jeunes Pieds nickélés qui sont solidaires, sans trop se poser la question. Dans cette aventure qui n’a rien d’un documentaire sur le Comté, la cinéaste professe clairement de la tendresse pour des personnages que l’existence va amener à devenir adultes. Tous les comédiens du film sont des non-professionnels. Clément Favreau, interprète d’un Totone taiseux et fragile, travaille dans un élevage de volailles. Quant à Maïwène Barthélémy, qui était en BTS agricole quand elle a passé le casting, elle est Marie-Lise, une agricultrice franche, très capable, sûre d’elle à cette place, ce qui ne l’empêche pas d’être sexy. Après le film, on a envie de goûter à un très bon Comté. (Pyramide)
HIVER A SOKCHO
Alors qu’il neige sur Sokcho, petite ville balnéaire de Corée du Sud, Soo-ha mène, comme tous les jours, sa petite vie routinière. Traversant le marché aux poissons où travaille sa mère, elle rejoint le Blue House, une modeste pension dans laquelle elle fait le ménage et la cuisine sous le regard bienveillant de M. Park, le propriétaire. Un jour, l’arrivée d’un Français, Yan Kerrand, va bouleverser la vie de Soo-ha. M. Park lui enjoint d’enfin utiliser la langue française qu’elle maîtrise bien mais qu’elle n’a pas l’occasion d’utiliser à Sokcho. Auteur réputé de romans graphiques, Kerrand n’est pas du genre bavard. Lorsque Soo-ha l’installe dans une chambre franchement minuscule de l’annexe de la pension, il lâche : « C’est intime ». Tandis que la présence de Kerrand réveille en elle des questions sur sa propre identité et sur son père français dont elle ne sait presque rien, la jeune femme va, doucement tisser un lien fragile avec l’auteur français. A cet homme qui dit aimer les lieux très fréquentés… lorsqu’ils sont désertés, elle va lui montrer la zone démilitarisée qui marque la séparation entre les deux Corée. Un jour, Soo-ha annonce à M. Park qu’elle va s’installer dans l’annexe. Par un petite fenêtre de sa chambrette, la jeune femme observe à la dérobé Kerrand (Roschdy Zem, taiseux et impeccable) à son plan de travail… Hiver à Sokcho est une œuvre d’une infinie délicatesse doublée d’une puissante mélancolie. Sans coup férir, le spectateur s’immerge dans une atmosphère d’autant plus particulière, ici, qu’elle est constamment hivernale. De cet univers gris-bleu d’une cité de bord de mer engourdie par le froid, le réalisateur franco-japonais Koya Kamura fait le décor d’une brève rencontre, d’une aventure probablement amoureuse qui demeure toujours en suspens. Kamura adapte, ici, le roman éponyme d’Elisa Shua Dusapin qui y questionnait ses origines françaises et coréennes et s’attache à la représentation du corps et, à travers lui, la thématique de la nourriture. On remarque en effet combien l’ensemble des personnages coréens sont préoccupés par la question de la chirurgie esthétique, un phénomène très répandu en Corée qui symptomatise la pression qu’il y a sur l’apparence. Chez les proches de Soo-ha (Bella Kim dans son premier rôle au cinéma), cela devient même une rengaine qui montre qu’on ne laissera jamais « la grande » tranquille sur l’image qu’elle renvoie. Dépourvu de lourdeurs, imprégné d’humanité, tout cela est bien beau et bien émouvant ! (Diaphana)
L’INSPECTEUR HARRY
Alors qu’une jeune femme se baigne dans une piscine située sur un toit de San Francisco, un homme l’assassine à l’aide d’un fusil Springfield. Chargé de l’enquête, l’inspecteur de la police de San Francisco Harry Callahan retrouve une douille usagée sur un toit situé non loin du lieu du crime et un message d’un dénommé Scorpion. Le message réclame une rançon, faute de quoi le tueur en série abattra une personne par jour en commençant par « un prêtre catholique ou un nègre ». Callahan est un flic atypique. Son surnom de « Harry le charognard » (Dirty Harry en v.o.) est d’ailleurs une référence à sa réputation de se charger des affaires les plus « pourries ». Pour cette nouvelle affaire, il se voit imposer une jeune recrue, Chico Gonzalez, comme partenaire. Cela irrite Callahan qui considère qu’un policier d’expérience, tel que Frank DiGeorgio, est la seule personne dont il pourrait avoir besoin, arguant que ses partenaires finissent toujours blessés, voire pire. À la suite des menaces de Scorpion, toute la police de San Francisco est sur les dents. Un hélicoptère de la police parvient à déjouer sa seconde tentative de meurtre sur la personne d’un homme noir homosexuel, mais le tireur s’échappe et, le lendemain, réussit à tuer un jeune garçon noir en tirant d’un autre toit. La police lui tend alors un piège, près d’une église, sa prochaine victime devant être un prêtre catholique. Callahan et Chico, postés sur un toit en face de l’église, l’attendent et réussissent à l’empêcher d’accomplir son attentat. Malheureusement, Scorpion tue un policier dans sa fuite. Furieux que son plan macabre ait été mis à mal, Scorpion enlève une adolescente, la viole et l’enterre vivante dans un trou hermétiquement clos. Il contacte alors la ville et demande une rançon deux fois plus élevée que la précédente, joignant une dent de la victime à son message. Il précise qu’elle doit lui être versée rapidement car sa prisonnière dispose seulement d’assez d’air jusqu’au lendemain matin à 3 heures. Le maire décide de payer la rançon et Callahan doit en assurer la livraison. Premier volet en 1971 d’une saga qui comptera quatre suites, L’inspecteur Harry (présenté dans un coffret 4K Ultra HD) est mis en scène par Don Siegel. Clint Eastwood y endosse le personnage d’Harry Callahan qui lui vaudra une notoriété exceptionnelle et aussi une étiquette de « facho » décerné par une partie de la critique française. Le film sera un imposant succès critique et commercial et s’imposera comme un classique du polar dans lequel un flic solitaire flirte sans cesse avec la limite de la légalité pour attraper les criminels. Si Eastwood avait déjà travaillé avec Siegel dans Un shérif à New York (1969), Sierra torride (1970) et Les proies (1971), il n’était pourtant pas le premier choix de la Warner qui avait successivement proposé le rôle à John Wayne, Robert Mitchum, Steve McQueen, Burt Lancaster et Frank Sinatra. Par bonheur, c’est bien le grand Clint qui en hérita ! (Warner)
LE QUATRIEME MUR
Dans le Liban de 1983, un taxi circule dans un paysage en ruines. A bord, Georges et Marwan, son chauffeur druze. Au loin, un vieux tank soviétique T55 se met à tirer. Des coups de feu partent de tous les côtés. Blessé à la jambe, Georges parvient à se mettre à l’abri… A Paris, l’année précédente, Georges est au chevet de son vieil ami Samuel Akounis. Cet artiste juif grec qui a perdu tous les siens à Birkenau, se meurt. Il fait promettre à Georges, qui fut son élève, de se rendre à Beyrouth pour mettre en scène Antigone, la pièce de Jean Anouilh, afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide. D’ailleurs, Sam a déjà trouvé, en Imane, la comédienne palestinienne qui sera Antigone. Les personnages seront interprétés par des acteurs venant de tous les camps politiques et religieux du Liban. Le projet est aussi utopique que risqué. Montrer que le théâtre est plus fort que la guerre en jouant dans une salle située précisément sur la ligne verte ou ligne de démarcation. Voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide ! Même s’il a conscience de ne pas vraiment comprendre ce qui se joue dans le Liban de 1983, Georges accepte le défi, en l’occurrence « donner à des adversaires une chance de se parler en travaillant ensemble autour d’un projet commun ». Perdu dans une ville et un conflit qu’il ne connaît pas, Georges est guidé par Marwan mais la reprise des combats remet bientôt tout en question. Georges, qui est tombé amoureux d’Imane, va devoir faire face à la réalité de la guerre. Réalisateur notamment de Loin des hommes (2014) d’après la nouvelle L’exil et le royaume d’Albert Camus et Les derniers hommes (2023) tiré du roman Les chiens jaunes d’Alain Gandy, le réalisateur David Oelhoffen adapte, cette fois, le roman éponyme de Sorj Chalandon paru en 2013 chez Grasset et prix Goncourt des lycéens. Dans les suppléments du dvd, l’ancien reporter de guerre et journaliste à Libération, explique, dans un entretien avec le cinéaste, que son livre est né de la vision d’une jeune Palestinienne morte dans le camp de Sabra et Chatila. Une image qui l’a hanté très longtemps jusqu’à ce que la jeune morte devienne un personnage majeur du Quatrième mur. Au côté d’Imane, sa comédienne et son amante, Georges ira ainsi jusqu’au coeur de la guerre, en particulier dans ce camp, tragiquement célèbre, où Imane vit et enseigne, comme institutrice. Dans un propos qui a une dimension universelle (toutes les guerres se ressemblent), David Oelhoffen réussit à rendre palpable la tension constante qui règne dans le Liban du début des années 80 en suivant au plus près un artiste qui, dans un conflit inextricable, va se rendre compte de l’impossibilité de ce projet oecuménique de pièce de théâtre en plein conflit et se retrouver, littéralement, dévoré par la guerre. Comme les interprètes sont remarquables, en tête Laurent Lafitte (Georges), Simon Abkarian (Marwan) et Manal Issa (Imane), ce film prend vraiment aux tripes. (Le Pacte)
LA CHAMBRE D’A CÔTÉ
A New York, Ingrid, un romancière réputée, dédicace son dernier ouvrage dans lequel elle tente d’exorciser sa peur de la mort. Une lointaine amie lui rapporte que Martha Hunt est très malade. Martha fut, il y a longtemps, l’une des amies les plus proches d’Ingrid. Celle-ci se précipite à l’hôpital où son amie est soignée pour un cancer en phase terminale. Au fil de rencontres régulières, les deux amies vont revenir sur ce qui faisait le sel de leurs existences et aussi évoquer le temps présent avec ce qu’il suppose de douleurs et de peurs, enfin la nécessité d’affronter la fin. Un jour, ayant pris la décision d’arrêter ses traitements, Martha propose à Ingrid de s’installer dans une belle maison à la campagne, à deux heures de route de Manhattan. Elle souhaite qu’Ingrid soit présente dans la chambre d’à côté lorsqu’elle mettra fin à ses jours en avalant une pilule d’euthanasie achetée illégalement. D’abord rétive à l’idée, Ingrid accepte… Premier long-métrage en anglais d’Almodovar, La chambre d’à côté est un mélodrame qu’on attendait comme on attend, depuis maintenant longtemps, tous les films du maître de la movida madrilène. Adaptant Quel est donc ton tourment, le roman de l’Américaine Sigrid Nunez, Almodovar observe au plus près une vieille amitié mise à l’épreuve de la mort. A travers de longues conversations, Martha et Ingrid vont faire un dernier bout de chemin ensemble, se révoltant de voir le cancer présenté comme une lutte entre le bien et le mal. Ces instants d’échange sont d’une remarquable intensité. D’autant que la diaphane Tilda Swinton comme Julianne Moore en amie désespérément troublée sont parfaites d’émotion. Pour cause de signature colorée un peu rapportée, pour cause de flash-back en rafale (ah, les deux frères carmes homosexuels professant que « le sexe est le meilleur rempart contre la peur de la mort »), on a le sentiment de s’éloigner de l’essentiel, en l’occurrence ces questionnements de Martha lorsqu’elle se sent « réduite à la portion congrue d’elle-même » ou qu’elle constate qu’« on n’est plus maître de soi lorsqu’on souffre ». Demeurent cependant des fulgurances comme ces images d’une neige rose tombant sur New York ou encore les derniers mots des Gens de Dublin de Joyce qui clôturent le film… (Pathé)
PLANETE B
Dans la France de 2039, la société et l’État sont complètement à la dérive. La jeunesse et notamment les activistes sont en ébullition. A Grenoble, un petit groupe d’éco-activistes font exploser deux bombes, visant à la fois une antenne et un dépôt de carburant. Traquée dans un immeuble abandonné, Julia Bombarth, une militante chevronnée appartenant au groupe La R, parvient à s’échapper en tuant accidentellement un policier. Mais le jeune bleu qui était avec elle, la jambe détruite, est laissé derrière. Tous ces activistes recherchés par la police disparaissent sans laisser de traces. Lorsque Julia sort de son sommeil, elle se découvre, enfermée, dans un monde totalement inconnu. Planète B est la première prison virtuelle… Après s’être fait remarquer, en 2019, avec Les héros ne meurent jamais, un premier long-métrage sur fond de conflit en Bosnie, la cinéaste Aude Léa Rapin se lance, ici, dans un film de genre qui n’est pas la tasse de thé habituelle du cinéma français, en l’occurrence la science-fiction. C’est parce qu’elle voulait justement tenter ce pari qu’Aude Léa Rapin s’est lancée dans cette entreprise, avec aussi le désir d’en donner une vision féministe. La cinéaste explique que l’idée du film est née de la vision d »une société en ébullition après les Gilets jaunes puis le Covid et d’un questionnement sur la démocratie et la peur de l’avenir proche. Si le propos politique est bien présent dans Planète B, le film, entre monde réel et monde virtuel, est aussi un thriller captivant et divertissant qui se donne des allures de Blade Runner pour son univers urbain sombre et glauque où se transportent des matières qu’on imagine toxiques et où une imposante base militaire ressemble à un terrifiant univers concentrationnaire. Mais la trouvaille d’Aude Léa Rapin est d’avoir imaginer sa prison virtuelle comme un univers paradisiaque et ensoleillé au bord de la mer. Les cellules sont d’agréables pièces à vivre (cependant dotées d’une mystérieuse et inquiétante chambre noire) et les prisonniers parcourent une nature exubérante ou se retrouvent sous des parasols autour d’une vaste piscine. Il n’empêche que les détenus demeurent constamment stressés de ne pas connaître le sort qui les attend. Dans sa prison « exotique », Julia, la militante écolo passée à l’action violente, va recevoir l’aide inattendue et précieuse de Nour, une journaliste irakienne réfugiée en France. Entourées d’un casting éclectique, Adèle Exarchopoulos et Souheila Yacoub campent deux battantes dans un univers à la dérive. (Le Pacte)
SIX JOURS
En septembre 2005, Malik Rezgui, un flic lillois, n’a pas réussi à empêcher la mort de la petite Chloé, victime d’un enlèvement. Le policier n’arrive pas à oublier cet échec d’autant que la mère de l’enfant, est toujours présente pour lui rappeler ce terrible ratage. Onze ans plus tard, le commandant Rezgui sait qu’il ne lui reste que six jours avant la prescription de ce crime non résolu. Malgré l’avis de sa hiérarchie et le scepticisme de son collègue et meilleur ami, il décide de se replonger, avec l’aide de la mère de Chloé, dans ce dossier. Sur les lieux du drame, il découvre, planté dans un piquet, une rose blanche. Mais la police lilloise est à nouveau sur les dents. Devant le domicile de sa mère et quasiment sous les yeux de son grand-père, la petite Louise est enlevée. Cette fois, c’est la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) qui est chargée de l’affaire. Le commandant Rezgui est prié d’aller jouer ailleurs. Mais le flic aussi fatigué que teigneux a déjà remarqué que le modus operandi des deux dossiers est exactement le même… On avait remarqué le cinéaste franco-américain Juan Carlos Medina d’abord, en 2012 avec le film fantastique catalan Insensibles puis, en 2016, avec un autre film de genre, d’horreur celui-là, intitulé Golem, le tueur de Londres où un détective de Scotland Yard bataillait, dans le Londres de 1880, avec Golem, monstre des légendes hébraïques d’Europe centrale. Depuis on avait perdu la trace du cinéaste, parti exercer ses talents dans les séries. Il est de retour, de surcroît en France, en l’occurrence du côté des espaces industriels de Dunkerque entre dunes et mer mais avec un remake d’un thriller coréen, Mong Ta-joo mis en scène par Cheung Keun-sup qui, semble-t-il n’est pas resté dans les mémoires. C’est en tout cas pour Médina l’occasion de renouer avec l’un de ses thèmes favoris, celui de l’enquête et de ses flics le plus souvent au fond du trou. Le fond du trou, ce sont déjà les ciels bas d’une ville battue par la pluie ou encore les vastes espaces de bord de mer plutôt sinistres sans oublier les hangars pourris et une vieille cabine téléphonique largement taguée… au temps des portables. Pour le reste, l’intrigue est parfois embrouillée et elle prête même à quelques invraisemblances. Pourtant, on suit volontiers Rezgui, ce flic sombre et taciturne qui n’arrive pas à se défaire des ombres d’une enquête ratée. Sami Bouajila est tout à fait crédible dans ce personnage hanté. Et il est bien entouré par Julie Gayet, Philippe Résimont, Anne Azoulay, Gilles Cohen, Marilyne Canto ou Manon Azem. (M6)
MEMOIRES D’UN ESCARGOT
En Australie, la jeune Grace Pudel est séparée de son frère jumeau à la mort de leur père. Placée dans une famille d’accueil gentille mais distante, et impuissante à venir en aide à son frère placé chez des religieux intégristes, la fillette se renferme sur sa passion pour la lecture et les escargots. Fort heureusement, elle se lie d’amitié avec Pinky, une vieille dame farfelue qui va lui redonner goût à la vie. Le cinéaste australien Adam Elliot avait été remarqué en 2009 à la sortie de Mary et Max, un film d’animation pour adultes en pâte à modeler autour de l’autisme, de la différence et de la solitude, qui avait été présenté au Festival Sundance et récompensé du Cristal du long métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy. Avec Memoir of a Snail (en v.o.), le cinéaste et scénariste, qui peaufinait ce projet depuis une décennie, s’est inspiré de sa « vraie mère ». Au Festival d’Annecy 2024, il a, à nouveau, décroché le Cristal du long-métrage. Le réalisateur retravaille avec les mêmes dispositifs que pour son premier long, en l’occurrence une image sépia où la couleur se fait discrète, une prime donnée à la voix off et surtout un regard sur les misères de l’existence. Une fois encore, le film d’Adam Eliott s’éloigne radicalement du conte de fées. Point, ici, de mièvrerie mais une appréhension de la solitude et de l’isolement dans un univers qui part à vau-l’eau. Et on en vient à se dire que l’Australie n’est pas une terre hospitalière aux solitaires et aux abandonnés. Trois personnages perdus traversent ces images : Grace dont le sort n’est pas enviable, Pinky, la vieille dame au coeur brisé dont on sait vite qu’elle va disparaître et que dire du frère de Grace pris dans le piège familial d’une bande d’horribles fanatiques… Et pourtant, malgré l’éprouvante noirceur ambiante, Adam Elliot parvient à instiller un brin d’espoir dans son propos. (Wild Side)
IN BED WITH MADONNA
D’avril à août 1990, de Tokyo à Nice en passant par Munich, Toronto, Madrid, Chicago, Dallas, Rome, Londres, Barcelone, Philadelphie ou Osaka, le Blond Ambition Tour a été la troisième tournée (et la seconde tournée mondiale) de Madonna. Si les tournées The Virgin Tour et Who’s That Girl Tour étaient d’énormes entreprises, elles se déroulaient cependant comme des concerts de stades traditionnels. Le Blond Ambition Tour avait cette fois un thème : l’orchestre, l’élément central d’un concert en stade, serait repoussé à la marge pour permettre à la chanteuse et à ses danseurs de créer un spectacle de référence aux films Metropolis de Fritz Lang et Orange mécanique de Stanley Kubrick. A l’occasion du Blond Ambition, avec des extraits de concert enregistrés le 6 juillet 1990 au Palais omnisports de Paris-Bercy, le cinéaste Alek Keshishian s’est attelé à un documentaire qui promène ses caméras dans les coulisses du show, dévoilant l’intimité de la star aussi bien lors de ses concerts que dans le cadre de sa vie privée. Si le titre laisse entrevoir une certaine intimité, on passe cependant très peu de temps dans le lit de Madonna. Le documentaire offre un témoignage brut sur les coulisses de cette tournée légendaire. Afin d’obtenir des images aussi authentiques que possible, les caméras sont souvent dissimulées, les opérateurs se fondent dans le décor et n’ont pas le droit de s’adresser à Madonna ni à ses danseurs. Les extraits de concert sont filmés en couleurs, tandis que les scènes en coulisses sont en noir et blanc, renforçant ainsi l’opposition entre le spectacle et réalité. Le résultat est une plongée extraordinaire dans l’intimité de la star, révélant des moments de stress, de joie, de fatigue, mais aussi d’introspection et de vulnérabilité. Ce qui ne devait être au départ qu’une simple captation de concert est devenu tout autre chose. Alek Keshishian s’aperçoit rapidement que ce qui se passe en coulisses est tout aussi captivant que le spectacle sur scène, et qu’il y a matière à réaliser un film bien plus ambitieux. L’histoire lui donnera raison. In Bed with Madonna (pour la première fois en Blu-ray) sera une affaire très rentable ! À l’époque, avec cette tournée, la reine de la pop choque et fascine. Madonna mêle références religieuses et connotations sexuelles, allant jusqu’à simuler une masturbation sur scène, provocant ainsi un scandale international. A Toronto, la police menace même de l’arrêter pour obscénité. Mais au-delà de la controverse, elle propose un spectacle grandiose, avec une narration visuelle et thématique très travaillée, révolutionnant l’industrie du divertissement. Ses tenues, dont le légendaire corset à seins coniques, sont créées par Jean-Paul Gaultier, le célèbre styliste français réputé pour son anticonformisme. Madonna assume son image de femme libre et provocante, et s’impose comme une véritable prêtresse du spectacle. (PopBubbel Edition)
LA PASSION SELON BEATRICE
En septembre 2022 , Béatrice Dalle arrive en Italie. A l’origine de ce voyage, il y a le désir de marcher dans les traces de Pier Paolo Pasolini, l’homme de sa vie (avec, dit-on, Jean Genet et Kurt Cobain). D’est en ouest, du nord au sud, la comédienne parcourt les décors de son rêve afin qu’advienne la rencontre. Poétique et mystique, ce documentaire mâtiné de road-movie, réalisé dans un beau noir et blanc, relate l’histoire de la quête de Béatrice Dalle. Entre documentaire et fiction, voici donc, plus qu’une quête de l’auteur de Mamma Roma, un portrait de Béatrice Dalle par le cinéaste belge Fabrice du Welz, centré autour de leur passion commune pour le cinéma et la figure de Pier Paolo Pasolini. La passion selon Béatrice (rien à voir avec La passion Béatrice de Bertrand Tavernier en 1987) dévoile une Béatrice Dalle inattendue, souvent douée d’un humour ravageur autant qu’à fleur de peau. L ‘actrice révélée en incontrôlable Betty dans le 37°2 le matin (1986) de Beineix, retrouve des lieux de tournage, croise d’anciens collaborateurs du cinéaste tragiquement disparu sur la plage d’Ostie en 1975. Le réalisateur du récent Dossier Maldoror voulait éviter de donner un documentaire littéral, préférant opter pour une narration hybride et hors des cadres communs. En quête de Pasolini, le film réunit deux univers émotionnellement forts et deux figures sans compromis : Béatrice Dalle et Pasolini lui-même dont la comédienne traduit l’image rêvée qu’elle s’est créée de lui. Ce cinéma aussi sophistiqué qu’authentique connaît de beaux temps forts comme cette projection à la Cinémathèque de Bologne de L’évangile selon Saint Matthieu où les larmes coulent sur les joues de l’actrice mais aussi d’autres assez insignifiants comme les retrouvailles avec Abel Ferrara qui dirigea « son » Pasolini en 2014 et filma, non sans moments houleux, Béatrice Dalle dans The Blackout (1997). En suppléments, on trouve Dévotion (26 mn), un entretien inédit avec Fabrice du Weltz qui observe : « Béatrice est révolutionnaire dans tous les choix de sa vie, elle a une intransigeance réelle, c’est un samouraï (…) J’y vois comme une sœur d’âme et de passion ». Les fans de l’actrice la plus punk du cinéma français devraient y trouver leur compte ! (Carlotta)
BODY TRASH
Les habitants de la paisible bourgade de Peebles Court dans la banlieue de Melbourne en Australie deviennent les cobayes d’un scientifique psychopathe qui les utilise pour tester secrètement sa nouvelle drogue de synthèse, la Vimuville. Ayant des effets bénéfiques au départ, les effets secondaires sont malheureusement plutôt catastrophiques. Après une phase d’hallucinations intenses, le produit provoque des ravages insoupçonnés : cordes vocales qui étouffent son propriétaire, placenta qui mange le fœtus d’une femme enceinte, corps qui fondent, explosion du pénis. Le chercheur ayant découvert la molécule, Brian Rand, a connaissance d’un précédent test, qui a conduit à la mort des sujets d’expérience. Tentant de prévenir les habitants contaminés, mais infecté lui-même à son insu par sa maîtresse et patronne Shaan qui veut couvrir la compagnie pharmaceutique, des tentacules lui sortent de la gorge et il a un accident mortel. L’inspecteur Sam Philipps et le sergent « Johnno » Johnson enquêtent et tentent de percer ce mystère… En 1993, le compositeur, réalisateur, scénariste et monteur australien Philip Brophy réalise, avec Body Melt (en v.o.) son premier et unique long-métrage qui mêle comédie et horreur gore. Comme il situe son récit dans le genre trash, le cinéaste peut s’en donner à coeur-joie dans les divagations les plus folles. On croise, ici, la gamine difforme d’une famille des plus dégénérée qui s’avère être une nymphomane cannibale ou encore un bodybuildeur sous stéroïdes qui parle avec la voix d’un enfant de cinq ans. Une série B qui ne craint pas le crade. (Rimini Editions)
AUX ORIGINES DU MAÎTRE DU SUSPENSE… 
HITCHCOCK EN 10 FILMS
Tout a-t-il été dit ou écrit sur le cinéma d’Alfred Hitchcock ? Des écrits de Donald Spoto à ceux de Patrick Brion ou Laurent Bourdon sans évidemment oublier le remarquable et indispensable Hitchcock/Truffaut, on serait tenté de le croire. On se plonge dans ces ouvrages avec toujours le même plaisir de la (re)découverte. Mais rien, sans doute, ne vaut la preuve par l’image. C’est là que le beau coffret, qui sort chez Carlotta Films, est incontournable pour nous plonger dans les années anglaises de Hitch. Alfred Hitchcock est sans doute le réalisateur le plus emblématique de toute l’histoire du cinéma. L’adjectif « hitchcockien », intégré au langage courant pour définir le travail de nombreux cinéastes œuvrant dans le domaine du thriller, illustre à lui seul l’influence majeure qu’il continue d’exercer sur le septième art. Hitchcock entama sa carrière au début des années 1920 et réalisa son premier long-métrage, Le Jardin du plaisir, en 1925. Au cours des cinq décennies suivantes, il signa plus d’une cinquantaine de films, d’abord au sein de l’industrie du cinéma britannique, puis à Hollywood, où il tourna son ultime long- métrage, Complot de famille, sorti en 1976. Au fil du temps, il se bâtit une réputation incontestée de « maître du suspense », portée par des thèmes récurrents et des procédés stylistiques d’une profonde originalité. Dans un beau coffret collector édition limitée contenant sept Blu-ray superbement restaurés, on trouve dix films réalisés durant les cinq années qu’Hitchcock passa aux studios d’Elstree, chez British International Pictures. Ces œuvres témoignent d’une grande variété, tant par leur traitement cinématographique que par leurs sources d’inspiration : scénarios originaux (Le masque de cuir, À l’américaine) ou, pour la plupart, adaptations théâtrales ou littéraires (Laquelle des trois ?, Junon et le paon). Le passage d’Hitchcock chez British International Pictures peut se lire comme un diptyque, dont le premier volet célèbre l’apogée du muet, et où le réalisateur, nourri d’influences multiples, peaufine son art de la narration visuelle. Le second illustre sa rencontre avec l’avènement du parlant, initié à partir de 1929. Conçu à l’origine comme un film muet, Chantage (1929) fut rapidement adapté aux récentes avancées techniques et tourné dans une seconde version sonore. Fille d’un épicier, Alice White (Anny Ondra) tue, en état de légitime défense, un homme qui tentait de l’agresser. Son petit ami policier la couvre, mais un truand à la petite semaine l’a aperçue quittant les lieux et tente de la faire chanter. Déjà, dans Blackmail (en v.o.), on observe la manière dont les objets occupent une place déterminante dans le cinéma de Hitch. Partout, dans ces films anglais, on remarque, outre les premières apparitions du maître (dans Chantage, un gamin l’empêche de lire dans le métro), trouvailles visuelles et obsessions formelles qui séduiront pleinement dans les films de la période américaine. Parmi toutes ces pépites, on se régale, en particulier de Rich and Strange (A l’est de Shanghai, 1931), une comédie satirique qui est aussi une savoureuse évocation du mariage conçu comme un voyage au long cours. Fred et Emily Hill, un couple marié, partent en croisière pour fuir leur vie étriquée et routinière. Mais leur relation se délite lorsqu’ils succombent l’un après l’autre à l’attrait de compagnons de voyage. A Truffaut, Hitchcock confia que c’était son film préféré dans la période anglaise. Tandis que Spoto parle du film comme d’« une sorte de journal intime livré au public ». Assurément, le cinéaste se régale de la détérioration du couple qui deviendra l’un de ses thèmes de prédilection. Enfin, dans les suppléments exclusifs, outre un livret de 64 pages, on trouve le documentaire inédit écrit et réalisé par Laurent Bouzereau : Becoming Hitchcock (72 mn). Un trésor pour cinéphiles ! (Carlotta)
JOSEY WALES, HORS-LA-LOI
Vers la fin de la guerre de Sécession, Josey Wales cultive tranquillement son champ dans le Missouri quand des soldats nordistes surgissent, incendient son ranch, violent sa femme et massacrent sauvagement sa famille. Des partisans sudistes, aux ordres du capitaine Fletcher, arrivent peu après et Wales se joint à elle. Le Sud est vaincu et Fletcher annonce une amnistie aux partisans qui déposeront les armes. En fait, c’est un piège : lors de la reddition, au moment où les partisans prêtent serment à l’Union, les Nordistes les abattent à la mitrailleuse. Parce qu’il avait refusé de se rendre, Josey Wales échappe au carnage de même que Jamie, un jeune franc-tireur blessé. Comme Josey Wales avait abattu un grand nombre de Nordistes, sa tête est mise à prix. Un détachement nordiste commandé par Terrill et guidé par Fletcher le prend en chasse. L’objectif de Wales est de rejoindre les réserves indiennes où il pense qu’il sera en sécurité. Échappant aux battues, Wales et Jamie parviennent à traverser le Missouri puis à liquider deux imprudents qui espéraient les capturer pour toucher la prime. Le jeune partisan meurt peu après et Josey Wales se retrouve seul pour poursuivre son périple. En cours de route, il est rejoint malgré lui par un vieux chef indien philosophe dépossédé par Washington, puis par une jeune Indienne rejetée par sa tribu et traitée en esclave par un ignoble trafiquant. Mais bien des épreuves et des combats attendent encore Wales qui parviendra pourtant à rejoindre, avec quelques personnes amies, un solide ranch au milieu d’une clairière et au bord d’une rivière. Chacun a désormais un foyer. Wales va pouvoir repartir car il lui reste à éliminer le Nordiste responsable de la mort des siens… Avant de disparaître pour toujours. En 1976, Clint Eastwood est déjà un personnage marquant à Hollywood même s’il n’est pas (encore) considéré comme un artiste. Il a déjà tourné Les proies (1971), Un frisson dans la nuit (1971) et, bien entendu, L’inspecteur Harry (1971), un personnage qui va longtemps lui coller à la peau et lui valoir, en France, une étiquette de réactionnaire. Il signe ici un western emblématique (présenté dans une restauration 4K) qui explore les thèmes de la vengeance et de la survie dans le contexte tumultueux de la fin de la guerre de Sécession. Comme souvent dans ses westerns, Eastwood incarne un personnage charismatique et taciturne, apportant une profondeur à son rôle d’anti-héros. Josey Wales se distingue aussi par sa représentation nuancée des personnages indiens en évitant les stéréotypes habituels et souvent simplistes d’autres westerns. Enfin le film remet en question les mythes de la construction américaine, présentant les nordistes comme des opportunistes et les sudistes comme des victimes… (Warner)
SEPTET : THE STORY OF HONG KONG
Johnnie To, Sammo Hung, Ann Hui, Patrick Tam, Yuen Woo-Ping, Ringo Lam et Tsui Hark appartiennent tous au meilleur du cinéma de Hong-Kong. Chacun, à sa manière, s’est illustré dans cette filmographie abondante et foisonnante. Initiateur du projet, Johnnie To, accompagné de six autres confrères et consœur, ont uni, pour la première fois, leurs talents afin de composer une symphonie d’histoires en hommage à leur ville. Entièrement tourné sur pellicule, Septet, ce sont sept cinéastes et donc sept regards qui partagent, en sept histoires, leurs visions d’une ville fascinante, des années 50 à aujourd’hui. Voilà un ambitieux projet que d’évoquer, entre nostalgie, changement et mémoire, une ville et son cinéma ! On sait que ce genre de « collage » ne fonctionne pas toujours bien mais les sept histoires courtes réunies, ici, se répondent de manière cohérente, dans la mesure où elles balayent, dans une succession de sept décennies, différents aspects de la ville sans pour autant tomber dans les clichés touristiques. Dans Exercise, pour les années cinquante, Sammo Hung évoque son enfance et l’entraînement rigoureux des jeunes artistes martiaux. Avec Headmaster, pour les années soixante, la cinéaste Ann Hui, considérée comme l’une des grandes figures de la Nouvelle vague hong-kongaise, traite de la relation entre un directeur d’école et une enseignante. Tender Is the Night, pour les années quatre-vingt, permet à Patrick Tam de raconter l’histoire d’un couple d’adolescents séparés par l’émigration. Dans Homecoming, Yuen Woo-ping, pour les années quatre-vingt-dix, aborde le lien entre un grand-père et sa petite-fille pendant la rétrocession. Avec Bonanza, pour les années 2000, Johnnie To met en lumière les ambitions financières de jeunes adultes durant la crise du SRAS. Pour les années 2010, Ringo Lam, disparu en 2018, évoque, dans Astray, la nostalgie d’un homme revenant à Hong Kong après des années d’absence. Enfin, Tsui Hark, pour les années 2020, signe Conversation in Depth qui se déroule dans un hôpital psychiatrique et aborde de manière bien foutraque des thèmes contemporains. Une lettre d’amour à Hong Kong ! (Metropolitan)
PALE RIDER, LE CAVALIER SOLITAIRE
Les derniers chercheurs d’or indépendants de LaHood, bourgade minière de Californie, sont harcelés par les hommes de main du puissant Roy LaHood. Ce dernier a fondé la ville qui porte son nom et exploite une mine qui s’épuise. Pour se sortir d’affaire, il cherche à récupérer les parcelles des indépendants. Les malfrats partis, la jeune Megan Wheeler enterre son chien, innocente victime, et prie. C’est à ce moment que surgit de la montagne un cavalier solitaire tout de noir vêtu. Il est pasteur, comme l’atteste son col blanc, mais nul ne connaît son passé ni même son nom. Hull Barret, opposé depuis longtemps à Roy LaHood, l’accueille sous son toit. Pour réduire ce gêneur au silence, Roy Lahood fait appel à des tueurs à gages. Mais le cavalier solitaire ne va pas tarder à prouver ses qualités de tireur. Il élimine ainsi tous ses adversaires (dont le chef est surpris de le reconnaître juste avant de mourir) et disparaît en silence au fond d’un vaste paysage neigeux. Lorsqu’il tourne, en 1985, Pale Rider (présenté, ici, dans une restauration 4K), Clint Eastwood est définitivement reconnu comme un cinéaste et comme un artiste. D’ailleurs Pale Rider sera sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. C’est aussi la période où il va entamer une carrière politique et devenir maire de Carmel. Avec le personnage silencieux et sans nom de ce western, considéré comme l’un des meilleurs des années 80, Clint Eastwood donne une figure énigmatique qui traverse l’aventure comme un être quasiment immatériel qui ne fait que passer. Les paysages sont rudes et magnifiques et le cinéaste s’applique à proposer, même si les scènes d’action sont nombreuses, une mise en scène stylisée, presque hiératique, voire austère où la violence est cependant omniprésente. Car le pasteur surgi de nulle part est bien venu pour faire régner le Bien contre le Mal, serait-ce à coups de colts. On pense parfois avec ce justicier mutique à certains des héros qu’Eastwood a incarné chez Sergio Leone. Une sorte de légende westernienne sensorielle et très dépouillée en forme de réflexion sur la justice et la rédemption, le titre lui-même renvoyant à un verset de l’Apocalypse. (Warner)
DADDIO
Après avoir atterri à l’aéroport JFK de New York, une jeune femme prend, un soir, un taxi pour se rendre à son appartement de Manhattan. Pendant le trajet, elle échange avec Clark, le chauffeur de taxi. D’abord légère et banale, la conversation va prendre un tournant profond et criant de vérité sur des sujets sensibles comme l’amour, la perte, le sexe et la dynamique du pouvoir dans les relations. A l’heure des portables et des réseaux sociaux, l’échange avec l’autre devient une denrée rare. Et discuter dans un taxi avec le chauffeur se fait probablement de moins en moins. Mais plutôt que de s’isoler à l’arrière de son taxi, une jeune femme choisit de parler. Et plus encore à coeur ouvert. Avec Daddio, deux êtres aux parcours différents, que rien, à priori, ne devait rapprocher, vont partager un véritable contact humain et s’ouvrir l’un à l’autre pour parler des choses de la vie. Avec un dispositif minimaliste, la cinéaste et scénariste américaine Christy Hall, pour sa première réalisation, réussit un road-movie urbain qui se double d’un huis-clos intimiste. Pour porter un récit dont le charme repose sur les dialogues, elle doit évidemment s’appuyer sur deux comédiens en verve. C’est le cas du « vétéran » Sean Penn qui donne une performance subtile et en nuances. Mais c’est aussi le cas de Dakota Johnson, entrée dans l’histoire hollywoodienne avec l’Anastasia Steele du fameux (et un rien surfait) Cinquante nuances de Grey (2015) et qui constitue, en finesse, l’autre pendant de ce duo. A ce film presque contemplatif, Phedon Papamichael, directeur de la photo d’Alexander Payne (Sideways), de James Mangold (Walk the Line), Oliver Stone (W : l’improbable président) ou George Clooney (Monuments Men) apporte enfin un beau sens de la lumière… Captivant et même émouvant! (Metropolitan)
CHUKA LE REDOUTABLE
Aventurier solitaire, Chuka est assiégé, avec des soldats, dans un fort de l’armée américaine. Autour de ce bastion retranché qui abrite une compagnie disciplinaire, des guerriers indiens s’apprêtent à lancer l’attaque. Ces Indiens sont, en effet, révoltés par la famine qui les décime. Pour éviter le massacre, il suffirait aux occupants du fort de partager leurs vivres avec ces hommes affamés. Mais le colonel Stuart Valois, responsable du fort, refuse catégoriquement… En 1967, Gordon Douglas met en scène ce western qui s’apparente souvent à un huis-clos avec cette troupe acculée alors qu’un assaut à l’issue inéluctable se prépare. Dans le fort, règne une ambiance délétère tandis que la discipline est maintenue coûte que coûte, quitte à donner du fouet à ceux qui ne marchent pas droit. Cet atmosphère crépusculaire se traduit notamment dans une séquence réussie de dîner bien arrosé dans le fort alors que les soldats poussés à bout sont prêts à exploser. Solide routier d’Hollywood pendant cinq décennies, Gordon Douglas (1907-1993) a tourné nombre de westerns mais aussi des films d’aventures ou de polars comme Tony Rome est dangereux (1967), Le détective (1968) ou La femme en ciment (1968), les trois avec Frank Sinatra. Ici, le rôle-titre de l’aventurier est tenu par Rod Taylor, acteur australien qui décrocha son premier grand rôle au cinéma en 1960 avec La machine à explorer le temps. Mais son rôle probablement le plus célèbre est celui de Mitch Brenner dans Les oiseaux (1963) de Hitchcock. Il tient son dernier rôle au cinéma en incarnant, dans une brève séquence face à Michael Fassbender, Winston Churchill dans Inglourious Basterds (2009) de Quentin Tarantino. Mené à un bon rythme avec une action quasi ininterrompue, avec une photographie soignée, avec de bons acteurs (outre Rod Taylor, on trouve ici l’excellent Ernst Borgnine ou le Britannique John Mills), Chuka le redoutable se regarde avec plaisir d’autant que la séquence finale est chargée d’émotion. (Sidonis Calysta)
JAMAIS SANS MON PSY
Célèbre psychanalyste à qui tout réussit, le Dr Olivier Béranger est pourtant à la peine. Il n’arrive pas à se débarrasser de Damien Leroy, un patient aussi angoissé qu’envahissant. Il tente alors que le convaincre de trouver enfin le grand amour. Une façon idéal de se reconstruire et même de guérir. Alors que le praticien s’apprête à fêter ses trente ans de mariage avec sa femme Paloma, leur fille Alice leur annonce avoir rencontré un homme. Olivier va vite déchanter en découvrant qu’il s’agit du collant Damien. Autant dire que les choses se vont pas s’arranger pour le docteur Béranger et sa famille… L’exemple même de la comédie de boulevard « à la française » avec un milieu bourgeois aisé dans lequel un trublion vient mettre la panique. Ici, c’est moins les problèmes d’un psy et de son client que d’un futur beau-père et d’un futur gendre. Derrière la caméra, on trouve Arnaud Lemort, un ancien du stand-up, de la Bande à Ruquier à la radio, passé à la réalisation en 2010 avec Dominique Farrugia pour L’amour, c’est mieux à deux qui remporta un joli succès dans les salles en passant la barre du million d’entrées. Ici, il retrouve, dans le rôle d’Olivier Béranger, Christian Clavier qu’il avait déjà dirigé, en 2018, dans Ibiza. L’ancien du Splendid et des Bronzés est évidemment efficace en type qui tente de tirer les ficelles face à l’humoriste Baptiste Lecaplain en patient qui finit par retrouver sa confiance en lui. Autour d’eux, on remarque Rayane Bensetti, Cristina Reali, Laurent Bateau, Thomas VDB et, dans le rôle d’Alice, Claire Chust, vue dans Scènes de ménage sur M6. Pas vraiment surprenant mais se regarde néanmoins agréablement. (Seven Sept)
LES PROSCRITS DU COLORADO
A la mort de son père alors qu’il n’avait que 15 ans, Jet Cosgrave avait été déshérité du ranch familial situé dans le Colorado par son oncle Linton après que ce dernier eu modifié le testament avec l’aide d’un avocat corrompu. Plusieurs années ont passé. Jet est de retour à Colton, Colorado, bien décidé à faire valoir ses droits sur ce qu’il considère être son bien, quitte à le reconquérir par la force faute d’y parvenir légalement. Il est bien décidé à voler les bêtes de son oncle Linton, à modifier leurs marques et ensuite à déloger voire tuer ce membre de la famille malveillant. A cet antagonisme familial vient s’ajouter une rivalité de voisinage, une haine farouche existant depuis quelques années déjà entre le despotique Linton et de modestes fermiers, les Polsen, qui se sont vus eux aussi dépossédés de portions de terres… Pour mener sa vendetta, Jet fait appel à une bande de mercenaires sans scrupules qu’il destine à combattre Linton (Jim Davis) et ses hommes. En arrivant en ville, Jet tombe sous le charme de Miss Austin (la charmante Catherine McLeod). Pas de chance, elle n’est autre que la future épouse de son oncle et ennemi juré… Réalisé en 1954 par William Witney (1915-2002), The Outcast (en v.o.) est un bon western de série B qui joue largement la carte de l’action sur fond de vengeance et de tensions familiales. A la tête d’une belle filmographie dans laquelle on trouve nombre de westerns, Witnet était connu pour avoir inventé une mise en scène alternant plusieurs plans serrés très courts avec un plan large long, cela afin de gagner du temps et d’avoir des séquences très dynamiques de bagarres. Même si l’intrigue est parfois confuse, on peut prendre plaisir aux bagarres qui opposent, à poings nus, Jet (John Derek) à son oncle ou encore une lutte à cheval filmée en gros plan. Enfin, grâce au procédé Trucolor, le film offre des images très lumineuses… (Sidonis Calysta)
LES VIGNES DU SEIGNEUR
Henri Lévrier s’est expatrié pour oublier Gisèle dont il est secrètement amoureux. De retour en France, il est accueilli par la famille de Gisèle, son mari, le comte Hubert de Karadec, et sa mère. Ce retour coïncide avec celui d’Yvonne, la fille de Gisèle, qui rentre d’Angleterre où elle poursuivait ses études. Henri s’est guéri durant son exil de son penchant pour l’alcool et la mère de Gisèle conçoit le projet de lui faire épouser sa petite-fille, Yvonne. Celle-ci est accompagnée d’un jeune Britannique qui ne parle pas un mot de français, mais apprendra bientôt. Henri avoue à Gisèle qu’il s’est expatrié par amour et une idylle se noue entre eux. Celle-ci rend Henri tout à la fois heureux et terriblement angoissé à l’idée que son ami et mari de Gisèle, Hubert de Karadec, l’apprenne. Il prend mille précautions et invente une liaison imaginaire pour détourner d’éventuels soupçons. Tant et si bien que le romanesque de toutes ces manœuvres séduit la jeune Yvonne. Une rechute d’Henri dans l’alcool met un terme à la liaison avec Gisèle, tandis qu’un autre sentiment apparaît… En 1932, René Hervil adapte pour le cinéma une pièce de Francis de Croisset et Robert de Flers, auteurs dramatiques en vogue au début du siècle et jusque dans les années vingt. Acteur, réalisateur et scénariste, Hervil (1881-1960) est à la tête d’une solide filmographie qui débute dès 1912. Les vignes du seigneur, présenté dans la collection Découverte DVD, est une œuvre tardive dans laquelle Victor Boucher, connu pour ses interprétations chez Roger Richebé (L’habit vert en 1937) et Sacha Guitry (Faisons un rêve en 1936 ou Ils étaient neuf célibataires en 1939) , tient le rôle d’Henri Lévrier au coeur d’une comédie légère et sentimentale. En 1958, le cinéaste français Jean Boyer adaptera à son tour cette pièce et donnera le rôle de Levrier, l’alcoolique repenti, à Fernandel, alors au sommet de sa gloire… (Gaumont)
LA RESIDENCE
Au 19e siècle, la redoutable madame Fourneau, secondée par Irène, l’une de ses élèves, est la directrice très autoritaire d’un internat pour jeunes filles. Très possessive avec Luis, son fils de 16 ans, un adolescent asthmatique et voyeur auquel elle interdit toute rencontre féminine jusqu’à ce qu’elle lui présente un jour l’épouse qu’elle aura choisie pour lui. Mais Luis rencontre, en secret, une jeune fille. Celle-ci est assassinée et son corps disparaît. Alors qu’il regarde discrètement les élèves de l’internat prendre leur douche, Luis se retrouve coincé dans un conduit d’aération. Il sera délivré par Teresa, nouvellement arrivée dans l’établissement. Une idylle naît entre les deux. Mais Irène découvre la liaison. Teresa sera humiliée en public. Gravement blessée par cet acte de cruauté, elle tente de s’enfuir et sera assassinée elle aussi… Reprenant ses esprits, Irène ose dire à la directrice que ce qui se passe dans la maison va quand même trop loin . Il lui en cuira… Le cinéaste uruguayen Narciso Ibanez Serrador (1935-2019) a travaillé toute sa carrière en Espagne où il a signé des films d’horreur mais aussi beaucoup de programmes pour la télévision publique. Comme Les révoltés de l’an 2000 tourné en 1976, La résidence est l’un de ses films les plus connus dans le genre horrifique. Réalisé en 1969, le film est une belle démonstration de cinéma de genre. On y trouve l’internat à l’atmosphère étouffante, des jeunes filles qui s’ennuient et qui se laissent aller à leurs désirs charnels, une directrice bien toxique et son fils, un adolescent solidement tordu. Ce slaher distille une ambiance ténébreuse et permet à l’Allemande Lilli Palmer, star du cinéma germanique et partenaire de Jean Gabin dans Le tonnerre de Dieu (1965) de camper la « méchante » Madame Fourneau. Autour d’elle, les amateurs de cinéma d’horreur ibérique reconnaîtront trois icônes du genre : Cristina Galbó, Maribel Martín ou María Elena Arpón mais aussi, dans le rôle de Luis, John Moulder-Brown qu’on verra ensuite dans Deep End de Jerzy Skolimovski et Ludwig ou le crépuscule des dieux de Luchino Visconti. (Sidonis Calysta)
SONIC 3
Après Sonic, le film (2020) puis Sonic 2, le film (2022), le cinéaste américain Jeff Fowler remet ça avec un épisode 3, toujours adapté pour le grand écran de la série de jeux vidéo du même nom éditée par Sega dans lequel Sonic, Knuckles et Tails vont devoir batailler avec un certain Shadow, un ennemi puissant et mystérieux qui disposent de pouvoirs inédits. Dépassée dans tous les domaines, la Team Sonic devra former une improbable alliance pour tenter d’arrêter Shadow et protéger notre planète. Auprès du général Kenneth Walters, le commandant du G.U.N (Gardiens Unis de la Nation) le trio en apprend plus sur le passé de Shadow. Lorsqu’ils sont attaqués par des drones, le chef de l’armée est mortellement blessé mais il a le temps de confier à Sonic, une carte d’accès numérique et de l’avertir de la garder en sécurité… Bien des péripéties toutes plus redoutables les unes que les autres attendent encore Sonic, le hérisson anthropomorphe bleu, et ses amis. Le premier Sonic a été un imposant succès avec 2,1 millions de spectateurs dans les salles françaises, le second a fait un peu mieux encore (2,2 millions) et le troisième est monté encore un peu plus haut (2,6 millions), autant dire que le hérisson capable de foncer à une vitesse vertigineuse, a tout du superhéros qu’il parodie avec une sympathique bonne humeur. Sonic 3, on l’a compris, va aussi vite que ses prédécesseurs et amuse les petits (et les grands) avec des aventures joyeuses et farfelues qui mêlent allègrement animation et prises de vues réelles. On retrouve pour la troisième fois Jim Carrey en déjanté docteur Ivo Robotnik, James Marsden et Tika Sumpter en parents adoptifs et Keanu Reeves qui prête sa voix à Shadow, le surpuissant hérisson noir. Drôle, loufoque, enlevé et… rapide ! (Paramount)
LES FAUX JETONS
Associés milanais dans une entreprise de construction, Parodi et Manzini sont venus à Rome pour décrocher le contrat du Village de la jeune fille avec le président de l’institution, le sentencieux et moraliste Cipriano Paolini. Ce dernier est secondé par Bellini, un type aussi coincé que mielleux mais qui n’a pas son pareil pour obtenir de solides pots-de-vin destinés à leur parti politique. Si Bellini semble craindre les femmes, tous les autres sont des chasseurs de jupons qui ne dédaignent pas les services d’accortes masseuses. En réalité, un trio de prostituées bien décidées à se constituer un agréable et fructueux petit commerce… Mais lorsque la femme de Parodi débarque de Milan, les choses se compliquent… En 1962, le cinéaste italien Lucio Fulci (1927-1996) est au début d’une carrière qui fera de lui, selon les cas, le « poète du macabre » ou le « parrain du gore » à cause de son goût pour le giallo et les films d’épouvante considérés comme très violents pour l’époque. Ici, cependant, il signe une modeste pochade où s’enchaînent des gags et des quiproquos facilement prévisibles. Outre la présence de la belle Sylva Koscina, Le massaggiatrici (en v.o.) vaut par la présence de Louis Seigner (Paolini) et de Philippe Noiret dans le rôle de Bellini. L’acteur du Vieux fusil et de La vie et rien d’autre, entame, ici, une carrière dans le cinéma italien qui durera de longues années. Noiret, qui venait de tourner Zazie dans le métro de Louis Malle, tenait le film en piètre estime. Il avait accepté d’y jouer pour ne pas rester sans travail. Il devait en effet interpréter au théâtre une pièce avec Pierre Fresnay, mais ce dernier avait décidé au dernier moment de choisir un autre partenaire… (Gaumont)
AZRAEL – L’ANGE DE LA MORT
Alors qu’ils sont en train de se déclarer -en silence- leur amour en pleine nature, une jeune femme et son ami sont capturés par d’autres humains, appartenant à une communauté dévote, qui décident de les offrir en sacrifice, dans un étrange rituel, à de mystérieuses créatures. Ainsi Azrael est ligotée sur une chaise face à la forêt, tandis que ses ravisseurs tournent le dos à la scène et n’ont pas le droit de regarder ce qui s’approche. Personne ne dit mot. Forcément le langage humain a disparu de la surface de la Terre. Une bête difforme sort de la forêt en poussant des cris rauques. Cette bête humanoïde doit dévorer Azrael. Qui parvient pourtant à prendre la fuite. Et si sa fin n’était plus maintenant qu’une question de temps ? Car il s’agit bien d’apaiser, par sa mort, un esprit ancien et malveillant. Présenté en compétition au festival du film fantastique de Gérardmer, le film de l’Américain E.L. Katz, connu pour la comédie horrifique Cheap Thrills (2014), n’a manifestement pas bénéficié d’un énorme budget. Ainsi, cette série B part d’abord sur de bonnes bases, notamment en jouant de la suggestion et en prenant le parti de l’absence complète de dialogues. Mais la mise en scène se relâche ensuite, le film perd son rythme et les monstres déboulent dans tous les coins, faisant fi du mystère. Dans le rôle d’Azrael, on trouve la comédienne australienne Samara Weaving qui s’est fait une jolie place à Hollywood dans la comédie horrifique avec des films comme The babysitter (2017) ou Wedding Nightmare (2019) et qui tient bien la rampe avec un personnage qui subit toutes les avanies. (Metropolitan)
DANS LES COULISSES DU VATICAN ET DE L’HARMONIE DE WALINCOURT 
CONCLAVE
Le pape se meurt. Le pape est mort. La stupeur puis la tristesse frappe le Vatican. Autour de la dépouille, le rituel se met en place. Tandis que la chambre est mise sous scellés et qu’on emporte le corps du pape, déjà des rumeurs s’élèvent. De quoi le pape est-il mort ? Avec qui s’est-il entretenu juste avant de rendre son dernier souffle ? A qui a-t-il fait d’ultimes promesses ? A-t-il pris la décision de destituer un cardinal ? Et que savent précisément les ecclésiastiques qui étaient au plus près du pontife ? C’est dans ce contexte que le cardinal Thomas Lawrence va être chargé, en tant que doyen du Collège des cardinaux, de préparer le conclave qui élira le nouveau chef de la Chrétienté. Trois semaines plus tard, les cardinaux arrivent du monde entier et investissent le Vatican. Cloitrés dans les lieux, ils auront la lourde responsabilité de choisir le nouveau personnage le plus important de l’Église catholique. Dans une adaptation du thriller éponyme de Robert Harris, paru en 2016, Conclave, mis en scène par le réalisateur allemand Edward Berger, plonge, ici, dans un univers plutôt feutré où les moments de violence sont rares mais brutaux mais où se confrontent en permanence, sur fond de chausse-trappes, les egos d’individus, certes pleins de componction mais dévorés par l’ambition. Conclave réussit, avec une belle aisance, à distiller de l’inquiétude et du mystère autour d’intrigues et de manigances toutes plus tordues les unes que les autres. Par moments, dit un cardinal, on a l’impression d’être dans une convention électorale américaine. On serait tenté d’ajouter : ou au Palais-Bourbon. Lawrence (Ralph Fiennes) a beau dire : « C’est un conclave, pas une guerre ! », son ami Bellini (Stanley Tucci) tempête : « C’est une guerre ! » Rapidement, de Bellini le libéral à Adeyemi, le populiste nigéran en passant le réactionnaire italien Tedesco (Sergio Castellitto) , les favoris mettent le nez à la fenêtre. Parmi eux, Thomas Lawrence va développer, tout en discrétion et savoir-faire, des trésors de diplomatie pour mener à bien le déroulement du conclave. Mais lui-même obtient des voix lors des premiers tours de scrutin. Le cardinal aurait-il des ambitions cachées ? Et c’est sans compter sur l’arrivée aussi tardive qu’inattendue à Rome de Benitez, un Mexicain cardinal à… Kaboul. Mais il s’avère que le cardinal Benitez aurait été un proche du Saint-Père. Ce dernier aurait même financé un voyage de Benitez vers une clinique genevoise… Dans ce tourbillon, Lawrence à la foi bouleversée tente de garder le cap dans une tempête électorale où tous les coups sont permis. Enfin, on est ravi de retrouver Isabella Rossellini qui porte le voile gris de Soeur Agnès, discrète responsable de l’entretien et de la restauration des cardinaux, qui lâchera pourtant une bombe. De la fameuse cheminée de la basilique Saint-Pierre, la fumée noire s’élève à plusieurs reprises. Inutile d’attendre la fumée blanche pour foncer voir ce superbe thriller ecclésiastique. (M6)
EN FANFARE
Chef d’orchestre de renommée internationale, Thibaut Désormaux répète, avec un orchestre, l’Ouverture d’Egmont de Beethoven lorsqu’il s’effondre à son pupitre. A l’hôpital, on diagnostique une leucémie. Thibaut a besoin d’une greffe de moelle. Il se tourne vers sa sœur, constate qu’elle n’est compatible et découvre surtout qu’il a été adopté. Thibaut n’a plus alors qu’une obsession : savoir d’où il vient. Dans le Nord de la France, il retrouve Claudine, la femme qui l’a élevé dans sa famille d’accueil et surtout il découvre l’existence d’un frère, Jimmy Lecoq, employé de cantine scolaire et qui joue du trombone dans l’harmonie des mineurs de Walincourt dans le nord de la France. En apparence tout les sépare. Mais seulement en apparence. En fanfare est ce qu’il est convenu d’appeler, tant pis pour le français, un pur Feel Good Movie. Encore faut-il que ce genre d’entreprise sonne juste. Ce qui est exactement le cas du film d’Emmanuel Courcol qui se penche sur les rapports entre deux frères qui ne se connaissaient pas jusque là et qui, de plus, n’ont rien en commun. L’un est un chef prestigieux, l’autre un déclassé qui galère sa vie, n’a plus guère de relations avec son adolescente de fille et ne parvient pas à voir que Sabrina, qui joue aussi dans la fanfare, en pince pour lui. Rien ne ne semble pouvoir les rapprocher, sauf une greffe et surtout l’amour de la musique. Thibaut baigne dans la grande musique, Jimmy joue Emmenez-moi de Charles Aznavour. A cause de la musique, ces deux-là iront l’un vers l’autre. Thibaut détecte chez Jimmy des capacités musicales exceptionnelles et l’oreille absolue. Dans le garage de Jimmy, celui-ci dissimule une abondante discothèque. Les deux frères craquent, ensemble, sur le somptueux I Remember Clifford par le trompettiste Lee Morgan. Ensemble aussi, ils chanteront à tue-tête, le Laissez-moi danser de Dalida… Surtout, en pénétrant dans un univers inconnu -celui de la misère sociale- Thibaut va se mettre en tête de réparer l’injustice du destin. Du coup, Jimmy se prend à rêver d’une autre vie… Le film, déjà vu par 2,5 millions de spectateurs dans les salles françaises, cultive aussi un petit côté comédie sociale « à l’anglaise » et le cinéaste trouve le ton juste pour montrer des gens généreux dans l’action malgré la cruauté de la vie. Il a aussi trouvé pour porter l’émotion et l’humanité des personnages, deux comédiens qui se glissent à merveille dans la peau de Thibaut et Jimmy. Benjamin Lavernhe est parfait en musicien émérite qui choisit de descendre de son pupitre. Quant à Pierre Lottin (vu chez Ozon dans Quand vient l’automne), il s’impose, à chaque apparition, comme une pointure du cinéma français. Son Jimmy est tout à la fois rageux et fragile. Et on veut bien croire à une belle réconciliation aux accents de l’incontournable Boléro de Ravel qui fait vibrer les coeurs à l’unisson. (Diaphana)
RAGE + FAST COMPANY
David Cronenberg est assurément l’un des maîtres de l’angoisse cinématographique ! Influencée par la psychanalyse et marquée par une grande maîtrise technique, son œuvre, qui sonde les addictions, les névroses et les phobies de la société occidentale, se développe autour de trois grands axes : l’étude du corps humain sous un aspect angoissant et monstrueux, l’étude du rapport de l’humain avec la technologie sous un aspect visionnaire, enfin l’étude de la dégénérescence du corps social sous un aspect réaliste et pessimiste. De Cronenberg qui a accédé à la reconnaissance internationale, en 1986, avec La mouche, Carlotta Films propose un intéressant coffret avec deux films des débuts du cinéaste canadien : Rage (1977) et Fast Company (1979). Dans Rage, Rose, gravement brûlée suite à un accident de moto dans la campagne québecoise, est opérée d’urgence dans la clinique la plus proche, spécialisée en chirurgie esthétique. Le Dr Keloid expérimente sur elle une nouvelle technique de greffe, qui lui sauvera la vie. Après un mois de coma, la jeune femme (Marilyn Chambers, une star du X connue pour Behind the Green Door en 1972) se réveille brutalement. Son métabolisme a changé et un nouvel orifice est apparu sous son aisselle. Elle ne peut plus digérer de nourriture et doit s’alimenter directement de sang, qu’elle pompe par l’intermédiaire d’un dard rétractable logé dans le nouvel orifice. La victime est alors contaminée et développe des symptômes proches de ceux de la rage. Animée de pulsions d’une extrême violence, elle doit à son tour chercher du sang. L’épidémie se répand rapidement, la loi martiale est décrétée. Avec Fast Company, Cronenberg dresse le portrait de Lonnie -Lucky Man- Johnson, un pilote spécialisé dans la course de dragsters et considéré comme une légende dans le milieu. Il sillonne les États-Unis aux côtés de son jeune disciple, Billy -Le Kid- Crocker, nouvelle recrue de l’écurie FastCo, dirigée d’une main de fer par un businessman retors. Déjà soumis à une concurrence acharnée entre eux, les pilotes doivent désormais subir la pression de leurs sponsors, qui envisagent le sport comme une manne financière… A priori très éloignées l’une de l’autre, les œuvres du coffret s’inscrivent pleinement dans la filmographie du cinéaste : aux corps mutilés de Rage répondent, avant Crash (1996), les bolides survitaminés de Fast Company, sur lesquels David Cronenberg vient projeter ses obsessions pour les mutations technologiques, la violence et la sexualité. Cependant, Fast Company est un ovni ou une parenthèse dans la carrière de Cronenberg qui a accepté, ici, une commande par passion pour le sport automobile ! Parmi les nombreux suppléments du coffret, on trouve un entretien (21 mn) avec le réalisateur qui considère Rage comme son premier film ambitieux et complexe, à l’impact déterminant sur sa carrière ou Joe Blasco, les années Cronenberg (27 mn) sur un spécialiste des effets spéciaux de maquillage qui a travaillé sur Frissons et Rage. (Carlotta)
LE SALAIRE DE LA PEUR
A Las Piedras, au coeur de l’Amérique centrale, un groupe d’aventuriers, de différentes nationalités- Allemands, Français, Italiens, Espagnols- restent sans travail alors qu’une compagnie pétrolière américaine exploite la seule richesse de la région. Exilés volontaires, recherchés par la police ou sans le moindre sou, ils ne peuvent sortir de cet enfer et attendent le miracle qui leur permettra de fuir… Quand Jo, un dur à cuire français, débarque, il se lie d’amitié avec son compatriote Mario qui renonce à séduire la fragile Linda. A la suite de l’incendie d’un puits de pétrole à 500 km de là, la compagnie américaine décide d’engager quatre hommes prêts à tout pour acheminer la nitroglycérine nécessaire pour éteindre le brasier. Jo et Mario sont choisis ainsi que l’Italien Luigi et l’Allemand Bimba. Les quatre hommes partent avec des camions usagés avec un chargement d’explosif sensible au moindre choc… C’est Pierre Lazareff, le mythique patron de France-Soir, qui donne à Henri-Georges Clouzot Le salaire de la peur, le roman de Georges Arnaud paru en 1949. Le cinéaste se rappelle que, lors d’une visite au Brésil d’où son épouse Véra est originaire, il avait constaté que les grands groupes pétroliers volaient sans retenue les ressources naturelles de l’Amérique du Sud. Ainsi il décide d’adapter Le salaire de la peur pour le grand écran. Il songe à Jean Gabin pouyr incarner Jo. Mais Gabin refuse. On songe aussi à Gérard Philipe et à Serge Reggiani mais ce sont finalement Charles Vanel et Yves Montand qui endosseront les maillots de corps de Jo et Mario. Par ailleurs, Folco Lulli et Peter van Eyck incarneront Luigi et Bamba. Avec un sens aigu du tempo de son film, Clouzot met en scène une périlleuse odyssée sur les routes défoncées du pays. L’atmosphère devient vite irrespirable. Luigi et Bimba trouvent la mort dans l’explosion de leur camion. Gravement blessé dans un trou d’eau rempli de mazout, Jo succombe à son tour. Seul Luigi réussit à arriver à bon port. Mais, ivre de joie, il perd, sur le chemin du retour, le contrôle de son véhicule et s’écrase dans le précipice. Le tournage du film (dans le sud de la France, notamment en Camargue) sera très chaotique avec deux noyades accidentelles de militaires recrutés pour construire un ponton, des conditions météo défavorables avec de fortes précipitations pendant près de quarante jours. Par ailleurs, Véra Clouzot (Linda) tombera malade tandis que le réalisateur se cassera la cheville… Sorti sur les écrans en avril 1953, le film sera un triomphe avec près de sept millions de spectateurs dans les salles. Le salaire de la peur est enfin le seul film de l’histoire du cinéma à avoir remporté la même année la Palme d’or (alors appelée Grand Prix international) du Festival de Cannes (Charles Vanel y reçoit également le prix d’interprétation masculine) et l’Ours d’or au Festival de Berlin. (Seven Sept)
DIAMANT BRUT
Téméraire et incandescente, Liane, 19 ans vit avec sa mère et sa petite sœur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour la neuvième saison de l’émission Miracle Island. « Liane n’a pas, dit la cinéaste, le caractère que son physique inspire. Elle est insolente, impulsive, effrontée. Elle vole, se moque de l’autorité, bidouille. Elle empoigne sa vie avec une véhémence presque animale. Et si elle est aussi féroce, c’est qu’elle ne se sent pas aimée. » Agathe Riedinger va alors suivre, au plus près, une jeune fille qui, pour combler ce besoin désespéré d’amour, fait tout pour qu’on la regarde et se tourne vers ce qu’elle pense être sa seule arme : sa beauté. Alors Liane se façonne pour être la plus parfaite possible, peu importe la souffrance physique qui peut en découler. Car sa beauté est une façon de renverser, de prendre le pouvoir : quiconque la regarde la fera exister, quiconque la désire sera, de fait, soumis à elle. Sa beauté lui donne sa valeur et sa dignité. Film sur le regard -qui amène l’attente et le jugement- Diamant brut, dont l’image est superbement travaillée, évoque le regard de la société sur Liane, le regard amour/haine de son public qui la nourrit et aussi le regard de dépit qu’elle a pour ses amies et sur les hommes. Remarquée en 2017 pour le court-métrage J’attends Jupiter dans lequel elle interroge les désirs d’une jeune femme voulant faire de la télé-réalité, Agathe Riedinger entre dans la grande arène du cinéma lorsque Diamant brut, son premier « long » est immédiatement retenu en compétition et en sélection officielle à Cannes. Mais, c’est cependant au Festival interrnational du film francophone de Namur que le film obtiendra le prix de la critique et Malou Khebizi le prix d’interprétation féminine. Dans la poursuite effrénée d’un rêve où l’apparence règne en maître, Liane se sent écrasée par la société et a conscience de subir un certain mépris de classe. Alors finalement, par le clinquant de son corps, elle trouve un moyen de se dérober à la réalité, une façon de se sauver, de ne pas s’avouer vaincue. « Si je suis belle, je suis regardée. Si je suis regardée, je suis désirée. Si je suis désirée, c’est qu’on m’aime. » L’amalgame de Liane est si radical qu’elle s’est enfermée dans un paradoxe : elle a un terrible besoin d’amour, mais n’a pas suffisamment confiance pour en recevoir. Même si elle porte un regard tendre sur ses personnages, la réalisatrice distille un regard critique sur l’aliénation qui les menace à travers un diktat qui suppose que l’estime de soi est dans la puissance, et la puissance dans l’argent et la beauté. Enfin Diamant brut bénéficie de l’impressionnante interprétation de Malou Khebizi qui fait de Liane une guerrière toujours prête à bondir. L’envers de la télé-réalité ! (Pyramide)
IL ETAIT UNE FOIS MICHEL LEGRAND
Entrant au Conservatoire de Paris à seulement 10 ans, Michel Legrand va très vite s’imposer comme un surdoué de la musique. Trois Oscars et 75 ans plus tard, il se produit pour la première fois à la Philharmonie de Paris devant un public conquis. De la chanson jusqu’au cinéma, ce véritable virtuose n’a jamais cessé de repousser les frontières de son art, collaborant avec des légendes comme Miles Davis, Jacques Demy, Charles Aznavour, Barbara Streisand ou encore Natalie Dessay. Son énergie infinie en fait l’un des compositeurs les plus acclamés du siècle, dont les mélodies flamboyantes continuent d’enchanter l’oreille. Le tournant des années 1960 et l’émergence de la Nouvelle Vague vont ancrer définitivement Michel Legrand dans le monde de la musique de film pour donner, à terme, plus de 200 bandes originales de films. Il travaille pour Agnès Varda (Cléo de 5 à 7 en 1962), Jean-Luc Godard (Une femme est une femme en 1961, Vivre sa vie en 1962 et Bande à part en 1964) et surtout Jacques Demy (Lola en 1961, Les parapluies de Cherbourg en 1964, Les demoiselles de Rochefort en 1967, Peau d’âne en 1970) avec qui il invente la comédie musicale à la française. En 1966, après avoir été nommé aux Oscars pour son travail sur Les parapluies de Cherbourg, il décide d’aller tenter sa chance à Hollywood et s’installe à Los Angeles. Ses amitiés avec Quincy Jones et Henry Mancini l’aident grandement à se faire une place dans ce milieu hautement concurrentiel. Au total, trois statuettes viendront récompenser ce parcours. 1969 : meilleure chanson originale pour The Windmills of Your Mind dans L’affaire Thomas Crown, 1972 : meilleure musique de film pour Un été 42 et 1984 : meilleure adaptation musicale pour Yentl. Véritable génie de la musique, Michel Legrand était un compositeur, arrangeur, pianiste, chanteur et chef d’orchestre à la carrière exceptionnelle. Passionné de musique classique et de jazz dès son adolescence, cette sensibilité deviendra sa marque de fabrique. Authentique et passionnant, le film de David Hertzog Dessites retrace à merveille l’histoire de cet immense artiste et révèle toute la richesse d’une vie dédiée à la musique. Le cinéaste, qui a pu filmer Michel Legrand dans son métier et son intimité pendant les deux dernières années de sa vie, donne un documentaire très complet avec de nombreuses images d’archives, sur scène ou dans sa vie privée, ainsi que des témoignages de proches. Présenté à Cannes Classics 2024, voici un beau moment de bonheur musical dans un coffret collector (trois disques) enrichi de bonus comme Michel Legrand vu par… : interviews avec de nombreuses célébrités et proches de Michel Legrand (32 min) ou Le film du film, de celui qui fait le film du film ! Une plongée dans les coulisses du film (48 min). (Blaq Out)
REQUIEM FOR A DREAM
Harold Goldfarb, alias Harry, son meilleur ami Tyrone et sa petite amie Marianne passent leurs journées à se droguer à l’héroïne et à s’inventer un paradis artificiel, où ils se sentent invulnérables et heureux, Harry savourant de surcroit avec Marianne le plaisir des sens. Sara, la mère d’Harry, une femme âgée accro au petit écran, passe son temps à récupérer chez le prêteur sur gage le téléviseur qu’Harry y dépose régulièrement afin de se fournir sa came. Malgré tout, Sara aime profondément son fils unique qui le lui rend bien. Harry et Tyrone se lancent dans le trafic de drogue afin de pouvoir acheter un magasin pour Marianne qui veut être styliste de mode. Leur revente de drogue est une réussite et les trois amis consomment de plus en plus. Sara pense être bientôt invitée à son émission favorite. Afin de rentrer dans son ancienne robe rouge quand le grand jour sera venu, elle décide de commencer un « régime ». Elle consulte un médecin qui lui prescrit des pilules amaigrissantes qui sont en fait des amphétamines qui lui apporteront dans un premier temps euphorie, désinhibition et bien-être. Sara devient dépendante des amphétamines. Harry s’en aperçoit et tente brièvement de raisonner sa mère. Une guerre des gangs asséchant brutalement le marché local de la drogue, il doit rapidement faire face à son propre manque et à celui de Marianne… Vingt-cinq ans après sa sortie en salles, Requiem for a Dream n’a rien perdu de son impact et continue de fasciner les spectateurs. D’une puissance émotionnelle rare, son exploration magistrale de la dépendance et surtout de l’aliénation reste à ce jour l’une des plus impressionnantes. Avec Ellen Burstyn (Sara), Jared Leto (Harry), Jennifer Connelly (Marianne) et Marlon Wayans (Tyrone), l’interprétation est excellente et la mise en scène de Darren Aronofsky réussit prodigieusement à créer le malaise. Un beau coffret, avec une restauration en 4K, incluant des suppléments, notamment l’interview d’Ellen Burstyn (16 min), Sur le tournage en 1999 (5 min) et la bande-son de Requiem… (17 min) ainsi qu’un livre (90 pages), des cartes postales, une affiche… (Bubblepop)
DAHOMEY
En novembre 2021, vingt-six trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à quitter Paris et le musée du quai Branly pour être rapatriés vers leur terre d’origine, devenue le Bénin. Avec plusieurs milliers d’autres, ces œuvres furent pillées lors de l’invasion des troupes coloniales françaises en 1892. Mais comment vivre le retour de ces ancêtres dans un pays qui a dû se construire et composer avec leur absence ? Tandis que l’âme des œuvres se libère, le débat fait rage parmi les étudiants de l’université d’Abomey Calavi… Ils s’interrogent sur le fait de s’exprimer en Français, la langue du colonisateur, sur les visées politiques de cette restitution (propagande des présidents Macron et Patrice Talon?), le statut de ces objets dans un pays où la muséographie est inexistante… Récompensé de l’Ours d’or 2024 à la Berlinale, Dahomey est un documentaire fantastique qui, à travers ses statues vivantes, réussit le pari d’être aussi un film politique poignant. Fondé au 17e siècle, le royaume africain du Dahomey était à l’époque une puissance considérable. Mais lorsque les troupes coloniales françaises l’envahissent, les villes et les palais sont pillés, et de nombreuses œuvres d’art sont saisies. Connue pour Atlantique, grand prix du festival de Cannes 2019, qui évoquait, de manière fantastique, le désœuvrement de la jeunesse de Dakar, la cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop passe, ici, de la fiction au documentaire pour aborder de façon originale le sujet brûlant de la restitution d’objets du patrimoine africain, et le douloureux passé colonial qui y est associé. Mais Dahomey dépasse le simple documentaire. En intégrant des éléments fantastiques, le film se situe à la frontière de la fiction. Cette voix mystérieuse par laquelle s’exprime les œuvres leur confère force et dignité, et plonge le spectateur dans une étrange atmosphère. Multipliant les idées de montage, d’image et de mise en scène, le film s’avère une expérience unique et une véritable merveille de lyrisme. Elle montre comment, en retrouvant son héritage, un peuple peut retrouver son âme, mais elle s’interroge aussi : comment peut-on mesurer la perte de ce que l’on n’a pas conscience d’avoir perdu ? Un voyage cinématographique très poétique ! (Blaq Out)
LIMONOV, LA BALLADE
Tout à la fois militant, révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, comme une trainée de soufre, est un voyage à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au cœur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle. « Jeune homme, se souvient Kirill Serebrennikov, je lisais son journal « Limonka » qui était très populaire notamment auprès de la jeunesse, pour son côté non conformiste, alternatif. La vie de Limonov s’est déroulée sous nos yeux, en quelque sorte. C’est son courage, sa manière d’être différent de tous les autres qui produisaient sur moi une grosse impression. Mais, en m’intéressant à lui de plus près et en suivant son évolution politique, mon regard a changé. Son parti, le Parti national-bolchévique, fondé en 1993, donnait en fait un avant-goût du fascisme et de ce qu’allaient devenir les fascistes russes. » C’est en lisant Limonov, le livre d’Emmanuel Carrère, paru chez P.O.L. en 2013, que le cinéaste russe décide, avec Paweł Pawlikowski et Ben Hopkins, de s’atteler au scénario de cette œuvre très rock et libre à l’image même de son sujet. Après avoir mis en scène la descente aux enfers de La femme de Tchaïkovski (2022), le virtuose Serebrennikov se lance à nouveau, en mêlant tous les formats, la couleur et le noir et blanc, dans une aventure visuelle très riche avec des reconstitutions du New York des années 70 mais aussi de l’URSS des années 60 et 70 puis de celle des années 90. Le tournage sera interrompu par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et amènera ses producteurs à reprendre l’aventure en Europe. De son personnage, le cinéaste dit qu’il est controversé et contradictoire… « Ce sont les mots-clefs pour comprendre Limonov. Encore une fois, je ne parle pas du personnage historique, mais de mon personnage, le Eddie lyrique. Comme le dit Emmanuel Carrère, c’est un héros de roman, qui n’a aucun sens moral, et en même temps il a quelque chose de poétique. C’est un poète alternatif, amoureux, passionné… qui devient militariste, impérialiste, fasciste… Il se met à haïr le monde entier à cause de la perte de son grand amour Elena, et parce qu’il n’arrive pas à avoir la gloire à laquelle il aspire. C’est véritablement un anti-héros, une sorte de « Joker » russe. » Enfin Serebrennikov a confié son personnage central à l’acteur britannique Ben Whishaw. L’interprète de Jean-Baptiste Grenouille dans Le parfum (2006), de Q dans Skyfall (2013) et de la voix de Paddington, réussit ici une composition exceptionnelle ! (Pathé)
FULL RIVER RED
Dans quelques heures, dans la Chine du 12e siècle, va se tenir une rencontre diplomatique d’une importance cruciale entre Qin Hui, chancelier de la dynastie Song, et une délégation Jin de haut rang. Or voilà qu’à la veille des pourparlers, le diplomate Jin dépêché sur place est assassiné et la lettre destinée à l’Empereur dérobée. Le chancelier demande alors au caporal Zhang Da (Shen Teng), escorté par le commandant en second Sun Jun, de ramener la précieuse missive avant le lever du soleil. Au fil de leurs recherches, des alliances vont se former et des secrets seront révélés… Zhang Yimou est l’une des figures marquantes du cinéma chinois des années 80-90. Après avoir été directeur de la photographie pour Chen Kaige sur ses deux premiers films (Terre jaune en 1984 et La grande parade en 1986), il réalise son premier long métrage Le sorgho rouge qui lui vaut d’emblée l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1988. La plupart du temps en compagnie de la comédienne Gong Li, le cinéaste, aujourd’hui âgé de 73 ans, va enchaîner des fresques marquées par la grande beauté des images et par la critique sous-jacente des modèles historiques chinois (la féodalité impériale, la révolution culturelle, la république de Deng Xiaoping…). Ainsi on le verra souvent à Cannes, notamment avec Judou (1990) ou Vivre ! qui obtient, en 1994, le Grand prix mais aussi à la Mostra de Venise avec Epouses et concubines (1991) ou Qiu Ju, une femme chinoise qui décroche le prestigieux Lion d’or. Si on a moins entendu parler ensuite de Zhang Yimou (hormis une présence cannoise en 2004 avec Le secret des poignards volants), le réalisateur n’a pas cessé de tourner. Autour de meurtres, de trahisons et de complots politiques, Full River Red, avec une approche… shakespearienne, mêle enquête policière et intrigues de cour sur fond de comédie. Le réalisateur de Hero (2002) dynamite le film historique grâce à une mise en scène ultra-rythmée et un subtil travail sur les tonalités gris-bleu, faisant de ce whodunit en huis clos un véritable tour de force visuel et narratif. Énorme succès au box-office chinois, Full River Red, qui sort pour la première en Blu-ray, est considéré, à juste titre, comme l’une des plus grandes réussites du cinéaste. C’est en tout cas, un divertissement spectaculaire haut de gamme qui ne craint pas un certain lyrisme nationaliste. (Carlotta)
HERETIC
Deux jeunes missionnaires de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours d’une petite ville de banlieue dans le Colorado font du porte à porte dans l’espoir de convertir les habitants. Le soir venu, après une journée infructueuse, ces sœurs mormones décident de frapper à la porte d’une maison isolée. C’est le charmant M. Reed qui les accueille, les invite à entrer pour s’abriter du mauvais temps et leur assure que sa femme prépare une tarte aux myrtilles à l’arrière de la maison. Ils commencent à discuter de religion, Reed faisant plusieurs remarques gênantes sur leur foi et la nature de la croyance. Très vite, les timides sœurs Barnes et Paxton réalisent qu’elles sont tombées dans un piège. Lorsque Reed sort de la pièce, Barnes réalise que l’odeur de tarte aux myrtilles provient d’une bougie, que la porte d’entrée est verrouillée et qu’il n’y a pas de réseau téléphonique. Elles suivent Reed dans son bureau, où il leur fait un sermon menaçant, arguant que toutes les religions sont des adaptations les unes des autres et prétendant avoir trouvé la seule vraie religion. Reed prévient que la porte d’entrée est verrouillée et ne s’ouvre pas. Il leur propose deux portes pour sortir de la maison: une si elles croient encore en Dieu, et une autre si elles n’y croient plus. Barnes se rebelle, répudiant plusieurs de ses affirmations. Ils entrent par la porte « Croyance », mais découvrent que les deux portes mènent au même donjon. Scénaristes de Sans un bruit (2018), gros succès en salles et réalisateurs de Haunt (2019) puis de 65 : la terre d’avant (2023), Scott Beck et Bryan Woods passent à nouveau derrière la caméra pour un sujet qui intéresse beaucoup de monde : la religion. Il s’attachent à montrer comment la foi peut être une source de réconfort et de soutien, mais comment elle peut aussi tromper et basculer dans la folie lorsque le dogme et les textes sacrés sont brandis dans un but machiavélique. Comme la maison de Reed est un véritable labyrinthe où les deux missionnaires ne pourront compter que sur leur ingéniosité et leur intelligence pour rester en vie, Heretic vaut par son décor avec ses petites fenêtres, ses portes verrouillées et ses couloirs trompeurs, un espace qui porte l’empreinte de Reed, un domaine lugubre aux multiples méandres, à l’image de son esprit. Enfin, ce thriller horrifique est porté par un Hugh Grant qui semble savourer pleinement le contre-emploi. Le séducteur enjoué et romantique de Quatre mariages et un enterrement (1994), Coup de foudre à Notting Hill (1999), Love Actually (2003) et de trois volets de la saga Bridget Jones incarne le sournois Reed qui adore jouer les iconoclastes et mettre à l’épreuve la foi des autres. A ses côtés, Chloé East (vue dans Les Fabelmans de Spielberg) est sœur Paxton et Sophie Thatcher sœur Barnes. Les deux comédiennes ont été élevées dans la foi mormone avant de s’en détourner à l’adolescence. (Le Pacte)
KAFKA LE DERNIER ÉTÉ
À l’été 1923, au bord de la Baltique, Franz Kafka va mieux. L’air de la mer lui fait du bien. C’est dans la station balnéaire où il séjourne qu’il rencontre Dora Diamant, une institutrice du foyer juif de Berlin. Il en tombe amoureux et est payé de retour. Le célèbre écrivain le sait, tout s’oppose à cette idylle : sa santé déclinante, son spleen chronique, la mainmise de son père sur sa vie. Mais auprès de la jeune femme, Franz retrouve le goût d’écrire et l’envie de profiter de chaque minute. Comme pour faire du temps qu’il lui reste un grand chef d’œuvre. Franz décide de s’installer dans la capitale. Ce qu’il fait malgré l’opposition de sa famille. Dora le rejoint dans son petit appartement le plus souvent possible, malgré la surveillance de la logeuse. Avec elle, il goûte enfin un peu de bonheur conjugal, alors qu’il ne croyait plus la chose possible. Mais le rigoureux hiver berlinois réactive sa tuberculose et son état se détériore. Soutenu avec constance par Dora et par son ami Max Brod, il s’éteint au sanatorium de Kierling à l’âge de 40 ans le 3 juin 1924. Dora ne l’oubliera jamais et Max contribuera à sa gloire posthume. Surtout connu pour ses romans Le Procès, L’Amérique et Le Château, ainsi que pour les nouvelles La Métamorphose et La Colonie pénitentiaire, Franz Kafka (1883-1924) a donné une œuvre caractérisée par une atmosphère cauchemardesque, sinistre, où la bureaucratie et la société impersonnelle ont de plus en plus de prise sur l’individu. Celui qui disait « Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous ; voilà ce que je crois » a volontiers été représenté au cinéma, notamment par Steven Soderbergh dont le Kafka (1991) était incarné par Jeremy Irons. Ici, ce sont les réalisateurs allemands Judith Kaufmann et Georg Maas qui évoquent l’atmosphère mélancolique et sensible des derniers mois de l’un des écrivains majeurs du 20e siècle. Franz Kafka a la quarantaine et il souffre gravement de tuberculose. Dora, 25 ans (Henriette Confurius) est la vie même et elle va apporter à Franz un sentiment amoureux puissant qui fera de leur rencontre un moment d’émerveillement. Avec sobriété et une agréable justesse de ton, le duo de cinéastes montrent une passion amoureuse naissante et vibrante confrontée au profond spleen de l’écrivain incarné par le comédien Sabin Tambrea dont le regard fiévreux convient bien à Kafka. Die Herrlichkeit des Lebens (en v.o.) est le portrait intime d’un artiste bouleversé par le merveilleux d’un grand amour qui lui offre un ultime souffle avant que la maladie ne l’emporte. (Condor)
LES TRAVAUX D’HERCULE
Roi d’Iolcos, Pélias fait venir Hercule à sa cour pour lui confier l’éducation de son fils, Iphitos. A cette occasion, Hercule croise Iole, la fille du roi (Sylvia Koscina), dont il tombe immédiatement amoureux. Jaloux de la force de son précepteur, Iphitos trouve la mort en affrontant le lion de Némée. Pélias envoie alors Hercule combattre le taureau de Crète. Mais le trône de Iolcos revient de droit à Jason, l’héritier légitime, Pélias n’étant qu’un fourbe usurpateur. Hercule va s’embarquer avec Jason sur l’Argos à la recherche de la Toison d’or afin de l’aider à reconquérir son royaume. En 1958, Pietro Francisci met en scène Hercule le héros mythologique de la Grèce antique, dans des aventures qui s’inspirent librement des Argonautiques, un poème sur l’expédition des Argonautes, écrit par Apollonius de Rhodes, poète du IIIe siècle avant Jésus-Christ et directeur de la bibliothèque d’Alexandrie. Le cinéaste italien (1906-1977), déjà réalisateur de La reine de Saba (1952) et Attila, fléau de Dieu (1954), sera considéré comme le père du peplum des années 50-60. On s’en doute, Francisci interprète la mythologie grecque de manière assez libre, l’objectif étant de faire avant tout du spectacle. Evidemment la critique fait la moue devant cette mythologie de bas étage mais le public s’enthousiasme pour ces récits épiques « d’épée et de sandale ». Immense succès en Italie, dans le reste de l’Europe et aux États-Unis, Les travaux d’Hercule lança la la mode des peplums peuplés de gaillards spécialement musclés. Aux Etats-Unis, Francisci avait remarqué le physique avantageux du culturiste américain Steve Reeves (1926-2000), vainqueur du concours Mister Univers en 1950. Il l’invite à venir en Europe pour incarner Hercule. A cette époque, Reeves, même s’il n’est pas un comédien accompli, est, avec Sophia Loren, l’acteur le mieux payé d’Italie. Contraint de prendre prématurément sa retraite à cause d’une blessure à l’épaule, Reeves ouvrira la voie, dans le peplum, à d’autres culturistes comme Ed Fury, Reg Park ou Mark Forest… On se souvient évidemment de la scène finale où, lançant de lourdes chaînes autour des colonnes, Hercule fait s’écrouler la façade du palais sur les chevaliers du méchant Pélias. Dans les suppléments, on trouve Hercule déchaîné, un entretien avec le comédien italien Willy Colombini, interprète de Pollux ainsi qu’un livret (64 pages) sur Steve Reeves conçu par Emmanuel Rossi. Le premier et mythique Hercule ! (Artus Films)
LA NUIT DES MALEFICES
Dans l’Angleterre du 18e siècle, Ralph Gower, un jeune homme, affirme avoir vu la marque du diable dans un champ qu’il labourait. Il décrit un crâne humain déformé recouvert d’une étrange fourrure. Pourtant, très cartésien, le juge du comté refuse de le croire. Mais, rapidement, des événements anormaux se produisent dans la bourgade. Des jeunes filles se retrouvent couvertes de morceaux de peau brune poilue et les villageois sombrent dans la démence en se mutilant ou en commettant des meurtres. Une adolescente pieuse, Angel Blake (Linda Hayden), semble être à la solde de Satan et se livre à des sabbats et des orgies sataniques en ramenant à sa cause la grande majorité des enfants et adolescents du village. Face à ce chaos, le juge (Patrick Wymark) comprend qu’il faudra abattre une bête démoniaque responsable de cette folie pour arrêter ce cauchemar. Alors que le filon de l’horreur gothique commence à s’épuiser, le cinéma d’horreur britannique voit émerger, au début des années 70, un nouveau genre : celui de la Folk Horror. Considéré avec The Wicker Man (1973) et Le grand inquisiteur (1968) comme l’un des films emblématiques du genre, La nuit des maléfices (1971) plonge le spectateur au cœur d’un village rural isolé de l’Angleterre puritaine, durant le siècle des Lumières. À cette époque, la société est alors partagée entre obscurantisme et modernité, entre le mouvement naissant des intellectuels, et les croyances et superstitions de la population. Avec ses cultes démoniaques et ses incantations sexuelles, le film de Piers Haggard, qui s’appuie sur une belle photographie de Dick Bush, distille une atmosphère maléfique par le comportement des personnages entre violence, mutilations, rituels orgiaques et course à la pureté. Dans la Collection angoisse, le film est accompagné d’un entretien (42 mn) avec Olivier Père, directeur de l’Unité Cinéma d’Arte France et d’un livret Sous le Soleil de Satan (24 pages) conçu par Marc Toullec. (Rimini Editions)
LA VENUS EN FOURRURE
Pour travailler à l’écriture de son prochain livre, Séverin s’est installé dans un hôtel au bord d’un lac. C’est là que débarque Wanda, un mannequin au pouvoir de séduction hypnotique. Séverin va d’abord espionner discrètement Wanda, qui aime se promener nue dans son manteau de fourrure tout en rêvant aux premiers et douloureux émois érotiques de son enfance. Il la voit sous la douche ou aller avec des inconnus. Puis Séverin va l’entraîner dans une relation sadomasochiste sulfureuse mais la relation échoue. Séverin se console avec Gracia, la femme de ménage tandis que Wanda rencontre Bruno. Trop humilié par ce rival, Séverin veut guérir sa frustration avec une prostituée qui se révèle être Wanda. Mais il ne pourra supporter cet amour impossible et basculera dans la folie. C’est 1870 que paraît Venus im Pelz (la Vénus à la fourrure en français), le roman érotique de l’écrivain allemand Leopold von Sacher-Masoch (1836-1895) qui se présente comme une autobiographie romancée dans laquelle la femme idéale est avant tout « une femme de goût, une femme de la haute société, une femme cultivée. (…) Elle est toujours forcément animale sauvage, « Venus ensauvagée d’une fourrure ». C’est la femme aux formes opulentes, au regard froid, aux nerfs d’acier, vêtue de fourrures. Elle porte toujours un fouet à la ceinture, des bottes, très souvent ces bottes sont de maroquin rouge comme celles que portait Handscha, sa nourrice… » D’abord directeur de la photographie (il le fut en 1964 et 1965 pour Sergio Leone dans Pour une poignée de dollars et Et pour quelques dollars de plus), Massimo Dallamano tourne, avec Le malizie di Venere (en v.o.), son troisième long-métrage de fiction qui sort, dans une version 2K restaurée, en coffret digipack Blu-ray/DVD. Sorti en 1969 en Allemagne et en Italie, le film est immédiatement censuré, ne ressortant que six ans plus tard dans une version édulcorée. Loin de tomber dans des dérives pornocrates de voyeurisme, La Venus en fourrure adapte au plus près le roman de Sacher-Masoch, mettant en images les passions perverses d’un jeune couple. Le personnage de Wanda, une « déesse de l’amour en personne » selon l’expression de Sacher-Masoch, va lancer , à 28 ans, la carrière de Laura Antonelli, l’une des vedettes italiennes les plus sensuelles des années 70-80… (Artus Films)
ROSSOSPERENZA
Dans l’Italie des années 90, Zena, 16 ans, fille du médecin du Pape et petite-fille d’un ancien fasciste, est admise à Villa Bianca, un discret établissement qui apparaît comme le dernier recours de la bonne société italienne pour « soigner » les déviances d’une génération aussi cabossée que rebelle. Zena va y croiser trois adolescents avec lesquels elle se lie d’amitié. Marzia est une jeune fille nymphomane, Alfonso, un jeune homosexuel fantasque, et Adriano, un garçon enfermé dans un mutisme attachant et terrorisant. Sorti en 2024, Rossosperenza est une tragi-comédie politique, poétique et surréaliste dans laquelle la cinéaste italienne Annarita Zambrano, pour son second long-métrage, a mis beaucoup d’elle-même. Avec ce récit aussi audacieux que foutraque, jubilatoire et cathartique, la réalisatrice s’inspire en effet de son propre vécu pour dénoncer l’emprise du conservatisme sur l’Italie des années 90. Dans les suppléments du dvd, la cinéaste avoue qu’elle a pris le parti d’un cinéma qui ne s’embarrasse pas vraiment d’écriture tout en flirtant autant avec le cinéma de genre en adoptant les codes du giallo et en y greffant une dimension queer. Avec quatre solides freaks, enfermés dans une maison de redressement, qui cherchent par tous les moyens et notamment par la musique, à s’arracher à la bienséance prônée par leur classe sociale, Annarita Zambrano replonge dans les turbulentes années 90 italiennes pour dire l’importance de défendre sa singularité, sa liberté et sa dignité, face à la famille « respectable », à la violence bourgeoise et hétéropatriarcale. Dans une atmosphère propice au rassemblement des corps, le film raconte les aventures d’un groupe d’adolescents nés avec une cuillère d’argent dans la bouche mais en total état de rébellion face à un présent auquel ils ne veulent plus appartenir. Très sociopathe, Zéna (Margherita Morellini) a tenté de tuer à l’insecticide anti-cafards un évêque ami de sa famille. Malgré son père démocrate-chrétien, Alfonso (Leonardo Giuliani) n’a pas l’intention de réprimer son homosexualité. Tout en rêvant de devenir un enfant-star à la télé, Marzia (Ludovica Rubino) séduit des adultes riches convaincus de pouvoir obtenir tout ce qu’ils veulent… Si les tristes héros sont plutôt inquiétants, les éducateurs qui tentent de les ramener dans le « droit chemin » sont, eux, complètement grotesques. Une rude allégorie d’un monde décadent. (Blaq Out)
UN COLIS DANS LA NEIGE POLONAISE ET L’EMPLOYÉE SOURDE ET FRUSTRÉE 
LA PLUS PRECIEUSE DES MARCHANDISES
Il était une fois, dans un grand bois, par un froid glacial, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne… D’emblée, le narrateur nous interpelle. Non, il ne s’agit pas du Petit Poucet. D’ailleurs qui pourrait croire à ce conte car aucun parent n’abandonne ses enfants quand il n’y a plus de quoi manger ! Mais alors, pourquoi abandonne-t-on un enfant ? Parfois, justement, parce qu’on les aime. C’est tout! Voilà ce que nous dit La plus précieuse des marchandises. En s’appuyant sur l’oeuvre éponyme de Jean-Claude Grumberg, Michel Hazavanicius signe un superbe drame d’animation qui nous emporte dans les vastes étendues couvertes de neige de Pologne régulièrement traversées par de longs et sinistres convois ferroviaires. Connu pour le diptyque OSS 117 (2006-2009) ou The Artist (2011), on n’attendait pas Michel Hazavanicius du côté de La plus précieuse des marchandises. Faut-il chercher une explication dans les propos tenus sur France Inter où il disait qu’il n’avait longtemps eu cure de sa judéité mais qu’avec les temps qui courent, il se sentait Juif et dans la nécessité de s’affirmer tel. Plongée donc dans la Pologne rurale durant la Seconde Guerre mondiale au côté d’un couple misérable. Chaque jour, au loin, passent les trains. La femme pense que les wagons sont remplis de marchandises et que, peut-être, la providence fera tomber un colis. C’est sur une toute autre marchandise qu’elle va mettre la main. Tandis qu’elle avance dans la neige, elle entend des cris de bébé. Pleine de bonheur, elle ramène le nourrisson chez elle. Mais le pauvre bûcheron ne l’entend pas de cette oreille. Lui qui marche régulièrement, le long de la voie ferrée, sait que ces sinistres convois de la mort emportent les Juifs vers l’enfer des camps. Enveloppé dans un talit, le châle de prière des Juifs, le bébé est donc un « sans coeur » issu de la « race maudite », selon l’expression des nazis. De fait, en chemin vers Auschwitz, un père de famille a craqué. Sa femme tenait, dans ses bras, ses deux enfants. L’homme a saisi la fillette et, à travers les barreaux du wagon, l’a lancé dans la neige, lui offrant une hypothétique survie. Entre la pauvre bûcheronne et le pauvre bûcheron, les relations sont désormais glaciales. La femme dort dans la grange avec le bébé. Lui rumine. Petit à petit, la magie de l’enfance innocente opère et le pauvre bûcheron se laissera emporter aussi par un bel amour pour sa « petite marchandise», scandant dans sa tête « Les sans coeur ont un coeur ». Pourtant, tandis que la pauvre bûcheronne obtient de l’aide et… du lait de chèvre, d’un vieux soldat à la gueule cassée, bien des épreuves attendent encore cette famille… En donnant longtemps la prime, dans son récit, à ces Justes que sont les deux bûcherons attachés à sauver coûte que coûte la fillette, Hazanavicius aborde, quasiment par la suggestion, l’horreur des camps. Le film se passe alors de dialogues, laissant opérer Schluf mayn feygele, une berceuse yiddish… Porté par la belle voix de Jean-Louis Trintignant, dans son ultime apparition vocale au grand écran (accompagné par Dominique Blanc, Gregory Gabedois et Denis Podalydès), La plus précieuse des marchandises parle, au-delà de l’horreur de la déportation, de solidarité, d’entraide et résistance. « Dans n’importe quelle circonstance, dit encore le cinéaste, on peut faire le choix de la dignité et de l’humanité. » Rien de tout ça n’est arrivé, dit in fine le narrateur. Comme n’ont pas existé les trains, les cris, les pleurs, la douleur, la nuit, le brouillard, le feu, les cendres, la sauvagerie industrielle… Ce qui importe, c’est l’amour. Tout le reste est silence. (Studiocanal)
SUR MES LEVRES
Discrète employée dans une société de promotion immobilière, Carla Bhem a tout de la bonne à tout faire, voire du bouc émissaire. Pire que cela, comme elle est malentendante, cette jeune femme solitaire est ignorée par ses collègues dont elle subit des moqueries effectuées à son insu. Erreur ! La petite employée avec ses aides auditives planquées sous ses cheveux mal peignés, sait lire sur les lèvres. Afin d’alléger sa charge de travail, elle obtient l’embauche d’un stagiaire auprès de l’ANPE. Voilà donc que débarque Paul Angeli, belle gueule de voyou et type sans expérience dans les photocopies. Paul sort de prison et reste sous la surveillance de Masson, son contrôleur judiciaire. Instantanément, son comportement impulsif et son charisme troublent Carla, bien qu’elle rejette ses avances maladroites. Peu après son arrivée, Paul est violemment agressé au bureau par un homme venu lui rappeler qu’il doit une importante somme d’argent à Marchand, un gérant de boîte de nuit impliqué dans des activités illégales. Pour rembourser sa dette, Paul abandonne son poste dans la société et commence à travailler comme barman pour Marchand. Troisième film de Jacques Audiard, Sur mes lèvres est une œuvre, incontournable dans la filmographie du cinéaste. Sorti au cinéma en 2001, cinq ans après Un héros très discret son précédent long métrage, Sur mes lèvres est un film singulier et troublant, brouillant la frontière des genres cinématographiques, Audiard y naviguant entre le drame social et le thriller haletant. Film noir, western, drame, marivaudage moderne, polar, mélo, comédie musicale, depuis ses débuts, le fils du grand Michel Audiard, le dialoguiste des Tontons flingueurs (1963), jongle avec les codes du cinéma de genre, variant les formes et forgeant, avec ses équipes, un langage filmique inédit. Son dernier opus, Emilia Perez en atteste pleinement. Esthétisant le quotidien, le cinéma d’Audiard décolle du réalisme, touche le sensible et le sensoriel jusqu’à atteindre une stylisation qui lui est propre. Voir un film d’Audiard, c’est vivre une expérience presque primitive du cinéma qui passe par les images, les sons et les silences mystérieux. Audacieux de film en film, ses longs métrages sont de plus en plus populaires, ses récompenses quasi systématiques. Sur mes lèvres remporte en 2002, trois César (Meilleur actrice, Meilleur scénario, Meilleur son). Partant du drame social pour virer au polar palpitant, le cinéaste orchestre une rencontre, de plus en plus intense, entre une employée frustrée et un stagiaire fruste. Emmanuelle Devos est parfaite en fille trouble, saisie par le vertige de la domination et de la cruauté face à ceux qui la briment. Vincent Cassel, ex-taulard aux cheveux gras, lui donne parfaitement la réplique tandis que le cinéaste explore deux âmes blessées et esseulées qui ne parviennent pas à trouver leur place dans la société. (Pathé)
SAMBIZANGA
En 1961, Domingos Xavier, un militant révolutionnaire angolais, est arrêté par la police secrète portugaise. Il est emmené à la prison de Sambizanga à Luanda. Il y subit des interrogatoires puis des tortures destinés à lui soutirer les noms de ses contacts indépendantistes. Maria, la femme de Domingos, (dont le film endosse le point de vue) part avec son bébé sur le dos à la recherche de son mari de prison en prison. Elle se débrouille seule. Elle crie sa rage. Aidée dans sa quête par des hommes et des femmes sensibles à son histoire et à la cause de Domingos, elle ne faiblit pas. La mort de Domingos Xavier va provoquer l’attaque de la prison de Luanda le 4 février 1961, date officielle du début de la lutte armée contre l’occupant portugais. Réalisé par Sarah Maldoror et sorti en 1972, Sambizanga est une adaptation du roman de José Luandino Vieira A Vida Verdadeira de Domingos Xavier. Hommage aux combattants de l’ombre, ce drame politique, interprété par des non-professionnels, est à la fois une tragédie intimiste et une œuvre poétique engagée signée de l’une des figures majeures du cinéma panafricain. Véritable pionnière et figure de proue du cinéma africain, Sarah Maldoror (1929-2020) donne un portrait émouvant des débuts de la lutte de libération angolaise tout en mettant largement l’accent sur la place des femmes dans ce combat. « Cela pourrait être, dit la cinéaste, l‘histoire de n’importe quelle femme qui part pour retrouver son mari. En 1961, la conscience politique des gens n’était pas encore mûre. (…) Dans le village où vit Maria, les gens n’ont aucune idée de ce que signifie « indépendance ». Les Portugais empêchent toute information et un débat sur le sujet est impossible. (…) Mon souci principal était de rendre les Européens, qui ne savent pas grand chose de l’Afrique, conscients de cette guerre oubliée en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau. » Cette édition, dans une superbe restauration 4K, disponible pour la première fois en Blu-ray, est accompagné de nombreux suppléments. On y trouve une introduction de Martin Scorsese, un entretien avec Annouchka de Andrade et Henda Ducados (6 mn) réalisé par Antoine Aphesbero dans le cadre de l’exposition « Sarah Maldoror : cinéma tricontinental » (2021-2022) au Palais de Tokyo à Paris. À partir de documents et photographies, les deux filles de la cinéaste reviennent sur le parcours de Sarah Maldoror pour dresser un portrait intime de la femme et mère qu’elle fut. On découvre aussi quatre films inédits de la cinéaste. Monangabééé (1969 – Noir & Blanc – 16 mn), premier film de Sarah Maldoror, laisse parler les corps et la musique pour donner voix à la résistance du peuple angolais contre le colonialisme portugais. Puis Trilogie de carnaval (Fogo, île de feu (1979 – 34 mn), A Bissau, le carnaval (1980 – 19 mn) et Carnaval dans le Sahel (1979 – 30 mn). En découvrant en 1978 les îles du Cap-Vert après leur indépendance, Sarah Maldoror est saisie par cet archipel et décide d’y tourner trois films comme une urgente nécessité. Elle capte la rudesse de la vie sur l’île volcanique de Fogo, puis filme les préparatifs et les festivités du carnaval à São Vicente et en Guinée-Bissau. Enfin, comme livret (124 pages), le fac-similé du n°720 (février 2025) de L’Avant-scène Cinéma avec des entretiens, A à Z sur Sarah Maldoror, souvenirs de tournage, revue de presse, fiche technique, scénario original, dialogues français et portugais… (Carlotta)
MALCOLM X
Né en 1925 dans le Nebraska, Malcolm Little vit de petits emplois et de magouilles en essayant de profiter au maximum de la vie… Il deviendra gangster à Harlem pour le compte d’un caïd avec lequel il se brouillera pour un malentendu financier. Il file alors à Boston, retrouve Shorty, son meilleur ami. Un cambriolage chez un couple blanc et riche leur vaudra une dizaine d’années de prison. En détention, il croise Baines, un autre détenu noir, qui l’aide à sortir de son addiction à la cocaïne. Malcolm reste méfiant lorsque Baines fait la promotion de l’islam mais il est toutefois progressivement convaincu et Baines l’éduque en le présentant à la Nation of Islam (dont Malcolm deviendra plus tard le leader charismatique) en insistant sur le fait que « Dieu est noir »… Commence alors la trajectoire qui va faire de lui l’une des grandes icônes des mouvements afro-américains pour abolir les discriminations raciales aux États-Unis au même titre que Rosa Parks, Martin Luther King ou encore Mohamed Ali… A la fin des années 80 et au début des années 90, Spike Lee est au sommet de la vague. Il tourne à un rythme soutenu et donne successivement Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (1986), Do The Right Thing (1989), Mo’ Better Blues (1990, Jungle Fever (1991). Il va alors enchaîner avec ce film biographique sur Malcolm X, basé sur l’autobiographie coécrite avec le journaliste Alex Haley. Spike Lee évoque ainsi l’enfance difficile à Omaha, la prison où il apprend à cultiver la fierté de sa race, l’entrée dans l’organisation d’inspiration islamiste, le mariage avec l’infirmière Betty Shabazz, le pèlerinage à la Mecque et son assassinat le 21 février 1965 au cours d’un meeting à Harlem. Bien avant la mode des biopics, Spike Lee s’attache, en 1992, à proposer son regard sur un personnalité hors du commun et dont, avant de voir le film, on ne sait finalement pas tant que ça. Pour l’aider dans sa tâche, il peut compter sur Denzel Washington qui réussit l’un de ses meilleurs rôles. Malgré de bonnes critiques, le succès au box-office ne sera pas au rendez-vous. Le film culmine avec une scène montrant le militant anti-apartheid Nelson Mandela, alors récemment libéré de prison, citant l’un des discours de Malcolm X dans une salle de classe en Afrique du Sud. (Metropolitan)
CREPUSCULE
Le corps de la petite Anna, huit ans, est découvert au fin fond d’une forêt. Deux inspecteurs sont dépêchés sur place pour mener l’enquête et retrouver le dangereux tueur en série qui a déjà sévi deux fois dans la région. Lorsque leur unique suspect, un colporteur, met fin à ses jours en se jetant d’une fenêtre du commissarait, les enquêteurs décident de partir sur une nouvelle piste, s’aidant pour cela d’un dessin de la dernière victime… Pour son premier long-métrage de cinéma en 1990, le réalisateur hongrois Gyorgy Feher (1939-2002) s’est inspiré du roman policier La Promesse de Friedrich Dürrenmatt, également adapté par Sean Penn en 2001 dans The Pledge. À l’instar de son compatriote Béla Tarr, consultant sur le film, le cinéaste hongrois s’ingénie à dilater le temps en travaillant avec des travellings et des panoramiques qui rendent ainsi palpables l’attente fébrile de l’enquêteur en chef et sa quête obsessionnelle de la vérité. Lauréat du Léopard de bronze au Festival de Locarno 1990, Crépuscule est un étrange thriller très contemplatif qui joue avant tout la carte d’une atmosphère singulière et funèbre. Le cinéaste entraîne le spectateur dans un univers de montagne et de forêt qui baignent constamment dans une lumière grise traversant des ambiances brumeuses dans laquelle apparait une maison isolée qui fait station-service. Autour de la maison, une fillette joue avec un ballon et on n’évite pas la référence à M le maudit de Lang et à son tueur d’enfants d’autant que le film ne nie pas sa dimension expressionniste. Si ce conte noir est très virtuose sur le plan formel avec ses cadrages sophistiqués et ses longs plans larges immobiles, Crépuscule ne donne pas toutes les clés de l’intrigue. On a ainsi du mal à saisir clairement les motivations des personnages, qu’il s’agisse de l’inspecteur qui scrute le paysage avec ses jumelles et finit par s’emporter contre la fillette autour d’un mystérieux chocolat ou encore le moustachu alcoolique qui violente sa compagne… Disponible pour la première fois en Blu-ray dans une version restaurée 4K, l’édition comprend deux entretiens. Dans Une lumière particulière (33 mn), Miklos Gurban, le directeur de la photographie de Crépuscule raconte sa rencontre avec Gyorgy Feher et détaille sa méthode de travail atypique, axée sur les plans-séquences, l’éclairage et la performance des acteurs. Dans Le long affrontement (24 mn), Maria Czeilik, la monteuse attitrée de Feher revient sur leur relation professionnelle, aussi enrichissante qu’éprouvante, et sur la complicité qui liait le cinéaste à Béla Tarr. Enfin, on y trouve deux courts-métrages inédits du cinéaste : Oregek (1969 – Noir & Blanc – 16 mn) est un documentaire dans lequel des personnes âgées confient leurs difficultés au quotidien à des représentants du Parti venus les écouter. Tomikam (1970 – Noir & Blanc – 23 mn) raconte comment une promesse non tenue entre un vieux philatéliste et un jeune célibataire roublard va conduire ce dernier devant un tribunal et remettre en cause son existence… (Carlotta)
GLADIATOR 2
Avec sa maigre troupe de (valeureux) combattants, le Numidien Hanno affronte, dans une bataille navale rudement violente, les troupes de Rome conduites par le général Marcus Acacius… La rébellion contre l’empire tourne hélas au détriment d’Hanno qui voit même sa compagne Arishat mourir, frappée d’une flèche en pleine poitrine. Pour Hanno, désormais, la rage de la vengeance anime son coeur et son esprit. Prisonnier des Romains, conduit dans la capitale, Hanno rejoint les rangs des gladiateurs qui donnent, régulièrement, un brutal divertissement dans la vaste arène du Colisée. Pris en main par Macrinus, un « manager » de gladiateurs qui lui lance « Cette rage est ton don », Hanno va s’imposer comme un combattant de premier ordre. A Macrinus, il ne demande qu’une faveur : pouvoir affronter le général Acacius qu’il tient pour responsable de son drame. Il aura bientôt l’occasion d’affronter le général romain car celui-ci fomente sans succès une insurrection contre les empereurs Geta et Caracalla, impressionnants tyrans complètement dégénérés… Que Ridley Scott, réalisateur du premier Gladiator, s’attelle au second, n’a rien de surprenant. D’autant que le Britannique de 86 ans a clairement le goût des gros machins censés en mettre plein la vue à un public amateur de divertissements spectaculaires. Lorsqu’on voit, dans les premières séquences, des gamins jouer au football au pied des pyramides de Numidie, on constate qu’une fois de plus, Scott se moque de l’Histoire comme de sa première calliga. Le sachant, on n’y fait plus vraiment attention pour se contenter de suivre le spectacle. Après la bataille navale initiale, c’est surtout dans l’arène que le show trouve sa place. Ainsi Hanno va se bagarrer avec des mandrills sanguinaires, affronter Le destructeur monté sur une énorme rhinocéros ou reconstituer la bataille de Salamine dans un Colisée transformé en piscine géante peuplée de requins affamés… Le spectacle est volontiers pompeux et la mise en scène boursouflée et riche de multiples clameurs. Paul Mescal, l’interprète d’Hanno/Lucius, a plus de muscles que de charisme et seul Denzel Washington tire vaguement son épingle du jeu en composant, avec son Macrinus, un grand méchant, passant d’entrepreneur à un politique retors cultivant la loi du plus fort. On se gardera de filer la métaphore mais probablement que, pour Scott, Rome c’est l’Amérique et Hollywood le Colisée et ses jeux du cirque… (Paramount)
HERE – LES PLUS BELLES ANNEES DE NOTRE VIE
Raconter l’histoire de l’Amérique à travers une maison qui évolue de 10 000 avant Jésus-Christ à 2022, sacrée ambition ! C’est ainsi qu’au fil des époques, vont se succéder Richard, un aspirant artiste peintre et Margaret, une aspirante avocate qui vivent chez Al, ancien vétéran de la Seconde Guerre mondiale et Rose, les parents du premier et qui deviendront les principaux personnages d’un vaste récit choral. Passeront aussi par là divers autres personnages dont le fils illégitime de Benjamin Franklin, un couple de bourgeois, un inventeur et sa femme, de même qu’un couple d’Afro-Américains et leur femme de ménage mexicaine… En adaptant le roman graphique éponyme de l’Américain Richard McGuire, paru chez Gallimard en récompensé du Fauve d’Or du meilleur album de l’année au Festival d’Angoulême 2016, Robert Zemeckis trouve évidemment un matériau qui lui offre de belles pistes cinématographiques (en mettant en œuvre une technologie innovante permettant de superposer les temporalités et les images) autant que thématiques. Ici et là, s’ouvrent des fenêtres sur différentes époques, amenant les récits à se répondre pour mettre en lumière l’évolution des mœurs et le passage du temps, évoquant aussi les secousses socio-économiques, les progrès de la science, l’immigration, voire le mouvement Black Lives Matter… On avait perdu de vue le Robert Zemeckis qui séduisait tant le public avec la trilogie Retour vers le futur (1985-1990), Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988) ou l’incontournable Forrest Gump (1994) dont il retrouve, pour Here, les deux comédiens principaux Tom Hanks et Robin Wright qui incarnent, ici, Richard et Margaret… En dernier, Zemeckis avait joué, sans grande réussite, l’actuelle carte Disney avec les reprises des classiques en prises de vues réelles. Le revoilà donc avec une bonne histoire puisqu’il ne s’agit rien de moins que de détailler une étonnante odyssée à travers le temps et la mémoire, les amours et les conflits au coeur d’une maison de Nouvelle-Angleterre sur fond de couples et de familles au fil des générations. (M6)
PONTCARRAL, COLONEL D’EMPIRE
C’est au coeur de l’Occupation que Jean Delannoy sort Pontcarral, colonel d’Empire, un film (subventionné par l’État français!) qui met en scène, sous le couvert d’un drame romantique en costumes, un audacieux hommage à la Résistance à travers le personnage de Pierre Pontcarral, fidèle de Napoléon même après la chute de l’Empire en 1815. L’écho à la situation politique que vit la France sous le régime de Vichy est patent. « Il faut se reporter, dit bien le cinéaste, à l’occupation allemande, en 1942, pour juger ce film que nous avons voulu faire pour exalter la Résistance. Pas question à l’époque de traiter un sujet contemporain, mais par le truchement du personnage de Pontcarral, nous avons réussi à exprimer le sentiment de l’honneur qu’il incarnait dans toute son intransigeance… » Pontcarral, c’est donc l’histoire d’un baron et ancien colonel d’Empire sous Napoléon, méprisé de tous pendant la Restauration. Lorsque Garlone de Ransac, une fière aristocrate, lui propose de l’épouser, il y voit une possible revanche sur la société. C’était sans se douter que la redoutable Garlone l’utilise aussi pour une vengeance personnelle… Le film est porté par Pierre Blanchar, totalement habité dans son rôle de colonel-baron. Le comédien révèle ses grandes qualités d’acteur dans un jeu dénué d’emphase. Face à lui, deux femmes jouent deux caractères opposés. Suzy Carrier a du charme et de la spontanéité. Annie Ducaux, belle, hautaine et pourtant sensible, incarne l’élégance et la séduction aristocratique. C’est à la veille de la guerre que Jean Delannoy débute sa carrière de réalisateur. En 1939, il tourne son premier grand succès, Macao, l’enfer du jeu, qui ne sortit sur les écrans qu’en 1942, après que toutes les scènes avec Erich von Stroheim aient été refaites avec Pierre Renoir, Stroheim étant interdit d’écran par l’occupant. C’est aussi en 1942 que le cinéaste va connaître la consécration avec son Pontcarral tiré d’un roman d’Albert Cahuet. En 1943, ce sera l’apothéose avec L’éternel retour, écrit et coréalisé avec Jean Cocteau. Puis s’enchaineront Le Bossu (1944) où il retrouve Pierre Blanchar dans le rôle de Lagardère et plus tard La Symphonie pastorale (1946) qui remportera la première Palme d’or au Festival de Cannes. Jean Delannoy (1908-2008) laisse derrière lui une œuvre abondante. Féru des grands mythes et des histoires d’amour célèbres, il est grand amateur de films en costumes et aime transposer à l’écran les œuvres des grands auteurs (Notre-Dame de Paris en 1956 ou La Princesse de Clèves en 1961). Le film fut censuré en partie, l’occupant supprimant certains dialogues (rétablis à la Libération) tels que cette phrase de Louis-Philippe : « Il est temps de sortir la France de ses humiliations, de rendre à son drapeau un peu de gloire ». Lors de la première à Paris en décembre 1942, le public lui fit un triomphe en criant : « Vive la France ! » (Pathé)
FINALEMENT
Dans un monde de plus en plus fou, Lino, qui a décidé de tout plaquer, va se rendre compte que finalement, tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien ! A 86 ans, Claude Lelouch n’en a pas fini avec le cinéma. Et on s’en réjouit. Et si Finalement était son dernier film ? Allez savoir… Car le cinéaste d’Un homme et une femme a le cinéma tellement chevillé au corps qu’on se doute bien qu’il a encore envie d’y revenir. Voici donc l’histoire de Lino Massaro, un avocat réputé pour ses vibrantes plaidoiries. Déçu du monde dans lequel il vit, il décide de tout plaquer et de partir sur les routes de France. Frappé d’une maladie mentale, il est contraint d’exprimer ses sentiments les plus profonds. De quoi paraître cinglé à ses interlocuteurs. Mais c’est la musique (orchestrée par Ibrahim Maalouf et Didier Barbelivien) et sa trompette, qui pointe dans son sac, qui vont atténuer son malheur… Finalement s’inscrit pleinement dans l’oeuvre de Lelouch qui dit : « Je suis sincère quand je dis n’avoir fait qu’un seul film ». Puisque chacun a inventé le suivant. D’ailleurs ce 51e opus est lié plus spécialement à deux films précédents de Lelouch : L’aventure c’est l’aventure (1972) et La Bonne année (1973). Lino, le personnage principal incarné par Kad Merad, est le fils de Simon, campé par Lino Ventura dans La Bonne année. Quant à Sandrine, jouée par Sandrine Bonnaire, elle est la fille de Nicole, interprétée par Nicole Courcel dans L’aventure c’est l’aventure. Finalement prolonge aussi Itinéraire d’un enfant gâté (1988) en abordant le thème de la liberté. Belmondo comme Kad Merad, ici et pour la première fois chez Lelouch, dans leurs départs respectifs, incarnent ce sentiment : le désir de recommencer sa vie. Alors de quoi parle Finalement ? De la même chose que les précédents ! La vie et les relations humaines sous toutes leurs facettes avec l’amour, le sexe, l’amitié, la tristesse, la famille, la création, le cinéma, la France, la trahison, la politique… La musique aussi! Ce n’est pas la première fois non plus que Lelouch signe un film musical mais, pour Finalement, c’est une évidence. « Peut-être, dit le cinéaste, parce qu’on y évoque Dieu et que la musique est son langage. A chaque fois que l’on en écoute, on se sent porté… » Si on ajoute les beaux paysages de Bourgogne, d’Occitanie, le Mont Saint Michel ou Avignon et une ribambelle de comédiens (Michel Boujenah, Sandrine Bonnaire, Barbara Pravi, Elsa Zylberstein, Françoise Gillard, Françoise Fabian, Marianne Denicourt, Clémentine Célarié, François Morel, Raphaël Mezrahi), on tient un bon cru de Lelouch. (Metropolitan)
SAUVAGES
À la lisière de la forêt tropicale de Bornéo, Kéria recueille un bébé orang-outan trouvé dans la plantation de palmiers à huile où travaille son père. Au même moment, Selaï, son jeune cousin, vient trouver refuge chez eux pour échapper au conflit qui oppose sa famille nomade aux compagnies forestières. Ensemble, Kéria, Selaï et le bébé singe luttent contre la destruction de la forêt ancestrale, plus que jamais menacée. Mais pour Kéria, ce combat sera aussi l’occasion de découvrir la vérité sur ses origines… Après l’excellent Ma vie de courgette (César 2017 du meilleur film d’animation), le réalisateur Claude Barras revient avec un nouveau chef-d’œuvre du film d’animation en forme de conte familial et écologique au cœur de la jungle de Bornéo. Réalisé en stop-motion, ce film enchanteur à la fois drôle, sensible et touchant accomplit une belle prouesse technique. Avec ses couleurs chatoyantes, son univers visuel est d’une véritable splendeur, et l’on s’émerveille en découvrant la faune et la flore locales. L’ambiance sonore s’avère des plus immersives, faisant découvrir les riches sons de la forêt tropicale. Enfin, le doublage de qualité, avec les voix françaises de Benoît Poelvoorde, Michel Vuillermoz et Laetitia Dosch, donne vie à des personnages plein de charme. Si Sauvages (sélectionné au Festival de Cannes 2024 et nommé au César du meilleur film d’animation 2025) est une belle aventure initiatique pleine de tendresse et de péripéties, ce long métrage est aussi une magnifique fable pédagogique sur l’écologie. Véritable ode à la nature, à la forêt et à ses habitants, le film dénonce intelligemment la triste réalité de la déforestation et le désastre écologique qui en résulte, sensibilisant petits (à partir de 6 ans) et grands à des enjeux cruciaux. (Blaq Out).
LA VALLEE DES FOUS
Passionné de voile, Jean-Paul Choveau est dans une mauvaise passe. Il accumule les dettes et surtout s’éloigne des siens. Bien décidé à reprendre sa vie en main, ce type veuf et alcoolique s’inscrit à Virtual Regatta, la course virtuelle du Vendée Globe (course à la voile autour du monde, en solitaire, sans escale, ni assistance, ayant lieu tous les quatre ans, en novembre, au départ des Sables d’Olonne), en espérant remporter l’une des dotations accordées aux trois premiers de la course. Pour atteindre son objectif, et bien que la course soit virtuelle, il se met dans les conditions d’un vrai skipper en s’isolant pendant trois mois sur son bateau installé dans le jardin de son restaurant du côté de Port-la-Forêt dans le Finistère… Son vieux père et sa fille Camille n’en croient pas leurs yeux mais ce voyage pas comme les autres permettra à Jean-Paul de renouer avec sa famille, mais surtout avec lui-même. Après Albatros en 2021 qui racontait, avec beaucoup de force, la vie quotidienne des gendarmes entre vie privée et professionnelle devant la misère sociale, le suicide, les affaires de pédophilie, de vols, etc., Xavier Beauvois est de retour avec un loser même pas vraiment magnifique emporté dans une aventure de résilience. En imaginant l’océan dans son jardin, le pari que se lance ce participant virtuel au Vendée Globe a quelque chose d’un peu tragique. Heureusement Xavier Beauvois, réalisateur de N’oublie pas que tu vas mourir, prix du Jury au Festival de Cannes 1995 et de Des hommes et des dieux, Grand prix de Cannes 2010 et César du meilleur film en 2011, sait mettre en scène cette histoire poétique d’un homme à la dérive, réanimé par une idée folle. C’est aussi l’occasion pour le cinéaste d’évoquer, avec réalisme et justesse, des thèmes comme la solitude et la famille. Pour La vallée des fous, Beauvois peut enfin compter sur de bons comédiens avec Jean-Paul Rouve bouleversant de sensibilité en type qui se relève, Pierre Richard, 90 ans, épatant en vieux père ou Madeleine Beauvois, la fille du cinéaste, dans le rôle de Camille… (Pathé)
NICK CARTER VA TOUT CASSER
Scientifique français, le professeur Fromentin vient de mettre la touche finale à une invention qui sera capable de détruire toute sorte d’appareil volant. Un gang du crime international est très intéressé par cette invention afin de la vendre au plus offrant. Menacé, le scientifique, qui était ami avec le père de Nick Carter, appelle Nick à l’aide alors que ce dernier s’apprête à partir en vacances. Après avoir échappé à plusieurs attentats (sa voiture plonge notamment dans un ravin et prend feu), le privé se rend compte que c’est l’entourage proche du savant qui complote contre lui… Apparu en septembre 1886 dans une nouvelle de l’Américain John R. Coryell, le personnage du détective privé Nick Carter connaîtra une carrière au cinéma, dans les années 30 et 40, avec une trilogie de la MGM réalisée par Jacques Tourneur et Walter Pidgeon dans le rôle de Carter. En France, dans les années 60, c’est Eddie Constantine qui se glisse dans la peau du privé sans peur avec Nick Carter va tout casser (1964) puis Nick Carter et le trèfle rouge (1965) de Jean-Paul Savignac. Pour Henri Decoin dont on a vu, le mois dernier en Blu-ray, Dortoir des grandes avec Jean Marais, ce Nick Carter (qui sort dans une belle édition Blu-ray) marque l’adieu au cinéma après une carrière de quatre décennies. Porté par un Eddie Constantine (qui fut aussi Lemmy Caution) toujours à l’aise dans le registre cogneur décontracté qui ne craint pas de se colleter avec quatre ou cinq méchants à la fois, ce polar/nanar est du sous-007 filmé sans autre souci que de faire passer un peu de bon temps au spectateur… (Gaumont)
ZIG ZIG
Amies à la vie à la mort, Marie et Pauline se produisent tous les soirs dans un cabaret. Si elles chantent plutôt pas mal en se déhanchant devant des clients passablement avinés, elles se livrent aussi au tapin pour financer la maison de leurs rêves. Un soir, un kidnapping fait s’effondrer l’univers de Marie. Car elle découvre que Pauline (Bernadette Lafont) est impliquée dans l’affaire. Réalisé en 1974 par Laszlo Szabo, comédien fétiche de Jean-Luc Godard, assidu de la Cinémathèque d’Henri Langlois et compagnon de route de la Nouvelle vague, cette comédie, très singulière dans le paysage cinématographique de son époque, est une espèce d’ovni qui mêle le burlesque, le pastiche policier et le mélodrame psychologique. Manifestement, Szabo ne s’est pas trop cassé la tête avec un scénario qui part dans tous les sens, suivant tour à tour les aventures des deux chanteuses, la trajectoire de Jean Mortagne (l’inénarrable Huberrt Deschamps), commissaire retraité mais toujours futé et celle d’une bande de branquignols ravisseurs d’une chanteuse d’opéra sur le retour qui s’en finit pas de maltraiter Verdi. Zig Zig devait être une toute petite entreprise. Elle prit une autre tournure lorsque Catherine Deneuve s’intéressa au projet. La comédienne qui avait déjà joué avec Polanski (Répulsion), Demy (Les demoiselles de Rochefort), Bunuel (Belle de jour), Truffaut (La sirène du Mississipi), Melville (Un flic) s’en mordit, semble-t-il, les doigts. Dans un interview, elle raconta qu’il s’agissait d’un des tournages les plus chaotiques qu’elle ait vécu, le réalisateur étant constamment ivre sur le plateau… Un film rare, fantasmagorique, un thriller saisi par la bouffonnerie. (Pathé)
UNE CENDRILLON DÉLURÉE ET LA MEILLEURE VERSION D’UNE FEMME 
ANORA
Il a 21 ans, elle en a 23. Lui est un gamin pourri gâté, fils d’un oligarque russe. Elle est danseuse érotique dans un club de Manhattan où elle aguiche les clients pour les entraîner, selon leurs moyens, dans des cabines privées ou des salons VIP. C’est là qu’Ani et Ivan se rencontrent. Ivan, dont l’existence consiste à faire la bringue avec ses copains, voudrait bien jouer aussi à ces jeux-là. Mais avec une strip-teaseuse parlant la langue de Tolstoï. C’est le cas d’Ani. En riant, tous les deux se parlent en russe. La magie opère. Ivan tombe sous le charme de cette Cendrillon de Brighton Beach, touchante mais vénale. Sur la Croisette, Sean Baker n’est pas un inconnu. Il y a montré The Florida Project (2017) et Red Rocket (2021). Avec son huitième long-métrage, l’Américain signe une Palme d’or qui s’apparente à une… comédie, genre qui n’est pas, et de loin, le plus primé à Cannes ! Anora va ainsi devenir une variation assez singulière sur le mythe de Cendrillon, emblématique du cinéma de Sean Baker. Un conte ancien qui peut, dans le cadre d’une analyse psychanalytique et dans une optique plus spécifiquement sexualisante, poser deux images fondamentales de la femme tout en essayant de les concilier : l’idéal féminin, sublimé, qui attire tous les regards et l’image de la femme simple, sauvage et farouche après minuit. Grand ado dissolu, flambeur et immature, Ivan alias Vanya va se piquer au jeu. Ani est d’abord un épatant jouet érotique et le gamin l’embauche pour plusieurs rencontres sexuelles. Mieux, il s’attache à la jeune femme et lui offre 15 000 dollars pour qu’elle passe une semaine avec lui. L’occasion d’un voyage à Las Vegas fera le reste. Vanya demande la main d’Ani qui n’en croit pas un mot. Une petite chapelle blanche fait l’affaire. Et voilà la petite escort devenue Madame Zakharov. Les réseaux sociaux russes s’emparent de la nouvelle. Galina et Nikolai, les parents d’Ivan, s’alarment. Leur fils marié avec une prostituée ! Alors qu’Anora semblait raconter une (improbable) histoire d’amour, le film bifurque. Les parents Zakharov ont donné des ordres. Toros, Garnick et Igor sont chargés de récupérer Ivan et de mettre immédiatement en œuvre une procédure d’annulation du mariage. Commence alors une course-poursuite trépidante, drôle et sombre. Les nervis investissent le somptueux manoir dans lequel vivent Ani et Ivan. Ce dernier prendre la fuite. Ani est séquestrée, baillonnée mais toujours capable de hurler comme une furie et de distribuer des horions. Même s’il y a quelques longueurs et si Baker est parfois complaisant dans les scènes de sexe, Anora est une œuvre frénétique, qui fonce dans le tas. Baker, qui a souvent filmé l’Amérique des marges, réussit brillamment à montrer le côté moyennement flatteur du rêve américain en pleine dégringolade. Si Anora séduit, c’est aussi à cause de l’épatante performance de Mikey Madison qui fait de son Ani un personnage savoureux, déglingué et pathétique. L’acteur russe Mark Eydelshteyn campe joliment un jeune type richissime et en pleine débauche. Anora nous amuse d’abord avec une love story sur fond de lap dance puis avec une odyssée burlesque qui s’achève de manière bigrement mélancolique. Non, décidément non, Ani-Cendrillon n’a pas fini d’en baver… Quant aux Oscars, Anora a tout simplement raflé la mise : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur scénario original, meilleur montage ! (Le Pacte)
THE SUBSTANCE
Femme de la cinquantaine, Elizabeth Sparkle est la star d’une émission télévisée d’aérobic… Un besoin pressant la pousse à entrer dans les wc hommes. Là, elle entend le patron de la chaîne dire qu’elle a fait son temps. Bref, qu’Elizabeth est vieille et bonne à jeter. Elle se souvient qu’alors, aux urgences de l’hôpital où elle était prise en charge à la suite d’un accident de la circulation, une blouse blanche qui lui avait glissé une clé USB. Sur la clé, un message des plus intrigants. « Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? » Pour cela, il suffit d’essayer The Substance qui permet de générer « une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite ». La proposition tombe pile pour une Elizabeth complètement déprimée d’avoir été virée vite fait. Il suffit de respecter le mode d’emploi. Vous activez une seule fois. Vous stabilisez chaque jour. Vous permutez tous les sept jours sans exception. Il suffit de partager le temps. Simple comme bonjour. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? Révélée en 2017 par Revenge, un thriller d’horreur déjà, la cinéaste française Coralie Fargeat a connu, dès sa seconde réalisation, les prestigieux honneurs de la compétition officielle au dernier Festival de Cannes. Avec, pour cerise sur le gâteau, le prix du meilleur scénario pour The Substance qui le mérite tout à fait. Voici en effet du pur cinéma de genre avec de l’horreur qui ne se voile pas la face mais aussi une aventure dans laquelle on se glisse avec une réelle aisance. Probablement parce que cet univers de Barbies trop souriantes où tout n’est qu’apparence nous est familier. Là où la cinéaste réussit son coup, c’est lorsqu’elle revendique le côté extrême de son film, l’excès, la non-subtilité, le lâcher-prise. Au risque de secouer et heurter, elle ne s’est en effet privée de rien. Avec un discours féministe qui a l’intelligence de ne pas nier la complexité des choses, Coralie Fargeat distille une fable sur la chair et la métamorphose, sur la mutation des corps et l’inévitable finitude mais aussi une parabole de la reconnaissance et de l’amour qu’on va chercher dans les yeux des autres. Tout ce qui se passe dans The Substance, est lié au corps, qu’il soit beau et triomphant ou, plus tard, dans le délabrement. Tandis qu’Elizabeth Sparkle quête une sorte d’éternelle jeunesse ou tente au moins d’arrêter les outrages du temps, Sue, clone né de son dos, vit l’ivresse d’une célébrité aussi instantanée que forcément passagère. Le souci, c’est que l’une et l’autre vont rapidement oublier que la voix qui vend cette modification cellulaire de leur ADN, répète « You are One », autrement dit tout ce qui est pris d’un côté est perdu de l’autre… En limitant beaucoup les dialogues, The Substance repose sur une mise en scène rapide, rythmée, allègre et colorée, qui apprécie les plongées, les images anamorphiques, les cadrages en très gros plan. Enfin, cette odyssée de deux belles virant à des freaks peut s’appuyer sur deux comédiennes qui se donnent à fond. Demi Moore et Margaret Qualley (Sue) s’emparent avec brio des deux faces d’une même entité. A 61 ans, la star de Ghost (1990), primée aux Golden Globes, n’a pas dit son dernier mot. Elle donne toute la mesure de son talent, n’hésitant pas à se montrer nue pour affronter sa jeune concurrente dans cette monstrueuse parade en forme de quête absolue de la beauté. (Metropolitan)
JURÉ N°2
Clint Eastwood est tout simplement une légende, peut-être la dernière, d’Hollywood. Acteur d’abord (ah, Harry Callahan, matricule n°221 de la police de San Francisco) puis, au début des seventies, réalisateur avec une carrière remarquable (Pale Rider, Bird, Impitoyable, Un monde parfait, Sur la route de Madison, Mystic River ou Million Dollar Baby). Et si l’aventure devait maintenant toucher à sa fin ? Le 41e film d’Eastwood, 94 ans, a été annoncé comme l’ultime œuvre du maître. Justin Kemp a tout d’un bon futur père de famille. Il chouchoute son Ally et est prêt à tout pour se faire exempter de son rôle de juré. Il a été tiré au sort pour un procès qui doit juger un certain Sythe accusé d’avoir assassiné sa petite amie Kendall Carter. Kemp demande à être dispensé de son rôle de juré pour rester au côté de sa femme. En fait, il sait qu’il est à l’origine de l’acte criminel qui vaut à Sythe de comparaître.. Kemp se trouvait en effet dans le bar où Sythe et Kendall s’engueulaient copieusement. Dehors, le couple continue à se quereller avant que l’une et l’autre s’éloignent. Kemp, lui, est monté dans sa voiture et a aussi pris la route. Dans la nuit noire, sous une pluie battante, il heurte ce qu’il pense être une bête sauvage. Bientôt, il découvre qu’il a percuté Kendall, la jetant dans le fossé où elle succombe à ses blessures. Avec ce Juré n°2, Eastwood s’inscrit complètement dans les codes d’un genre qui a toujours été en vogue dans le cinéma américain : le film de procès. On retrouve donc ici la grande salle d’audience, la présidente sur son estrade, et, sur leurs bancs, l’avocat de la défense et le représentant de l’accusation, en l’occurrence la procureure adjoint Faith Killebrew, une battante, habillée d’un tailleur très couture, qui ne lâche jamais son os. A travers le décorum du procès et ses péripéties, Eastwood cerne les différentes personnalités en lice, ainsi Faith Killebrew (Toni Collette) en campagne politique pour son élection au poste de procureure générale. Une lourde condamnation de Sythe serait une aubaine dans cette campagne. Mais, évidemment, c’est Justin Kemp qui se trouve au centre du dispositif filmique. Car le juré n°2, taraudé par le dilemme moral « se protéger ou se livrer » va, petit à petit, révéler les facettes troubles de sa personnalité. On retrouve ainsi ce jeune type, rédacteur dans un petit magazine, dans une réunion des Alcooliques anonymes où l’animateur lâche un prémonitoire « On ne souffre que de nos secrets ». Quand, enfin, l’audience sera achevée, vient le temps du délibéré. On ne peut alors s’empêcher de songer au célèbre Douze hommes en colère (1957). L’accusé est (forcément) coupable et tout le monde a envie de vite rentrer chez soi. Justin Kemp va vouloir instiller le doute chez ses confrères jurés. A cette nuance près, que le personnage d’Henry Fonda chez Lumet avait relevé les failles de l’enquête alors que Kemp, pris dans la tourmente, connaît la vérité et semble souvent sur le point de se prendre les pieds dans le tapis… Nicholas Hoult incarne ce garçon propre sur lui, pilier d’une idéale famille américaine. Mais, comme souvent chez Eastwood, le mal est à l’oeuvre et le venin du mensonge comme le dysfonctionnement de la société viennent « pourrir » une image idyllique. La violence est toujours tapie dans un coin et jusque sur le pare-chocs d’une Toyota verte. Indécrottable Américain et vrai humaniste, Clint Eastwood s’applique souvent à glisser un once d’espoir dans ses films. Mais, ici… (Warner)
AMADEUS
Vienne novembre 1823. Au beau milieu de la nuit, un vieil homme égaré crie : « Pardonne, Mozart, pardonne à ton assassin ! ». Sa chambre étant verrouillée, ses serviteurs tentent de l’allécher avec des pâtisseries mais n’entendent que des sons étouffés suivis d’un cri tranchant. Ils enfoncent la porte et tombent sur leur maître tenant un couteau dans la main et la gorge ruisselante de sang. Cet homme n’est autre qu’Antonio Salieri, jadis musicien réputé et compositeur de la Cour. Sa tentative de suicide le conduit tout droit à l’hôpital psychiatrique, où il est entendu en confession par un prêtre, le père Vogler. L’homme se souvient de ses années d’enfance et de jeunesse où son talent lui vaut durant quelques années les plus hautes distinctions. C’est alors que le monde entend parler d’un jeune garçon du nom de Wolfgang Amadeus Mozart, promu à travers toute l’Europe par son père Léopold. Son brio enchante les plus grands personnages et les cours les plus brillantes… En 1781, le jeune Mozart fait irruption à Vienne. Son génie éclate. Salieri en est le premier convaincu. Quand on a du talent mais qu’on est confronté au génie, comment survivre ? Comprenant la menace que représente pour sa carrière le jeune Mozart, Salieri, fou d’orgueil, rejette Dieu et essaie d’évincer Mozart tout en l’approchant pour savoir pourquoi il est si doué. En 1984, émigré à Hollywood depuis 1971, le cinéaste tchèque Milos Forman donne son cinquième film américain en adaptant la pièce éponyme de Peter Shaffer (également auteur du scénario) pour signer une œuvre brillante et fastueuse. A travers le personnage d’un Mozart génial mais sans grande éducation et d’une spontanéité (le grand gamin ne craint pas le caca-prout !) qui détonne dans l’univers compassé de la cour, Forman va construire une image de Mozart qui va s’ancrer dans l’imaginaire populaire tout en faisant aussi de Salieri (l’excellent F. Murray Abraham) un être maléfique. Enorme succès mondial (4,6 millions de spectateurs en France) couronné de huit Oscars dont celui de meilleur film et meilleur réalisateur, Amadeus ressort, en version restaurée 4K, dans une belle édition collector présentée en steelbook avec un livret, des cartes collector et posters. On n’a pas fini -et on s’en réjouit- d’entendre le rire de crécelle de Tom Hulce et, évidemment, les airs des Noces de Figaro, de La flûte enchantée ou les accents tragiques du Requiem. (Warner)
MAI ZETTERLING – LE CINEMA SUEDOIS AU FEMININ
Née en 1925 en Suède, Mai Zetterling fut d’abord comédienne, tournant notamment avec des cinéastes britanniques mais aussi avec l’incontournable Ingmar Bergman (Musique dans les ténèbres en 1948). Dans les années soixante, elle oriente sa carrière vers la réalisation et va signer, entre 1964 et 1986, une dizaine de longs-métrages. Elle va alors s’imposer, par sa voix franche et puissante, comme une pionnière du cinéma féministe. Ainsi, présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 1965, Les amoureux est le premier d’une série de films consacrés prioritairement à l’étude de la condition féminine, interprétés par les stars les plus emblématiques du septième art suédois comme Harriet Andersson, Ingrid Thulin, Erland Josephson, Gunnel Lindblom, Anita Björk ou Eva Dahlbeck… Dans sa remarquable politique de défense et de promotion du cinéma de répertoire, Carlotta Films sort, pour la première fois en Blu-ray et dans une nouvelle restauration 2K, un beau coffret regroupant quatre films majeurs (et volontiers provocants) de la cinéaste suédoise disparue en mars 1994. On retrouve ainsi Les amoureux (1964) où, dans la Stockholm de 1915 et alors que la guerre vient d’éclater, trois femmes sont ensemble dans une clinique au moment d’accoucher. Elles se remémorent les instants marquants de leurs existences comme autant de jalons de la condition féminine en Suède depuis le début du siècle. Dans Le Monde, Jean de Baroncelli observe : « On connaît la franchise des Suédois à l’égard des problèmes sexuels. Ils disent et montrent le plus tranquillement du monde des choses que l’on n’évoque ailleurs que par de prudentes allusions. Certaines images des Amoureux ont choqué le public ». Le baroque Jeux de nuit (1966) raconte le retour de Jan dans la demeure de sa jeunesse où il fut (à peine) élevé par des parents hédonistes et négligents. Ce retour, sur fond de souvenirs, va bouleverser son existence et celle de sa compagne. Les filles (1968) met en scène la tournée d’une troupe de théâtre dans la province suédoise. Trois comédiennes amies jouent ensemble Lysistrata d’Aristophane. Le message de prise de conscience et de révolte féministe avant la lettre contenu dans cette comédie antique, agit sur les actrices comme un révélateur. Chacune va se rebeller à sa façon. Amorosa (1986) évoque la vie de la romancière Agnes von Krusenstjerna (1894-1940) dont les écrits traitent de la folie, de l’émancipation des femmes et de sexualité. Enfin, le coffret contient plus de trois heures de suppléments. Ainsi trois courts-métrages dont Le jeu de la guerre (1962, 15 mn), la toute première réalisation de Mai Zetterling. Avec Michèle Rozier, la cinéaste co-signe Réalité Fiction : Mai Zetterling (1977 – 50 mn) avec quatre segments où fiction et documentaire s’entremêlent pour former une mise en abyme passionnante, d’une humanité profonde. Dans Des phoques et des hommes (1981- 30 mn), la cinéaste capte, sur les vastes étendues glacées du Groenland, de saisissantes images de chasse au phoque. Trois actrices dans leurs rôles de Christina Olofson (1996 – 77 mn) réunit, après le décès de la cinéaste, les trois actrices des Filles dans sa maison en France. Enfin, on trouve ici deux entretiens avec la cinéaste : Ciné 3 : Mai Zetterling à Paris (1975 – 7mn) où elle aborde l’importance à la fois cinématographique et politique d’un regard de femme sur les femmes et sur leur condition et Rencontre avec Mai (1984 – 10 mn) où elle revient sur son parcours de cinéaste et sur la misogynie de son milieu, dont elle déconstruit les a priori sexuels. (Carlotta)
MISERICORDE
Jérémie Pastor retourne à Saint Martial, son village d’enfance de l’Aveyron, pour l’enterrement du boulanger, son ancien patron. Martine Rigal, sa veuve, touchée par sa présence, lui propose de passer la nuit dans leur maison, dans la chambre de leur fils Vincent, aujourd’hui marié, et qui fut un camarade de collège de Jérémie. Le trentenaire apprécie de passer à nouveau du temps dans ce village et décide de s’y attarder quelques jours. Il y retrouve aussi Walter, un autre ancien camarade qui vit isolé dans sa ferme, et fait connaissance avec Philippe Griseul, un curé aux intentions étranges. Entre Jérémie et ces différents personnages, entre une disparition mystérieuse et un voisin menaçant, le désir et la violence commencent à circuler. Les films d’Alain Guiraudie laissent rarement indifférents. Il n’est que de se souvenir de L’inconnu du lac (2013) découvert au Festival de Cannes. Et ce sera encore le cas avec Rester vertical (2016), également découvert sur la Croisette. Avec Miséricorde, le cinéaste, originaire de l’Aveyron, en fondant partiellement son scénario sur son roman Rabalaïre (en occitan, un homme qui va chez les uns et chez les autres et qui ne tient pas en place) publié en 2021, entreprend à nouveau un périple dans ces contrées qui lui sont familières et qui emportent le spectateur dans une ruralité impressionnante où l’homme se débat, en toute ambiguïté, autant avec la nature qu’avec ses élans et ses désirs. Mêlant le polar, la tragédie avec même une pointe de burlesque et d’humour noir, le réalisateur explore, non sans malice, les pulsions refoulées d’un village aveyronnais au travers d’un « étranger » qui tisse ou renoue des liens. Distillant un cinéma sous tension dans un récit initiatique mâtiné de fantastique, Alain Guiraudie met aux prises un homme disponible avec une série de types avec lesquels il va partager des émotions sensuelles ou sexuelles. Le cinéaste développe toujours une profonde empathie pour des comédiens qu’il regarde, lui aussi, avec sensualité. C’est le cas de Félix Kysyl, la découverte de Miséricorde, dans le rôle de Jérémie mais aussi de Jacques Develay (le curé Griseul), de Davaid Ayala (Walter) ou encore de Catherine Frot qui, avec sa Martine Rigal, se trouve fort loin, de ses emplois habituels… Miséricorde (qui propose, en supplément, un entretien d’une demi-heure avec le metteur en scène) a obtenu le prix Louis-Delluc 2024 et a été nominé pas moins de huit fois aux César 2025. (Blaq Out)
DORTOIR DES GRANDES
Etablissement privé pour jeunes filles (riches) dans une petite ville de province, le collège de Méremont est en émoi. Vissia, une jeune pensionnaire, a été découverte étranglée et ligotée sur son lit. Le commissaire Broche, après un tour dans les lieux, confie le dossier à l’inspecteur Désiré Marco, lui mettant le pied à l’étrier pour réussir sa première enquête criminelle. Marco déboule dans le collège et va semer la « panique » autant chez Madame Hazard-Habran, la revêche directrice que chez les profs, toutes femmes, sans oublier des élèves qui n’entendent pas se laisser bousculer par le séduisant flic et qui vont même le harceler… En 1953, Henri Decoin, prolifique metteur du cinéma français des années trente à soixante, qui venait de tourner La vérité sur Bébé Donge avec Jean Gabin et Danielle Darrieux, son épouse de 1935 à 1941, adapte 18 fantômes, le roman du Belge Stanislas-André Steeman. Il réussit un allègre policier dans lequel il enchaîne, autour des recherches de Désiré Marco, de bonnes séquences tant dans les rapports entre le flic et la directrice (l’épatante Denise Grey à l’impressionnant abattage) qu’avec des gamines plutôt déssalées parmi lesquels on reconnaît Françoise Arnoul et une débutante, Dany Carrel, qui se désolait de ce film dans lequel elle se trouvait ronde et moche ! In fine, l’ingénu inspecteur Marco mettra tout ce petit monde au pas avec l’aide de Julie (Jeanne Moreau), la serveuse du restaurant La jument verte tenu dans le village par Emile (Noël Roquevert) et après avoir compris les agissements du peu reluisant Triboudot (Louis de Funès) qui tient la boutique de photographies de Méremont. Au terme d’une reconstitution où le cinéma tient une place de choix (Vissia avait la passion des images!), la vérité tombera ! Jean Marais incarne, ici, un Désiré Marco très tombeur et qui ne laisse aucune des collégiennes (pas si angéliques que ça) indifférentes. Le comédien, qui avait déjà joué dans Orphée (1950), Nez de cuir (1952) et Le comte de Monte Cristo (1953), s’impose alors comme le grand jeune premier du cinéma français. Dortoir des grandes contient des allusions, rares pour l’époque, aux relations homosexuelles entre une élève et sa professeure de maths. Dans les suppléments de ce film qui ressort en Blu-ray, on évoque aussi la manière dont Decoin joue avec l’ambiguïté de Jean Marais à travers la fétichisation de son corps et de son visage… (Gaumont)
LOUISE VIOLET
Dans un bureau poussiéreux, un fonctionnaire informe Louise Violet qu’elle a obtenu un poste d’institutrice. Et observe que la République a été bien généreuse avec la jeune femme, compte tenu de son passé… Le type est persuadé qu’elle ne tiendra pas trois mois dans son poste. Voilà donc Louise Violet, longue robe sombre et petit bibi sur la tête, partant dans de vastes paysages de la campagne française. Dans un petit village, elle a pour mission, en cette année 1889, d’imposer l’école de la République, une école gratuite, obligatoire et laïque. Mais l’institutrice est bien mal accueillie… Joseph, le maire de la commune, doit bien fournir à Louise Violet, un endroit pour vivre. Ce sera une vieille étable. Louise dormira sur la paille, avec une vache pour lui tenir chaud. Mais la jeune femme, qui remarque « qu’elle vit en hiver depuis tellement longtemps », n’est pas vraiment du genre à baisser les bras… Alors que l’actualité tourne constamment le projecteur sur l’Education nationale, Louise Violet apporte un éclairage « ancien » sur les rudes combats de ceux qu’on surnommait, selon la formule de Péguy, les Hussards noirs de la République. Car Louise Violet est l’une de ces institutrices de la IIIe République envoyée sur le terrain pour propager le savoir en étant convaincue que «les capacités sont partout ». Dans le village reculé où elle débarque (le tournage a eu lieu dans la Haute-Loire et le Puy de Dôme), elle est loin d’être la bienvenue. D’abord, elle est une étrangère et si elle entend imposer l’école, elle deviendra une ennemie. Pour aborder les concepts de République et d’éducation, Eric Besnard a tourné un film sur l’école de Jules Ferry puis sur les premières institutrices envoyées dans les campagnes et projetées dans un monde d’hommes à la fin du 19e siècle. Autour de Louise Violet, femme qui porte un terrible secret, voici une chronique rurale, avec le temps et les saisons qui passent, avec des paysans dont l’identité passe par la terre, un bien inestimable. Lorsqu’une « partageuse », nourrie aux thèses de Proudhon et du fameux « La propriété, c’est le vol », vient leur imposer l’école, la tension est inévitable. Avec une Alexandra Lamy en femme forte qui cache ses blessures et un Gregory Gadebois en maire massif mais bouleversé par cette nouvelle venue, Louise Violet est un film attachant et sans doute nécessaire. (Studiocanal)
LIFE IS CHEAP… BUT TOILET PAPER IS EXPENSIVE
Un jeune homme est chargé de transporter une mallette menottée à son poignet de San Francisco à Hong Kong pour la remettre à un certain M. Lo. Mais une fois sur place, le destinataire est introuvable. Impliqué dans la mafia chinoise, celui-ci doit faire face à des dissensions au sein de son organisation. Après s’être fait dérober la mallette par deux truands, le jeune homme va se rapprocher de Money, la mystérieuse et superbe maîtresse de M. Lo… Si le pitch du film (dont le titre provocateur indique d’emblée le ton) ressemble à celui de bien des polars hong-kongais, force est de reconnaître que l’on découvre vite un univers de cinéma qui la joue joyeusement et furieusement déjanté, quelque part entre une avant-garde américaine et une Nouvelle vague asiatique. Reconnu dans les années 1990 avec Smoke (1992) et Brooklyn Boogie (1995), ses deux adaptations de Paul Auster, Wayne Wang a débuté, dans les années 1970, en jouant la carte de l’irrévérence comme en atteste Life is Cheap, sorti en 1989 et inédit en France. Le film est désormais disponible pour la première fois en Blu-ray dans sa version Director’s Cut et une nouvelle restauration 4K. Wang arrive dans sa ville natale avec un tournage libre sans scénario préétabli ou presque mais autour d’un principe directeur : une succession de portraits de personnages hors normes flirtant avec la pègre locale. Il tourne dans les rues de la mégalopole pour capturer la mythologie et l’esprit d’une ville et d’une époque aujourd’hui disparues, celles du Hong Kong d’avant la rétrocession. Voici un vibrant kaléidoscope avec des bouchers tueurs de canards, des familles aisées organisant des mariages pour leurs enfants, des prostituées râlant contre leurs clients, des techniciens enregistrant des bruits de sexe pour des bandes-son porno ou des taxis fonçant dans les rues… Autour d’un personnage sans nom (Spencer Nakasako), portant un chapeau digne du western classique et qui constitue une sorte de fil rouge au coeur de l’action, Wang a construit une comédie néo-noire à l’esprit punk qui ne craint même pas la scatologie… Dans les suppléments, on trouve un entretien avec Wayne Wang (24 mn) dans lequel le cinéaste, né à Hong Kong de parents chinois et exilé aux États-Unis pour ses études, parle de son éducation et de ses influences, avant d’évoquer ses premiers pas au cinéma et le rapport qu’il entretient avec son pays d’origine. Dans Retour sur Life is cheap… (29 mn), Wayne Wang et Spencer Nakasako, acteur, scénariste et coréalisateur du film, reviennent en détail sur la genèse et le tournage de Life is Cheap… ainsi que sur le lien existant à l’époque à Hong Kong entre le milieu de la mafia et celui du divertissement. Enfin on découvre la version longue (10 mn) de la scène de la poursuite en caméra subjective qui est l’un des moments-culte du film. (Carlotta)
JE VOUS TROUVE TRES BEAU
Agriculteur dans la Drôme, Aymé Pigrenet vient de perdre son épouse lors d’un accident domestique. Il ne tenait pas vraiment à sa femme, une vraie mégère, mais elle était bien utile pour le travail à la ferme et pour s’occuper de la maison. Il lui faut trouver une nouvelle femme de toute urgence pour l’aider dans ses tâches car, seul, il ne s’en sort plus. Ne sachant pas comment retrouver une épouse, il s’inscrit dans une agence matrimoniale. La responsable lui conseille d’aller en Roumanie, où les filles sont prêtes à tout pour quitter leur misère. Il ramène Elena, une jeune Roumaine qui cache à Aymé qu’elle a une petite fille, Gaby. Aymé prétexte auprès de ses proches qu’elle est une lointaine parente de sa défunte épouse, venue en France pour un stage dans sa ferme. Face à un Pigrenet incapable d’un once de tendresse, Elena va vite ressentir la nostalgie de son pays. Les efforts d’Elena pour séduire Aymé semblent vains. Mais lorsqu’il se rend compte qu’il va perdre Elena, Aymé va, pour lui redonner le moral, retirer toutes ses économies de la banque et les remettre à la jeune femme en lui faisant croire qu’il a gagné aux courses. Mais, convaincu qu’Elena n’est pas à sa place à la ferme, il la laisse repartir en Roumanie. Elena utilise l’argent pour ouvrir une école de danse… Pour sa première réalisation en 2005, l’actrice, scénariste, dramaturge, chroniqueuse de radio (notamment les Grosses têtes sur RTL) Isabelle Mergault signe une bonne comédie dramatique qui sera d’ailleurs couronnée du César du meilleur premier film. Loin de ses prestations comiques au sein de la troupe du Splendid, Michel Blanc compose, avec le personnage d’Aymé Pigrenet, un homme torturé par la vie qui, en cherchant une « épouse de remplacement » pour les travaux de la ferme, va peu à peu se révéler sous son meilleur jour. Pour le rôle d’Elena, la cinéaste a trouvé la ravissante comédienne roumaine Medeea Marinescu et les deux acteurs se donnent joliment la réplique… Ce film, dont le titre correspond à la phrase standard en français apprise par toutes les candidates roumaines au mariage lors de l’entretien de l’agence matrimoniale, a enfin été un succès commercial sur les écrans français avec plus de 3,3 millions de spectateurs. (Gaumont)
CASIER JUDICIAIRE
Au sortir de prison, Joe Dennis, gangster repenti, est engagé dans un grand magasin dont le directeur recrute une partie de son personnel chez les anciens détenus afin d’aider à leur réinsertion professionnelle et morale. Dans le même magasin, travaille Helen Roberts (Sylvia Sidney), elle aussi libérée sur parole, ce qui, selon la loi américaine, est un motif d’interdiction de mariage. Epris d’elle, Joe (George Raft) épouse Helen qui, de peur de le décevoir, lui cache son passé criminel. Lorsqu’il découvre la vérité sur sa femme qui a tout fait pour tenir leur union secrète, Joe, trahi et déçu, revient vers ses anciens complices et se lance par désespoir dans la préparation d’un mauvais coup. Mais Helen parvient à convaincre la bande de renoncer à son projet, en expliquant, craie en main au tableau noir, que « le crime ne paie pas ». Un enfant scellera in fine l’amour d’Helen et de Joe, en présence de tous leurs amis réunis à la maternité… Au terme d’une brillante carrière allemande marquée par des chefs d’oeuvre comme Metropolis (1927) ou M le maudit (1931), Fritz Lang tourne le dos à l’Allemagne nazie alors même que Goebbels voulait lui confier les clés de l’industrie du cinéma allemand. Lang répondit qu’il était juif. Et Goebbels rétorqua : « M. Lang, c’est nous qui décidons qui est juif… » Après un passage par Paris, Lang arrive à Hollywood où il va tourner une trilogie réaliste et sociale, trois films tous interprétés par Sylvia Sidney. Furie (1936) est un pamphlet sur le lynchage et la volonté de puissance. L’année suivante, J’ai le droit de vivre est une tragédie sur un couple pourchassé par la police inspirée par l’histoire de Bonnie et Clyde. Enfin Casier judiciaire (1938) est, cette fois, une fantaisie sur l’inutilité du vol. Si les deux premiers volets de la trilogie sont remarquables, You and me (titre original) apparaît comme une œuvre mineure mais efficace dans la filmographie de Lang sur une thématique qui semble plutôt appartenir à l’univers d’un Capra. Pour Lang, l’affaire ne fut pas de tout repos puisque le grand Kurt Weill, chargé d’écrire la musique (on en entend un peu de sa part qui donne au film une petite coloration de musical) trouva un autre travail et laissa Lang en plan. Dans You and me, Helen lance : « Les gros bonnets ne sont pas des petits truands comme vous. Ils font de la politique. » Savoureux ! (Rimini éditions)
LE GRAND PARDON
A Pascal Villars, l’ambitieux truand qui a décidé de prendre sa place, Raymond Bettoun lance : « Tu n’as pas peur au moins ? T’as aucune raison d’avoir peur. Tu sais pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui chez les Juifs, c’est le Kippour. Tu te rends compte de la chance que tu as ? C’est le Grand Pardon… Ce jour-là, le Grand Pardon, on peut rien faire ; ni travailler, ni recevoir de l’argent, ni… rien quoi. Sinon on est rayé du Livre. Aujourd’hui, dans le monde entier, tous les Juifs, ils pardonnent à ceux qui leur ont fait du mal. Tous les Juifs. Sauf un, moi. Moi, je pardonne pas ! » En 1982, Alexandre Arcady raconte l’aventure du clan Bettoun, une famille mafieuse qui évolue dans le milieu du crime organisé français et de son patriarche, Raymond, un Juif pied-noir du sud de la France, toujours soucieux de cultiver « l’esprit de famille méditerranéen ». On a parfois tenté une comparaison entre Le grand pardon et le Parrain de Coppola. C’est quand même aller très vite en besogne ! Car le film d’Arcady est surtout la saga (policière), volontiers truculente et passablement folklorique, d’une grande famille séfarade. Le tout sur fond de règlements de comptes sanglants. Dans son combat pour garder le pouvoir, notamment en évinçant son concurrent Carreras du casino de Biarritz ; Raymond Bettoun est ciblé par le commissaire Duché, un flic teigneux décidé à le mettre à genoux. Un flic qui ose : « Je ne vous aime pas Bettoun. Vous sentez l’huile. Et j’ai l’odorat délicat. » Le grand pardon (qui sort dans la collection Nos années 80) doit beaucoup à la stature et à la faconde pataouète de Roger Hanin qui fait de son Bettoun une figure aussi flamboyante qu’inquiétante. Pour faire bonne mesure, Hanin est entouré d’une sacrée galerie de comédiens : Richard Berry, Bernard Giraudeau, Jean-Pierre Bacri, Gérard Darmon, Jean-Louis Trintignant, Clio Goldsmith, Richard Bohringer, Anny Duperey, Robert Hossein, Sam Karmann, Jean Benguigui, Armand Mestral. Excusez du peu ! Le succès du Grand pardon donna naissance à une suite. Un n°2 où la famille Bettoun part à la conquête de l’Amérique. (Gaumont)
A TOUTE ALLURE
Marianne est officier sous-marinier et commandant en second du sous-marin nucléaire d’attaque Le Fringant. Marco Mariani est steward dans les longs-courriers d’une compagnie aérienne. Au hasard d’une escale, ils se rencontrent et c’est le pur coup de foudre. Mais leur belle histoire va vite se heurter à la rigueur des règlements de la Royale. Qu’à cela ne tienne ! Quand il est amoureux, Marco est prêt à tout, y compris à monter clandestinement à bord du Fringant pour rapporter à son aimée le médaillon qu’elle avait égarée. Secrètement séduite par l’aplomb de son amoureux, Marianne est cependant consciente qu’il sera bien difficile de filer le parfait amour à bord. D’autant que le patron, le capitaine de frégate Benazech, n’hésite pas une seconde à mettre Marco aux fers. Et du côté des autorités, on commence à se demander si l’amoureux têtu n’est pas un espion ! On avait remarqué Lucas Bernard en 2019 avec Un beau voyou, une bonne et intrigante comédie policière avec Charles Berling et Swan Arlaud. Le réalisateur est de retour, ici, avec un second film en forme, cette fois, de comédie romantique. Pour porter cette aventure sentimentale qui se regarde avec plaisir, il peut s’appuyer sur un Pio Marmaï savoureux en steward qui a toujours le mot pour rire et capable d’aller jusqu’au bout du monde ou des océans. A ses côtés, en Marianne, Eye Haïdara, une habituée des comédies (on l’avait vu en 2017 en chef de rang dans Le sens de la fête de Nakache et Toledano) ou encore José Garcia en gradé de la Marine. A toute allure joue la carte de quelques références de thrillers sous-marins (Octobre rouge ou USS Alabama) et de comédies d’espionnage dans la lignée d’OSS 117. Sur la chanson Le coup de soleil (celle qui dit : J’ai attrapé un coup de soleil, un coup d’amour, un coup d’je t’aime – J’sais pas comment, il faut qu’j’me rappelle, si c’est un rêve, t’es super belle – J’dors plus la nuit, j’fais des voyages sur des bateaux qui font naufrage…), le scénario tient bon la route et l’ensemble distille une agréable bonne humeur. (Gaumont)
LE CHOIX
Chef de projet dans une importante entreprise de construction immobilière, Joseph Cross doit diriger une manoeuvre particulièrement importante, avec la coulée de plusieurs centaines de tonnes de béton pour les fondations d’une tour qui devrait s’élever particulièrement haut. Mais, en fin de journée, il répond à un appel téléphonique qui l’incite à prendre la route sans tarder. Tout en conduisant sa voiture, il passe de nombreux appels téléphoniques et répond également à beaucoup d’autres, parfois avec les mêmes interlocuteurs. Parmi ceux-ci, sa femme Catherine, Damien, son assistant sur le chantier, Garcia un autre collègue, ainsi qu’une autre voix féminine répondant au prénom de Béatrice et un gamin, en l’occurrence son fils Lucas qui regarde un match de foot à la télé et qui attend son père qui devait le regarder avec lui. Sauf qu’il y a un imprévu, car Joseph ne se dirige pas vers son domicile, mais vers une maternité… Autant de coups de fil pour faire face aux conséquences de ce qu’il vient d’apprendre. Les choix qu’il va faire vont remettre en question sa vie professionnelle comme personnelle. Connu pour son beau Renoir (2013) où Michel Bouquet était le grand peintre impressionniste et Christa Théret son modèle Dédé Heuschling, Gilles Bourdos signe, ici, le remake du film américain Locke réalisé en 2013 par Steven Knight avec Tom Hardy dans le même rôle principal du chef de projet dans l’immobilier. Tourné dans une voiture fonçant, de nuit, sur de grandes et larges routes de la région parisienne, Le choix se construit sur une succession de choix cruciaux avec le risque, pour Cross, de démolir tout ce qu’il a bâti. Comme il le fait souvent, Vincent Lindon incarne, ici, un type solide comme le béton qu’il manipule dans sa vie professionnelle. Mais sa vie parfaitement organisée va, en une nuit, se lézarder. Et Cross sait qu’il peut tout perdre : son travail, sa femme, ses enfants et même sa fierté. (UGC)
EN TONGS AU PIED DE L’HIMALAYA
Pauline, la maman d’Andréa, six ans et demi, est au bout du rouleau. Son adorable petit garçon a été diagnostiqué TSA, autrement dit, il souffre d’un « trouble du spectre autistique ». Même s’il n’est pas vraiment au niveau, il est toujours scolarisé et s’apprête à faire sa rentrée en grande section de maternelle. Pour Pauline, sans revenus fixes et récemment séparée de Fabrice, le père d’Andréa, tout semble concourir à faire de sa vie une succession d’échecs. Or pour Andréa, c’est une année cruciale qui va déterminer s’il peut ou non rester scolarisé et obtenir ainsi une meilleure chance de voir son état s’améliorer. Mais pour cela, Andréa a besoin de stabilité. Pour Pauline, lui apporter cette dimension indispensable, c’est un peu (beaucoup) gravir l’Himalaya en tongs… Avec En tongs au pied de l’Himalaya, John Wax réalise son premier long-métrage en s’appuyant sur un « seule en scène » éponyme montée, juste avant le confinement, par son amie Marie-Odile Weiss qui y évoquait une histoire personnelle, celle de mère d’un enfant autiste. Celle-ci n’en donna qu’une représentation… C’est Marie-Odile Weiss qui co-signe, ici, le scénario de cette comédie dramatique qui explore, avec une touchante humanité, les défis quotidiens d’une famille face à la maladie. Sans tomber dans le pathos, le film alterne l’humour et la tendresse autour d’un thème évidemment assez lourd. John Wax a trouvé avec Audrey Lamy la comédienne idéale pour se glisser dans la peau d’une femme et d’une mère perdue face à l’ampleur du problème incarné par un gamin supposé « invivable ». « Mais, dit le cinéaste, ce n’est pas un film que sur l’autisme, c’est une histoire qui raconte comment on se reconstruit quand on est une femme de 40 ans, séparée avec un enfant. Ayant deux enfants de deux femmes dont je suis séparée, c’est un sujet qui me parle… » (Le Pacte)
CHALLENGER
Surnommé le Kid d’Amiens, Luka Sanchez rêve d’être un grand boxeur… Malheureusement, pour l’instant, il n’est qu’amateur (il bosse dans la restauration), un peu trop enveloppé et doit se contenter de petits combats foireux. Mais un jour, le destin frappe à sa porte et propulse notre héros au sommet ! Challenger, c’est l’histoire d’un boxeur très modeste, pour ne pas dire un parfait loser, qui se raconte de belles histoires dans sa tête mais qui n’ira jamais très loin. Mais évidemment depuis qu’un certain Rocky Balboa est monté sur le ring… du cinéma, on sait que rien n’est impossible entre les cordes. Rocky s’était promis de tenir deux rounds et on sait ce que ça a donné. Alors Luka Sanchez se prend, lui aussi, à rêver. Lorsque, dans un combat truqué où il devait même pas toucher son adversaire, Sanchez l’allonge pour le compte, tout le monde veut savoir qui est ce cogneur. Même Camara, champion d’Europe en titre, veut l’affronter. Tout en le prévenant : « Je vais te tuer. En moins de deux rounds ! » Ce qui était bien inutile. On avait déjà prévenu Luka : « Chaque coup de poing de Camara, c’est comme si tu tombais du 20e étage ! » Autour d’un véritable genre du cinéma qu’est le film de boxe, Varante Soudjian a construit une agréable comédie. Le rythme est bon, les dialogues sont souvent enlevés et, dans le rôle de Sanchez, Alban Ivanov peut donner toute sa mesure, un peu gentil, un peu bas du front. Autour de lui, il y a du beau monde, à commencer par Audrey Pirault, dans le rôle de Stéphanie, la coach/manageuse de Luka. Les deux comédiens s’étaient déjà retrouvés, en 2022, dans La traversée, également de Varante Soudjian. Bref, un petit air de Rocky à la française. En version, c’est juste pour rire. (UGC)
LES BATAILLES D’AZNAVOUR ET LE COMBAT DE SOULEYMANE 
MONSIEUR AZNAVOUR
Ah, il en a pris pour son compte, le jeune Charles Aznavour ! Rastaquouère, nabot, Juif, infirme à la voix cassée et nasillarde. Un journaliste écrit : « Les Arméniens sont bons pour compter les sous. M. Aznavour devrait se lancer dans la comptabilité… » Face à ces critiques qui tiennent clairement de l’insulte, le chanteur fait le dos rond, convaincu qu’il aura un jour son nom en haut de l’affiche mais aussi que, seul, un travail acharné lui permettra de percer et de concrétiser son rêve. Ce sont les pages d’un livre d’histoire(s) que tournent Medhi Idir et Grand Corps Malade. Le livre de la vie de Charles Aznavour (1924-2018) dont les chapitres portent les titres de chansons de légende comme Je m’voyais déjà, La bohème ou Emmenez-moi. Autant dire que les fans du chanteur s’y retrouveront sans peine. Et que d’aucuns fredonneront probablement devant leur Blu-ray. Tout commence pendant la guerre lorsque la famille Aznavourian peine à joindre les deux bouts, sans perdre pour autant une joie de vivre profondément ancrée dans l’âme de Micha, le père, de Knar la mère ou d’Aïda, la grande sœur qui couve le petit Charles. Les premières séquences de Monsieur Aznavour mixent ces scènes de liesse familiale, de fête permanente où la joie doit damer le pion à la misère tandis que se déroulent les images d’archives du dramatique exil arménien, une origine qui hantera toujours le chanteur et fera de lui un militant actif de cette cause. En brossant de bons portraits de Pierre Roche, le partenaire des débuts ou d’Edith Piaf, la « grande soeur », le film s’attache à montrer combien, porté par sa passion et élevé par ses parents dans une atmosphère de musique et de théâtre, Charles Aznavour ne cessera de se battre avec une absolue ténacité. Dans le milieu de la chanson, peu d’artistes ont réussi à percer et à convaincre sans coup férir. Mais on a, ici, le sentiment que les obstacles ont été encore plus nombreux sur le chemin d’Aznavour. Et l’émotion étreint le spectateur quand, ce soir de décembre 1960, le chanteur, après avoir interprété Je m’voyais déjà et son fameux complet bleu « qui était du dernier cri » devant « ce Tout-Paris qui nous fait si peur », se tient derrière le rideau de l’Alhambra. Il est sûr que sa carrière est finie. On le pousse à aller saluer. Il revient dans la lumière. Le public l’applaudit à tout rompre. Aznavour est né. Pour incarner le chanteur, Medhi Idir et Grand Corps Malade ont trouvé en Tahar Rahim (né au cinéma dans Un prophète de Jacques Audiard en 2009) un interprète époustouflant qui a réussi à se fondre dans le personnage sans jamais imiter le grand Charles mais en jouant la ressemblance sans tomber dans le masque. Fils d’immigrés et d’apatrides, Aznavour est devenu l’un des symboles de la culture française, un « ambassadeur de la chanson française à travers le monde ». Un monument, en somme ! Que le film parvient, avec aisance, à nous rendre proche et humain. (Pathé)
L’HISTOIRE DE SOULEYMANE
Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète inlassablement son histoire. Dans deux jours, il a rendez-vous dans les locaux de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pour passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt. Révélation de la dernière sélection Un Certain Regard à Cannes où il a obtenu le prix du jury et le prix d’interprétation masculine pour Abou Sangare, L’histoire de Souleymane est le troisième long-métrage de Boris Lojkine après Hope (2014) qui racontait l’histoire de Léonard et de Hope, un Camerounais et une Nigériane qui se rencontrent sur leur chemin vers l’Europe puis Camille (2019) centré sur la vie de la photo-reporter Camille Lepage, durant la guerre civile de République centrafricaine de 2013-2014 où elle perdra la vie. « Depuis quelques années, dit le cinéaste, j’avais envie de réaliser un film sur ces livreurs à vélo qui sillonnent la ville avec leurs sacs bleu turquoise ou jaune vif, siglés de l’application pour laquelle ils travaillent, tellement visibles et pourtant totalement clandestins – la plupart sont sans- papiers. » Autour de la figure omniprésente de Souleymane, dont l’existence est fortement compressée par trois exigences : «gagner de quoi manger, s’assurer un toit pour dormir, préparer son entretien de demande d’asile», le film montre Paris comme une ville étrangère dont on ne connaîtrait pas les codes, où chaque policier est une menace, où les habitants sont hostiles, pleins de morgue, difficiles d’accès… Des HLM de grande banlieue aux immeubles haussmanniens du centre, des MacDo aux immeubles de bureau, des centres d’hébergement d’urgence aux wagons de RER, Lojkine montre Paris sous un angle radicalement différent. « L’autre dans le film, dit-il, c’est nous : le travailleur pressé qui commande son burger, le passant bousculé qui peste contre les livreurs à vélo, la fonctionnaire qui se tient face à Souleymane… » En s’appuyant sur un époustouflant comédien non-professionnel (dans les suppléments, on peut voir les nombreux essais réalisés par Abou Sangare qui, dans la vie, est mécanicien), L’histoire de Souleymane apparaît comme un film haletant. Parce qu’il suit au plus près un livreur constamment en mouvement, le tout dans une mise en scène qui supprime tout ce qui ne relève justement pas de ce mouvement permanent qu’est la vie de Souleymane. Stressant aussi parce que l’existence de ce livreur aux prises avec un système sans pitié est suspendue à la décision de l’OFPRA et d’une fonctionnaire anonyme (Nina Meurisse, déjà présente dans Camille). Souleymane a acheté un récit factice selon lequel il serait un opposant politique membre de l’ Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Après les trépidantes 48 heures dans la vie de Souleymane, presque toujours filmées à l’arrache dans les rues de Paris, l’entretien à l’OFPRA, dans un cadre soudain rigide, est presque un film dans le film. « Je voulais, souligne encore le réalisateur, que cet entretien soit comme un duel, où jusqu’au bout Souleymane se batte bec et ongles, et que le spectateur épouse sa cause, jusqu’au moment où tout se renverse ». Lorsqu’à la fin Souleymane raconte enfin pourquoi et comment il a quitté la Guinée, il a peut-être tout perdu, mais au moins, pour la première fois, il a parlé en vérité. Il est redevenu lui-même. Une œuvre bouleversante et magnifique ! (Pyramide)
TROIS AMIES
En voix of, Victor plante le décor. Voici des rues et des places, des façades et des parcs de Lyon, voici enfin le couloir d’un lycée, celui où Joan, la femme de Victor, enseigne l’anglais. A Alice, sa meilleure amie, prof comme elle, Joan confie, en s’effondrant, qu’elle n’est plus amoureuse de Victor. Pire, elle souffre de se sentir malhonnête avec lui qui l’adule tant. Mais Alice la rassure : elle-même n’éprouve aucune passion pour Eric et pourtant leur couple se porte à merveille… Ce qu’Alice ignore, c’est qu’Eric entretient une liaison secrète avec Rebecca, leur amie commune… Lorsque, finalement, Joan décide de quitter Victor, l’existence des trois amies est largement bouleversée. D’autant que Victor disparaît dans un accident de la circulation… Avec Trois amies, son douzième long-métrage, Emmanuel Mouret poursuit dans cette veine qui lui est chère, celle qui traite de l’art d’aimer et de toutes ses nombreuses variations. Mais là où l’on pouvait s’attendre au ton enjoué et allègre qui caractérise ses films précédents, le réalisateur marseillais adopte une gravité mâtinée de mélancolie pour évoquer, une nouvelle fois, l’amour et le hasard. Avec ses accents de mélodrame, voici une comédie dramatique dans le sens où le comique et le tragique y sont enlacés tout du long. Joan est sentimentale et raisonnable mais en souffrance, Alice joue la carte de la sécurité mais se laisse aller à rêver lors de longs appels téléphoniques avec Stéphane, un peintre de renom. Quant à Rebecca, sa générosité en amour lui joue des tours « inamicaux ». Ces personnages n’ont rien de héros. Ils sont affectés, peuvent être égoïstes, capricieux, réagissent parfois avec maladresse, mais sont aussi capables de considération, de scrupules. Et tous se posent la même question : comment font les autres ? Ils sont parfois beaux, parfois un peu ridicules mais ne se retournent jamais contre les autres. Avec pudeur et délicatesse, un poil d’irrationnel et toujours une étonnante musicalité, Mouret construit une narration complexe qui donne un peu l’impression d’une histoire sans fin dont on a toujours envie de connaître la suite. D’autant que les comédiennes, India Hair (Joan), Camille Cottin (Alice) et Sara Forestier (Rebecca) sont en verve ! Les hommes (Damien Bonnard, Grégoire Ludig, Vincent Macaigne et Eric Caravaca) tentent de suivre le rythme dans les arcanes féminines de l’art d’aimer. (Pyramide)
ALL WE IMAGINE AS LIGHT
Sans nouvelles depuis des années de son mari parti travailler en Allemagne, Prabha, infirmière à Mumbai, ancrée dans les traditions, s’interdit toute vie sentimentale même si Manoj, un timide médecin échographiste tente de la courtiser en lui écrivant des poèmes. Un jour, cette femme grave et tourmentée reçoit de la part de son mari un autocuiseur à riz. De son côté, Anu, sa colocataire, plus jeune, plus moderne, plus enjouée, fréquente en cachette Shiaz, un jeune homme musulman qu’elle n’a pas le droit d’aimer mais qu’elle retrouve dans des endroits isolés de la ville. Lors d’un séjour dans un village côtier, ces deux femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin la promesse d’une liberté nouvelle. Chronique des travailleurs nocturnes à Mumbai (l’ancienne Bombay), le film s’attache plus particulièrement aux portraits intimes de trois femmes : Prabha et Anu, les deux infirmières colocataires mais aussi Parvaty, une cuisinière qui travaille également dans le même hôpital. Veuve, Parvaty est en attente d’expulsion de son logement, qui doit être démoli, mais elle ne parvient pas à prouver son droit à être relogée ou obtenir une compensation, car son défunt mari ne lui a laissé aucun document. Prabha va l’aider dans ses démarches… Après avoir mis en scène, en 2021, Toute une nuit sans savoir (2021), mélange assez politique d’histoire d’amour et de révolte étudiante, la cinéaste indienne Payal Kapadia signe ici All We Imagine as Light présenté en compétition officielle à Cannes 2024 où il a remporté le Grand prix. Cette chronique de trois femmes d’âges et de conditions différentes semble, de prime abord, moins politique mais la cinéaste précise : « Je pense que tout est fondamentalement politique. L’amour, en Inde, c’est une affaire extrêmement politique. Je ne dirais donc pas que ce film-ci n’est pas politique. Savoir qui on peut épouser est une chose très complexe en Inde. La caste et la religion, entre autres choses, ont une influence profonde sur le choix de la personne avec qui vous allez passer votre vie, ainsi que sur les conséquences de ce choix. L’amour impossible, qui compte parmi les thèmes principaux d’All We Imagine as Light, est une question très politique. » Le film s’appuie sur les décors de l’impressionnante et cosmopolite mégalopole indienne (le tournage a eu lieu dans un véritable hôpital… promis à la destruction), ses lumières, ses trains, ses bus, son métro, ses boutiques, ses sous-sols même et surtout tous ceux qui viennent de tout le pays pour y travailler. La cinéaste s’intéresse aussi au boom immobilier et à la vitesse à laquelle la ville se transforme dans une sorte d’étrange gentrification. Ce film immergé dans la ville s’ouvre, vers la fin, lorsque et Anu et Prabha vont au bord de la mer. Le propos ressemble alors à un conte de fées ou un long rêve qui permet à Prabha d’exprimer les choses qu’elle veut dire à son mari ou lui entendre dire. Enfin, les trois comédiennes Kani Kusruti (Prabha), Divya Prabha (Anu) et Chhaya Kadam (Parvaty) offrent une interprétation remarquable. (Condor)
L’INCINERATEUR DE CADAVRES
Dans la Tchécoslovaquie de 1938, M. Kopfrkingl travaille dans un crématorium. Plus qu’un métier, il voit dans l’incinération des cadavres la beauté, la transcendance, un salut pour l’humanité. Ce type peu avare de sa personne croise un jour un ancien compagnon d’armes, sympathisant nazi, qui lui suggère que du sang allemand coule dans ses veines. Alors que les Allemands envahissent le pays, Kopfrkingl, trouvant l’opportunité de montrer son savoir-faire et de perfectionner ses compétences, va se prendre à rêver d’une race pure, à commencer dans sa propre famille. Son crématoire va pouvoir tourner à plein régime. Peut-être parce qu’il a oeuvré dans le domaine des marionnettes, au côté du maître Jan Svabkmajer, le réalisateur slovaque Juraj Herz (1934-2018) a été boudé par les cinéastes de la Nouvelle vague tchèque. Il a cependant donné une suite de films marquants. En 1968, en adaptant un récit de Ladislav Fuks, Herz réalise, avec L’incinérateur de cadavres, son premier film pour lequel il a les mains entièrement libres. Cependant des scènes seront coupées et lorsque l’auteur et scénariste tombera en disgrâce, le film est censuré. Juraj Herz signe, ici, un grand film formaliste qui scrute le labyrinthe mental de son protagoniste principal en le filmant le plus souvent en gros plan, voire avec un objectif fish-eye. De ce fait, Kopfrkingl semble remplacer la réalité par ses propres désirs et fantasmes. Avec sa tête ronde qui lui donne l’air d’un bébé dans un corps d’adulte, le comédien Rudolf Hrusinsky incarne un esprit pervers et faible qui va se comporter comme un parfait rouage de la sinistre Solution finale. Le cinéaste a d’ailleurs eu à connaître de la machine nazie. En 1943, sa famille est déportée au camp de Ravensbrück, tandis que Juraj, âgé de 9 ans, est placé dans la partie russe du camp de Sachsenhausen. Avec sa fascinante mise en scène (le travail du directeur de la photo Stanislav Milota est somptueux) et aussi un montage brillant, L’incinérateur de cadavres prend la forme d’un puissante manifeste contre toutes les formes de totalitarisme. Présenté dans une belle édition (Blu-ray et DVD), le film est accompagné de multiples suppléments. Ainsi on découvre Brutalités récupérées (1965),le premier court métrage (32 mn) de Juraj Herz mais aussi This way to the cooking chambers, un documentaire de Daniel Bird (2017 – 22 mn). On trouve aussi des interviews de Juraj Herz, Stanislav Milota et Vlata Chramostova (2008 – 16mn), – Histoire, politique et nouvelle vague tchécoslovaque par Christian Paigneau réalisateur de Un conte de fées tchécoslovaques (2024 – 38mn) et Juraj Herz et l’incinérateur de cadavres, par Christian Paigneau et Garance Fromont chercheuse et enseignante en cinéma et spécialiste de la nouvelle vague tchécoslovaque. (2024 – 55 mn), enfin une analyse esthétique (10 mn) par Garance Fromont.(Potemkine – Malavida)
ICHI THE KILLER
Le chef d’un gang de yakuzas vient de disparaître sans laisser de trace, emportant avec lui une grosse somme d’argent. Persuadé que son patron s’est fait enlever par une bande rivale, son bras droit, Kakihara, va laisser libre court à ses instincts de psychopathe pour débusquer le coupable. Durant sa traque, le nom d’« Ichi » est sur toutes les lèvres. Mais qui se cache derrière ce tueur solitaire aux méthodes aussi abjectes que celles de Kakihara ? Dans un style outrancier où l’ultra-violence et l’insoutenable deviennent peu à peu jubilatoires, Takashi Miike (auteur de la trilogie Dead or Alive) réalise, en 2001, avec Ichi the Killer l’un de ses films les plus fous, les plus aboutis et les plus controversés. Adapté du manga culte éponyme de Hideo Yamamoto et porté par de nombreux acteurs de la scène contemporaine nippone, Ichi the Killer se fait fort de repousser les limites de la bienséance et du bon goût, valant à son prolifique réalisateur d’être affublé des étiquettes « violent, déjanté et provocateur ». Film de tous les excès, Ichi occupe une place à part dans l’oeuvre de Miike. La violence extrême fut initialement employée pour promouvoir le film : pendant la première internationale au Toronto International Film Festival en 2001, le public reçut, comme objets promotionnels, des sacs pour vomir incrustés du logo du film. Il est vrai qu’une scène de tuerie particulièrement extravagante présente un personnage qui tranche un homme en deux de la tête aux pieds, ainsi que le visage d’un autre homme, qui glisse le long d’un mur proche… Si le scénario ne brille pas par sa finesse, il faut reconnaître à Miike un sens certain du rythme, une invention graphique évidente, un goût pour le gore cartoonesque, une représentation très sombre de Tokyo et une absence de sobriété dans la mise en scène qui a dû faire se retourner Ozu dans sa tombe. Dans une nouvelle restauration, Ichi the Killer sort pour la première fois en 4K Ultra HD et Blu-ray. Une sortie accompagnée de nombreux suppléments dont trente minutes de making-of sur les coulisses des scènes culte ainsi que quatre entretiens avec le réalisateur Takashi Miike (33 mn), et les comédiens Alien Sun (15 mn), Tadanobu Asano (10 mn) et Shinya Tsukamoto (15 mn). Enfin Miike et la génération Manga (10 mn) est un extrait d’un documentaire réalisé par Yves Montmayeur en 2003, avec les témoignages de Takashi Miike, Shinya Tsukamoto et du réalisateur Alejandro Jodorowsky… (Carlotta)
A SON IMAGE
Une jeune femme shoote des photos de mariage sous le soleil au bord de la Méditerranée… Sur le chemin du retour, elle s’endort au volant de sa voiture. C’est l’accident mortel. Autour du corps de la jeune femme, ses proches, effondrés, se retrouvent… Avec A son image, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes 2024, Thierry de Peretti signe son quatrième long-métrage de fiction et propose une œuvre qui réunit les fragments de la brève mais riche existence d’Antonia, jeune photographe de Corse Matin à Ajaccio. Comédien et metteur en scène de théâtre, acteur au cinéma et donc cinéaste, Thierry de Peretti est natif d’Ajaccio et il fait, ici, son retour dans l’île de Beauté après s’être penché sur les arcanes de la police française dans Enquête sur un scandale d’État (2022). Déjà, en 2017, avec Une vie violente, il évoquait l’histoire du Bastiais Stéphane qui retourne en Corse pour assister à l’enterrement de son ami d’enfance Christophe, compagnon autonomiste assassiné la veille. Stéphane se rappelle alors l’enchaînement des événements qui ont fait de lui un nationaliste radical, puis un clandestin. En adaptant le roman éponyme de Jérôme Ferrari, paru chez Actes Sud en 2018, le cinéaste va détailler, de la fin des années 70 aux années 90, le parcours d’Antonia, son engagement, ses amis, ses amours qui se mêlent intimement aux grands événements de l’histoire politique de l’île jusqu’à l’aube du 21esiècle. La vie d’Antonia est très vite placée sous le signe de son amour fulgurant pour Pascal (Louis Starace), militant nationaliste dont l’engagement lui vaudra différents séjours en prison et feront d’Antonia ou la réduiront à être « la femme de Pascal ». Car, dans cette fresque d’une génération, Antonia, tout en étant reporter-photographe et donc témoin, est aussi impliquée dans la confrontation entre le combat des indépendantistes et le pouvoir central parisien. Elle vit au plus proche les incarcérations de son amant, les risques pour sa vie mais aussi les événements (ah, les fameuses conférences de presse des membres cagoulés du FNLC!) qu’elle couvre pour son journal. Mais Thierry de Peretti (qui incarne le prêtre et parrain d’Antonia) ne fait pas qu’un film politique. Il décrit des destinées intimes et s’interroge aussi sur la question de l’image et de son contenu. Photographe de presse, est-ce un métier honorable, se demande Antonia lorsqu’elle bataille, dans le bureau de son patron à Corse Matin, pour aller à Lyon couvrir un procès concernant les luttes nationalistes. Son chef lui répond proximité, fait-divers locaux, nécrologies et fêtes de village… Alors, pour se confronter à l’Histoire, à la guerre et à l’image, Antonia partira suivre, du côté de Vukovar, le début du conflit yougoslave. Porté par la figure d’Antonia (excellente Clara-Maria Laredo), A son image est une œuvre âpre et attachante qui questionne, avec finesse, l’innocence et l’absence de pitié. (Pyramide)
L’AMOUR OUF
Quelque part du côté des cités du nord de la France, dans les années 1980, Clotaire, petit loubard, perdu dans les difficultés du monde ouvrier, traîne avec sa bande de copains. Un jour, sortant d’un bus scolaire, il aperçoit Jacqueline, récemment orpheline de sa mère et très proche de son père, une bonne élève sérieuse. Clotaire s’emballe et Jacqueline n’est pas insensible à son côté rebelle à belle petite gueule. Lorsque Clotaire lance : « Je t’appellerai Jackie ! », la jeune fille répond : « Moi, je ne t’appellerai pas… » Pourtant, ces deux-là vont tomber follement amoureux et vivre une passion dévorante, malgré des différences de condition sociales et d’aspirations personnelles. Dans les années 1990, après avoir passé dix années en prison pour un crime qu’il n’a pas commis, Clotaire est toujours hanté par Jackie et tente désespérément de la revoir. Mais Jackie est désormais mariée, installée dans une nouvelle vie rangée, et semble avoir définitivement tourné le dos à leur passé. Mais en réalité, aucun des deux n’a oublié cet amour qui les a consumés adolescents et qui pourrait bien ressurgir et bouleverser à nouveau leurs vies. Second long-métrage (en solo) de Gilles Lellouche après Le grand bain (2018), comédie dramatique sur sept hommes cabossés par la vie et qui reprennent espoir en s’investissant dans la natation synchronisée, L’amour ouf est une belle réussite vue par 4,2 millions de spectateurs en France. C’est aussi un film « générationnel » qui accroche un public de jeunes filles et femmes. Sans doute emballées par les punchlines du Clotaire de 17 ans et (surtout?) par le charme canaille de Malik Frikah, jeune comédien qui décroche, ici, son premier grand rôle de cinéma. Comme Mallory Wanecque est une Jackie très à son aise aussi, ces deux jeunes acteurs dament quasiment le pion aux deux stars du film, en l’occurrence François Civil et Adèle Exarchopoulos à l’âge adulte. Le duo est entouré de visages connus du cinéma français : Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi, Elodie Bouchez, Karim Leklou, Raphaël Quenard et Anthony Bajon. Un beau casting ! Présenté en compétition officielle au dernier festival de Cannes (où l’accueil n’a pas été très chaleureux), L’amour ouf, adaptation du roman éponyme de l’auteur irlandais Neville Thompson, publié en 2000, est un projet que Lellouche porte depuis longtemps et qu’il décrit comme « une comédie romantique ultra-violente ». En citant des références qui vont de West Side Story (le film contient de bonnes séquences chorégraphiées) aux œuvres de Scorsese et Tarantino, Lellouche a imaginé, dit-il, « un doux mélange entre violence et sentiments exacerbés, entre chaud et froid, entre sucré et âpre ». Au total, le film apparaît comme un patchwork, pas forcément indigeste, de polar musclé et de drame romantique. (Studiocanal)
SEPTEMBRE SANS ATTENDRE
Après quinze années de vie commune, Ale et Alex ont une idée un peu folle : organiser une fête pour célébrer leur séparation. Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision. Mais l’est-il vraiment ? Huitième film de fiction du réalisateur espagnol Jonas Trueba, Septembre sans attendre (Volveréis en v.o.) met en scène un couple interprété par Itsaso Arana (Ale) et Vito Sanz (Alex) également co-scénaristes du film et déjà ensemble à l’écran pour Eva en août (2020) et Venez voir (2022) du même réalisateur. Cette comédie dramatique repose sur une idée répétée de manière littérale tout au long du film. Quasiment jusqu’à épuisement ! Pourtant, le motif de la séparation n’est jamais clairement exprimé. « Pour moi, dit Trueba, c’est important qu’il n’y ait pas de raison concrète, que cela soit presque un mystère, pour éviter que le film devienne trop réaliste. Habituellement, les films sur des couples et des ruptures contiennent un drame évident : les enfants, une infidélité… Pas ici. Je voulais vider le film de tout élément commun, reconnaissable ; qu’il reste éthéré. Ce qui le fait résonner avec les comédies romantiques classiques. » Le cinéaste cite ainsi Cette sacrée vérité (1937) de Leo McCarey. Dès la première séquence, le couple interprété par Cary Grant et Irene Dune annonce : « Nous allons nous séparer ». Chacun soupçonne l’autre de l’avoir trompé mais, en réalité, cela n’a pas d’importance. L’enjeu c’est la nécessité de se défier l’un l’autre avec cette idée de séparation, car ils savent sûrement que c’est la seule manière de se pardonner et d’éprouver à nouveau leur amour. Le rythme de Septembre sans attendre repose sur l’annonce répétée de cette drôle d’idée, célébrer les séparations plutôt que les unions. Le couple répète sans cesse la même annonce, presque toujours avec les mêmes mots. La variation se trouve dans les réactions de ceux qui les écoutent. Et chez Ale et Alex aussi, de manière subtile, à mesure qu’ils perdent leur certitude sur ce qu’ils disent. Enfin Septembre… opère une mise en abyme. On découvre que ce film est aussi le film qu’Ale est en train de terminer. Du coup, le travail de montage s’inscrit dans un jeu avec le spectateur. Le film est ainsi truffé de petits jeux de montage qui sont comme des expérimentations : le split-screen, la transition au volet, les changements d’axes… Ces marques apparaissent à partir du moment où l’on comprend que le personnage d’Ale est en train de monter le même film que celui que le spectateur voit. Une manière de dire comme nos vies et les films s’entremêlent. Une belle chronique désenchantée mais drôle. (Arizona Distribution)
MEGALOPOLIS
À New Rome, allégorie de New York, une jeune femme, Julia Cicero, est partagée entre la loyauté envers son père Franklyn Cicero, le maire de la ville, et son amant, l’architecte Cesar, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps. Si le premier a une vision archi-conservatrice de la société, Cesar est plus progressiste et tourné vers l’avenir. Après une catastrophe qui a ravagé la ville, l’architecte veut recréer la cité et en faire une utopie, alors que le maire, cupide et corrompu, y est totalement opposé… Megalopolis est un projet de longue date du réalisateur (l’écriture du film a débuté dans les années 80), qu’il rêvait de concrétiser depuis plusieurs décennies. Après plusieurs échecs pour y aboutir, Coppola décide de risquer l’endettement en investissant une grande partie de sa fortune personnelle dans le budget, estimé entre 100 et 120 millions de dollars. Afin de donner vie à son probable ultime film, il s’entoure également d’une distribution de luxe, constituée de jeunes acteurs du moment, tels qu’Adam Driver (qui incarne Cesar Catalina, l’architecte) ou Shia LaBeouf, des vétérans du cinéma américain, que ce soit Jon Voight, Dustin Hoffman ou Laurence Fishburne et des proches de son entourage comme sa sœur Talia Shire et son neveu Jason Schwartzman. Prononcer le nom de Francis Ford Coppola, c’est faire résonner, dans nos mémoires, le souvenir de la trilogie des Parrain (1972-1990), de Conversation secrète (1974), de Rusty James (1983), de Cotton Club (1984), du mélancolique Peggy Sue s’est mariée (1986) et évidemment de ce monument du film de guerre qu’est Apocalypse Now (1979). Excusez du peu ! A Cannes, l’an dernier, où il était en compétition officielle (50 ans après sa palme pour le formidable Conversation secrète et 45 ans après celle d’Apocalypse!), le vétéran américain (85 ans) s’est fait méchamment étrillé par la critique. On en passe des vertes et des pas mûres sur ce drôle d’objet cinématographique qui confronte les créateurs et les bureaucrates. Sans aucune allusion à une situation politique contemporaine ? Faut-il se risquer à voir Megalopolis ? Oui, si on ne craint pas un délire kitsch et futuriste pour s’offrir quelques instants flamboyants… (Le Pacte)
TRANSFORMERS : LE COMMENCEMENT
Dans la cité d’Iacon, Orion Pax et D-16, deux mineurs d’Energon, vont découvrir une piste quant à la disparition de la Matrice du Commandement. Leur quête de l’artéfact va les mener à la surface de leur planète, Cybertron, accompagnés de B-127 et d’Elita-1. Ce qu’ils ignorent, c’est que cette aventure les mènera à devenir respectivement Optimus Prime et Mégatron, deux frères d’armes qui passés ennemis jurés, vont mener au plus grand des combats entre les Autobots (faction de Transformers qui représentent le Bien) et les Decepticons qui tentent d’imposer la force, la puissance et la domination des Transformers dans l’univers par tous les moyens en combattant les Autobots. Réalisé par Josh Cooley, ce film d’animation 3D est une préquelle à la franchise Transformers créée par les entreprises japonaise Takara Tomy et américaine Hasbro, toutes deux productrices de jouets. La franchise commença avec une ligne de jouets constituée de robots pouvant être transformés en véhicules. Ces robots constituent deux groupes, les Autobots et les Decepticons, qui se combattent. Par la suite la franchise a été la source de comics, de dessins animés, de jeux vidéo et de films. Mêlant action et science fiction, ces derniers se comptent, à ce jour, au nombre de huit, le premier datant de 2007, réalisé par Michael Bay et produit par Steven Spielberg. Avec une réflexion pas malvenue sur le pouvoir, voici un blockbuster familial qui ne révolutionne pas le genre mais qui fait bien le job. (Paramount)
SANS RETOUR
En 1973, neuf membres de la Garde nationale de Louisiane participent à un banal exercice militaire dans un bayou au coeur d’une forêt épaisse et touffue en territoire cajun. Pressés de finir au plus vite cet exercice, dont le sens leur échappe, ils volent des barques aux autochtones afin d’accéder plus rapidement au point de ralliement. Intrigués par cette incursion et par la prise de leur matériel, les habitants des marais se manifestent, alors que les militaires ont déjà commencé à quitter le rivage à bord des embarcations. Crawford Poole, le plus haut gradé, décide de retourner sur la rive, pour y restituer les barques. Mais, l’un de ses hommess tire alors une rafale de balles à blanc, par simple provocation. Cet acte est malheureusement pris très au sérieux par les Cadiens qui ripostent aussitôt avec de vraies balles. Poole est tué sur le coup. Pour les neuf autres membres de la garde nationale, c’est le début d’une lutte acharnée pour survivre dans des marécages qu’ils ne connaissent pas et avec peu de moyens de se défendre. Réalisateur de seconde équipe pour Norman Jewison et Peter Yates, respectivement sur L’affaire Thomas Crown (1968) et Bullitt (1968), scénariste pour Guet-apens (1972) de Sam Peckinpah et Le piège (1973) de John Huston, le vétéran Walter Hill a ensuite connu une solide carrière de réalisateur avec des films comme Les guerriers de la nuit (1979) ou 48 heures (1982). Plutôt mal accueilli aux USA mais avec de bonnes critiques dans le reste du monde, Southern Comfort (titre original), réalisé en 1981, est pourtant un bon huis-clos dans les décors hostiles et oppressants (le tournage a été difficile) d’un bayou. Pour les gardes nationaux (incarnés par des comédiens encore peu connus à l’époque mais excellents comme Keith Carradine, Powers Boothe ou Fred Ward), tout devient vite une angoissante question de survie. Sur une musique de Ry Cooder, du bon cinéma d’action brutal et efficace. (L’Atelier d’images)
ANGELO DANS LA FORET MYSTERIEUSE
Angelo, 10 ans, se rêve aventurier et explorateur. Jusqu’au jour où, partant en voiture avec sa famille pour se rendre au chevet de sa chère grand-mère bien malade, il est brusquement mis au défi de prouver son courage… Oublié par erreur sur une aire d’autoroute, Angelo décide de couper à travers la forêt pour rejoindre la maison de Mémé. Il s’enfonce alors dans un territoire mystérieux peuplé d’êtres étranges que menace un ennemi pire encore que l’ogre de la région… Au départ du film d’animation réalisé en France par Vincent Paronnaud (déjà co-auteur avec Marjane Satrapi de Persepolis en 2007 et Poulet aux prunes en 2011) et Alexis Ducord, il y a la bande dessinée Dans la forêt sombre et mystérieuse du même Vincent Paronnaud parue en 2016. Dans une belle adaptation, l’intrigue se concentre sur un gamin à l’imagination débordante, qui va être amené à pénétrer dans une forêt peuplée d’êtres aussi excentriques que mystérieux. Très vite, pour le gamin aux grandes lunettes carrées, l’aventure va devenir une exploration inédite et inoubliable. Avec un petit côté Alice au pays des merveilles, le film réussit à capter l’attention des petits (comme des grands) à travers une histoire bourrée de rebondissements autant que de personnages étranges, attachants et drôles. Retenons ainsi Fabrice, l’écureuil qui rêve de devenir un oiseau et qui s’exprime avec la voix si reconnaissable de Philipe Katerine. Quant à Angelo, il n’est pas avare en commentaires et en vannes dignes de son jeune âge. Enfin, du point de vue visuel, Angelo est une réussite par sa maîtrise de différentes formes d’animation. Comme quoi, l’animation française existe et elle a de vraies qualités! (Le Pacte)
QUATRE ZEROS
Si l’on fait exception de Coup de tête (1979) de Jean-Jacques Annaud ou Looking for Eric (2009) de Ken Loach, les films de fiction, notablement bons, sur le football ne sont pas légion. Alors que Mercato sort sur les grands écrans, voici les aventures de Sylvie Colonna, José Pinto (Didier Bourdon) et leur fils Manu lancés dans le foot-business. Là où Mercato est un thriller, Quatre zéros est une comédie qui n’a pas la prétention, du moins on l’imagine, de s’aligner dans la Ligue des champions. En 2002, Fabien Onteniente, qui n’était pas encore l’heureux auteur de Camping (oui, le film avec Jacky Pic et Patrick Chirac) donnait Trois zéros, une histoire de jeune Hongrois, prodige du ballon rond… Gérard Lanvin y tenait déjà le rôle d’Alain Colonna, agent de joueur. On retrouve le même Alain Colonna, désormais paisible retraité du côté de Tahiti. Or voilà que Sylvie (Isabelle Nanty), la sœur d’Alain, lui demande un coup de main. Car Manu, qui se rêve agent de joueur, a découvert, lors d’un défi de la lucarne, le jeune mais talentueux Kidane (Mamadou Haïdara). Le problème, c’est que Manu n’est pas vraiment une lumière. L’autre problème, c’est que les affaires vont mal. La survie du Churrasco, le restaurant portugais du couple, ne tient qu’à un fil. Alors les Pinto voient en Kidane l’occasion de sortir de la galère. Alain revient donc mais le football a changé… Tous ensemble, ils vont devoir affronter DZ, l’agent le plus influent du métier, un homme au bras long et à la mauvaise réputation… Avec comme objectif de permettre à Kidane d’intégrer le club de ses rêves : le PSG. Alors que l’on voit passer là des guests comme Paul Pogba, Rai, Guy Roux ou Rolland Courbis, il faut se rendre à l’évidence, cette satire des dérives du foot-business est une entreprise modeste. Pas méchante, pas passionnante non plus. (M6)